Veerus, l’interview Mercure

En ce mois d’avril, le rappeur de Dunkerque et  membre du collectif Jayfly s’apprête à sortir un EP intitulé Mercure, entièrement produit par Ikaz. L’occasion pour nous de lui poser quelques questions et de discuter avec lui de sa carrière.

Pour commencer, nous te proposons de revenir sur ta discographie. Tu t’es fait connaître à l’époque avec Nouvelle Aube, entièrement produit par J.Kid.

Nouvelle Aube est effectivement mon premier projet qui date de 2011. Il faut savoir qu’à l’époque  j’écrivais plutôt des freestyles. Suite à ça mon grand frère m’a connecté avec J.Kid, producteur de ma ville. C’est quelqu’un de très doué, de très musical. Cependant, vu que c’était mes débuts, on ne savait pas vers quel univers se tourner. On a testé beaucoup de choses et au final on a tenté de donner une couleur singulière. Ce sont plutôt mes textes qui ont orienté la musique pour que l’ensemble soit cohérent, tout en choisissant de ne pas opter pour du boom bap classique.

A l’époque, nous avions été marqués par le fait que tu sois arrivé avec une identité forte pour un premier projet. Quand tu as sorti Apex l’année suivante, ce choix était encore plus marqué. Nous pensons par exemple à un morceau comme « Tueur né ». 

Dès que nous avons sorti Nouvelle Aube, nous avons eu beaucoup de bons retours. J’ai pu me connecter à la scène parisienne. Il n’y a pas eu de temps mort et on s’est mis à bosser sur Apex dans la foulée. Je crois que le premier morceau a été « Où on vit » avec Alpha Wann. J’ai été sollicité par pas mal de beatmakers. J’étais retissent au début car je n’envisageais de bosser qu’avec J.Kid. Au final j’ai reçu des prods vraiment chaudes et je me suis ouvert. Par exemple, le beat de « Tueur né » a été fait par Everydayz, un producteur très talentueux. Cela m’a poussé à collaborer avec d’autres artistes. Deux semaines de studio pleines et j’ai pu ressortir avec Apex.

Pour clore la trilogie, ce fût au tour du mini-album Minuit de voir le jour, dans la progression logique d’Apex mais avec des sonorités un peu plus future beats…

En fait Nouvelle Aube c’était vraiment le début pour moi. Apex le développement et Minuit l’apogée dans ce même style. Minuit, c’est un peu les textes de Nouvelle Aube sur des prods à la manière d’Apex. Dans Apex j’ai introduit pas mal d’egotrip, de morceau freestyles, alors que sur Nouvelle Aube je développais plus de thèmes. Pour Minuit, je suis revenu à des textes un peu plus profonds mais avec des sonorités encore plus actuelles que sur Apex dans le but de  boucler la trilogie.

Tu as sorti ensuite Visions. Nous avons l’impression qu’il est passé plus inaperçu que  les trois précédents opus alors que c’est un excellent projet. Pourquoi ce choix de l’avoir limité à 500 exemplaires digitaux payants?

Pour moi c’est une manière de valoriser la musique, rappeler aux gens qu’à l’époque il fallait creuser pour écouter du bon son. Il fallait chercher dans les magazines rap spécialisés, s’intéresser aux chroniques, écouter les albums en entier. Il y avait moins de clips et l’accès à l’information était plus difficile. On faisait l’effort, on découvrait les bons disques ensemble. Maintenant il y a énormément de sites de rap, beaucoup de moyens d’accéder à la musique mais les auditeurs ont la flemme car tout va trop vite et ils sont submergés d’infos. L’idée de proposer Visions en édition limitée était une manière de dire que je ne fais pas de la musique discount, j’essaie de m’appliquer, de mettre de l’âme. C’est une façon de suggérer aux gens de faire l’effort d’aller vers la musique. Lorsque je sortirai un projet libre d’accès, j’aimerais qu’ils gardent cette démarche, qu’ils valorisent mon travail.

Depuis le début de ta carrière, tu sembles suivre une ligne directrice artistique claire. Tu as équilibré tes featurings avec des rappeurs très forts dans leurs styles comme Perso, Ron Brice, ou les membres de Jayfly, qui n’ont pas forcement la reconnaissance qu’ils mériteraient, avec des collaborations plus cotées. 

Nous on travaille toujours en équipe. Tous les gars avec qui j’ai fait des feats sont des personnes avec qui j’ai des bons rapports. On suit nos travaux respectifs via internet. J’aime bien avoir sur le même projet des artistes connus et d’autres moins car par exemple, si un fan de Deen Burbigo vient écouter mon projet, il va pouvoir découvrir un artiste comme Monsieur Malik. Si j’avais cherché le buzz, j’aurai pu faire un projet avec que des mecs connus sans problème, mais cela ne m’intéresse pas.

Justement par rapport à cette remarque, nous nous souvenons d’un Planète Rap du  groupe 1995 sorti en 2012, où tu poses un couplet qui avait mis tout le monde d’accord, tant les MC’s présents que les auditeurs. Tu n’as jamais pensé à rapper sur des instrus plus classiques pour tenter de faire parler de toi davantage?

Il y a une phrase de mon premier EP qui résume parfaitement ma pensée à ce sujet: « Maître de mon échec plutôt qu’esclave de ma réussite« . Si je réussis, je veux que ce soit avec la manière. Au foot, gagner 1 à 0 avec des longs ballons, ça ne m’intéresse pas. Je préfère perdre 3 à 2 avec du jeu au sol. Je privilégie le beau geste, le beau jeu. Je fais de la musique parce que c’est de l’art, pour procurer des émotions, des sensations.

D’ailleurs, est-ce que tu ne penses pas que le temps t’a donné raison au niveau de ton orientation artistique, dans le sens où maintenant les artistes se tournent plutôt vers des instrumentales moins boom bap, plus modernes et électroniques ?

Je n’ai jamais fait de la Tecktonik quand c’était la mode alors je ne voyais pas l’intérêt de faire du boom bap pour faire comme tout le monde. Je rappais sur du boom bap quand ce n’était pas la mode justement. Quand il est revenu à la mode, moi ça m’avait déjà saoulé. Après, à aucun moment je ne  veux dire que j’étais en avance. C’est juste que j’avais ma vision des choses. J’aurais sans doute pu être plus reconnu que je ne le suis actuellement mais je suis très heureux de ma situation. Les gens qui m’écoutent le font de manière sincère. Je préfère être dans ce cas que des auditeurs viennent me dire « Je kiffe trop ce que tu fais ! » mais qui au final ils ne connaîtraient deux sons de moi. Je trouve que c’est valorisant, je sais que je ne fais pas des projets dans le vide et que les personnes qui m’écoutent ne les zappent pas de suite.

Si on observe ta discographie, tu as sorti des projets en 2011, 2012, 2014, 2015, tu vas sortir Mercure dans quelques jours, et malgré ça, tu as la réputation d’être un MC peu productif. C’est assez paradoxal. Comment expliques-tu cela?

Pour moi l’important est le fait que mes projets durent dans le temps. Si je réécoute des morceaux de Nouvelle Aube, je n’en ai pas honte. Même lyricalement, je ne me dis pas que je suis « has been ». Ils n’ont pas mal vieilli. Pour moi, c’est le temps qui te donne raison. C’était il y a six ans et avec le recul j’en suis toujours fier. Je pense avoir été productif en sortant quatre projets en six ans, avec des freestyles et des featurings à côté. Nous sommes dans une époque où tout va vite mais on pourra faire le bilan dans dix ans entre ma carrière et celle d’autres rappeurs. Je suis quelqu’un qui écrit très vite, et j’avais deux ou trois albums de prêts que je n’ai jamais sortis. Donc je peux comprendre qu’il y ait de l’attente car je pourrais être plus productif mais mon objectif est d’offrir le maximum de qualité. En tout cas durant les prochains mois les auditeurs vont être servis.

Parlons maintenant de Mercure. Tu as signé récemment chez PIAS pour sa sortie. Que va t’apporter ce partenariat avec cette maison de disques?

Au niveau de Mercure, on a tout pensé et réalisé avec Ikaz. Au niveau de la production, des choix artistiques, nous avons tout fait ensemble. Il a réalisé et mixé le projet. On l’a enregistré au studio Orfèvre en moins d’une semaine avec l’aide d’Espiiem. En ce qui concerne PIAS, ils m’apportent une manière plus cadrée de travailler, un peu plus de moyens, de contacts et de structure pour bosser. C’est un accès plus facile à mes ambitions. J’ai créé mon label qui s’appelle Maison Noire et on travaille main dans la main avec PIAS pour produire des projets de qualité.

Du coup dans Maison Noire il y aura d’autres artistes?

Tout à fait, je suis le premier à sortir un EP mais d’autres choses arrivent par la suite. Vous verrez ça bientôt.

Peux-tu nous expliquer le concept de Mercure. Pourquoi avoir choisi ce titre et cette pochette?

En fait, j’ai choisi ce nom tout d’abord pour la planète, car je trouvais intéressant de venir d’un endroit lointain, car moi même en France je suis originaire d’un endroit éloigné du reste. Je trouvais ce parallèle intéressant. Le mercure est également l’indicateur entre le chaud et le froid. Je viens du Nord où il fait très froid et j’essaie de faire du rap chaud. Je viens aussi prendre la température. On s’est mis d’accord sur ce concept avec Ikaz et dans la foulée j’ai fait le morceau « Mercure ».

Sur le track intitulé « Présidentiel », le beat est clairement divisé en deux parties, avec une première dans la lignée des instrumentales du projet mais une seconde beaucoup plus jazzy. Cela peut rappeler les interludes présents sur certains albums ou les chansons cachées à la mode à une certaine époque.

Quand je travaille avec Ikaz, nous n’avons pas de processus de création défini. On venait de terminer le morceau « Présidentiel » et je lui ai dit: « Il faudrait quelque chose de différent pour la suite. Comme un morceau caché« . Il m’a répondu: « Justement, j’ai une boucle de jazz en stock mais elle est brute, telle quelle« . C’était exactement ce qu’il me fallait. Hors format par rapport aux autre sonorités de l’EP qui sont très actuelles. Je voulais quelque chose qui dénote par rapport au reste. C’était aussi une manière d’amener le son qui suit  « Quelques secondes », beaucoup plus doux. Ce que j’aime c’est que ça évite de trop cataloguer Mercure dans un style précis.

Tu travailles avec Ikaz depuis de nombreuses années maintenant. C’est un beatmaker qui n’a cessé de progresser et d’évoluer. Qu’est-ce que t’a apporté le fait de faire de la musique à ses côtés?

En fait on bosse ensemble au quotidien depuis quasiment dix ans. On est de vrais amis, on part en vacances ensemble. Je suis son évolution et indirectement il m’a influencé dans mes décisions artistiques. J’écoutais ses projets de prods et je kiffais ce délire sans forcément rapper sur ce style-là. Je trouvais ça dommage donc je m’y suis mis.

Ce type d’instrumentales t’a permis aussi de tenter de nouvelles choses. Il donne beaucoup d’importance à la musique et permet d’aérer tes placements et d’épurer ton écriture.

Exactement. Les prods sur des BPM plus lent, j’avais fait le tour. Je savais comment rapper dessus. Du coup j’a décidé de sortir de ma zone de confort, d’essayer autre chose. J’ai dû épurer mon rap pour privilégier le « groove » et pour que les images que je transmets aillent plus vite dans la tête des gens. Le beat est tellement massif que si tu ne fais pas passer rapidement ces images, tu vas perdre l’auditeur au bout de 30 secondes. Il faut trouver le bon équilibre. J’ai voulu montrer aux gens que je pouvais rapper sur ces instrus mais ce n’est pas une fin en soi. C’est juste les prémices de ce qui va arriver prochainement.

Pourquoi avoir choisi de ne pas inviter d’autres rappeurs sur Mercure?

En fait c’est déjà compliqué de faire des morceaux avec deux têtes pensantes. En plus on voulait vraiment faire cet EP dans l’instant. Sachant que lui fait des prods, mixe et réalise et que moi je rappe et trouve des concepts, c’était suffisant. On trouvait dommage de collaborer depuis si longtemps ensemble musicalement mais de n’avoir aucun projet commun.

Tu as annoncé la sortie d’un album après Mercure qui s’appellera Iceberg Slim « Volume 1 ». Il sera dans la lignée de l’EP?

Ce sera dans la même vibe mais il aura sa propre couleur. Je ne peux pas en dire beaucoup plus pour le moment, ni même mentionner une date de sortie car elle n’est pas définie.

Sur Minuit, tu as un morceau avec le saxophoniste Nicolas Baudino (« Une dernière fois ») et on t’a également vu sur scène avec des musiciens au cours de la Big Session. Est-ce que tu envisages de renouveler ce type de collaboration?

J’aime bien faire ça mais de manière ponctuelle. Le côté électronique de la musique sur scène, qui tape fort, le fait que ce soit vivant, que les instruments me poussent à rapper fort, cet ensemble me plait. Le côté organique aussi mais je pense qu’il doit venir par touche. Sur un projet, alterner des morceaux avec des samples classiques avec d’autres sons plus trap, je trouve que c’est le plus efficace. Il ne faut pas perdre le côté « impact » de la musique mais il ne faut pas non plus perdre son côté raffiné, il faut un équilibre.

Dans les dernières collaborations que tu as réalisées en dehors de tes projets, il y a le feat avec Freeze Corleone et celui avec Sneazzy. Comment se sont faites ces connexions ? 

Avec Freez, on s’était vus sur Paris vers 2010. Il s’était connecté avec Ikaz et on s’est donc rencontrés à cette occasion. On était resté en contact mais on n’avait jamais trouvé le temps de faire un morceau. C’était assez complexe. Pour le morceau « Jacques Chirac », j’avais la prod d’avance et je la lui ai proposée. Dans la nuit il m’a envoyé son couplet et le lendemain j’étais en studio pour poser ma partie. Le morceau est assez récent mais la connexion date de plusieurs années. Pour Sneazzy, tu as mentionné le Planète Rap de 2012, et bien on se connaissait même encore avant. Notre rencontre doit dater de 2010, 2011. Cependant ce n’est que maintenant qu’on a concrétisé.

C’est peut-être d’ailleurs le moment le plus cohérent d’avoir choisi de faire un morceau ensemble, sachant qu’il a pris une direction artistique différente de ce qu’il faisait à l’époque avec 1995, et qu’elle se rapproche de la tienne.

Clairement. Maintenant les instrus sur lesquelles il rappe, je pourrais rapper dessus et réciproquement. Avant ce n’aurait pas eu forcément le même impact ni la même cohérence. Certains auditeurs ont peut-être été surpris à l’annonce de ce feat mais je pense qu’il a du sens.

As-tu des concerts de prévus prochainement ?

J’ai des shows de prévus mais il faut encore fixer les dates précises. On veut d’abord bien promouvoir Mercure déjà. En tout cas, nous présenterons le projet sur scène forcément.

Le mot de la fin ?

Ce n’est que le début.

Crédit photo : Alexandre Chac

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