En 22 ans d’apparitions discographiques, Grödash a tout connu dans le rap : les mixtapes cassette, les albums de groupe avec Ul’Team Atom et de collectif avec Prestige, les street CD Neochrome, l’autoproduction, les mixtapes gratuites, les albums solo, les best of… S’il s’est évertué, durant tout ce temps, à porter haut l’étendard du 91, il a également collaboré avec une bonne partie du milieu, ainsi qu’avec de nombreux artistes internationaux… Ce sont deux décennies de rap français que nous avons balayées avec Mr. Shizzle au travers d’une sélection de 10 morceaux, sélectionnés parmi les dizaines de projets qu’il possède à son actif, et ses nombreuses apparitions extérieures.
1 – Grödash – « Mental de mercenaire » (mixtape Ul’Team At Home Vol.1, 1999)
Ooooh… Ça c’est mon solo sur notre première mixtape ! J’ai reconnu le bout de flûte chelou, chanmé ! Première mixtape d’Ul’Team Atom, enregistrée en 1998. Je n’étais même pas majeur quand on a commencé ce projet. A l’époque, au lycée, j’étais en cours avec Diam’s et c’est un petit peu elle qui m’a boosté en premier. Elle écrivait déjà, elle me faisait écouter ses trucs… On a commencé à gratter de notre côté avec Fik’s, Bobby, Sinik… On avait un groupe, on a commencé à faire des sons, et quand elle les a écoutés elle nous a dit : « Bon les gars, ça serait bien de faire un petit projet. » On ne s’imaginait pas pouvoir faire une mixtape, on pensait que ce n’était que pour les DJ’s ou les maisons de disques. On est même un des premiers groupes indés à avoir fait une mixtape de groupe sur des instrus originales. Donc c’est parti de là, on a commencé à écrire des trucs et puis on s’est dit qu’il fallait faire des solos de chaque artiste, un peu comme dans Heptagone (le premier album d’ATK, ndlr). J’ai fait quasiment toutes les instrus du projet, et je crois que pour « Mental de mercenaire » c’est moi aussi. Il fallait gratter un truc, je me suis pris la tête à l’époque, je n’étais pas aussi confiant au niveau de mon style ! Et voilà, ça l’a fait quand même, on y est allé en toute décomplexion, on s’en foutait, on le faisait pour nous, pour nos potes, et puis tu vois, tu me le ressors aujourd’hui. (sourire)
Il y a deux ans, j’ai rencontré Sinik pour une interview « 10 Bons Sons », et la première chanson que je lui ai fait écouter était tirée de cette mixtape. Sa réaction a été de dire que votre grande fierté à cette époque était d’avoir ramené quelques têtes connues de l’underground dans le fin fond du 91 pour venir poser sur la mixtape.
Carrément, c’était inouï ! On était personne, il n’y avait personne pour représenter le département, on n’avait pas de références, ni de grands frères dans le milieu, juste Diam’s qui nous a donnés l’idée, qui nous a présentés Koma pour qu’on fasse le morceau avec la Scred Connexion. Ça s’est un petit peu débloqué avec ATK quand ils nous ont tendus la main après cette mixtape. Au final ils n’ont pas posé sur la première, mais Test a posé sur la deuxième. Donc c’était vraiment au culot, on a appelé les gens, tout le monde. Les mecs étaient plus étonnés de savoir qu’il y avait du rap dans le 91. Personne ne s’imaginait que ça pouvait aller loin, nous les premiers. Avec Templar on se prenait la tête, on a appelé Salif, je suis parti voir Oxmo à la sortie de son Planète Rap… Plein plein d’anecdotes. Il y en a qui n’ont pas pu venir, mais ceux qui sont venus nous ont fait tellement honneur, nous ont donné tellement de fierté que jusqu’à aujourd’hui ce sont des gens avec qui on discute de la vie de tous les jours. C’est des gens qu’on n’oubliera pas, à l’époque ils sont venus jusqu’aux Ulis en transports pour la plupart. Ils avaient déjà un buzz, des concerts, mais ils ont accepté de venir juste pour le talent, pour l’amour du truc. C’est un truc qui s’est un peu perdu, mais on est fiers d’avoir participé à cette époque.
C’est Deepsyck’o qui a été le premier à croire en nous et à mettre un peu d’oseille sur la table. Il a fabriqué ces mixtapes, donc c’est arrivé à Urban à Châtelet. Il faut savoir qu’à l’époque il n’y avait pas streaming, YouTube… On a fait deux mixtapes pour pouvoir exister dans les magazines. Je me souviens qu’à l’époque Deepsyck’o avait pris une page de pub pour notre première mixtape, il fallait payer pour être dans les journaux, il avait payé un trois quart de page, avec une photo de nous, on se baladait avec le magazine tous les jours, c’était notre dossier de presse !
Tu parlais de Test, Cyanure en interview me disait que le collectif Prestige était né de ton amitié avec Test.
J’avais rendez-vous avec Test, au métro Belleville, j’en parle dans beaucoup de morceaux. C’était un dimanche, on voulait qu’il pose sur le premier volet de nos mixtapes, d’où sort le morceau que tu viens de me faire écouter. On s’est tous pointés, personne ne voulait rester aux Ulis ! On en a reparlé avec Test il n’y a pas longtemps, il a halluciné quand il a vu qu’on était une dizaine au rendez-vous, il s’attendait à voir une ou deux têtes. Il y avait tous les rappeurs, on était tous là. Ça a duré cinq minutes, mais il s’est passé quelque chose de fort. On lui a donné une cassette, c’était froid, il ne nous a pas calculés plus que ça, mais l’amour qu’ils nous ont donné derrière avec ATK a été énorme. Ils ont écouté cette cassette avec Axis, et ont décidé de nous rappeler, pas pour poser avec nous sur la mixtape, mais pour faire un collectif et un album ensemble. On s’est lancé sur un album avant de faire un featuring pour cette fameuse mixtape. Le premier qu’on a rencontré c’était Testos, ensuite il y a eu Cyanure, Axis et Antilop. Freko et Fredy K on les a connus un peu plus tard. C’est une histoire de famille avec des hauts, des bas, mais ça bouge pas, on est ensemble au-delà du rap.
2 – Ul’Team Atom – « La rue chante » (album Les anges pleurent, 2004)
« La rue chante » ! Ça c’est notre époque Dipset ! Avec Templar, Fik’s et Choum Carter, on écoutait beaucoup ce qui se faisait du côté de Harlem : les Diplomats, Cam’ron, Juelz Santana… Quand j’ai entendu cette prod de Dave Davery, j’ai appelé les frangins, j’ai dit : « C’est bon, ne bougez plus, on a notre truc ! », je les ai saoulés ! Ils ont tout de suite kiffé, et ça s’est fait naturellement, de la maquette au studio. Pour « La rue chante », j’ai dit : « Les gars le thème c’est la petite voix (qu’on entend sur l’instru, ndlr), on se dit que c’est la rue qui nous appelle. » C’est une voix charmante, mais en même temps on sent de la douleur dans cette voix, on sent de la détresse, et elle nous attire malgré tout. C’est un petit peu ça qu’on a essayé de retranscrire, et on a eu des retours incroyables. C’est aussi notre premier clip, beaucoup de concerts ont suivi ce morceau, c’était incroyable. Il traverse le temps, et on va dire que c’est le morceau qui a fait sortir Ul’Team Atom du trou noir de l’underground.
Vous êtes sur un CD de Groove en 2004, mais la sortie de cet album n’a eu que très peu de couverture médiatique.
Ça a été le cas par la suite. Le 91 a été très longtemps négligé. Il a fallu qu’on fasse des connexions avec Sub Zéro, via nos maxis, et des gens de Paris, pour qu’on soit validés, et qu’ensuite Groove, Radikal et RER commencent à faire des articles. Plus tard, le fait de travailler avec Neochrome m’a permis d’avoir un rayonnement plus national.
3 – Zakariens feat. Ul’Team Atom & Sinik – « Un monde meilleur » (maxi Un monde meilleur, 2005)
Ça c’est le morceau avec Zakariens. Normalement il s’appelle « Un monde meilleur », mais tu le trouves aussi avec le titre « Sur un air de guitare ». C’est le morceau qui a plusieurs titres ! (rires) Connexion incroyable ! Je me rappelle, c’est Reeno qui était au téléphone, on était au studio en train d’enregistrer le premier album, et il était au téléphone avec des gars qui l’appelaient pour un featuring, avec Wira je crois. Au téléphone, on entend que c’est en train de parler, de caler une séance… Et Reeno dit : « Grödash ? Sinik ? Ouais ouais, ils sont avec moi, je leur dis, ils sont au studio là ! » Il raccroche, on lui demande qui c’était, il nous répond que c’est des gars qui veulent faire un morceau. On lui répond : « Comment tu lui dis qu’on sera là, on les connaît pas nous ! » Il nous dit : « C’est des bons, vous inquiétez pas ! » Il faut savoir que Reeno est celui qui a toujours été le plus ouvert aux connexions avec des gens qui nous kiffaient, ça été vraiment un pont avec notre public dans Ul’Team Atom. Et cette première pioche-là, c’était peut-être la meilleure parce qu’on s’est retrouvé en studio avec les Zakariens. Ils étaient dans un autre délire, avec une autre écriture, mais les mecs nous respectaient énormément. Donc ça s’est fait dans un bon feeling. L’anecdote de ce truc c’est que ça a été le premier clip où on voit nos visages à Sinik, Reeno et moi. Je pense que c’est ce qui a fait aussi un peu la légende des Zakariens. Ils étaient déjà sur Paris, ils avaient déjà des caméras, des fonds verts.
De par ses effets spéciaux, le clip était impressionnant pour l’époque, surtout pour du rap indé. Il n’y en avait pas dans ce style.
Il n’y en avait pas du tout. C’était vraiment précurseur à mort. Il était sur internet, mais tout le monde n’avait pas internet, loin de là ! Nous sur internet on était des quiches, personne ne l’avait, on se connectait au cyber café, à la cité universitaire, chez des copines… Les retours de ce truc nous ont donné de la force pour faire les clips avec Deepsyck’o dans la foulée, avec « Atomic Sound » et « La rue chante ». C’est un super souvenir, donc big up aux Zakariens. Repose en paix Nir.K.
A cette époque, le morceau sort sur un maxi vinyle, les Zakariens ne sont pas connus, et pourtant ça reste un des morceaux phares d’Ul’Team Atom.
Ouais c’est bizarre, et c’est aussi l’époque où les gens commençaient à me découvrir, à découvrir Sinik… Pour eux c’était nouveau cette façon de rimer : les placements, les assonances… C’est des trucs qui reviennent fort aujourd’hui, à toute patate. Quand tu écoutes les rimes de tous les couplets, tu te rends compte que c’était du vingt piges d’avance. C’est ce qui se fait maintenant, c’est revenu. On t’en mettait plein dans la même phrase, ça s’enchaînait avec des rimes, un maximum de sens… On voulait faire du Time Bomb, mais à notre sauce, celle de l’école du 91. On a mélangé ça avec ce délire parisien / 78 des Zakariens, et ça a matché direct.
4 – Grödash – « J’attends mon heure » (album Illegal Muzik, 2006)
Aight, « J’attends mon heure »… C’est la fusée de départ, ça ! C’est un morceau que j’ai enregistré au Brésil. Je m’y suis retrouvé en 2005, l’année avant l’album. Là-bas j’étais tout seul. J’étais en studio, j’ai enregistré pas mal de titres et j’ai préparé cet album-là. On avait décidé que c’était le moment des solos. Quand Fik’s, Bobby et P.Kaer m’ont rejoint au Brésil, je leur ai fait écouter les morceaux que j’avais faits, je crois qu’il y en avait six dont celui-là, « Ce soir », « Ghetto »… Il y avait aussi tout un album reggaeton que j’avais enregistré là-bas. Quand ils ont écouté « J’attends mon heure » ils ont halluciné, ils m’ont dit : « C’est CE morceau ». Donc j’ai affiné ça sur Paris, et ça a été le premier extrait et le premier clip du premier solo. Le premier de tout en fait. Les retours que j’ai reçus dessus, c’est juste exceptionnel. Je planais ! Le truc passait en boucle sur Zik, il est même rentré sur MTV ! C’était le rêve, nous on partait de l’anonymat, de la cave ! J’étais en coproduction sur ce projet avec Take Over, notre label d’Ul’Team Atom, et Neochrome. Chez Neochrome ils avaient leurs entrées, mais j’avais aussi mon carnet d’adresses, ce qui fait que c’est moi qui ai fait rentrer Neochrome à la télé. Je pense qu’ils n’avaient pas de clips d’une aussi bonne qualité avant que j’arrive, réalisé par Aymeric Colas. Pour l’anecdote, un jour j’ai reçu un message de Sat de la F.F. à 5h40 du matin sur les réseaux. On ne se connaissait pas du tout, il m’écrit : « Ouais Dash, c’est Sat, juste te faire un big up, j’étais en train de zapper, je voulais aller dormir, je suis tombé sur ton clip… J’ai sorti mon cahier et mon stylo et j’ai écrit jusqu’au chant des oiseaux ! » Truc de fou. Big up à tous les gens qui ont kiffé ce morceau et qui ont lancé la machine derrière. Derrière j’ai plané, je m’en suis vraiment bien servi, ça m’a amené jusqu’au Canada, ça a vraiment ouvert des portes pour ma carrière. A partir de ce moment-là on passait en mode national, international, les choses sérieuses ont commencé.
Vous aviez prévu un ordre pour vous lancer dans les solos dans Ul’Team Atom ?
Oui, avant il y avait Fik’s et P.Kaer, avec leur street CD En approche. On avait décidé que ce serait dans cet ordre-là : j’enchaînais avec Illegal Muzik, et eux avec Le Kartier Général chez Nouvelle Donne plus tard.
5 – Grödash – « Charme du ghetto » (album La vie de rêve, 2008)
Classic shit ! Enorme, énorme… 2008, j’ai déjà sorti Illegal Muzik et je réfléchis à Enfant Soldat dans ma tête, je n’ai pas encore le nom, et je me dis qu’il faut un truc avant cet album plus musical, plus mature. Il faut un truc entre les deux, j’enregistre encore et encore pour progresser. C’est comme ça que se fait La vie de rêve, avec l’équipe French Kick, les beatmakers attitrés de Neochrome : Tony Danza, Sonar, Bala Bambino, plus d’autres mecs qui ont participé. A l’époque j’étais très connecté sur internet, je recevais beaucoup d’instrus. Et pareil, je me retrouve au Brésil en 2007, encore une fois, tout seul, je galère. J’ai des prods, je me mets à écrire mais le quartier me manquait. Je me disais que tu as beau être dans la meilleure ambiance du monde, tes potes c’est tes potes. C’est là que m’est venu le délire du morceau. Ce qui a choqué les gens, c’est la manière d’avoir traité le thème de la solidarité dans les quartiers. Je suis arrivé du bled à 13 ou 14 ans, et ça m’a permis d’avoir du recul sur plein de trucs que les autres trouvaient normal. Tout ce qu’eux trouvaient normal, j’ai réussi à le mettre en rimes. Quelqu’un né en cité aurait eu du mal à faire ce morceau, parce que c’est des choses tellement normales qu’il ne les voit plus. C’est ce que j’ai reçu comme retours. Je pense que c’est ce recul-là qui m’a porté dans l’écriture. J’ai mis tout ce que j’aimais dans le quartier. Moi j’ai grandi dans une grande maison blanche au bled, j’étais au max, chauffeur, la grande vie. Quand je suis arrivé au quartier j’ai vu beaucoup de choses qui m’ont choqué, et beaucoup de choses qui m’ont plu aussi. Je me suis dit : « Pourquoi ne pas parler des bonnes choses en mode rigolade un peu ? Des choses qui nous manquent quand on est loin ? » Et en vérité ça a été comme une traînée de poudre. Je pense que c’est mon seul clip qui a pété le million, sachant qu’il est sorti à une époque où internet était moins important, il était plus difficile à trouver qu’aujourd’hui. Mais tout le monde le connaît, donc je pense qu’on peut appeler ça un classique.
Aux yeux du public, c’est certainement ton plus grand classique non ?
Carrément, et je me dis que je dois revenir avec la rage que j’avais sur ce morceau, et sur La vie de rêve. J’étais vraiment dans une bonne énergie, j’étais isolé mais la cogite était bonne, et ce message a touché les gens. Big up à tous ceux qui ont partagé, qui ont repris le truc jusqu’à aujourd’hui. Toutes les semaines je reçois des stories de gens qui se l’écoutent. Même s’il n’a pas des scores incroyables, c’est rentré dans le patrimoine urbain français on va dire.
En 2007 / 2008 tu collabores avec tout le rap français, avec des noms bien installés comme La Fouine, Oxmo ou Youssoupha… Il y a aussi une quantité de featurings incroyable avec toutes les têtes d’affiche de l’underground de l’époque.
En fait c’est vraiment bizarre parce qu’au même moment c’est la séparation avec Neochrome. Alors que je sens que je suis au max du truc, ils me disent que je suis fini, que je n’ai plus de buzz, qu’ils ne sont plus sur moi. C’est plein de contradictions dans ma tête, et c’est à partir de ce moment-là que je décide d’être producteur de ma musique. Donc je suis artiste, je commence à réfléchir comment produire, je me prends un billet d’avion, je pars au Canada. Je voulais leur montrer que Grödash ce n’est pas que de la rigolade, ou que le quartier. Je voulais casser le truc tout de suite après « Charme du ghetto ». Je voulais prouver à Neochrome que je n’étais pas limité et boum je monte au Canada et je fais le clip d’« On oublie rien » dans la foulée, qui n’a pas le même impact que « Charme du ghetto » mais qui est quand même diffusé en télé sans aucune promotion, ni aucun label derrière. Neochrome ne me soutient plus. C’est là que je lance ma carrière de producteur avec Flymen Vision, juste après mon morceau qui a pris le plus de vues. C’est là que tu vois le contraste entre la France et les States. A ce moment-là j’aurais dû être courtisé par plein de labels, et j’étais en même temps dans ma construction de label. Cette année-là je me retrouve booké pour un concert en Suisse, pas pour un plateau, pour la première fois. J’ai fait le premier concert de ma carrière en Suisse, qui m’a ouvert plein de portes, je recevais des demandes de concerts tout le temps, toutes les semaines. On a fait le truc en mode indépendant, mais sans savoir comment faire en fait. C’est à partir de cette année-là que j’ai appris à faire le travail, même si j’étais déjà très productif avant. Là tout ce qui sortait brillait quasiment.
6 – Grödash feat. Maître Gims, Test & Smoker – « Reste doux » (mixtape Des halls volume 1 (10 piges d’avance), 2008)
Ouais « Reste doux » ! Grosse connexion.
J’ai choisi ce morceau, parce que je voulais qu’il y ait dans la sélection un morceau avec Test. Ce n’est pas un morceau Prestige d’ailleurs.
On a beaucoup de morceaux croisés avec les gars d’ATK. Je suis fan de ce que fait Test, et puis les mecs sur ce morceau, ça blague pas. A l’époque Barak Adama nous appelait souvent pour nous demander des conseils par rapport au projet qu’ils avaient avec la Sexion, et Kizito, qui était aussi pas mal avec nous, traînait aussi avec eux. Il a un peu fait le pont entre la Sexion et Ul’Team Atom. Je sentais que les mecs montaient en puissance, ils me répétaient souvent que je devais faire un truc avec Gims. Un jour je leur ai dit que j’avais trouvé la prod, que j’étais en train de faire une mixtape, et qu’ils pouvaient lui dire de venir. Je voulais faire un truc à la cainri, et comme dans cette mixtape il y a pas mal de connexions entre les départements, j’ai pris un autre frérot du 9.1. On a appelé Testos parce que c’est un représentant du 19e et qu’il pouvait faire un truc sur ce genre d’instru. Ça a donné cet OVNI dans la mixtape Des Halls Vol.1 – 10 piges d’avance, et pas mal de gens ont découvert Maître Gims à travers ce titre-là.
Cette mixtape est aussi sortie au Canada en édition spéciale, là-bas ils ont complètement halluciné sur son passage. Il a mis une pression de malade ! Il y avait toute la Sexion au studio, ils sont tous venus. J’ouvre la porte, ils s’étaient tous pointés ! Ça m’a rappelé quand on avait rendez-vous avec Testos. Ils était tous là : Maska, Lefa, Black M… Ils se sont enfermés dans une pièce pour que Gims taffe son couplet, c’était scolaire à mort, ça n’a pas rigolé. Derrière il nous fait un couplet de malade, un refrain de malade. Smoker pareil, il survole le beat, Testos envoie des punchlines de malade comme à son habitude, et moi un couplet hardcore, à censurer dans tous les sens. (rires) Les gens ont kiffé, on aurait dû clipper mais juste après il y a le morceau de la Sexion « Anti tektonik » qui a commencé à prendre. Quand il a pris un million de vues, on a tous dit : « Qu’est-ce qui se passe ? » Avant ça ils m’appelaient tout le temps pour faire le clip, on devait se synchroniser, mais comme il commençait à se passer un bail de leur côté, donc ça ne s’est pas fait. En tout cas big up à la Sexion, à Test et Smoker. Grosse connexion.
7 – Grödash – « Bandana Muzik » (mixtape Autopsie 4, 2011)
« Bandana Muzik », gros bail. Franchement c’est la cerise sur le gâteau. On ne s’y attendait même pas. En vrai, dans le rap, c’est vraiment quand tu ne calcules rien qu’il se passe les plus gros bails. Après il y en a pour qui la stratégie et la recherche ça marche, mais pour ma part, et pour Ul’Team Atom, à chaque fois qu’on a eu un gros défi à relever, qu’il fallait faire un putain de morceau, on n’y arrivait pas. C’est quand on était tranquille, sans pression, qu’il se passait des trucs de fou. On a reçu le coup de fil de Booba et son équipe par rapport à A4, on était à fond sur Enfant soldat, j’avais enfin monté mon studio, mon label, je faisais pas mal de concerts suite à mes projets, il y avait une attente, et je me disais qu’il était temps que je livre un truc un peu plus mature. Et ça arrive comme ça, tu ne peux pas dire non. J’étais un petit peu gêné au début, il me disait : « C’est pas grave si tu es sur ton nouvel album, tu nous envoies un truc de ton projet, on le mettra dedans. » Je me suis dit que ça faisait un peu recyclé et je me suis dit que j’avais de la ressource. On a gratté deux titres : « Shizzle life » et « Bandana Muzik ». On a préféré le second, ils ont kiffé, et ils l’ont mis deuxième ou troisième track du projet.
Deuxième oui.
Je l’avais dit à personne, personne ne le savait, même pas les gars d’Ul’Team Atom ! On ne va pas mentir, Booba c’est un autre bail. C’était tout de suite un autre truc. Tu montais dans l’avion, tu trouvais ta chanson sur les écrans. Il a une influence telle qui fait que les gens de ton entourage peuvent un peu changer par rapport à ça. On s’attend à ce que tu changes alors on change avant que tu changes.
Tu es un des seuls à apparaître sur un Autopsie de Booba et un Capitale du Crime (sur le premier volet) de La Fouine.
Il y a eu Smoker aussi oui. C’est La Fouine qui m’avait dit : « Booba kiffe ce que tu fais, il écoute grave, t’inquiète pas il va t’appeler bientôt pour des trucs ! » Quelques mois après ça s’est fait, il m’avait envoyé un message par rapport à la vidéo qui était sortie avec la Fouine, du freestyle… (Il cherche ses mots)
Du morceau qui n’est jamais sorti ?
Voilà, du litige ! Le morceau litigieux ! (rires) Donc avec Booba on avait un petit peu parlé, il m’avait félicité par rapport à ça. C’était l’époque où La Fouine et Booba faisaient des trucs ensemble. La Fouine aimait bien ce que je faisais, on a fait plusieurs titres ensemble, et il y en un qui est passé aux oubliettes.
Tu as aussi un morceau avec La Fouine sur La vie de rêve.
Oui, en tout on a fait au moins six morceaux ensemble, mais il y en a deux ou trois qui ont été filtrés. Voilà, c’est comme ça, ça m’a un peu dégoûté du truc. Je me disais : « On fait des bons trucs, on ne va pas jusqu’au bout, on ne fait pas les clips… » Là j’ai vu le vrai game, c’est des trucs dont je parle dans « One shot », c’est les réalités du game. C’est un milieu quoi. Pour l’amour du truc on l’a fait à chaque fois avec plaisir, pas par intérêt ou quoi que ce soit.
8 – Grödash feat. Elegant – « Enfant soldat » (album Enfant soldat, 2011)
Là c’est le début d’une autre ère, avec Flymen Vision. Je maîtrise ma musique d’amont en aval, je sais faire des clips, je sais avec qui je veux travailler, on ne m’impose pas de beatmakers. Si je veux rajouter un piano là je le fais, si je veux refaire l’instru jusqu’à fatigué je la refais. J’ai un studio dans ma chambre, c’est les conditions de rêve. Tous ceux qui venaient là sentaient que c’était une inspiration énorme. Avec RC Lorakl à mes côtés, un ingé son de fou, autodidacte, on a travaillé et encore travaillé, et ça a donné ce projet.
Je n’ai pas voulu le diviser parce que je kiffais tous les titres. Je voulais que ça sorte comme ça, double album, pour montrer la force de la productivité. Ça a donné ce titre-là avec un clip de Usef Nait avec qui j’ai pas mal bossé au Canada, qui est aussi très bon dans la prod. Avoir Elegant sur ce titre et dans l’album, c’est le genre de truc qui n’était pas possible chez Neochrome. Tu ramènes un mec inconnu, sur quatre morceaux, pourquoi ? C’est ça qui est difficile pour des artistes quand ils sont dans des structures, qu’ils ne sont pas encore auto-producteurs : ils sont obligés de se limiter dans leur musicalité, de travailler selon les affinités et les goûts du producteur. Pour moi c’est vraiment là qu’on a pu commencer à ressentir ma musicalité, même si je commençais déjà dans La vie de rêve, qui est vraiment un projet de transition.
En tout cas, Enfant soldat tranche le projet précédent La vie de rêve et le suivant Bandana & Purple Haze.
C’était la mission que j’avais depuis « J’attends mon heure ». Quand tu es artiste, tu as besoin de te faire des plannings, pour ma part en tout cas. Je fonctionne souvent par trois. Pour Illegal Muzik je me suis dit : « Je sors d’Ul’Team Atom, il faut que je dise qui je suis. » Sauf que je ne peux pas dire direct que je suis un blédard, que j’ai connu la guerre. A cette époque-là, où le rap était ghetto, qu’il fallait représenter le quartier, je voulais montrer d’abord l’univers dans lequel j’étais à ce moment-là, avant d’emmener les gens vers d’où je venais, que ça les intéresse. C’est ça la trilogie. « J’attends mon heure » c’est : « Venez, écoutez. », sur La vie de rêve je commence à raconter que je viens du bled, que je ne suis pas exactement comme les autres artistes que vous avez l’habitude d’écouter, et Enfant soldat c’est l’histoire du bled, je rentre en profondeur, dans les détails. J’y parle de mes aspirations, des trucs que j’ai au fond du cœur. Donc une fois que ce disque-là sort, je suis vide. Je me dis que je veux faire un projet pour kiffer, ne même plus parler de ma vie, j’en ai trop dit.
9 – Grödash feat. Smoker, Juicy P, Jack Many, Maestro, Fik’s, Myssa, La Karabine, Popo, Alkpote, Zekwe Ramos & Steve Austeen – « Yeah Moggo Remix » (album Bandana & Purple Haze, 2014)
« Yeah Moggo Remix », lourd lourd ! J’avais ramené tous les frérots du 9.1. sur ce morceau. Comme je t’ai dit, à la fin d’Enfant soldat j’étais vide. J’avais tout balancé, et on s’est retrouvé à partir en tournée avec Assassin par rapport au morceau « Flashback Remix ». Tout l’année 2012 j’étais en concert avec Assassin, on a dû faire une centaine de dates en deux ans. C’est deux ans après que Believe tombe sur le morceau avec Oxmo que j’avais enregistré dans ce période de trou. Ils me contactent, moi et mon management, pour nous dire que ça les intéresse de sortir le prochain projet. On récupère tous les titres qu’on a à gauche à droite, on fait une mixtape, on prend un petit billet, et on essaie d’aller tourner des clips aux States. C’est ce qui nous a permis de tourner les clips d’ « Objectif palper », « Gordon Ramsay », « 1er spliff »… Ça a été encore un autre délire. Comme on savait faire de la trap depuis longtemps, autant représenter le 91 et le délire trap, mais pas en mode quartier. On voulait emmener ça de là où ça vient, en mode « States ». C’est pour ça que je tenais à faire les clips de ce projet aux States. C’était de la trap en 2013, dix ans d’avance, toujours !
Il y a une affinité particulière du 91 pour la trap, depuis longtemps.
Clair ! Nous on a grandi dans ça, on écoutait Diplomats, qui étaient parmi les premiers à faire des trucs avec Lil’Wayne, Master P. J’en parle dans « Costume blanc » : j’étais à Miami dans les années 2000, et là-bas c’était Juvenile, Cash Money, Uncle Luke, Ludacris… On s’est pris le truc de plein fouet pendant qu’en France tout le monde était en mode Mobb Deep. Perso c’est comme ça que j’ai encaissé la trap, d’autres l’ont connue encore plus tôt. C’est vraiment nos délires dans le 9.1, même si on ne s’imaginait pas que ça allait devenir global et national en France, que tout le monde allait s’y mettre. C’est incroyable.
C’est un hymne au 91, et ce n’est pas le seul auquel tu aies participé.
C’est important, parce qu’on était négligés. C’est ce qu’on ressentait avec Ul’Team Atom, et tous les groupes du 91, à part ceux qui étaient chez Nouvelle Donne. On va dire que Nouvelle Donne c’était notre Def Jam, un modèle pour nous.
Tu parles de rappeurs comme Disiz ou Ol’Kainry ?
C’est ça ! Quand on faisait nos mixtapes Ul’Team At Home, j’appelais Kodjo, je lui disais : « On a besoin d’Ol’Kainry, on veut Disiz ! » Il nous disait : « Non les gars, je vous envoie Tshikan, c’est un tueur, vous allez voir, il est dans Agression Verbale ! » C’était vraiment beaucoup de respect, mais à part ça on n’avait aucune référence dans l’industrie. Pour nous ça a été très important de mettre une marque de fabrique, de représenter à fond, et ça a porté ses fruits, parce que ce sont des expressions qui ont tourné, qui ont fait le tour de la France. C’est une sorte de récompense pour tout le travail qu’on a fait.
Aujourd’hui le 91 se porte très bien, avec toutes les têtes d’affiche du rap qui viennent de ce département !
C’est clair ! Aujourd’hui c’est beaucoup plus simple pour les artistes du 91, mais à l’époque la clique Time Bomb aurait dit à la radio « le 9.1 est représenté par 2Be3 ». Enfin, je ne sais pas si c’était une légende urbaine ou pas, mais nous on l’avait mal pris. Ça clashait un peu le 91 à 88.2, donc pour nous c’était important de montrer qu’on avait notre propre L1 à l’intérieur même du championnat français, dans laquelle il fallait que personne ne ressemble à personne, que chacun arrive avec son style, son énergie. Je pense que c’est une bonne école pour éviter de pomper tout ce qui se faisait.
10 – Ul’Team Atom & Mani Deïz – « Défiguré » (Mauvais présage, 2020)
Enorme, énorme. Franchement, prod de malade et thème de ouf ramené par Fik’s Niavo. Quand j’ai entendu cet instru, j’ai eu la nostalgie de cette époque justement, Agression Verbale chez Nouvelle Donne (les premières mesures reprennent le morceau « Ambiance monotone » d’Agression Verbale paru en 1999, ndlr), l’album Ce n’est que le début, qu’on écoutait en allant au lycée. Ça nous faisait du bien, du bon rap bien Queens, bien dégueu. J’ai voulu leur rendre hommage avec ces petites mesures. Et voilà c’est le retour ! J’en avais parlé dans « Retour aux pyramides », j’avais dit : « Bientôt le retour d’Ul’Team Atom, je les entends crier ‘Oh my God !’ » Ce n’était pas du tout quelque chose qui était au programme, mais je l’ai dit pour que ça se réalise, et ça s’est réalisé. Le premier 7 titres est disponible, les premiers clips sont sortis, et on a des retours de dingue, sans forcer. On se retrouve au point mort avec cette histoire de confinement, mais il y a des clips dans le four, le deuxième volume est en train d’être mixé. Il va y avoir sa sortie, puis celle du projet complet, les 14 titres qu’on a faits avec Mani Deïz. Les autres sont encore plus malades, les clips arrivent. Là on est de retour en 1998 j’ai envie de dire.
Tu as toujours suivi ce qui se faisait, tu n’as jamais été passéiste ou nostalgique d’une certaine époque, comme d’autres ont pu l’être. Mais là, avec ta « Poignée de Punchlines », Prestige, Ul’Team Atom, tu reviens avec des sonorités très New York de la fin des années 90.
Ceux qui ont bien suivi ma carrière savent que c’est ce son-là qui va se jouer dans dix ans. (rires) Sur le « Freestyle 2019 » (paru en 2009, ndlr), j’étais un des premiers à faire de l’autotune, et j’annonce que dans dix ans ça va être ça l’ambiance. Donc je suis le thermomètre de ce fucking game sur dix ans les gars, et je vous annonce que l’ambiance va revenir au sale ! Quand tu vois Griselda c’est ça. Le sale revient, tout le monde s’y remet. Tout est cyclique, il faut juste savoir le détecter avant que tout le monde s’y mette. Après il y en a qui préfèrent s’y mettre quand tout le monde s’y met, mais moi je préfère cette petite avance de dix piges pour varier le truc. Maintenant je suis en studio, comme tu as dit, il y a autant du classique boom bap que des trucs vachement plus actuels, parce que ça me fait plaisir. Mais je donne la température.
En préparant l’interview, j’ai parcouru toutes tes mixtapes, il y en a beaucoup, et si on ajoute à ça les best of sortis récemment, en groupe et en solo, ça fait un paquet ! Ça donne l’impression que tu ne t’es jamais arrêté de rapper. Chez les autres membres du groupe on sait qu’il y a eu des pauses, en as-tu fait de ton côté ?
J’ai fait une pause. Ma première pause ça a été derrière Grödash VS Mr. Shizzle V2. Je suis parti au bled m’occuper de mon daron, de ma famille, de moi. J’ai dit : « Niet, on coupe tout là, c’est bon ! » C’était en 2016. Donc de 1998 à 2016, il n’y a eu aucune pause, j’ai tout sacrifié. C’est là que je me suis rendu compte que c’était une discipline, et beaucoup de sacrifices. Tu ne passes pas de temps avec les tiens, tu n’apprends pas dans d’autres domaines que dans ta discipline, tu n’es qu’avec des gens qui te ressemblent. C’est bien mais à un moment ne rester qu’avec des gens trop proches de ta réalité limite l’inspiration. Je me suis dit que je commençais à trop tourner en rond dans mon écriture, ça me saoulait. J’écrivais comme si j’allais au taf, ça ne me faisait plus kiffer. C’était des années où le truc commençait à baisser, et je me suis dit : « Bon, c’est le meilleur moment pour s’éclipser discrètement, et réfléchir à la suite tout en faisant autre chose. » Le prochain best of s’appelle Mixtape Kings, et on a fait le tracklisting il y a 34 morceau, et il y en a peut-être 15 que tu ne connais pas. C’est le robinet. D’avoir refait Prestige, puis le projet avec Mani Deïz, ça m’a remis dans la même dynamique que 98. La plume c’est le robinet, ça envoie, donc avant la suite on se dit qu’on remet tout ce qui existait, toutes les mixtapes… Je crois que j’ai plus d’une quarantaine de projets solos. Moi je regarde Gucci Mane : je ne m’arrête pas tant que je n’en ai pas autant que lui, que des artistes congolais, ou les rois de la soul comme les Isley Brothers. On ne leur pose même pas la question de savoir combien ils ont de CD, ils en ont 47 ! En indépendant je pense que nous on est plus amenés à être dans le volume, même s’il faut pouvoir se permettre d’être dans ces volumes-là de production. Nous c’est notre truc, c’est la machine, on envoie, il y a plein de bails qui sortent, qui arrivent, que ce soit en mix, en construction, c’est ouf ! Des fois je suis là, je m’écoute 25 nouveaux morceaux de Grödash que vous ne connaissez pas, et je me demande sur quelle planète je suis, il faut que ça sorte !
Du coup ça arrive ?
Tout doucement oui. On laisse le temps que le projet se finisse avec Ul’Team Atom. On va dire que je suis dans une recherche, donc je suis en création. Il y aura des petits singles qui vont arriver, des trucs vraiment frais !
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