La Rumeur, entretien avec le Poison d’Avril

17h30, arrivée dans les locaux du XVIII. Le Bavar ouvre la porte d’entrée et je pénètre dans la salle d’accueil où une épaisse fumée de cigares indique la présence de nos deux amateurs de Cohiba. Hamé est absent. Ekoué et le Bavar terminent l’interview avec notre confrère de l’Abcdr. Puis vient notre tour, la tête pleine de questions. Car La Rumeur parle, fait beaucoup parler, et a encore pas mal de choses à dire.

Pour commencer, comment ça va ?

Le Bavar : Ben ça va, on charbonne. On s’était vu la dernière fois dans le 18ème pareil, pour une interview qui avait bien tourné d’ailleurs sur Internet. Depuis on a fait des choses : on a les concerts, les projets de films… Je ne sais plus quand on s’était vu…

Novembre 2013 pour Les Inédits 2.

Le Bavar : Nous voilà pour Les Inédits 3 !

Le site venait d’être lancé. Entre temps, quels retours ? Quelles avancées ?

Le Bavar : Excellent ! C’est un site relayé par Mediapart, 20 Minutes, c’est un site sérieux. Il n’est pas uniquement centré sur nos activités, c’est un site d’informations qui traite des sujets qui nous nourrissent au quotidien. Très bons retours, il y a une bonne fréquentation. On s’en sert aussi pour mettre notre actu. On a écrit quelques articles, sinon on fait appel à des contributeurs. Il y avait une volonté d’ouvrir et de faire partager notre univers, et dans l’optique aussi de « soyons notre propre média », « faisons ».

Y’a une démarche journalistique propre à La Rumeur ?

Ekoué : Non, journaliste c’est un métier, c’est ce que tu fais et manifestement c’est ce que tu fais bien donc non, on est à notre place. On partage des infos sur un certain nombre de faits d’actualité autour du prisme du hip-hop.

Vous avez été beaucoup sollicités avec les événements de Janvier. Vous avez tout refusé ?

Ekoué : Ouais, laisse tomber, tous les médias nous ont appelé : France 2, BFM, RTL, France Inter… On a juste posté un dessin de Tignous, parce que c’est quelqu’un qui appréciait vraiment la démarche du groupe, notamment le recul qu’on a par rapport à Skyrock. Manifestement il détestait Skyrock autant que nous, il nous avait fait des dessins dans le cadre d’une initiative qui s’appelait « le chaos social ». On a posté le dessin pour lui rendre hommage ainsi qu’à ses proches. Après on n’a pas participé à la manifestation, les trucs comme ça. Pour être plus clair avec toi, il s’est passé ça, c’est dramatique. C’est des dessinateurs quoi, on peut être d’accord, ne pas être d’accord… Il y a des gens qui respectent le sacré, des gens qui ne respectent pas le sacré. C’est comme ça. Je veux dire, tant que ça reste du débat…

« Ekoué : Je revendique le droit que ce genre de média ait le droit d’exister. Après, ça heurte des consciences, soit. Rien ne justifie qu’on se fasse allumer comme ça en plein Paris. »

Moi quand j’allais au kiosque, Charlie Hebdo ils peuvent dire ce qu’ils veulent, je prenais l’Equipe et je me barrais, tu vois ce que je veux dire ? Je revendique le droit que ce genre de média ait le droit d’exister. Après, ça heurte des consciences, soit. Rien ne justifie qu’on se fasse allumer comme ça en plein Paris, c’est mon point de vue. Ce que j’ai trouvé particulièrement puant dans le débat, c’est la façon dont les médias ont voulu prendre en otage la communauté musulmane en leur demandant de se désolidariser de ce qu’il s’est passé. Comme si on demandait aux gens de se désolidariser de l’autre fou furieux qui a allumé 70 mecs au nom d’une pseudo-idéologie d’extrême droite. C’est pour ça qu’on a refusé d’intervenir. On a très spontanément rendu hommage aux gens qui sont morts dans cette tragédie, et pas uniquement aux dessinateurs, à ceux qui allaient faire leurs courses, voilà. On ne confessionnalise pas le débat, on ne le place pas sur le terrain de la religion.

Justement, prendre parole aurait été une opportunité pour dénoncer les médias…

Ekoué : C’était trop hystérique ! Il y avait un Patriot Act, une raison d’Etat. Nous, « Tout brûle déjà » on y a consacré un album… « Tous ces mômes vont grandir », toute cette jeunesse qui a versée dans l’ultra-consommation, qu’on a laissée avec rien. On vit dans une société de plus en plus violente et malheureusement quand ça arrive aux portes de chez nous, tout le monde s’en rend compte. C’est pas faute d’avoir interpellé les pouvoirs publics. On est dans un pays où il y a des inégalités de plus en plus croissantes, il y a des gens qui sont fortement diplômés qui sont obligés de s’exporter à l’étranger, il y a des établissements qui envoient des enfants brillants dans des voies de garages, il y a le chômage qui atteint 70% dans l’Est de la France… C’est ce genre de réponses qu’on attend des pouvoirs publics, c’est pas de nous dire de voter tous les cinq ans pour les mêmes escrocs qui vont nous la mettre profond. Après il y a cette course à l’audience. Aujourd’hui, qu’est-ce qui fait vendre ? C’est les autres fous furieux de DAECH ou c’est le Front National. Parce que c’est ce qui fait que les gens allument la télé et consomment du papier. Tant qu’on restera à courir derrière des logiques d’audience et d’argent, tout ça sur-promotionné par le web et par la Toile, où finalement c’est la course du buzz, on ira vers l’immédiateté, vers le spectaculaire, vers la violence à tout point de vue. Ça a forcément des conséquences. C’est peut-être un lieu commun de le dire, mais les sociétés sont de plus en plus violentes. Dans tout, même dans le langage des politiques.

L’album est sorti il y a maintenant 10 jours. On est plus sur des humeurs, des ambiances posées que sur les fonds revendicatifs, militants et les titres engagés des opus précédents.

Ekoué : On n’a pas d’album avec des touches militantes et engagées. On avait des morceaux comme « Le cuir usé d’une valise » qui faisait référence à l’Histoire, mais sinon dans nos albums, on se raconte. C’est nos interviews qui sont plus politiques. On peut être des fois dans l’analyse, mais aussi dans la chronique urbaine.

Il y avait quand même un contenu sur la Françafrique, sur Skyrock…

Ekoué : On a pris position dès le début face à des monopoles. On a pris position par rapport à la Françafrique, on a pris position aussi par rapport à des questions simples : on n’a jamais parlé de religion dans nos paroles, parce qu’on considère que ça fait partie de la sphère de l’intime, on ne confond pas le profane et le sacré. C’est pour ça qu’à travers les événements du 11 janvier, on ne s’en tient qu’à des grilles de lectures sociales. Apportons des réponses sociales concrètes sur ce que les gens ont à se mettre tous les soirs dans leurs gamelles et peut-être qu’on aura une société où l’air sera de plus en plus respirable. On a l’impression d’être plus politisé que les autres, tout simplement parce que nous on a porté nos couilles quand il fallait les porter. On a été au tribunal pendant 8 ans, on a assumé la moindre de nos paroles, on a fini par gagner au bout. On a juste pris conscience que notre position en France, notre place, notre façon de penser, qu’à partir du moment où on prenait la parole dans le débat public, il y avait une dimension politique. On n’a pas eu besoin de remettre de la confiture dessus. Il y a des textes sur la Françafrique parce que ça nous touche, il y a « 365 cicatrices » ou « Nature morte » qui parlent d’Histoire parce que c’est des thèmes qui nous touchent mais on est constitué de tout ça à la fois. Après « Les Inédits », c’est plus « On fait rentrer notre public chez nous, entre nos murs ».

Comment réagit votre public, plus habitué par le passé à des albums au format plus « classique », au fil des sorties de type « Nord Sud Est Ouest » ou « Les Inédits » ?

Ekoué : C’était déjà le cas depuis la trilogie quand on a sorti « L’ombre sur la mesure », et puis pareil quand on a sorti « Regain de tension », et « Du cœur à l’outrage ». Parce que, par définition, des morceaux ça te rappelle des séquences de ta vie auxquelles tu te raccroches et que t’as pas envie forcément de voir évoluer. Donc ce débat du « Je préférais cette période-là », tu l’auras toujours. Quand on fait des concerts, on joue des morceaux des « Inédits » jusqu’à des morceaux de la trilogie. Plus ça va, plus on assume d’être des auteurs, et des auteurs qui se racontent de façon différente. Dans les textes des Inédits, le côté « pérégrinations nocturnes » est beaucoup plus prononcé, même si ça a toujours été présent dans nos albums.

Ca va bientôt faire 20 ans que vous existez en tant que groupe de rap, et vos amitiés sont encore plus vieilles. Comment on vit ça au quotidien ? Est-ce que le rap influence l’amitié ou vice versa ? Comment appréhende-t-on sa carrière quand elle est liée à des amitiés ?

Ekoué : Ce qui permet de cimenter notre esprit, c’est que moi, ce que je veux pour moi, je le veux pour Hamé, je le veux pour Philippe. Ça repose sur des questions qui sont concrètes. Moi, j’ai repris des études, j’ai fait mes diplômes. Hamé, il a pris ses diplômes. Philippe il en avait besoin, puisque quelque part on commençait à upgrader notre business. Il a repris une licence à Dauphine qu’il a eu brillamment. On écrit sur notre film avec Hamé, on va l’intégrer dans la production, Philippe travaille sur le label, moi je travaille sur l’édition. On se répartit les tâches. Il y a le côté « potes », mais il y a aussi le côté « on monte une entreprise » et pour tout ça faut qu’on mette de l’huile dans le moteur. Des fois, on se serre la ceinture, et des fois quand les fruits sont mûrs, on les récolte. C’est la vie qu’on a choisi d’avoir. On a dépassé le débat de « tu sais rapper/tu ne sais pas rapper ».

Vous faites partie de ces rares groupes de rap français des années 90 –avec la Scred et les Sages Po notamment- qui n’ont pas implosé avec le temps. Vous développez vos projets, mais eux aussi à l’image de la Scred Boutique qui a ouvert il y a quelques mois. Malgré votre positionnement « hors rap game », est-ce que vous suivez les évolutions des confrères de votre génération ?

Ekoué : Ouais, j’ai pris des t-shirts là-bas. On a fait un bon concert avec la Scred à Besançon récemment. On a joué avec Flynt aussi. Après voilà, ils font leur truc, on fait notre truc.

Vous restez donc marginaux, en dehors.

Ekoué : Non, c’est pas qu’on est en dehors, mais moi j’ai pas d’amis dans le rap. Les seuls amis qu’on a dans le rap c’est Keuj et La Hyène. On se voit en dehors du rap, on ne parle pas que de rap. Tout ne tourne pas autour du rap. Mes potes, c’est pas des rappeurs. C’est pour ça qu’on n’a pas besoin de se faire des amitiés dans le rap. On en connait des rappeurs, on en fréquente certains, on les respecte.

Vous me parliez d’IAM avant le début de l’interview et notamment du dernier album d’Akhenaton. Même si ça date un peu, tu peux revenir brièvement sur l’origine de l’embrouille entre Sheryo et toi contre Akhenaton ?

Ekoué : Le début du grief c’est qu’en fait il avait parlé de nous dans une interview, il manquait de respect à Sheryo, à Joey Starr et à moi. Je l’ai appelé, je lui ai dit « C’est quoi ton problème ? », et le mec a commencé à me faire « Mais non en fait c’est le journaliste qui a déformé notre propos. » Donc j’ai appelé le journaliste, il m’a dit « Si tu veux je te fais écouter la bande », je lui ai dit « C’est bon, je te crois, le journaliste. » J’ai dit : « Très bien, tu fais des clashs… »

« Ekoué : On va fêter les 10 ans des émeutes, je rappelle que les mecs qui ont fumé Zyed et Bouna, ils sont toujours pas au placard. »

Il y avait quoi dans le contenu ?

Ekoué : Je ne sais plus, il disait que Joey Starr c’était une merde, il disait que Sheryo arrêtait pas d’insulter, moi il avait mis plus de bémol genre « c’est un mec intelligent, mais… » Je m’en battais les couilles mais Sheryo m’a dit « Viens on fait un morceau sur sa gueule » et voilà, c’est comme ça qu’il est né le morceau.

En réécoutant sa réponse, on remarque qu’il ne vous cite pas.

Ekoué : Le problème d’Akhenaton c’est que c’est le mec qui va critiquer Skyrock quand ils ont des soucis d’audience et ne le jouent plus, et quand Skyrock décide de le passer, ils sont les meilleurs amis du monde. Donc tu fais ce que tu veux, mais tu ne viens pas nous donner de leçons. On lui a montré qu’on avait une colonne vertébrale, qu’on dit des trucs et qu’on les assume. Lui, il était là à dire : « Skyrock c’est des enculés » et après il revient faire Urban Peace. Attends collègue… Parle de nous une fois, deux fois et puis au bout d’un moment on a balancé ce morceau et voilà. Ça date de plus de dix piges, je calcule plus. Mais pourtant, pour moi, Chill c’est un artiste, le Rakim français. Il a écrit des morceaux que personne n’a réussi à écrire. C’est un des plus grands lyricistes du rap français, c’est sûr et certain. Mais tu critiques aussi les gens que t’apprécies, tu vois ce que je veux dire ? Les autres, tu ne les calcules pas. Si un mec vient me clasher sur Internet et qu’il est tout pourri, je ne vais même pas l’écouter.

Le Bavar : Il nous a samplé sur son dernier album, un morceau où il a samplé Oxmo aussi.

J’aurais également aimé avoir votre avis sur un groupe phare du rap français comme Assassin, dont le leader Rockin’Squat semble faire du complot un cheval de bataille.

Ekoué : Au secours ! C’est horrible ce qu’il fait maintenant.

Le Bavar : Moi j’ai décroché après « Note mon nom sur ta liste » !

Ekoué : Je ne peux pas nier que c’est un mec qui m’a tendu le micro à l’époque où on n’était rien. C’était mon premier featuring, et pas des moindres. Donc pour ça, Rockin’Squat, voilà… Après, au niveau du rap et ce qu’il propose musicalement je trouve ça cheum. Je veux bien que les mecs se servent du complotisme, mais le propre d’un complot c’est que si tu le dénonces, c’est parce qu’on y croit. Maintenant si on n’y croit pas… Garde-le pour toi. Moi, vouloir m’expliquer que le monde est plein de complots depuis la nuit des temps, c’est comme me dire que Paris c’est stressant. Je ne vais pas faire des albums là-dessus, j’aime bien ce qui est concret. Quand on parle des bavures policières, nous c’est pas du complot et on est attaqué au tribunal pour ça. Maintenant, dire qu’il y a des illuminatis, illuminés ou je ne sais pas quoi qui contrôlent la planète, qu’est-ce que tu veux que j’y fasse ? Je ne vais pas les insulter, ça ne va pas changer le cours de l’Histoire. Il y a des gens en haut qui nous enfument, ça sera comme ça du berceau à la tombe.

On en parlait avant l’interview, tu me disais que tu avais apprécié le dernier Ali. Parmi les plus jeunes, vous prêtez quand même l’oreille à des MC’s comme Demi Portion…

Ekoué : (il coupe) Ouais j’ai écouté Demi Portion. Ali, j’ai beaucoup aimé le discours. Il y a deux interviews qui m’ont marqué cette année : celle de Kenzy et celle d’Ali. Je trouve que c’est un mec qui a évolué intelligemment avec sa musique, qui porte un discours adulte, qui rappe bien, qui a fait un bon album, et qui mérite quelque part que la lumière soit sur lui. Et qui ne cherche pas forcément à courir… Voilà quelqu’un qui me représente dans son travail. Pourtant, c’est pas spécialement mon ami, mais c’est quelqu’un que je peux largement reconnaître. Des mecs comme Kenzy aussi, des mecs comme Jean-Pierre Seck, comme les Sages Po et plein d’autres aussi. Demi Portion dont tu parlais, je l’ai connu quand il avait 15 ans, il faisait des ateliers d’écriture. C’est un mec que j’ai suivi et qui est très reconnaissant, j’aime bien son approche. Super talentueux ce mec-là, c’est bien ce qu’il a fait. Rachid, je l’ai connu quand il commençait à rapper, avec Adil, qui est un frère, et qui a complètement lâché.

« Ekoué : Quand on parle des bavures policières, nous c’est pas du complot et on est attaqué au tribunal pour ça. »

Adil, le MC de Bourgogne ?

Ekoué : Non, Adil de AL (Matière Première) et Adil, mais il est très bon aussi le p’tit Adil. C’est un type de notre âge, il ne rappe plus, c’était un des trois meilleurs rappeurs français pour moi. C’est tout cet underground-là, qui est dormant, et qui n’est pas forcément dans le « game ». Tu as des mecs comme Kadaz aussi de La Mixture, qu’on voit beaucoup, qui est resté un pote et qui vient sur tous nos concerts. Après le reste qui court derrière les playlists de Skyrock, je m’en bats les couilles, j’écoute pas.

Transition parfaite. Les majeurs en l’air et les chants anti-Skyrock, vous en faites moins en concert qu’auparavant ?

Ekoué : C’est parce qu’on est sortis de la séquence du procès. Encore une fois, cite-moi un groupe qui a sa propre boîte d’édition, qui fait des films en festivals, qui produit ses tournées, qui vit de sa musique ? On n’a aucune raison d’être aigris ! Ils font leur soupe. On a toujours considéré que c’était de la merde. S’il y a des gens qui arrivent à prendre un peu de sous et à sortir du ghetto en partant chez eux, qu’ils y aillent. On a dit ce qu’on avait à dire.

Le Bavar : On a d’autres chats à fouetter tout simplement. Ça reste un bon morceau qui fait partie du catalogue, on le fait et on continuera à le jouer sur scène, peut-être un peu moins parce qu’au fur et à mesure il y a des morceaux qui s’ajoutent aussi au catalogue et qu’on a besoin de faire.

Ekoué : « Premier sur le rap », c’était bien à l’époque… A la base, il ne faut pas oublier que dans le procès contre Sarkozy, c’était Skyrock les balances ! Donc pour nous ça reste des balances. Pour moi, un mec qui va au commissariat et qui donne toute une cité, je ne peux pas lui serrer la main.

Le Bavar : C’est des poucaves comme on dit dans le jargon !

Ekoué : Voilà, c’est ça. Et je parle pas avec les poucaves.

Vous avez créé un système économique, notamment en vous basant sur un média. On est sur le thème de la radio ; c’est quelque chose que vous comptez développer ?

Ekoué : Non, on ne va pas tout mélanger non plus. T’as des mecs qui font ça très bien, il y a des webradios… Et puis je vais même te dire un truc, moi j’écoute même pas la radio. Quand j’ai envie d’écouter un truc, je vais sur Youtube. Je ne sais même pas les fréquences.

La pochette des « Inédits 3 », c’est bien Tcho ?

Ekoué : Non, on ne travaille plus avec Tcho. Terminé.

Il y a une prise de distance avec des membres de l’Asocial Club ?

Ekoué : Avec Casey ouais, clairement. On ne se calcule plus. Elle fait sa vie, elle raconte sa soupe. J’ai vu qu’ils avaient sorti un album et je n’ai même pas calculé… Mais tant mieux pour eux hein, on ne leur souhaite pas de mal. Mais maintenant La Rumeur c’est différent, on a d’autres potes, on a d’autres trucs… C’est vraiment terminé. Il n’y aura plus jamais de morceau La Rumeur avec Casey, c’est sûr. Mais c’est pas grave hein ! T’as vu, c’est la vie. Moi, je ne regrette pas ce qu’on a fait ensemble, parce qu’on a fait des grands morceaux ensembles, on a fait des belles combinaisons, on a partagé des moments de fraternité. Voilà, nos chemins se sont séparés, c’est tout.

Je reviens à ma question initiale du coup. Qui a réalisé votre pochette ?

Ekoué : C’est Matthias de « 1975 ». C’est un type qui a extrêmement beaucoup de talent. C’est un jeune du Havre, qui a fait un livre de photos qu’on va publier bientôt. Il a déjà fait la pochette de « Du cœur à l’outrage ». Un artiste (photographe, graffeur, graphiste) qu’on va suivre de près, qu’on va accompagner en tout cas.

« Ekoué : Disiz a repris ses études et a tapé une licence de droit. Il m’a dit que ce débat lui avait fait du bien. Je le dis et je le maintiens, ça prouve que c’est quelqu’un d’intelligent » 

Une partie de votre public et certains de vos détracteurs critiquent votre imagerie « gros cigares ». Qu’avez-vous à leur répondre ?

Le Bavar : Qu’ils aillent se faire foutre !

Ekoué : Les cigares, c’est une passion entre moi et Philippe. Il y a des mecs qui font des clips en montrant des kalachnikovs et des armes à feu, j’aimerais savoir si c’est vraiment leur quotidien, parce que si c’est leur quotidien c’est 20 ans de placard. C’est quelque chose qu’on partage avec Philippe, on s’en paye un de temps en temps, et puis même assez souvent. Ça fait partie de nos vies. Maintenant si ces mecs considèrent que c’est un mouvement de flambe, on ne les empêchera pas de penser ce qu’ils pensent. On n’est pas là pour se justifier.

Dans « Nord Sud Est Ouest », Ekoué, tu te proclamais « affairiste avant d’être artiste ». Pourtant dans l’émission-débat « Tracks » de 2006 sur Arte avec Joey Starr et Disiz La Peste, tu remettais en question le côté entrepreneur de ce dernier.

Ekoué : Non, non, ce que je critiquais chez Disiz La Peste, c’est que le mec nous sortait qu’il allait entreprendre en Afrique, mais si c’est pour filer 20€ à des mecs et se faire une marge de 70, faut arrêter quoi. « Moi je fais des trucs pour mon pays », super, tu fabriques des boubous, mais c’est quoi tes marges ? Viens pas nous balancer cette réalité-là pour nous dire que toi tu fais des trucs et nous on fait rien. Il avait pris la mouche ouais. En tout cas, je l’ai recroisé récemment dans une radio, et c’est un type que je respecte. Il a repris ses études et a tapé une licence de droit. Il m’a dit que ce débat lui avait fait du bien. Je le dis et je le maintiens, ça prouve que c’est quelqu’un d’intelligent et aujourd’hui je le trouve plus épanoui dans ce qu’il fait.

Ouais, il s’est cherché musicalement, notamment avec sa période « rock »…

(il coupe) Ekoué : Après le mec il voulait venir sur notre terrain, nous on était en plein dans le procès, moi j’étais dans les études à mort, on charbonnait, il était encensé par tous les médias et il faisait son Abd Al Malik. Au début, je ne voulais même pas parler avec lui, il est venu. Bah voilà, il est reparti en slip, heureusement qu’Hamé n’était pas là sinon il serait reparti en pleurant.

Tu viens de citer quelqu’un que tu qualifiais de « beau lèche-cul » dans « Nord Sud Est Ouest »…

(il coupe) Ekoué : Ah lui je l’aime pas. Je le dis franchement, je l’aime pas ce mec-là. Son fond de commerce c’est rassurer. Déjà, se rassurer lui-même, se faire passer pour ce qu’il n’est pas. Parce que quand on le prend pour un intellectuel, t’es mort de rire. Je m’en suis tapé des brutes quand j’étais à Sciences-Po, des vrais intellectuels, des mecs qui tapent le concours de l’ENA, Normal Sup, et qui ne font pas tout ce chichi. Au bout de chaque phrase, il te parle d’Albert Camus, des machins… A aucun moment je ne l’ai entendu parler du Congo, de la Françafrique… Chacun a sa part de schizophrénie, donc raconte ta soupe si tu veux, mais ne te présente pas en tant en porte-parole. Et si on te présente en porte-parole, pose des limites et dis aux gens que tu parles en ton nom. Moi, les mecs qu’on voit beaucoup, qu’on ramène comme des éléments pacificateurs, je commence à en avoir plein le cul. Et puis j’étais tombé sur un morceau, « Ça c’est du lourd »… J’avais envie de lui dire « Arrête de nous raconter ta vie ».

Le slam, c’est aussi quelque chose que vous taclez.

Ekoué : Le slam, en opposition au rap, c’est la forme présentable du rap. On nous a mis du slam pour calmer.

Le Bavar : Tu remarqueras, c’est apparu après les émeutes de 2005, où il fallait une espèce de musique hybride, soit disant issue de la culture urbaine et des quartiers pour rendre ça plus présentable. Après, il peut y avoir du très bon slam.

Ekoué : Moi, j’aime bien Grands Corps Malade sur certains textes. Je trouve qu’il a écrit des bons textes, après je n’aime pas comment il rappe…enfin comment il chante. Mais c’est de l’a capella, pour moi, la performance c’est de rapper sur de la musique, technique, raconter des choses.

Le Bavar : Moi, quand je suis en voiture, j’aime bien bouger la tête, écouter du son et de la basse. Tu me mets du slam, je m’endors, je rentre dans un mur (rires).

Ekoué : Les mecs se font passer pour des poètes alors qu’ils le sont pas plus que quand tu es un rappeur. Abd Al Malik, quand il fait ses imitations de Jacques Brel, je trouve ça absolument ridicule. Le morceau « C’est les autres », t’écoutes la version originale de Jacques Brel, elle te file la chair de poule, t’écoutes son truc t’as envie de lui dire « Mais vas-y… » Tu parles d’un mec qui incarne quelque part le génie français. Tu sais ce que c’est Jacques Brel ? C’est une capacité d’interprétation que personne n’a pu retrouver un demi-siècle plus tard. Tu te drapes dans les habits du visage humain des banlieues, les médias bien-pensants nous le présentent comme le gentil qui fait du Jacques Brel. T’as envie de dire « Oui, mais le problème c’est qu’il n’a pas le même talent, il n’écrit pas pareil. » Ce serait bien qu’un jour quelqu’un lève le doigt et lui dise qu’il est quand même un peu loin du compte. Bref.

http://www.youtube.com/watch?v=Xy9ptcyTIew

Pour en revenir à la technique dont tu parles, toi Ekoué, tu as pris l’habitude de rapper hors beat. Ça marque une certaine évolution de ton flow depuis « Blessé dans mon ego » ou « L’odyssée suit son cours », le débit est plus lent. Tu déconstruis volontairement ?

Ekoué : C’est beaucoup plus dur de rapper comme je rappe aujourd’hui. Je rappe depuis l’âge de 13 ans, j’ai suffisamment de pratique pour me dire que mon phrasé, on a l’impression que c’est facile et c’est là où elle est la carotte. Tu te rends compte de la valeur d’un MC sur scène. Le beat c’est pas « boom-boom-tchak », il y a une façon de rentrer et de sortir des caisses, il y a la basse comme repère, le sample aussi. Ouais, il y a peut-être moins de respirations aujourd’hui… Il y a des rimes, des sous-rimes et le rythme il est déjà dans le débit. Moi par exemple, je m’amuse sur scène à partir en impro, le DJ cut la musique pendant 5 mesures, et je peux te dire que derrière je reprends la mesure.

« Ekoué : J’ai même entendu dire qu’il y a un projet de loi qui tendait à rendre le vote obligatoire, mais non, ce qui doit être obligatoire, c’est les promesses que les politiques sont censés tenir. »

Je voudrais revenir sur les bavures policières dont on parlait tout à l’heure. Le procès, aujourd’hui et à vos âges, si c’était à refaire, vous le referiez ?

Ekoué : Ouais, sans pitié. Bien sûr.

Le Bavar : Ça fait partie de l’histoire de La Rumeur.

Ekoué : Là, on va fêter les 10 ans des émeutes, je rappelle que les mecs qui ont fumé Zyed et Bouna, ils sont toujours pas au placard.

Vous vous positionnez clairement en groupe anti-vote. Avez-vous d’autres moyens politiques d’action à apporter ?

Ekoué : Non, pas anti-vote. C’est qu’on ne vote pas. Ben ouais, en faisant du hip-hop, des disques, des concerts, en sortant des livres de gens talentueux, en faisant tourner les acteurs qui n’ont pas forcément l’opportunité de le faire. Elle est là notre implication politique et sociale. Par contre, voter à l’échelle locale pour un maire qui fait du bon travail, je n’ai pas de problème par rapport à ça. Je ne vote pas aux présidentielles et aux législatives parce que quand tu vois le train de vie de nos ministres et nos députés, c’est du foutage de gueule. Les députés gagnent 10 000 € par mois, dont 5000€ en cadeau et font ce qu’ils veulent avec ; ils s’achètent des appartements, vont chez le coiffeur, ils achètent des sacs Hermès pour leurs gonzesses, et ça avec l’argent du contribuable. Moi, je ne peux pas voter pour ces mecs-là. Et puis quand tu vois le gouvernement en place, pardon. On ne va pas me demander de déplacer pour aller voter pour ces escrocs. J’ai même entendu dire qu’il y a un projet de loi qui tendait à rendre le vote obligatoire, mais non, ce qui doit être obligatoire, c’est les promesses que les politiques sont censés tenir. C’est quoi l’histoire ? Non seulement on va vous baiser, mais en plus de ça on va vous baiser de façon obligatoire ?! Envoie-la ton amende, que je chie dedans.

La montée du FN, source d’anxiété ?

Ekoué : Le FN c’est une pure création du pouvoir socialiste, qui existe depuis François Mitterrand, qui devait leur donner la proportionnelle. Mettez-le au pouvoir le FN, vous allez voir comment ça va se terminer cette histoire. Ils s’imaginent que ça va être sans conséquence politique, sociale, économique. C’est un racisme décomplexé qui gagne des élections. C’est un parti du système déjà, qui passe son temps à porter des grandes diatribes sur la mondialisation, notamment sur Bruxelles, ils ont peut-être des raisons de le faire ou pas, mais le fait est qu’ils sont tous allés croûter et prendre leur 7000€ d’honoraire ou de salaire en tant que parlementaire européen. Ça c’est concret. C’est une PME familiale : il y a le grand-père, la fille, la nièce, le gendre, le copain du gendre, le copain de la fille. C’est ça l’exécutif du FN, c’est ça que vous voulez au pouvoir ? Marion Le Pen, elle n’a même pas terminé ses études, moi à 24 ans j’étais déjà Bac +5. Elle est là parce que c’est la « fille de » et c’est gens-là sont censés défendre le peuple ? Mais c’est une escroquerie ! Si le FN est au pouvoir demain, c’est la banqueroute.

Le Bavar : On n’a pas attendu que le FN soit au pouvoir pour qu’il y ait du chômage, de l’exclusion, du racisme de la part des pouvoirs politiques.

Ekoué : Au-delà du contenu politique de cette PME-mafia familiale, demain si tu dis que la politique institutionnelle se fait gratuitement, avec éventuellement juste un appartement de fonction et qu’ils ne sont pas payés de la politique, il n’y a plus de FN, plus de PS et plus d’UMP. Ils vont faire autre chose, le FN c’est des escrocs comme les autres. Et puis aussi, ce qu’il faut relativiser c’est l’abstention. Le vrai parti aujourd’hui, c’est les gens qui ne votent pas parce qu’ils en ont plein le cul, et nous on fait partie de ces gens-là. Le problème c’est qu’on les criminalise, on ne veut pas les entendre.

« Ekoué : Le vrai parti aujourd’hui, c’est les gens qui ne votent pas parce qu’ils en ont plein le cul, et nous on fait partie de ces gens-là. Le problème c’est qu’on les criminalise, on ne veut pas les entendre. »

La suite, c’est le long métrage en priorité ?

Ekoué : Ça fait depuis deux ans qu’on écrit le scénario Hamé et moi. C’est un exercice particulier. On avait envie d’écrire un truc et Hamé produit beaucoup de concepts. Là c’est l’écriture, après, il y a toute l’organisation de production, donc là c’est tout le monde qu’on va mettre dans la boucle : Gérald va faire des sons, Philippe va nous aider à la prod.

Déjà des dates posées ?

Ekoué : On va tourner en août-septembre inch’allah, il faut qu’on tienne nos engagements même si c’est pas toujours facile.

Mot de la fin ?

Ekoué : Longue vie à vous !

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