Comme beaucoup de ses auditeurs actuels, nous l’avions découvert via le bruyant « Trois sabres part.3 ». Esthétiquement original et rapologiquement impressionnant, ce condensé de name-dropping de sportifs avait laissé une trace dans nos esgourdes. Quelques mois plus tard sort enfin Multicolore Mixtape, le premier projet de Tengo John. Forcément moderne, il révèle plusieurs surprises qui ont poussé notre curiosité à une écoute assidue. Alors que sort son second projet de l’année, Hyakutake, ce vendredi, retour sur une des bonnes découvertes du premier semestre 2018.
Entrée douce et pénétrante dans le projet Multicolore Mixtape, l’ambiance « Métamorphose » relaxe. Ce projet se place en symbiose avec son auteur. Aucunement clivant, il aborde des thèmes impersonnels, verse dans l’egotrip comme nombre des sorties rap actuelles, et trouve parfaitement sa place dans la discographie des amateurs de musique, ceux qui s’intéressent au plaisir des oreilles avant toute autre forme de réflexion. Tengo kicke, oui, mais il soigne sa diction et polit ses rimes pour mieux exporter ses turpitudes. Surfant sur une vague d’effervescence populaire et médiatique (Le Cercle, la Sauce, Booska-P…), il aurait tort de se croire arrivé alors qu’il n’est qu’au début de sa course de fond. Mais on le sent serein, sérieux, concentré.
Entre egotrip de surface et douceur intérieure, le jeune Montreuillois choisit avec précision les éléments personnels qu’il souhaite ouvrir aux autres, quitte à en livrer peu. La déclaration d’amour « Geisha » apparaît presque comme une suite à « Penèlopeia » sorti en 2016 sur Soundcloud, peu de temps avant son premier projet « Tortue de Jade », tandis que « Château ambulant » trouve une nouvelle formulation inspirée sur le très funky « Bulle ». Tengo tient là une des meilleures vibes de l’année. Cette allégorie de la fainéantise nous emmène sur un nuage smooth hyper confortable. Quelques accords de gratte et un refrain simplement mélodieux font de cette chanson une évidence pour l’oreille. Il est même coutumier de ce type de sons, si l’on y englobe la référence bien trouvée à Batman via le dangereux « Poison Ivy », métaphore d’une rencontre en club, à la manière d’un « Elle donne son corps avant son nom ». Le peu d’invités permet de juger une carte de visite dans son entièreté, et de découvrir quelques fusions intéressantes, notamment celle avec Prince Waly. Leur première collaboration avait accouché d’un titre intéressant, le dernier clip en date est exquis.
En revanche, Tengo a opté pour une multitude de beatmakers différents pour penser son projet, comme s’il voulait prouver sa capacité d’adaptation tous terrains. Kudasai, Sheldon, Case-G, Misim Beats, TheBeatPlug, Yaska ou LaSmoul pour ne citer qu’eux, cette ribambelle de blases non connus du grand public est un pari, un de plus. Réussi, tant les prods sonnent 2018 et raccord avec le propos. En contraste, Tengo tombe dans le piège du déjà-vu « Triste constat » pas sensationnel, comprenant notamment un jeu de mot douteux sur Manuel Valls, et s’enlise parfois dans des flows faciles ou répétitifs. Offensif dans son rap, il lit bien le jeu et pré-tacle les journalistes inavertis « J’suis blanc mais j’suis pas Eminem ». A retenir pour ses premiers passages TV.
Dans les dernières pistes, TJ prend encore le pari de tenter une ambiance où on ne l’attend pas : « Negli occhi dell’altro » , douce boucle italianisante, envoûtante, originale et réussie. Une façon de glisser quelques mots dans la langue de Dante, et de nous interroger sur ce choix : aurait-il des origines transalpines ? « Multicolore », le nom du projet est bien trouvé. Ne cherchez pas une cohérence, un concept particulier et ne tentez pas de critiquer sans écouter les 18 titres dans leur ensemble. S’il ne le considère pas comme son premier album, c’est en tout cas une très belle carte de visite, qui lui permet de se faire connaitre et à coups sûrs d’imposer une couleur inédite qui fera date. Kickages d’egotrip, sons suaves, morceaux à thèmes, la palette est large et le MC inéluctablement doué.
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