Avec une carrière en groupe, puis 5 EP et 5 albums solos, des dizaines de titres en téléchargement gratuit depuis l’époque Myspace et des featurings à foison, Demi Portion occupe le terrain sans relâche depuis presque deux décennies. La tentation de réaliser une interview « 10 Bons Sons » du rappeur sétois était donc grande, et c’est à l’occasion de son concert au Bikini à Toulouse (organisé par Regarts) en début de mois que nous sommes allés à sa rencontre.
Photo : Astrée Angot
1 – Demi portion : « Attitude » (Bonjour la France, 2000)
C’était sur Bonjour la France, ma première cassette, mon premier enregistrement… Après ça il y a eu la mixtape Extralarge 2 d’Ol’Tenzano. C’est vraiment les débuts de Demi Portion et des Grandes Gueules. Les souvenirs que j’ai c’est ceux d’un petit crevard de Sète, qui aimait le rap, et qui est monté à Paris en fraudant pour loger chez Fabe à Marcadet, dans le 18ème. Il m’avait accueilli chez lui à cette époque. J’ai assisté à l’enregistrement de la plupart des sons de La rage de dire, son dernier album, qu’il a fait chez lui.
Tu as donc assisté à la fin de sa carrière.
Exactement. Il était en couple avec China, puis il a rencontré la femme qu’il a épousée.
Fabe a-t-il eu un rôle déterminant dans ton parcours ?
De ouf. J’ai perdu mon père en 1999, il était venu pour un atelier à Sète, pour un master class ou un truc comme ça. Il y avait eu un petit concours, j’avais perdu je me souviens. Il m’avait ensuite proposé de venir chez lui, vu qu’il avait perdu son père comme moi et qu’il avait vécu à peu près les mêmes choses… Donc c’est une personne importante dans mon parcours oui, comme Ekoué chez qui j’allais aussi dormir très souvent, il me prêtait sa chambre universitaire. J’étais un petit garçon qui montait à Paris, c’était immense, j’étais comme un extra-terrestre ! J’allais aux studio Double H, ou à la radio pour le Cut Killer Show, et ça me paraissait fou !
On sait moins pour Ekoué.
J’en parle dans « Chronologie » sur Au Paradis d’enfer. Sur cet album on a invité Ekoué d’ailleurs, ainsi que Flynt, Rim’K et Mysa. Et sur le premier maxi vinyle des Grandes Gueules tu peux retrouver Le Bavar de la Rumeur.
2 – Les Grandes Gueules – « Rien de trop fun » (Maxi Loin d’la fermer, 2005)
C’est le premier maxi du groupe. A l’époque on nous disait qu’il fallait sortir un maxi vinyle. Nous on faisait plutôt des scènes et des freestyles, on avait un autre type de parcours axé sur l’écriture, les ateliers, rapper à la fin des concerts à Sète comme ceux de La Cliqua, de 2Bal 2Neg’…
C’est donc votre première sortie concrète.
Exactement. C’est Adil El Kabir, qui sortait pas mal de projets avec AL de Dijon, bossait avec DJ Saxe, qui nous a fait la prod. C’était les grands frères, ils nous ont aiguillés pour avoir de bonnes paroles, nous appliquer, faire de bonnes rimes, ne pas parler verlan… A 12 ou 13 ans, quand tu écris tes premiers textes, tu mets des « wesh », « pute », tu ne maîtrises pas bien la langue. Et eux ils étaient là pour nous dire qu’il n’y a pas que le quartier, tu ne peux pas que raconter que c’est la galère, que tu manges des kebabs…
Tu disais en interview que la participation à ces ateliers était conditionnée par les résultats scolaires.
Oui, si on n’avait pas de bonnes notes on ne pouvait pas aller aux ateliers d’Adil. Il fallait montrer nos bulletins. Vu que c’était à la Passerelle, la seule MJC / salle de concert, on avait l’impression d’être punis de fou s’ils ne nous prenaient pas.
Y a-t-il une chance de voir un jour un nouveau projet des Grandes Gueules ?
Personnellement, depuis le temps qu’on en parle… En fait Sprinter m’a fait beaucoup de prods sur Super héros : « La sirène », « Arrête »… Il signe sous le nom de Sheemi, comme moi à l’époque où je faisais des prods en tant que Beep Beep. Donc là il est en mode prod depuis 5-6 ans, il est à fond dedans. Il est à fond, dans une nouvelle vibe. On n’en parle pas mais il a dû stocker plus de 300 prods. Il aime beaucoup les sons nouveaux, actuels, les ambiances à la Gros Mo. Mais on parle d’un nouveau projet Grandes Gueules, il suffit de se motiver…
Du coup le binôme existe encore, même si vous travaillez différemment aujourd’hui.
Exactement. Il est sur Sète, c’est là qu’il a son studio et tout son matériel. On se voit pratiquement tous les jours. C’est vrai que faire un album comme on l’a déjà fait, ça ne nous intéresse pas. On veut essayer de ne pas faire de copier / coller, de trouver autre chose, qui colle à son image. Il a un délire qui peut être pas mal, et je le suivrai s’il le faut, comme lui m’a suivi dans tout ce que j’ai fait.
3 – Demi Portion feat. Mysa – « On n’peut pas plaire » (Compilation On n’peut pas plaire à tout le monde II, 2007)
Mysa, sur ONPP, c’était en 2007.
C’est le volume 2, que tu réalises avec Sprinter.
Oui, tu retrouves déjà Monotof aussi sur le projet. Ce volume était un double CD, tu retrouves plus de titres, plus de solos. C’était une mixtape, enregistrée avec une carte son et un mic dans un Formule 1 à Paris, enfermés, avec des gens qui passent pour enregistrer. C’est cette façon de faire du rap qui me donne envie de continuer à en faire. Plein de bons souvenirs, plein de tracks, j’avais kiffé sur plein de faces B.
Avec Mysa c’est le début d’une vraie relation artistique, vous avez collaboré plusieurs fois après ce morceau.
De ouf, c’était un coup de cœur pour moi, c’était un artiste qui était loin, un peu trop loin même. Je l’ai encore au téléphone très souvent, big up à lui.
4 – Demi Portion – « Mon dico Vol. 1 » (EP 8 titres et demi Vol.1, 2008)
« Mon dico 1 » ! Mon premier clip solo, après les freestyles T-Max, les vidéos… C’est sur une de mes prods. Je l’ai enregistré à la maison, et c’est un délire qui m’a suivi jusqu’à aujourd’hui.
D’où te vient ce concept ?
Je ne sais même pas pour être honnête. C’est sorti comme ça. J’ai dit « espoir », et c’était parti. A l’époque c’était le délire des prods Mobb Deepiennes, un petit beat, une boucle, tout ça sur Fruity Loop… Le concept m’a suivi jusqu’au IV, et là j’en prépare un cinquième. Beaucoup de gens m’ont découvert sur un des « Mon dico »
Le clip est très propre, pour un premier clip solo…
C’était des gars carrés qui faisaient mes clips à cette époque, ils avaient un trépied, une grosse caméra, la petite idée qui va bien…
Tu as sorti 5 EP et 5 albums. Tu affectionnes particulièrement le format EP ?
Comment t’expliquer… A l’époque ces EP étaient des tops du lecteur de mon compte Myspace. Je mettais les sons à télécharger. J’ai mis « Mon dico », « J’ai vu » avec Utopie, le morceau avec Le Vrai Ben… Que des morceaux qu’on mettait en écoute mais dont on ne faisait rien. J’ai donc regroupé des tracks existants pour en faire des EP comme les deux volets de Sous le choc. Je ne me disais pas : « Je vais écrire pour sortir un EP. »
Tu ne les travaillais pas comme tes albums donc.
Exactement.
Sur le deuxième volet de 8 titres et demi, je me souviens d’une dédicace au site de téléchargement Seeneey.
Oui, de ouf !
J’en parle parce que ça prenait le contrepied des rappeurs qui trouvaient que le site sabotait leur boulot…
Je ne gagnais pas un rond avec ma musique, donc je considère qu’il m’a beaucoup aidé à l’époque en mettant mes sons à télécharger, en les diffusant. On a essayé de gagner des sous avec les ONPP, ou du moins on a essayé de retomber sur nos pieds, mais c’était dur. Si j’avais compté sur la thune… On montait sur Paris avec 100 ou 200 CD, et T-Max nous en prenait 5, Urban 10 en dépôt-vente… Au final tu es monté pour déposer 25 CD, donc tu rentres chez toi bredouille, découragé. C’est comme ça que ça se passait à l’époque. On sortait nos disques par passion.
5 – Demi Portion – « Une vie particulière » (EP Sous le choc, 2010 / Artisan du bic, 2011)
Une face B de Dr Dre kickée à la maison, clip en noir et blanc. C’est sur la même lancée que le précédent, des morceaux comme « Non merci »
Tu as placé un remix de ce morceau sur Artisan du bic.
Artisan du bic est lui aussi composé de morceaux balancés sur le net comme « Rêves de gosse », « On m’a dit »… J’ai pris tous ces morceaux et j’en ai fait un album.
Tu le considères comme ton premier album ?
C’est mon premier album, je le considère comme ma première carte de visite, même si c’est vraiment de l’artisanat. Je l’ai mixé et masterisé moi-même avec des vieux plug-ins… Il est sorti en même temps que celui de Mokless, Le poids des mots.
La transition est parfaite !
6 – Mokless feat. Demi Portion – « Sur nos gardes » (Le poids des mots, 2011)
L’album de Mokless… (Il sourit) Ça me fait penser que je n’ai jamais fait de feat avec la Scred entière.
Tu as une relation très particulière avec eux.
De fou.
Des fois on a l’impression que tu portes l’étendard de la Scred Connexion, comme si tu représentais l’étendard dans le sud un peu…
Trouve-moi des acapellas de Fabe et c’est parti, je fais que des remix ! (rires) Mais c’est vrai, je suis fier de pouvoir dire qu’on est des super-héros de ce hip-hop perdu. On défend un rap bizarre, on est des extraterrestres. On n’a pas de décors sur scène, on est avec un DJ qui bouge comme un fou. On a encore une méthode un peu à l’ancienne avec deux platines et deux rappeurs, sans trop suivre la feuille de route. C’est bien de garder cet état d’esprit.
La Scred a une identité très parisienne…
(Il coupe) Mais leur logo a fait le tour du monde ! En plus ils n’ont plus besoin de sortir d’albums pour faire parler d’eux. Leur boutique les aide à garder une belle image, ils font de belles choses.
Ta présence sur l’album de Mokless, c’était une évidence ?
Ouais, c’est lui qui m’a invité, je suis venu… (Il réfléchit) Ah non, il est venu à Sète, on devait le mettre sur mon projet, puis il m’a dit qu’il le voulait. Franchement on l’a fait à l’arrache, à la maison, puis on l’a clipé avec Clément Sellin, un pote à lui. Tous les sons de cette époque étaient faits à l’arrache. Tu te retrouves en studio avec quelqu’un, tu sais même pas comment, comme avec Guizmo par exemple avec qui j’ai posé des acappellas, il y avait Nekfeu, L’Entourage…
A cette époque tu travaillais plus ou moins avec Y&W…
A l’époque on devait sortir un 6 titres avec eux pour un CD sampler de Rap Mag, avec un solo par artiste. Et finalement ça s’est passé autrement, je n’en garde pas un bon souvenir…
7 – Fayçal feat. Demi Portion – « Quelques rimes sous le ciel » (L’or du commun, 2013)
Une des plus grosses plumes du rap. Tu dois écouter ses morceaux plusieurs fois et sortir le dictionnaire pour comprendre ses morceaux. Humainement c’est un tueur, pareil que son équipe.
Vous vous êtes beaucoup croisés sur des plateaux…
De ouf, que ce soit avec lui, L’Hexaler ou d’autres. On s’est bien entendu humainement, ce qui a naturellement abouti sur des featurings.
8 – Demi Portion – « Poignée de punchlines » (Dragon Rash, 2015)
Ma première Poignée de punchlines, sur une instru d’El Gaouli, puisque Beep Beep avait arrêté. (sourire) C’est Lacraps qui a monté et filmé ma poignée. J’en ai fait une deuxième, et je l’ai clippée hier justement, par respect pour le délire de Give Me 5.
Tu as placé ce morceau sur ton album Dragon Rash. As-tu senti un avant et après Dragon Rash ?
Le morceau « Dragon Rash » et son clip étaient sorti un an avant, c’était un clin d’œil aux dessins animés de l’époque comme Nicky Larson par exemple. Il avait été clippé par Tekilla, Lacraps et Sébastien du Studio 411. Finalement je sors un album un an après en prenant le titre d’un son qui est déjà sorti, je me disais que ça n’allait pas marcher, et ce n’était pas le but. C’est la première fois que je faisais des feats pour un album en dehors de Sprinter ou Monotof. C’est quelque chose que je faisais très rarement. Sur cet album j’ai invité Oxmo Puccino, et il y a aussi le titre « Mon dico remix » avec plein de monde. On avait beaucoup tourné avec l’album Les histoires (2013), mais en vendant seulement 1000 albums. On ne pensait pas que le public allait suivre, et du jour au lendemain, on a fait 25 000 pour Dragon Rash. On s’est dit : « Il y a un problème là ». L’effet manga a dû participer à l’engouement.
9 – Monotof feat. Demi Portion – « Lentement » (Hors Série, 2017)
Ça c’est Mono, Mkash à la prod. Lui et Mono, ce sont des frères que je connais depuis le départ. Quand Mono m’a invité à faire un son, j’avais déjà une petite instru à la maison. J’ai posé, il m’a suivi, puis on a clippé avec un frangin à lui. J’aime bien faire des trucs comme ça, donner de la force si je peux, comme avec Fanny Polly récemment. Après des feats j’en ai fait tellement… On ne me rend pas toujours la force que je donne.
Dans cet état d’esprit, j’ai fait un festival, en essayant de rassembler beaucoup de monde. Ce n’est pas facile de placer Davodka et Youssoupha le même soir, pouvoir se dire qu’on est tous ensemble. Je suis fier de pouvoir montrer qu’on peut faire ça tous les ans, de rassembler tout ce monde sur un plateau sans forcément avoir de grosse machine derrière. Mais voilà, j’ai toujours aimé faire de bonnes connexions avec de bonnes personnes, et Mono en fait partie.
Quand on vous voit sur scène, on a l’impression que vous vous êtes trouvés avec Monotof, que vous formez un binôme.
On le ressent nous aussi ! Il transpire autant que moi sur scène. Il fait partie de mon équipe, et il me donne de la force en bougeant avec moi dans le trou du cul de la France, en quittant Sète tous les week-ends pour aller s’enfermer dans des salles. (rires)
Ça ne doit pas être désagréable non plus de jouer tous les week ends devant des salles pleines…
On ne remplit pas toujours ! Mais on est toujours là et on kiffe jouer devant 50 personnes s’il le faut. Rolxx, Mono et Mehdizik jouent un grand rôle sur toutes mes dates.
Beaucoup de gens t’ont identifié par rapport au Demi Festival. Qu’est-ce que ça représente pour toi ?
Mon premier concert comme tête d’affiche dans ma ville je l’ai fait avec le Demi Festival. Je ne l’avais jamais fait avant. J’avais fait des premières parties de Psy4, Sinik, IAM, mais avec des sets très réduits. J’ai fait tous les festivals de rappeurs, comme les premiers Narvalow, Scred Festival… C’est parti de l’envie de faire un concert de Demi Portion dans ma ville, puis est venue l’idée de reprendre le délire du Scred Festival chez moi, et puis c’est parti en couilles. J’ai fait mon premier concert chez moi dans une ambiance de bâtard qui m’a suivi jusqu’à la troisième édition, dans un cadre incroyable.
10 – Demi Portion – « Retour aux sources » (Super Héros, 2018)
« Retour aux sources ». J’ai sorti un album tous les deux ans depuis 2011, et finalement j’ai sorti Super héros un an après 2 chez moi, pour faire un contre temps, avec un seul feat : IAM. Tu peux retrouver beaucoup de refrains chantonnés, c’est un album sur lequel je voulais m’essayer. Il n’y a que le dernier morceau qui est plus boom bap.
Sur les derniers projets on sent que tu t’ouvres davantage aux sonorités actuelles, alors que jusqu’à il y a quelques années, tu étais plus un défenseur de l’ancienne école.
J’aime pouvoir me permettre de ne pas faire du copier / coller avec ce que j’ai déjà fait avant, mais également être libre de revenir avec un projet plus boom bap comme sur mon prochain album, qui sera plus hip-hop, boom bap, énervé. J’en ressens le besoin. J’aime trop faire des couplets en one shot par exemple.