En Allemagne aussi, la trap a clairement supplanté le rap, rayonne largement dans les rayons et playlists locales, mais les amateurs et activistes de hip-hop façon 90s sont encore loin d’avoir abdiqué. De nouveaux visages émergent quotidiennement, mais les fortes têtes en place depuis 15-20 ans s’accaparent encore régulièrement de bonnes places dans les classements. Point de Samra / Capital Bra, de Sido ou de Azad dans cette sélection pour vous permettre de découvrir d’autres kickeurs et kickeuses dont nous n’avions pas encore parlés. Passage en revue d’une année 2019 marquée par l’allégeance faite aux femmes puisque la Suisse Loredana et la Berlinoise Juju ont toutes deux remporté les MTV Europe Music Award, mais également par la continuité de la guerre Bushido VS les autres rappeurs… et la sortie d’un album Panini “DeutschRap” ! Viel Spaß !
1 – PTK – Mode
PTK, le MC dont les initiales restent secrètes (elles pourraient correspondre à “Pöbel Tötet König” (La Foule Tue le Roi) ou “ProtesTmusik“), est membre du label Bombenprodukt et engagé dans la Antinational Embassy, qui se définit comme “une troupe de révolutionnaires du monde entier qui sont devenus amis en luttant pour les droits des réfugiés à Berlin-Kreuzberg”. Le Berlinois représente fièrement son quartier de Kreuzberg, et s’est d’ailleurs fait remarquer en 2013 avec son titre engagé contre le tourisme de masse qui abîme le visage de la capitale allemande et renforce le phénomène préoccupant de gentrification. Il avait d’ailleurs enfoncé un peu plus le clou deux ans après avec un deuxième épisode haut en couleurs, mêlant mission graff sauvage et fumigènes. Son nouvel EP 7 titres Kein Mensch ist digital est sorti en juin, on vous le conseille.
2 – Haze – Morgenrot
C’est au début de l’année 2019 qu’est sortie la compilation Straight aus Karlsruh réunissant les talents de la ville. Haze est né de parents croates ayant fuit la guerre, et c’est précisément le hip-hop qui a facilité son intégration à la vie au milieu des autochtones à la fin des années 90s. Désormais une figure importante du rap à Karlsruhe et en Allemagne, celui qui rappe aussi bien en allemand qu’en croate continue son combat pour la reconnaissance des artistes rap de sa région. En insistant sur une certaine vision du rap, où le vocoder et la trap n’ont pas leur place. Un positionnement de old timer pour le presque trentenaire assez paradoxal, qui nourrit les espoirs des passéistes encore légion Outre-Rhin.
3 – Maurice Polo feat. Stress, Ella Soto & King Ketelby James – Mata Hari
Quand on a du mal à choisir lequel des titres on va vous présenter, c’est souvent très bon signe. Voici “Striptease”, un succulent EP 7 titres servi par le rappeur suisse Maurice Polo, aussi connu sous le pseudonyme MDMA ou Steezo. Originaire de Zürich, il invite pour l’occasion ses potes MCs venus des quatre coins du pays pour croiser le mic et partager une vibe particulièrement jazzy. Nous avons opté pour le symbolique “Mata Hari” le titre multi-langues par excellence, et pour l’opportunité de glisser un mot sur le légendaire Stress, qui a sorti un nouvel album intitulé Sincèrement cette année.
4 – Chakuza – Wilde Welt
Son grain de voix est l’un des plus identifiés de la dernière décennie du rap en Allemagne. Né en 1981 à Linz (Autriche), Chakuza déménage à Berlin dans les années 2000s et se fera connaître du grand public via sa signature sur le label Ersguterjunge de Bushido au milieu de la décennie 2000. Trois albums et puis s’en va, Chakuza mène depuis sa carrière solo de main d’artiste. L’homme à la discographie fournie ne contient pas sa productivité: 12 albums, plusieurs EPs et apparitions sur des projets divers. Et surtout une direction artistique assumée, entre prises de risques et retour aux sources, il jongle vers ce qu’il aime et que les fans lui réclament. “Wilde Welt” est la partie traditionnelle de son art.
5 – AzudemSK – Leipzig & Ich
Le beatmaker s’appelle L One et le kickeur AzudemSK. Engagé au micro depuis 15 ans, ce dernier est né en 1986 à Stade puis a fait ses classes à Telgte, avant de bouger vers Iéna, et ensuite Osnabrück. Toujours une patte levée, Azu’ s’est laissé guider par son amour de la musique (support vinyle indispensable) et son activité de graffeur invétéré. Très attaché à la sonorité oldschool façon 90’s, il a livré en 2019 Blessed in Dreck, un album 12 titres sur lesquels il convie la crème des partenaires de cette scène-là (Beppo S., Pöbel MC, Pavel notamment). Des ambiances résolument hip-hop, où le piano prend toute sa splendeur, les scratchs apportent leur saveur d’antan et les samples jazzy nous font voyager avec émotions dans un passé pas si lointain.
6 – Les Bonmots & Warpath – Kalamari
Quelle frappe ! Découvert sur la chaîne Youtube prescriptrice “hiphopkiosk”, ce clip du groupe Les Bonmots synthétise à merveille l’esprit puriste hip-hop/boom-bap. Flows rebondis, grain du vinyle, prod tout droit sortie des nineties, featuring un MC américain, tout y est. Hast, Pest & Yustus sont trois jeunes représentants de la scène old school de Brême, et déjà très actifs si l’on se fie aux multiples sorties disponibles sur leur Bandcamp. Le EP éponyme sorti le 6 décembre est une tuerie de A à Z, on vous le conseille sans plus attendre !
7 – Ulysse – Revier
Ulysse est un jeune rappeur de 24 ans, qui est né à Aachen de deux parents camerounais, avant de déménager et grandir à Karlsruhe, puis de signer avec le label Beefhaus situé à Mannheim. Comme peut le faire son aîné Haze, il perpétue la tradition boom-bap propre à la ville. Et déjà un deuxième album en deux ans pour celui qui a la particularité de mélanger le rap français et le Deutschrap d’une rime à l’autre, d’un texte à un autre. Déstabilisant pour l’auditeur non-bilingue, mais terriblement efficace pour ceux qui parlent les deux langues ! Plusieurs médias rap allemands le présentent d’ores-et-déjà comme l’un des MC’s avec le plus de potentiel de sa génération. Ce titre, qui illustre bien la couleur de son rap, est paru cette année… après son album, car Ulysse ne se repose jamais. Ça vous rappelle quelqu’un ?
8 – 2ara – Erzähl mir nix
Le rappeur 2ara, natif de Bavière, est l’une des autres belles signatures du label Alte Schule Records, où figure Haze notamment. Comme son nom l’indique, la couleur des prods et des flows n’est pas à la modernité mais tient à respecter la tradition du boombap. “Erzähl mir mix” libère un parfum d’Orient original et atypique sur lequel 2ara fait ressortir ses origines russes. Dans la continuité de ce titre et de quelques autres, il a sorti son premier album Hart auf Hart à la mi-novembre. Deux accents forts dans une seule voix, un cocktail explosif d’engagement et de prise de conscience, on vous le conseille vivement.
9 – Manuellsen, Haftbefehl & Twin – Da Real
Dixième album studio pour ses 40 ans, Manuellsen s’est fait plaisir ! Une carrière qui ne s’arrête plus, une popularité croissante, il vit une deuxième jeunesse. Le chanteur/rappeur de Mülheim nous a concocté cette année de jolis feats prestigieux, en ramenant les meilleurs beatmakers d’Allemagne pour son opus intitulé MB ICE. Apprécions notamment “Da Real” à sa juste valeur, authentique clin d’oeil au classic de Mobb Deep “Quiet storm”.
10 – Nazar & Sido – Brudi
Le rappeur autrichien Nazar, natif de Téhéran (Iran), a décidé d’appeler son nouvel EP 7 titres Schwarzer Schleier (Voile noir) et d’inviter une nouvelle fois son pote Sido pour le morceau chill “Brudi”. Habitué à délivrer des paroles énervées et peu enthousiastes, il prouve qu’il sait de temps à autre emmener son auditeur vers d’autres horizons. Trap remuante, rap chilly, son cloud, il réussit à varier les ambiances et proposer de nouveaux contenus inhabituels pour notre plus grand plaisir. Un énième projet, moins dense et volumineux que les précédents, mais peut-être plus spontané, et paradoxalement plus travaillé et efficace.
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