« Une vie et quelques » – Hugo TSR : La mauvaise conscience du rap français

« Moi c’est Hugo, bonjour à tous, je suis sur la 12 ». Qu’en serait-il si tout était déjà dit dans ces quelques mots glissés sur le troisième titre de l’album ? On pourrait en effet simplement affirmer que les auditeurs de la première heure sauront à quoi s’attendre et que ceux qui le découvriront prendront leur claque. De fait, Hugo TSR est encore là en 2021 avec un nouvel album et bien présent dans les bacs d’un rap français qu’il occupe avec un certain succès depuis 2005 (ses deux derniers albums ont reçu la certification « disque d’or ») et son premier album La bombe H. Le petit jeune qui remuait l’underground est devenu un ancien qui n’a plus rien à prouver. Peut-être n’a-t-il jamais eu quoi que ce soit à prouver d’ailleurs. Seize ans plus tard, la recette est toujours la même. Alors Hugo, paraît que tu chantes, jamais tu changes ?

Une vie et quelques est un album de dix titres. Les deux sons qui ouvrent l’album ont déjà été dévoilés et clipés. Les huit autres qui restent à découvrir sont dans la lignée des deux premiers qui donnent le ton d’un album dont la couleur est assurément noire. Il est vrai que l’on ressort de la première écoute avec un profond sentiment de tristesse. Difficile de ressortir autre chose tant les paroles ont un contenu pessimiste. En témoignent l’interlude « 2222 » qui fait le récit de notre civilisation suite à son effondrement et des phases comme « Si je dois écrire sur le futur je rends copie blanche » (« Des voix raisonnent ») ou « Face à l’avenir je me cache les yeux car plus personne n’y croit » (« Les mains devant les yeux »).

On pourrait même ajouter que cet album est plus nihiliste que les précédents qui n’étaient pas pour autant très joyeux. Un titre comme « Les plaisirs tristes » relève le fait que, là où la drogue et l’alcool pouvaient jusqu’à un certain point servir de palliatif et colorer la grisaille du quotidien, ceux-ci ont perdu leurs vertus apaisantes et il ne reste alors plus que le vide d’une existence que rien ne peut combler. « Tu perds des heures sur un passe-temps et la vie se fige » rappe Hugo sur le refrain. Cette réflexion autour du temps qui passe n’est plus celui d’un jeune de vingt ans mais d’un trentenaire qui regarde en arrière. C’est pourquoi cet album est, dans son approche, plus mature que les précédents, et donc nécessairement plus triste : il est aux couleurs du réel.

Cette fidélité au réel, Hugo la traîne depuis longtemps sur ses différents projets, mais c’est peut-être avec Quelques vies et quelques qu’elle apparaît le plus clairement. Les métaphores sont moins présentes, le récit est plus cru et moins embelli, et l’album a un contenu à la fois très personnel et très politique. Le paradoxe est alors le suivant : bien qu’il n’y ait aucune revendication politique explicite, c’est un album dont le contenu est intégralement politique et ancré dans des problématiques sociales. Hugo ne représente pas le rap français avec lequel il est en rupture puisqu’il « reste un touriste dans ce rap pourri » (« Les mains devant les yeux ») mais il donne la parole à ceux qui n’ont rien, ceux qui sont oubliés et n’ont pas de voix. « Les oubliettes » ne sont pas celles des châteaux mais ceux qui sont les oubliés d’une société en décrépitude et ceux dont on ne parle pas. En bref, le réel dans ce qu’il a de plus cru, de plus froid et de plus insoutenable. C’est cela que Hugo nous donne à entendre, et il le fait d’une fort belle manière. 

La durée de l’album étant courte, on avale celui-ci cul sec. Les instrumentales s’enchaînent sans qu’aucune ne choque par sa présence et ne viennent briser la cohérence de l’ensemble. La diversité des beatmakers qui interviennent (Swed CMF, Goul MDC, Beateljouss, Art Aknid et Hugo TSR) ne permet pas d’identifier des différences radicales tant le registre dans lequel Hugo évolue est habituel pour lui. On retrouve un seul featuring sur cet album : le titre « Coloc à terre » avec Tragik. Entendre ce rappeur, bien connu de tous ceux qui ont suivi l’épopée du Gouffre ces dernières années, est une petite surprise puisqu’il ne donnait plus trop de signes de vie, et son apparition avec Hugo relance les spéculations qu’il pouvait y avoir il y a quelques temps sur un éventuel album commun. On peut toutefois supposer que cet album ne verra pas le jour et qu’il s’agit là d’un titre qui aurait dû figurer sur le projet.

En étant plus que jamais en marge du rap français et au cœur du réel, la figure de Hugo sort assurément du lot. Il a depuis longtemps creusé un trou duquel il ne cherche pas à sortir. Face à un monde incompréhensible, le choix a été fait de se mettre en rupture et de rester fidèle à soi-même. Alors que de plus en plus de rappeurs adoptent une posture de silence dans les médias dans le cadre d’une stratégie promotionnelle, Hugo bosse avec son équipe, loin du monde, et le fait avec une authenticité confondante. « Pourquoi vouloir être une légende ? De toute façon les gens s’en foutent » affirme-t-il dans « A la nôtre ». Avec cet album, le spectre de Hugo TSR va continuer à hanter le rap français en étant son « black mirror » et sa mauvaise conscience. Il incarne, par sa musique et ses paroles, un rap pur, dur et cru dont la vocation est de représenter « tous les endroit malsains ». Il a cette authenticité que beaucoup cherchent mais qu’ils ne parviennent pas à trouver en étant trop à l’écoute des modes et des tendances. Ainsi, le nom de Hugo TSR continuera à revenir sans cesse dans les discussions des connaisseurs du rap français. Quoi qu’il en soit, on peut être certain qu’il aura le succès qu’il mérite. Et même s’il n’en rencontrait aucun, il faut croire que cela ne changera pas grand-chose. La conclusion est inévitable face à l’absurdité du monde : « Tant qu’on reste en vie : à la nôtre ! »

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