Scylla & Furax Barbarossa, terrains d’entente | Interview

Furax Barbarossa et Scylla font un peu partie des meubles chez Le Bon Son. Depuis les débuts du site en 2012 et nos premières interviews des deux fines lames, nous scrutons et décortiquons leurs sorties respectives, mais également leurs régulières apparitions communes, que ce soit sur les disques du Toulousain ou du Bruxellois. Plus de quinze ans après leur première collaboration, Portes du désert, leur album commun, est sur le point de sortir, l’occasion d’enfin réaliser cette interview croisée de l’Ogre et du Pirate.

Photo : Charlotte Clain ©

Vous en parlez depuis longtemps, y a-t-il déjà eu des tentatives de réaliser cet album ?

Furax : Non, jamais, c’est la première fois. Ça aurait été un terrible échec si on avait commencé un album pour l’arrêter en cours de route.

Scylla :
C’est vrai que ça aurait été chaud.

Furax : Pour quelle raison on aurait arrêté ? Parce que c’était pas le bon moment ? Parce que c’était nul ?

Scylla : En vrai c’était une évidence que si on se lançait ça allait être vraiment fluide. On attendait le bon moment. On avait chacun nos carrières perso, chacun avait sa quête personnelle. On savait qu’on allait le faire, le tout était de savoir quand. On savait que ça allait être fluide, et la manière dont ça s’est passé l’a confirmé.

Vous parlez un peu du Maroc dans l’album, Furax tu en parlais dans « Croisades » avec les murs bleus de la médina… Quels sont vos liens respectifs avec le Maroc ?

Furax : Moi j’ai baroudé là bas quand j’étais dans le camion. J’habitais dans le sud de l’Espagne et je faisais des aller-retours. Je restais deux mois à Chefchaouen, je repartais pour l’Espagne, puis je revenais deux mois, pour des histoires de visa. J’y ai passé beaucoup de temps, ces aller-retours ont duré bien deux ans. Et puis ma mère est née là-bas, j’ai un lien particulier avec ce pays-là.

Scylla : A Bruxelles on a une grosse communauté marocaine. J’ai un lien assez inexplicable avec cette culture-là. J’ai des origines italiennes, mais je me rends compte que je suis plus influencé par la culture du Maghreb, et plus particulièrement marocaine. Je le savais, mais ce séjour a vraiment révélé cette influence. Il y avait une évidence.

Scylla, à un moment tu dis, « Loin de tout, c’était nécessaire ». Il était important pour vous de vous isoler, d’être loin de vos terres respectives ?

Scylla : Je le dis à plusieurs reprises dans l’album, c’est une sorte de laïus qui revient tout le temps. Tu nous demandais s’il y avait déjà eu des tentatives, mais on avait déjà presque l’équivalent d’un album complet ensemble depuis plus de quinze ans. Je crois que notre premier morceau ensemble sort en 2008. On a toujours collaboré sur les albums de l’un et de l’autre, et on avait quoi ? Une dizaine de titres ?

Je les ai listés il y en a une quinzaine.

Furax : Pour cet album, on s’est dit qu’on ne pouvait pas juste faire la même chose, et s’envoyer des prods comme on a toujours fait, avec l’un à BX et l’autre à Toulouse ou Paris.

Scylla : Pour avoir une plus-value, il fallait qu’il y ait une aventure liée à ce projet, et un concept qui lui donne une cohérence, une direction artistique aussi. Ce qui pouvait faire la différence avec tout ce qu’on avait déjà fait comme collaboration, c’était ça.

L’album a donc été écrit et enregistré en dix jours et dix nuits, qu’aviez-vous préparé en amont ?

Furax : On n’avait rien préparé, on est arrivé sans rien.

Scylla : La seule chose qu’on a faite, c’est qu’on a prévenu, juste avant de partir, deux ou trois beatmakers comme Greenfinch, Freaky Joe, Kendo, Mehsah. On leur a dit qu’on partait au Maroc sans trop savoir où allait partir le projet. A partir de ces prods on a écrit là-bas. On n’a pas discuté du truc à l’avance, on s’est vraiment retrouvé avec les packs de prods comme seule base.

Furax : On avait juste ce pack de prods.

Scylla : « 10 jours 10 nuits » c’est une sorte de débrief, un dialogue entre Furax et moi qui dit « on fait quoi en fait ? ». C’est vraiment fidèle à tout ce qui s’est passé là-bas. On s’est posé le premier soir, on a trouvé la pièce où on voulait écrire, Furax s’est mis devant son ordi, il n’a même pas pris une prod de quelqu’un. Il a commencé à faire tourner des samples, dont un de piano pour lequel je lui dis que c’est lourd. Il a fait la rythmique, et ça y est, on a gratté dessus.

Avez quelle matière êtes-vous repartis ?

Furax : On a décidé de la direction, des thématiques, et on a écrit les morceaux là-bas.

Scylla : Il y a tout un travail de mix, de réal qui a été fait derrière. On parlait de « Gardiens », mais à la base c’était une autre prod… Elle a été remixée et refaite par Kendo. Mais la création s’est faite sur place.

Dans certains albums en duo les solos sont là pour faire du remplissage, là vous avez deux titres solos qui se répondent, « Gardiens pt. 1 et 2 », comment les avez-vous écrits ?

Furax : On a découvert nos titres respectifs au mix je crois, c’est ça hein ? On ne s’est pas fait écouter les morceaux sur l’instant.

Scylla : A la base il ne devait pas y avoir de solos en vrai. Mais une fois là-bas on s’est dit… Disons que dans le rap il y a un côté « bonhomme », et nous-mêmes on est là-dedans, et c’est très difficile de traiter de l’amitié. Il y a un côté intime qui n’est pas facilement traitable. L’idée c’était de se dire : on fait chacun un solo, mais ce sera sur la fraternité, on va parler un peu de l’autre, de notre vision du projet, et on ne se le fait pas écouter. Chacun l’écrit, et on le découvrira à la fin.

Vous aviez rentré deux morceaux en une nuit la première fois que vous vous êtes connectés en 2008. Là vous en rentrez quinze en dix jours. Avez-vous une façon de faire pour vous rendre mutuellement aussi productifs ? Y a-t-il une forme d’émulation quand vous êtes dans la même pièce ?

Furax : Je crois que c’est la dynamique de groupe. Quand tu es à plusieurs les idées fusent, plus que quand tu es tout seul dans ta vago ou ailleurs. Je le vois comme ça. Quand on est deux, qu’on part sur un thème, on essaie d’écrire le meilleur des couplets possible. C’est un booster. Je le vois comme ça. On n’est pas dans une compétition, on n’a jamais été comme ça, mais ça m’a toujours boosté de faire des trucs avec Scylla. Il faut être à la hauteur, ne pas se louper.

Scylla : Pour moi en vrai c’est différent parce que je n’ai aucune base de comparaison. La seule personne en dehors de lui avec qui j’ai fait autant de choses, c’est Sofiane Pamart.

Furax : C’est vrai que ça va plus vite là-bas dans cette pièce que quand tu es tout seul dans ta voiture.

Scylla : Moi je ne sais pas si je suis dans ce truc d’émulation de groupe. Là ça l’a fait parce que le lieu était chargé, et qu’il y a une fluidité entre nous. Je ne garantis pas que si je me mets en album commun avec un autre MC ce soit aussi fluide.

Furax : Je ne le garantis pas non plus de mon côté.

Scylla : Tu l’as déjà fait avec Jeff, ça a dû être fluide aussi non ?

Furax : La construction n’était pas pareille, c’était chacun chez soi. J’ai tout écrit tout seul, il a tout écrit tout seul, il n’y a pas eu de résidence.

Furax, c’est vrai que tu as des expériences d’albums en duo, notamment avec Jeff Le Nerf en 2017. Est-ce que ces expériences t’ont servi pour cet album ?

Furax : Je n’ai tiré aucune expérience des autres albums communs. Avec Jeff on a écrit chacun de notre côté, il n’y a pas eu de construction en binôme. Ce qui était bien avec Scylla, c’est qu’on devait trouver un terrain d’entente. Scylla est sur un autre domaine, il a son propre terrain. Moi j’ai le mien, et on a dû trouver un terrain d’entente, s’adapter l’un à l’autre. C’était ça le challenge.

Scylla : Et puis ici on a développé des terrains différents. On était directement d’accord sur le fait de prendre un pas de côté, et d’aller vers une couleur orientale. Je crois qu’on n’a jamais eu de jours où en lançant telle prod l’un était inspiré et l’autre moins. C’était plutôt « on kicke ça ou quoi ? ».

Comment réussir à se mettre d’accord artistiquement quinze ans plus tard, quand chacun évolue dans son coin ? A contrario, est-ce que les évolutions de l’un peuvent déteindre sur l’autre ?

Furax : Je pense qu’il s’est clairement inspiré de moi. (rires) Non moi je n’ai pas ressenti ça, peut-être que j’ai dû aller plus sur son terrain. Mais il y a encore des morceaux rap dedans, on n’est pas non plus que sur un piano / voix.

Scylla : Sur « Porcelaine », Furax a fait appel à Sofiane Pamart, il connaît ces terrains. Tout comme je connais les siens. J’ai toujours continué à faire des morceaux de rap dur, comme « BX Vice » récemment. J’ai mis en avant un côté musical, et c’est vrai que dans cet album, mine de rien, c’est ce côté-là qui est privilégié aussi. Mais il y a de tout dedans. Il y a aussi une maturité, tu as envie de dire des choses vraies, qui viennent du plus profond de toi-même. Tu n’as pas envie de les mettre dans une instru avec une rythmique chargée de plein d’éléments. Il y a un moment où tu vides, et c’est là que ton cœur parle. Malgré tout on a l’impression d’avoir cogné sur des sons.

Vous aviez des références d’albums communs en tête ?

Furax : Non, on ne voulait pas être influencés. J’ai l’impression que ce qu’on a fait là, je ne l’ai pas encore déjà écouté, que ce soit l’univers ou les thèmes abordés. On s’est bien débrouillé à ce niveau-là. On voulait produire quelque chose qui n’avait pas encore été fait.

Côté instrumentales l’album a une couleur, avec beaucoup de compos et d’arrangements, pouvez-vous nous parler de ce que vous recherchiez ?

Scylla : La seule contrainte c’est qu’il fallait que ce soit cohérent, et qu’il y ait des influences orientales. C’est inévitable, quand tu es aux portes du désert, parce que c’est là qu’on était en vérité. On créait dans cette pièce, où dès que tu sortais prendre l’air tu avais les montagnes en face. Forcément ça te plonge dans une ambiance que tu as envie de reproduire dans le son. On savait qu’on ne voulait pas des gros morceaux électroniques.

Furax : Tu as bien senti qu’il y a une grosse réal’ derrière, avec le travail de Kendo qui a arrangé tous les titres. Il a fait un travail incroyable, parce que les prods que tu entends là n’étaient pas comme ça à la base. On a reçu des squelettes qu’on a utilisés au Maroc, mais après Kendo a fait de la magie dessus. C’est lui qui a fait les arrangements des morceaux.

Scylla : Il a même composé quelques titres. Il a fait tout un travail de direction artistique, pour que l’ensemble soit cohérent. Et puis on a voulu donner un côté cinématographique avec des interludes. Tu peux retrouver un pétage de rire réel qu’on a mis sur une note vocale d’iPhone. On a voulu être au plus proche de l’esprit du lieu.

Vous mentionnez plusieurs fois Où je vis de Shurik’n. Vous avez une affection particulière pour cet album ?

Furax : Il est dans le top 3 des albums rap français pour lui et moi.

Scylla : On l’a tous les deux dans notre top 3 oui.

Furax : C’est le seul album qu’on ait en commun. L’album préféré de Scylla c’est Alliance Ethnik ! (rires)

Les albums communs sont légion, il y a comme une mode ces dernières années, quel regard portez-vous dessus ?

Furax : Je n’ai pas suivi, sauf celui de Limsa et Isha. Mais franchement je ne calcule pas trop.

Scylla : Dans le mainstream, c’était plus des albums faits selon les opportunités. Nous on a une vraie relation qui s’est construite sur quinze ans, qui a abouti sur ce projet-là.

Vous avez une quinzaine de morceaux en commun donc avant cet album, lequel préférez vous ?

Furax : Moi je sais que le tien c’est « Les yeux fermés ».

Scylla : Oui, sur Testa Nera. Et le tien c’est « A l’amiable »

Furax : Les deux sur des albums à moi si tu regardes bien. (rires)

Scylla : Après on a bien kiffé notre morceau sur Eternel (« Comme si c’était le premier », sur le dernier album de Scylla, ndlr). C’est marrant parce que chacun de nos morceaux ensemble incarne une époque. Ils vont par trois. « Sale tendance », « Cherche » et « Faites-nous mal » c’était les premiers qu’on a posés. Après il y a eu « Erreurs génétiques », « Les yeux fermés » et « Les poissons morts », puis plus récemment « A l’amiable », « Sales mômes » et « Comme si c’était le premier ».

Sans compter tous les morceaux sur lesquels vous apparaissez ensemble, mais accompagnés, comme « Chopin » avec Lams, « Ma Hassit Wallou » avec 10Vers et Neka, « Cœur de miel » avec Pejmaxx…

Furax : « Dernier rempart », tu l’as ?

Bien sûr, grand posse cut.

Furax : Il est bien celui-là.

Apparitions communes de Furax Barbarossa & Scylla (playlist) :

Pour finir j’aimerais aborder la scène. Vous aimez arriver en guest sur les lives de l’un ou de l’autre, Avez-vous travaillé la scénographie déjà ?

Furax : Pour le coup on n’a pas encore mis tout ça en place, c’est la prochaine étape, on va se rejoindre dans un lieu tenu secret (rires) pour mettre en place le concert dans son entièreté. Je pense qu’on a lui et moi une grande expérience de la scène et que c’est quelque chose qui va aller très vite. Pour moi c’est une première parce que je n’ai jamais eu autant de moyens pour une belle scénographie, et là ça va être un joli tableau sur lequel on va pouvoir évoluer, j’ai hâte d’y être. Le plus compliqué dans cette partie-là, c’est d’apprendre les morceaux. (rires) C’est un casse-tête. Je ne sais pas encore quel va être le genre d’énergie sur scène, mais je pense qu’on va réussir à tout mélanger, c’est-à-dire les moments calmes comme les instants de folie. En tout cas j’ai hâte de préparer tout ça et de partager l’expérience avec nos supporters.

Scylla : On va travailler ça, mais je t’avoue qu’on ne s’y est pas encore vraiment penché, c’est encore un peu loin, c’est à la rentrée. On a envie de vivre les choses par étapes. On va envoyer le visu, les différents clips, sortir l’album, voir sa réception. On a déjà une idée de la set list qu’on veut faire, on va se mettre au travail. Évidemment, vu qu’on aime tous les deux la scène, chacun va amener son expérience dans le truc, même s’il y en a une qui est plus élevée que l’autre. (rires) On va mêler nos compétences, et il va falloir trouver le bon ingé, la scéno. Sur l’occupation de la scène en tant que telle, on a l’habitude de jouer avec les différentes énergies au fur et à mesure du set.

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