Elyo et Assaf (précédemment ASF) en formation resserrée, se sont retrouvés au sein de Changerz à la sortie de leur aventure Panama Bende, mise en pause après un premier album en groupe (ADN, 2017). Les deux Parisiens nous promettaient du sérieux depuis un EP plutôt réussi et prometteur lâché en 2018 (Identiques) et surtout depuis le single « Funk » (qu’on vous avait d’ailleurs invité à aller écouter ici) il y a tout de même presque deux ans. Peu importe l’attente, aujourd’hui, notre patience est enfin récompensée. 2/2 est bien là et c’est arborant un léger sourire satisfait aux lèvres qu’on appuie sur « PLAY »
« Six du mat dans le studio, on fait de la trap et du disco »
« Funk »
Le moins qu’on puisse dire, c’est que les deux amis ne nous avaient pas menti en annonçant la couleur dans le refrain du single « Funk » à l’été 19. Fun, empreint d’un second degré malin et bien dosé, frais comme une rafale de mistral dans le paysage tendu actuel, on s’écoute les quatorze titres d’une traite, empilant les émotions, au cœur toujours un beat efficace qui nous fait instinctivement bouger la tête.
Comme un coup de poing balancé dans une ruche, une intro percutante nous ouvre la porte de l’opus en nous entourant de bourdonnements piquants et potentiellement dangereux. Ces trois premières minutes livrent des couplets intimistes posés en boulet de canon par chacun des deux acolytes avec un naturel impressionnant, sur une prod pourtant complexe et toute en contretemps de NeanticØnes et Yanis Hadjar. Mais avec l’arrivée de la deuxième piste, les dards des abeilles s’éloignent et le son des basses monte au fur et à mesure qu’on descend les escaliers pour rejoindre un club clandestin des 80’s.
Et en trente secondes, on est ailleurs. Il est huit heure du mat et j’ai l’impression d’être en after après une consommation de prozac modifié. Putain, Octobre Rouge s’est perdu quelque part entre Etienne Daho et Kool and the Gang. Mais moi, je suis à fond, je monte le son, on dirait Travolta qui fait du popping au feu rouge. Refrain hyper efficace, qui s’imprime en une écoute, on n’a pas entendu ça depuis un bail (bah, « Funk » en fait!) et ça fait un bien fou.
Le track suivant fait redescendre le rythme mais se garde bien de nous faire sortir du club. Salle d’à côté, l’ambiance est plus lascive. Le refrain clame « Elle danse free comme si elle était seule au monde » (je regarde vite fait derrière moi) et l’ambiance, électrique et chaude, des œillades furtives lancées dans les salles obscures et transpirantes, est parfaitement retranscrite sur la caisse claire et la basse dense de la prod composée à six mains entre Nello, Pinkman et Elyo.
Un un mot, une parfaite transition vers « Goudron » le morceau suivant, tout en douceur, qui nous berce de mélancolie, le temps d’aller fumer une clope dehors ou d’aller reprendre son souffle en regardant la lune sur la terrasse à l’arrière de la boite.
Les basses en sourdine du cinquième titre nous ramènent à l’intérieur, là où le funk a repris ses droits. Seul feat de toute la tracklist, « Coco Chanel », laisse une jolie place au frérot Lesram. En totale symbiose, le jeune rappeur du Pré St Gervais nage avec aisance sur le beat de Mokoa (qui avait déjà produit « Funk ») rappelant ce qu’il avait lui-même expérimenté et vaguement touché du doigt sur sa mixtape G-31 sortie l’année dernière (dont on vous parlait d’ailleurs là… et là – ouais, on avait vraiment aimé).
Les deux solos qui suivent nous surprennent. On ne les attendait pas forcement là, comme ça, mais on les accueille avec curiosité et bienveillance. On sait que le moment de s’ambiancer reviendra… Chacun leur tour, Elyo et Assaf dévoilent ainsi un peu plus, sur leur morceau respectif, leurs personnalités, leurs influences, ce qui les inspire, leur donne de la force. Le flow grave et sans filtre d’Assaf fait ainsi écho à la guitare doucement caressée et la douce voix d’Elyo. Deux morceaux qui donnent à voir des garçons aussi naturels que vulnérables. Deux parenthèses à vrai dire assez impressionnantes tant dans la sincérité de la démarche que dans les très propres exécutions musicales de l’exercice.
Avec « Vide », le duo s’aventure ensuite sur un terrain plus chanté, laissant la part belle à la prod sulfureuse de Mokoa et Tommy Jacob. Un univers variet’ dans lequel toute une mouvance de rappeurs s’illustrent depuis un moment (un Lomepal par exemple pour nommer un artiste qui a gravité dans l’entourage des deux parisiens) et qui ne leur va pas si mal, même si on souffle un peu en entendant Elyo kicker tranquille sur le track suivant – il le fait si bien.
Mais encore une fois, la grosse caisse gagne la partie, nous conduit maintenant sur une plage où la musique résonne au fond, s’écoute de loin, se bat contre le bruit des vagues. Au refrain de « Sex », on se dit que si Alain Souchon rencontrait Myth Syzer, ça pourrait donner ça…
Quand le son se termine, on est plus chaud que Montell Jordan au réveil de sa sieste mais déjà les sirènes d’un bar de Londres nous appellent vers un autre type de sensualité voluptueuse. Refrain hypnotique, chant et placements mélancoliques pour « LDN », on ride dans un double decker en se soufflant dans le cou.
Pause.
Bring the beat in.
«Funk», morceau phare du duo qu’on écoute depuis deux ans en attendant la suite, débarque enfin sur la tracklist et ramène l’auditeur dans le club où la soirée a commencé. La boucle est bouclée, on s’est bien amusé, il n’y a plus qu’à conclure, en prenant « La route » sur une jolie prod maison, entre chill et volutes de fumée. Les quatre dernières minutes de l’album clôturent ainsi quatorze titres de haute voltige avec une promesse, celle de la suite d’une histoire qui s’écrit avec deux fortes personnalités, beaucoup de talent et de style.
« La route est plus longue que prévu mais l’avenir nous fait des signes »
« La route »
Petit OVNI parmi les sorties du moment, funk à souhait sur des morceaux endiablés, 2/2 ne s’inscrit pas moins dans la pure tradition d’un hip-hop nourrit de beat groovy où les morceaux s’enchaînent suivant une cohérence emblématique du genre, entre solos et changements d’ambiances maîtrisés. Simplement, ici, les fondamentaux semblent piqués au LSD dix ans d’âge.
Et si du coup, Changerz, c’était en fait vraiment un « game changer » ? Plus authentiques qu’identiques, les deux parisiens qui ont su trouver un équilibre impeccable dans leur collaboration, détonnent dans le paysage et apportent au game des 2020’s une part de groove faussement rétro mais résolument moderne, teinté d’intime et d’intimité, qui interpelle et ravit.
Le duo a bien fait de prendre le temps pour proposer un album fin, intelligent, original et vrai, fidèle à son style, ses influences et ses valeurs, dans l’air du temps mais sans s’emprisonner dans le cahier des charges 2021. On ne peut que leur souhaiter tout le succès qu’ils méritent.
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