10 Bons Sons sur la Palestine

Il y a des silences qui en disent long. Et dans le rap français, ces dernières années, le silence autour de la Palestine résonne comme un aveu. La Palestine est devenue un sujet qu’on contourne, parfois même qu’on efface. Pourtant, longtemps, le rap n’a pas eu peur. Il dénonçait l’injustice là-bas comme ici, sans filtres, sans calculs. Aujourd’hui, rares sont ceux qui osent encore nommer l’oppression, dénoncer la colonisation, affirmer un soutien clair, sans détour. Nous revenons donc sur dix morceaux qui vont dans ce sens. Free Palestine.

1993 : IAM – J’aurais pu croire

« J’aurais pu croire » se divise en quatre parties égales, consacrées respectivement aux États-Unis, à Saddam Hussein, à Israël et à l’Occident. Comme son titre l’indique, le morceau interroge les discours et récits officiels – un angle qui résonne particulièrement avec l’actualité à Gaza – tout en dénonçant la ségrégation, la colonisation et les crimes commandités par les dirigeants ainsi que par les grandes fortunes de ces différentes régions du globe. Si un seul couplet évoque explicitement la Palestine, les autres abordent plus largement le Proche-Orient dans le contexte du début des années 1990. Akhenaton y fait référence au massacre des camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila en 1982, tandis que Shurik’n dénonce les conquêtes de territoires palestiniens par les colons. Le morceau rappelle ainsi qu’en 1993 déjà, le rap français se mobilisait pour dénoncer les crimes perpétrés en toute impunité contre le peuple palestinien. « J’ai rêvé une nuit de deux beaux frères jumeaux, Palestine et Israël en harmonie, souverains et égaux / Mais balles contre cailloux, canons à pierre, expulsés aux frontières, je ne puis me taire. » – Olivier

2000 : Millie Jackson – Dir Yassin (prod. Akhenaton & Bruno Coulais)

Alors que les Américains font preuve d’une certaine indifférence à l’égard de la situation des Palestiniens (pas dit qu’ils soient capables de localiser la Cisjordanie et la bande de Gaza par exemple), Millie Jackson s’est distinguée et permet de nuancer ce constat. La chanteuse Soul-R’n’B aux trente albums s’est pourtant faite connaître par des textes beaucoup plus légers et portés sur la chose, des années 1970 aux années 2000. Au moment de composer le casting de la B.O. du film Comme un aimant, Akhenaton s’offre le luxe de convier des légendes américaines, dont Millie Jackson donc, qui a pris à contre-pied tout son monde en profitant de l’occasion pour mettre en lumière le massacre de Deir Yassin. En avril 1948, des terroristes sionistes se sont attaqués à ce village en périphérie de Jérusalem lors de la guerre civile en Palestine, causant la mort d’une centaine d’hommes, femmes, enfants et entraînant l’exil de Palestiniens. La star des seventies fait montre de tout son talent dans ce morceau à émotion dans lequel elle met au service de cette cause sa voix, interprétant son texte avec intensité, profondeur, en étant en adéquation avec l’instrumental si profonde, chaleureuse composé par Bruno Coulais & Akhenaton. Les notes de piano ont beau être graves, la mélodie, les vocalises contre balancent de bien belle manière l’ambiance générale du titre, en dépit des flashes qui se multiplient pour décrire l’horreur de cette tuerie. Un véritable devoir de mémoire ce morceau. Chafik

2001 : Freeman – P I Palestine Israel (prod. DJ Majestic)

En 2000 plus un, Freeman est de retour en solo après son album L’Palais de justice, devenu pour beaucoup (et à juste titre) un classique. Mais, son EP Mars Eyes est quelque peu passé inaperçu, peut-être parce sa formule en compagnie de K-Rhyme Le Roi fonctionnait davantage, peut-être surtout parce que 2001 fut une année exceptionnelle (dont on vous parlait ici et ici). Pourtant, les qualités de ce sept titres sont réelles, très bien produits grâce au pool de beatmakers affilié à la bannière Al-Khemya et notamment DJ Majestic (REP) qui a livré cet instru. « PI Palestine Israël » évoque la situation dans le nombril du monde, à une période charnière : alors que les accords d’Oslo (1993) étaient pleins d’espoir, ceux-ci ont été balayés par l’assassinat d’Yitzhak Rabin (1995) ainsi que le début de la 2e intifada. Freeman a un discours de paix, limite naïf et prend soin de ne pas prendre parti pour l’un ou l’autre camp. Ses premiers mots sont « Shalom Salam Alaykoum », il enchaîne en disant « J’suis ni pour l’un ni pour l’autre », s’en se soucier d’éventuellement se mettre à dos une partie de sa propre communauté. Si le conflit israélo-palestinien a été importé en France et que sa dimension religieuse a supplanté l’aspect politique, le discours humaniste du marseillais ne cloue personne au pilori et invite essentiellement à cesser les combats, responsables de trop de morts, de part et d’autre. Un discours d’un autre temps malheureusement au vu de la situation actuelle. – Chafik

2003 : Sniper – Jeteur de pierres (prod. DJ Maître & Tefa)

Difficile d’imaginer qu’un album déjà considéré par certains à sa sortie comme une dérive commerciale aurait tout d’un authentique manifeste altermondialiste en comparaison avec la moyenne de la production mainstream des années 2020. Certes calibré pour engendrer des ventes importantes, Gravé dans la roche avait débarqué dans les baladeurs et les voitures familiales, tel un cheval de Troie, avec son lot de morceaux sincèrement militants. Parmi ceux-ci, « Jeteur de pierres » a largement marqué sa génération. Son discours structuré loin de la dérive confusionniste à laquelle on peut s’exposer sur ce sujet a sans doute pu permettre une première sensibilisation au sujet au sein de franges de la population qui y aurait eu accès de bien des manières malhonnêtes, tant Sniper était alors incontournable et fédérateur. Et d’en introduire également un vocabulaire de la mémoire (Intifada, Sabra et Chatila entre autres), ce d’autant plus à une époque où notre rapport à un disque se construit encore sur des années, et auquel on revient à des stades différents de notre familiarité aux sujets qu’il aborde. Si Gravé dans la roche est un disque si important dans le rapport au rap des 25-35 ans, nul doute que « Jeteur de pierres » a été pour eux un jalon important de leur rapport à la Palestine. – Xavier

2004/2013 : Médine – David/Daoud (prod. Proof)

Depuis son premier album, Médine s’est toujours intéressé à la géopolitique et aux questions de colonisations et décolonisations. Parallèlement, il a aussi dès l’album 11 septembre récit du 11ième jour, initié la série Enfants du destin, où le rappeur du Havre nous raconte les méfaits de la colonisation par le biais de story-telling hyper réalistes en suivant le parcours d’enfants touchés de plein fouet par les conséquences des fameux bienfaits de cette œuvre civilisatrice occidentale. Depuis les amérindiens jusqu’aux africains, des Rohingyas aux Ouïghours, du Vietnam aux parcours de migrants, Médine s’inspire de l’actualité internationale qui ne manque pas de lui fournir de nouveaux sujets régulièrement. Parmi cette série, évidemment le diptyque David et Daoud qui parle du conflit israélo-palestinien. David, dès son 1er album en 2004, raconte l’histoire d’un fils de colons israéliens qui s’opposent à ses parents au sujet de la colonisation et de leurs agissements violents envers les palestiniens. Le garçon de 17 ans meurt dans un bus qui explose suite à un attentat suicide. Il a fallu attendre presque 10 ans pour que Médine sorte la suite du diptyque avec le morceau Daoud paru sur Protest Song en 2013. On y écoute la trajectoire parallèle de celui qui s’est fait exploser dans un bus et provoquer la mort du protagoniste du morceau de 2004. A travers ces 2 morceaux, Médine arrive à décrire de manière très réaliste l’oppression que subit le peuple palestinien, les conséquences dramatiques qu’elle entraîne des deux côtés de la frontière pour des peuples civils qui subissent ce conflit armé et surtout, par la conclusion commune aux deux morceaux, le caractère sans fin de cette opposition, les tueries des soldats de Tsahal répondant aux attentats suicides de palestiniens et inversement. Caractère sans fin qui ne s’est peut-être jamais autant avéré faux, tant le projet de l’état Hébreu sur la bande de Gaza aujourd’hui apparaît comme inéluctable. – Rémi

2004 : Ali feat. Keydj – Lamentations (prod. Fred le magicien)

Sorti en 2004 sur la compilation Sang d’encre – Haut Débit du label 45 Scientific, le morceau « Lamentations » signe une nouvelle rencontre entre Ali et Keydj, l’un des alias de Jockey, qu’on retrouve derrière Le silence n’est pas un oubli de Lunatic ou encore Sang froid sur Chaos et Harmonie, le premier album solo d’Ali. Autant dire que la connexion est profonde, presque organique, entre les deux rappeurs, au service d’une vision musicale aussi radicale que spirituelle.
« Lamentations », comme souvent chez Ali, sonne comme une prière à voix haute, un poème qui traverse les époques et les conflits. L’instrumentale, bien qu’un peu datée, ne dessert pas le propos, comme certains morceaux de ces années là qui aujourd’hui, sont presque inécoutables. Ici, pas de place pour la demi-mesure : Yasser Arafat (qui mourra quelques mois après la sortie de la track), le mur des Lamentations, les colons, les kamikazes – les mots tranchent et chaque image pèse son poids d’Histoire, de douleur, de lutte. Le tout porté par un clip tourné en Palestine, chose rarissime et au combien symbolique. – Clément

2009 : Kery James – Avec le coeur et la raison (prod.
Floriane Bonanni, Farhat Bouallagui, Greg K, Tefa & Masta)

Vers la fin de son blockbuster (plutôt réussi) de 2009, Réel, Kery James dédie un morceau entier de 9 minutes à la situation en Palestine. Le texte est juste et digeste, le morceau aspire (et parvient) à être très bon musicalement. Navigant entre l’Histoire et le présent, « Avec le coeur et la raison » est assez précis pour donner des clefs de compréhension et des sujets sur lesquels se renseigner à l’auditeur moins renseigné, mais décrit également les conditions de vies quotidiennes du peuple Palestinien. Malgré une position marquée en faveur des palestiniens, Kery joue la carte de la mesure dans son discours et évoque largement le traitement médiatique du conflit. On ne peut que constater que les choses n’ont été que de mal en pis en plus de 15 ans. Si le morceau n’échappe pas, dès les premiers mots, à cette regrettable tendance du légendaire rappeur du 94 à énoncer des évidences d’une manière pompeuse ; c’est sans doute l’une des fois où cela se justifie le mieux. On ne saurait lui reprocher une outre parlée de 3 minutes pour clarifier encore davantage sa position et son discours afin d’anticiper et réfuter toute accusation d’antisémitisme, alors que Sniper avait l’objet de ce genres d’accusations à la sortie du morceau précédemment mentionné et dont toute personne remettant en cause la politique israélienne depuis octobre 2023 fait encore l’objet. – Wilhelm

2015 : Médine – Gaza Soccer Beach (prod. Bullet Proof Music)

Dans le contexte  politique actuel, il est impossible de réaliser une sélection de sons sur le football sans citer celui-ci.  Quasiment dix années ont passé depuis la sortie de « Gaza Soccer Beach » du rappeur Médine, et malheureusement la situation décrite dans ce titre a encore une actualité terrifiante. Les paroles content l’histoire vraie de ces quatre enfants palestiniens tués en juin 2014 alors qu’ils sont en train de jouer au football sur la plage. Combien y en a-t-il eu de plus depuis ce jour ? Il est impossible de les compter, mais ce titre leur rendait déjà hommage par anticipation. C’est l’innocence de l’enfance qui y est décrite, quand tout ce qui importe n’est rien d’autre que le jeu. C’est malheureusement trop facilement que l’on aurait tendance à oublier que le football n’est qu’un jeu, un jeu d’enfant, et que c’est pour cette raison qu’il est aussi populaire, des plages de Gaza jusqu’aux bidonvilles de Rio de Janeiro.  Les intrigues géopolitiques mondiales ont transformé le football, les adultes en ont fait quelque chose de sérieux et il est devenu un instrument de pouvoir.  Il ne reste plus grand-chose aujourd’hui du Gaza Soccer Beach : pourvu que des enfants puisse revenir y jouer en toute sécurité rapidement. – Costa

2023 : Keny Arkana – Gaza

Parmi les rappeurs qui prennent position, Keny Arkana ne s’est jamais cachée et a toujours utilisé son micro comme d’un porte-voix, au nom de celles et ceux qu’on n’entendait pas. Alors qu’elle semblait s’être retirée du game fin 2021, réapparaissant qu’à l’occasion (répondant aux invitations de Jul sur ses compilations ou à Relo), la plus engagée parmi les enragés ne pouvait rester silencieuse face au drame qui se déroulait à Gaza en ce mois d’octobre 2023 (elle a d’ailleurs écrit, composé, réalisé et enregistré et publié ce morceau sans même le mixer le 29 octobre de la même année). Décrivant les conditions de « vie » menant à la mort de ces oubliés, rappelant à quel point l’opinion publique internationale et les médias détournent le regard sur l’horreur de la situation, pointant du doigt le gouvernement d’extrême droite qui ne semble pas considérer les Gazaouis comme des êtres humains, Keny Arkana s’expose et n’hésite pas à les défendre, quitte à être taxée d’antisémite, comme celles et ceux qui osent s’opposer à Netanyahu. L’intérêt de cette chanson est que la forme ne tend pas vers le brûlot rap survolté ; le titre s’adresse au plus grand nombre, à l’humanité de chacun et on sent comme une envie d’être comprise par tous (oui elle parle d’apartheid et oui elle parle de génocide). Malheureusement cet appel fait près de trois semaines après la réaction au 7 octobre ne semble guère avoir été entendu et demeure encore tristement d’actualité, deux ans après sa conception. Chafik

2023 : PNL – Gaza (prod. BoumidjalHoloMobbJoaSnow Sam Lawson)

Quatre ans après leur dernier album, PNL décidait de reprendre le micro pour se positionner sur les bombardements commis par Israël sur le territoire palestinien. On croyait alors le groupe dissous (ce dernier apparaît d’ailleurs sous le nom « Un jour de paix »), mais la cause était trop importante pour eux pour refuser de réapparaître. Sur « Gaza » l’atmosphère est évidemment mélancolique. Les couplets restent minimalistes : les deux frères décident de laisser parler au maximum la musique. Le constat est désespéré, et c’est l’impuissance qui ressort avant tout : « J’peux pousser la mélo, j’peux faire que ça ». Ademo et N.O.S n’ont trouvé qu’un seul recours : s’en remettre à la prière. Ni historique, ni militant, « Gaza » fait appel aux émotions et à la foi. – Jérémy

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