Chronique : Salfrom (Stick, Goune et Bazoo) – « Godphaseurs »

Bien qu’il s’agisse d’un plan à trois, on pourrait parler d’une romance. Le EP Godphaseurs  est le produit d’un trio de rappeurs aux mœurs débridées et aux phases incendiaires : Stick, Goune et Bazoo, qui ont décidé ensemble de former un groupe (presque un boysband) nommé Salfrom. Cet EP disponible depuis le 12 juin 2016 est donc d’abord le fruit de la rencontre entre Bazoo et Goune pour un EP commun appelé Terminus en 2014, avant que ne s’ensuivent les titres « Trois fromages » en compagnie de Stick sur l’album de Goune, Ricky Martin, puis « On adore ça » sur la Home Tape de Bazoo. Conclusion logique d’une association de bon goût, Godphaseurs devait nous donner de l’amour et des punchlines à faire pâlir les jeunes pucelles que sont la majorité des auditeurs de rap. Ça n’a pas manqué.

Le problème dès lors qu’on catégorise, c’est que les catégories imposent un cadre dans lequel on ne peut pas faire entrer ce qui n’y correspond pas. C’est la raison pour laquelle il est extrêmement difficile de penser la création artistique en termes de « catégories ». C’est d’ailleurs d’autant plus vrai que les artistes n’en ont pour la plupart rien à faire et qu’ils rigolent des couillons qui écrivent des articles sur ce qu’ils font. Avoir le rôle du couillon, face à un projet comme celui-ci, c’est donc devoir essayer d’en dire quelque chose d’intelligent alors que l’on se retrouve un peu démuni vis-à-vis d’un tel second degré. En fait, capables de tout (eux diraient probablement de rien), Bazoo, Goune et Stick confirment par ce projet qu’ils poursuivent leur chemin en suivant leur délire sans se soucier du reste, et que les couillons vont pouvoir se casser les dents. Cool. « Challenge accepted » !

Le principal chef d’orchestre de ce projet estampillé « Salfrom » est Goune. Avec la double casquette beatmaker et rappeur, il a réalisé six des dix titres de l’EP. Les autres beatmakers sont présents chacun pour un titre et on retrouve BBP, I.N.C.H. et Al Tarba, Nordinomouk, ainsi que Supervillain et Automate. Du beau monde qui contribue à diversifier les productions pour un rendu final très propre à l’oreille. On passe de sonorités classiques à des beats plus modernes, de la prod mélodieuse à la prod minimaliste sans que cela ne casse le rythme. L’absence de featurings est à noter, mais on peut considérer que ce projet est en lui-même un énorme featuring parisiano-toulousain (Bazoo étant le parisien des trois). Du point de vue musical, l’auditeur qui passerait par hasard ne serait pas en terre inconnue. Il en va différemment en ce qui concerne le style d’écriture et les thèmes de l’album.

A défaut d’avoir les muscles et la thune qui leur permettraient de s’offrir d’autres horizons rapologiques, nos trois rappeurs sont bloqués au sous-sol avec leur autodérision, leurs dégueulasseries et leurs phases divines (en fait, on ne s’est pas vraiment si « god » est une référence au divin…) Ainsi, ils ont décidé de nous concocter un cocktail « egotrip » du tonnerre. C’est certainement la première chose qui ressort à l’audition de cet EP : l’autodérision y est mêlée en permanence à de l’egotrip, permettant aux trois comparses d’aller chercher des phases auxquelles beaucoup n’oseraient pas penser. La liberté qu’ils s’offrent alors est assez caractéristique de leurs projets solos respectifs, ce qui ne choquera pas leurs auditeurs habituels mais qui pourrait surprendre ceux qui n’ont jamais eu l’occasion de les écouter. Ainsi, il est important d’affirmer que la débilité apparente de certaines paroles est le résultat d’un travail qui témoigne d’un véritable talent d’écriture. Parfois on rit avec eux mais jamais d’eux !

Rapper le sexe ou la drogue n’est jamais une chose facile parce que l’on tombe rapidement dans deux écueils : soit on dit des choses mièvres pour les jeunes filles, soit on est rapidement beauf et sans intérêt. Eux y ont trouvé une source d’inspiration en tentant d’épuiser toutes les phases relatives à la baise. Force est de constater que cette capacité à balancer des lyrics très évocatrices mais particulièrement bien inspirées  est assez hors du commun. Tout y passe : les mamans, les sœurs, les rappeurs, les mouchoirs. Et si on n’irait pas jusqu’à affirmer que cela est toujours élégant, on pourra avouer que les plus récalcitrants d’entre nous à ce type de paroles pourront y reconnaître un certain talent.

Mais l’intérêt de Godphaseurs ne tient pas uniquement à cet usage de la punchline et de l’auto-dérision bien faite, elle tient à l’authenticité dégagée. Le rappeur Vîrus disait de lui-même dans « Sale défaite » qu’il faisait de « l’egotrip de dépressif ». On lui reprendra la formule. Car ce qui ressort sous le second degré comique, c’est finalement ce côté « dépressif », cette absence de sens dans le quotidien, voir jusqu’à l’acte créatif lui-même comme en témoigne l’outre « J’écris ». Ce titre remet en perspective tout ce qui a pu être écouté par l’auditeur qui serait arrivé au bout. Quasi-unique moment où les masques tombent sur l’EP (avec le titre « 106 »), cette outro mérite l’écoute car elle témoigne du fait qu’au-delà de l’humour noir qui est déployé, il y a un sentiment d’inaccomplissement et d’ennui qui demeure. Comme si l’important n’était pas dans ce qui était dit mais dans ce qui ne l’était pas. Pudeur oblige. Cela ne fait aucun doute.

Godphaseurs est en téléchargement libre. Rien que pour cette raison, il n’y a aucune excuse pour ne pas y tendre l’oreille. Pur produit de l’union entre Crazy Mother Fuckers et Coffee Grinderz, il s’agit d’un délire tellement particulier qu’il n’y a pas véritablement d’entre-deux : soit on accroche, soit on déteste. Mais écouter cet EP, c’est voir se raviver l’envie de se replonger dans les projets de ces rappeurs un peu trisomiques, un peu géniaux, et qui, rien que pour l’anticonformisme qui est le leur mériteraient vraiment une reconnaissance plus grande. En attendant, ce n’est vraiment pas avec des projets gratuits comme celui-ci qu’ils arriveront à gagner de la thune.

Pour télécharger gratuitement Godphaseurs, c’est ici que ça se passe. Si vous voulez prolonger l’expérience, vous pouvez télécharger les projets de Bazoo sur le site de CoffeeG. Pour l’album de Goune Ricky Martin, c’est par que ça se passe. Quant à l’album de Stick, il est toujours est disponible sur le site de CMF.

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