Chronique : TSR Crew – Passage flouté

La sortie de l’album du TSR Crew était prévue pour le 13 avril 2015. Inutile de dire que malgré une promotion très discrète, habituelle de la part du crew, l’attente autour de cet album était grande. La première raison est la popularité d’Hugo, « roi de la punchline légendaire » autoproclamé, qui a su depuis quelques années fédérer autour de lui un public fidèle. La seconde est que le dernier album du TSR au complet nommé A quoi ça rime ? datait de 2007, après Faut qu’on taille en 2004, et que la qualité de ces deux premiers albums laissait espérer un troisième album encore meilleur. Alors qu’en est-il vraiment ? Quel est le contenu de Passage flouté et que vaut-il réellement ?

En cette saison, les nouvelles sorties pleuvent. Difficile de tirer son épingle du jeu au milieu des bacs, d’autant plus quand la date de sortie choisie pour l’album tombe le même jour que celle choisie à la fois par Booba et Sinik. Ou peut-être est-ce un bon point ? Dans l’underground, ne serait-ce pas plutôt les albums de Booba et Sinik qui tombent le même jour que celui du TSR Crew ? Car le TSR Crew ne s’embarrasse pas de promouvoir son album et semble se moquer des règles établies en matière de publicité, de teasing et toutes ces techniques commerciales qu’affectionnent les labels et les maisons de disque. Forts de leurs expériences précédentes, les trois MC’s que sont Omry, Vin7 et Hugo misent sur le soutien du public et leur popularité pour tirer leur épingle du jeu. Ou peut-être s’en moquent-ils complètement ? Car c’est peut-être là le secret de la promotion du TSR : un « je t’aime, moi non plus » avec un public qui demande aux MC’s de l’attention qu’ils se refusent à donner, préférant suivre leur « voie ferrée » dans leur coin en se déjouant du monde extérieur (oui, sentez la frustration du journaliste qui n’arrive pas à décrocher une interview…). Promotion étrange, mais qui paradoxalement fonctionne.

« Facile de perdre espoir mais moi j’y crois la vue va s’éclaircir. Si on voulait vraiment ça fait longtemps qu’on aurait fait Bercy »

Champ de vision – Hugo

Le premier titre sorti, intitulé « Tu connais le tarif », donnait un certain nombre d’indices sur ce qu’allait être le rendu final de l’album. On y retrouvait tous les ingrédients qui ont fait le succès du crew, ainsi que les principes de base du TSR : une instrumentale simple et mélodique dans la pure veine de ce que l’on qualifie généralement de « boom-bap », des textes sur le dix-huitième, la tise, le shit, le Rap et la société actuelle, et une structure des sons à base d’enchaînements de seize mesures et de refrains. Rien d’inhabituel ! Mais ce « rien d’inhabituel » que beaucoup ont dû penser à la sortie du son laissait présager deux camps : celui des heureux et celui des déçus. Car il s’agit de savoir ce que l’on veut… et l’auditeur est versatile : doit-on vouloir la même chose que précédemment ou bien quelque chose de différent ? La question se pose alors : si on critique les rappeurs qui prennent des risques en ouvrant leurs horizons, qu’en est-il des rappeurs qui n’ouvrent pas leurs horizons ? Et si, alors que beaucoup de rappeurs français tentent de déployer une certaine ingéniosité pour ne pas reproduire la même chose éternellement, le TSR prenait tout le monde à contre-pied et nous sortait un album quasiment identique au précédent, quel serait le jugement des auditeurs ?

« Dans le rap depuis six mois et ton égo déjà dépasse ton talent. J’parais p’têt nonchalant, j’péfère avoir une montée lente. Et durable, faire du rap, parce qu’y’a trop d’choses qui m’dégoûtent. Avant de réclamer du rab, estime-toi heureux qu’on t’écoute »

Montgolfière – Vin7

Cette question est purement rhétorique. L’album du TSR est dans la pure veine de ce que le crew avait déjà produit. Bien sûr, les auditeurs ne peuvent certainement que se réjouir que le groupe conserve la même ligne artistique depuis ses débuts. Cela s’explique : si les albums d’Hugo auront permis au groupe d’acquérir de la notoriété au-delà du public habituel de l’underground, au fond rien n’a vraiment changé depuis le premier album. Les instrumentales et les discours de l’époque sont toujours d’actualité. Le retour d’Omry, après des années de disette suite à la sortie de son album Skyzomry en 2011, faisait assurément plaisir mais témoignait d’autant plus du statut quo du groupe. Les instrumentales faites « maison » par la Chambre Froide (Hugo) annonçait quant à elles que la couleur et l’atmosphère des sons n’allaient pas connaître de grands bouleversements (voir aucun…). Pour le léger changement au sein même de l’album, on retrouve une instrumentale d’Omry sur son propre son « J’prends de l’âge » et une instrumentale d’Art Aknid sur le son solo de Hugo « Ici ». DJ Nixon, l’acolyte d’Al Tarba en live, posant ses scratchs sur le titre « Tu connais le tarif ». Bref, une équipe de visages familiers, fidèle aux valeurs originelles du hip-hop underground, et rien de nouveau sous la grisaille parisienne.

« Voyez à force d’être en galère j’ai le pied marin. Pour un rien, finir en calèche, à toi d’être plus malin. Mon rap, une bouteille à la Seine, qu’on jette salement. Qu’on taille de ce piège à loup avant qu’on y laisse la jambe »

Bouteille à la Seine – Omry

Comme une redondance choisie délibérément, le TSR va jusqu’à s’inscrire par son discours dans les albums qui ont fait l’histoire du groupe. En témoignent des sons comme « Mes frères » ou « Savane sur du ciment » qui sont des références évidentes aux « Frères de sons » ou « Jungle urbaine » présents sur des albums précédents. Rien n’a changé, alors même qu’on était en droit de se demander si le succès de Hugo allait altérer la répartition des rôles sur l’album. De ce point de vue, les rôles des trois MC’s sont également répartis : outre l’introduction, on retrouve sept sons où Hugo, Vin7 et Omry posent ensembles, trois sons où seulement deux des membres rappent, trois interludes avec chacun un seize mesures, ainsi qu’un son personnel pour Hugo et Omry. Car Vin7 ne semblait pas vouloir renouveler l’expérience des fameux « Dents tranchantes » et «Tise, Shit et Rap », sauf erreur, ses deux seuls et uniques solos. Au grand regret de nombreux auditeurs, à part sur ces deux sons, nous n’aurons jamais entendu Vin7 indépendamment de ses acolytes du TSR.

Le TSR reprend donc à son compte son propre héritage pour nous lâcher quinze sons (et une introduction) et faire un album d’une durée de quarante-huit minutes. Format très court mais qui s’explique par la densité des textes et le peu de place laissée aux instrumentales qui ont pour unique finalité d’être efficaces. Les textes sont le point fort du crew, et que ce soit Hugo, Vin7 ou Omry, ils mettent tous un point d’honneur à enchaîner les phases afin de peindre le portrait d’une société qui n’avance plus et tourne en rond. Sans moralisme quel qu’il soit, il s’agit encore et toujours simplement de faire un état des lieux, de lieux qui demeurent les mêmes malgré les années qui défilent. Si cela ne change pas, le constat dressé ne change pas, qu’y aurait-il alors de surprenant dans le fait que la musique du TSR soit encore la même ?

On comprend alors pourquoi cet album est semblable aux autres. On aurait eu envie qu’il soit différent, mais comment aurait-il pu l’être sans trahir ce à quoi le groupe a toujours été fidèle ? Car c’est peut-être le point surprenant de l’album : beaucoup auraient aimé du changement, quelque chose de différent, quelque chose en plus qu’il n’y aurait pas eu sur les premiers albums et pas simplement une meilleure qualité d’enregistrement… Mais le TSR est fidèle à lui-même, et on serait bien mal placé de leur en vouloir. C’est à une certaine idée du rap que le crew s’accroche, et au fond peu importe ceux qui ne seront jamais contents.

« Tu penses savoir c’que t’as à faire, c’est pas moi qui t’jugerai. Si tu te réveillais quinze ans plus tard demande-toi qui tu serais ? Plus de ‘tass moins de demoiselle niveau modèle c’est démentiel. Alors c’est ça votre rap hardcore des quarantenaires qui rappent pour des moins de seize ?»

Ici – Hugo

En conclusion, ceux qui aimaient le TSR ne seront pas déçus, ils retrouveront dans cet album le contenu des autres albums ; ceux qui n’aimaient pas le TSR n’y trouveront rien de nouveau et passeront leur chemin. Ceux qui, comme moi, souhaitaient retrouver l’âme du TSR en espérant un changement, une petite once de différence avec ce qu’on avait déjà entendu, seront à la fois comblés et déçus. Il leur faudra accepter le paradoxe, avec l’idée qu’au fond, dans un monde où tout est périssable et où pour rester en haut de l’affiche il faut savoir se renouveler, il est bon de savoir qu’il y a des piliers stables qui ne se briseront pas quoi qu’il arrive. Tant que l’on ne sombre pas dans le réactionnaire, il y a là une forme de résistance à l’idéal consumériste de notre société. En ce qui concerne la résistance à l’industrie musicale dans l’underground français, qu’on aime ou non le crew, il est difficile de ne pas voir en lui l’un des chefs de file de cette résistance.

Vous pouvez acheter l’album soit en ligne sur le site de Chambre froide prod, soit dans n’importe quelle FNAC de France. Sinon, pour vous faire une idée, l’album est en libre-écoute sur la chaîne Youtube du TSR.

Si vous avez aimé cet article, n’hésitez pas à le partager avec les petites icônes ci-dessous, et à rejoindre la page facebook  ou le compte twitter du Bon Son.

Partagez:

2 commentaires

Commentaires

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.