On a écouté « Parlons beuh » de Taipan

Aujourd’hui sort le nouveau projet de Taipan Parlons beuh. Nous avons le privilège de l’avoir entre les oreilles depuis quinze jours, et il faut dire que la consommation a été agréable. Huit titres chargés en THC et images saisissantes, de la provoc’ et du second degré « taipanien », voici un avant-goût d’une défonce langoureuse.

Le 28 octobre dernier, c’est un EP 6 titres du Taip’ qui, comme à chaque fois, avait fait parler. Les auditeurs qui l’attendaient, les journalistes, les commères, les anti, la poudre. Des morceaux comme « PAN », « PPR » ou « Survole », lourds de sens et de contenu, arrivaient en OVNI dans un rap qui ne dit plus grand chose. En mettant en évidence des questions politiques « Tu m’appelles le rêveur ? Et t’as une carte d’électeur ? », en opposant l’interdiction du burkini sur les plages à la gay pride, en questionnant les vrais responsables du terrorisme, il plongeait et replongeait sans cesse avec élégance dans les tourments de la société française des années 2010. Et de conclure une fois les pieds dans la merde, très ironique, « J’parle pas d’politique, c’est pas qu’j’aime pas, c’est qu’j’m’en branle… »

Du rap qui dit des choses (« Passer de la misère à la richesse, ça prend 20 minutes en métro ») autant qu’il sait divertir, qui parle de social ou de fumée verte, en usant aussi bien de mots violents que d’une douce provocation intrinsèque à son personnage, tout en en s’affranchissant du « politiquement correct » : bienvenue dans l’univers de Taipan. Il avait déjà dévoilé en octobre 2015 sa façon de remplir son « Cendrier », via un clip on-ne-peut-plus explicite. Voici donc le projet entier, un an et demi de joints consumés plus tard. Son amour ineffable pour la weed fera sourire plus d’un rouleur de spliffs ,et bien qu’il n’apparaisse pas comme un projet ouvert à différentes ambiances, il pourrait surprendre voire contaminer des non-fumeurs. La tracklist parle d’elle-même, les images fusent d’emblée : « Je viens d’un coin sinistre et d’une région de la France où tu trouves plus vite de la drogue que de raisons de pas en prendre », ou bien « C’est moins mauvais pour la santé de fumer de shit que d’en vendre » accusant par la même le stress causé par l’activité de dealer. « Fénéné », sample délicat du classique de Cypress Hill « Hits from the Bong », tournera cet été dans les caisses, sur les plages, dans les coffees et même dans les tipis. A terme, il pourrait devenir un hymne aux pro-légalisation du cannabis. L’écriture s’avère tellement dense qu’on a parfois le sentiment de participer à du stand-up où le MC distribue les vannes, de la recherche d’emploi au cousin schizophrène, le tout loin des raps à la mode ou des codes traditionnels du genre. Taipan construit ses thèmes autour d’une logique de dénonciation et une thématique omniprésente. Ne s’interdisant rien, il poursuit sa narration parfois perçue comme du troll, à mi-chemin entre le subtil et le hardcore, ni rappeur engagé ni rasta blanc refoulé, ni moralisateur ni incitateur. «Je suis tombé dans le bédo, jamais dans la coke / Malheur ! J’évite le piège, je suis pas fou ma gueule, vaut mieux rouler que finir dans la neige, regarde Schumacher ».

Si bien des auditeurs n’encaissent pas sa misogynie dont on ne sait si elle relève du second degré ou d’une conviction réelle, ses positions engagées laissent à penser qu’il se plait à jouer avec les codes de bonne conduite sans trahir ses valeurs, ni s’affirmer comme un porte-parole. Un indice ? L’un des deux seuls featurings sur « Parlons beuh » répond au nom de Sowlie, jeune chanteuse de new soul/R&B que l’on avait découvert sur l’album Libre d’A2H. Un contre-indice ? La tracklist qui contient les titres « Ma femme fume » et « Bedo, bonne femme et sirop pour la toux ». Rien n’est laissé au hasard. L’autre invité, lui, chantait crânement qu’il fumait de la « bonne weed » déjà en 2010, l’un des meilleurs artistes issus de la scène reggae-dancehall française et incontestablement LE meilleur toaster des dix dernières années : Taïro.  « Ma femme fume », éternelle remise en question de l’égalité homme-femme bâtie sur le modèle de sons qui ont marqué les années 2000 comme le titre du Royal Squad (extrait de la B.O. du film « La Squale ») ou le son de Faf Larage (extrait lui de la B.O. du film « La Beuze »). Taip et Taï se révèle une connexion évidente qui fonctionne.

Taipan fume, roule, fait tourner, met l’ambiance et donne le ton d’une musique qui reflète sa personnalité. Parlons beuh n’est pas moins un jeu de mot qu’une ode à la décontraction et à la simplicité, et les pistes se goûtent les unes après les autres, comme savent déguster les amateurs d’herbe à l’image de Caballero & JeanJass, ou Action Bronson de l’autre côté de l’Atlantique. Le rap français semble d’ailleurs s’intéresser de nouveau à la thématique, avec des médias spécialisés comme Jacker Mag ou des MC’s qui en parlent régulièrement comme Taipan ou A2H, lui qui compte parmi ses classiques des titres comme « Pass pass le oinj » de NTM ou « Spliff » de Big Red.

On se laisse porter par la quintessence des images qui se marie bien à l’atmosphère planante de l’album, et même si un ou deux titres comme « La voix des anges » sont moins captivants, l’artiste nous glisse subrepticement dans son lit pour un moment de passion intense, une intimité dans laquelle beaucoup se remémoreront des souvenirs exquis. Pragmatique « Si y’a pas de solution, c’est qu’il n’y a pas de problème », provocant, détendu, le serpent n’a pas gaspillé son venin, il a craché au bon endroit au bon moment. L’imagerie est plus facile d’accès, les prods modernisées et auto-produites sont un régal, le fond est toujours sérieux et l’écriture soignée. Point de rap en onomatopée ou d’ambiance club, Taipan s’est affranchit de Bomayé Musik en 2017 comme pour mieux exprimer librement son propos et ne correspondre, irréversiblement, à aucun format. Il en a profité pour fonder E2 Musique, label qu’il a créé avec son ami Karim.

Celui qui a participé au dernier Rap Contenders traîne son air nonchalant avec classe. Il emmène ses auditeurs là où il veut, sans les piéger, mais sans les avertir non plus, dans une sorte de ride enfumée. Il prouve surtout que la consommation auditive de drogues douces peut-être addictive, mais n’est ni excluante, ni incompatible avec la qualité. Son goût pour l’herbe n’est en rien un frein à la créativité, bien au contraire. Il a réussi le pari d’imposer une thématique forte, clivante, auprès d’une population qui représente tout de même les plus gros consommateurs d’Europe de cannabis.  Il pousse le concept jusqu’à proposer une weed baptisée « Taipan KUSH » qui devrait arriver dans vos grinder à la rentrée. Une bonne dose d’humour et de positionnement, une pochette hautement symbolique, un deuxième clip riche en messages, Taïpan, c’est une certaine idée de la musique. Parlons beuh, ça sent bon.

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