Harbor & Hexpir, l’interview « Double H »

Il fut un temps où l’association Strasbourg-Double H apportait le silex à l’humanité. En 2017, l’opération est 100% locale, menée – entre autres – par Harbor & Hexpir, dont le premier EP commun paraît en ce 31 mars. Neuf pistes qui dévoilent rimes techniques, figures de style travaillées et fond introspectif, des qualités bonifiées par les instrumentaux de G.A.K et Sheldon. L’EP mérite clairement qu’y soit tendues les deux oreilles, au prix peut-être, pour les plus friables mentalement, d’un recours ponctuel au Prozac. Entretien balaie-tout, de la rencontre du duo à l’élaboration de l’EP, en passant par les connexions sur cette planète et ailleurs.

Contez-nous l’histoire de la fusion du Double H.

Hexpir : Grosse histoire ! Mon beatmaker G.A.K et moi-même avions déjà un endroit où on faisait du son. On s’organisait des sessions enregistrement avec Bandicoot et Lapez, des rappeurs de Strasbourg. J’avais une connaissance en commun avec Harbor qui savait qu’on rappait tous les deux, et qui aimait bien ce qu’on faisait. Il y a trois ou quatre ans, elle a ramené Harbor à une de ces sessions rap. Monsieur a rappé, j’ai été choqué…

Harbor : …et la connexion s’est faite. On s’est mis directement à rapper ensemble.

Hexpir : Pour le premier son qu’on a fait, il m’a envoyé un couplet, j’étais tellement choqué que j’ai écrit le mien en 30-45 minutes et lui ai renvoyé direct. Il m’a dit « trop chaud », il est venu et on a directement enregistré le morceau.

La première piste de votre EP (« Chambre intemporelle ») est la seule réellement typée ‘’boom-bap’’ au niveau du BPM et des sonorités. C’est également l’une des deux seules produites par les soins de G.A.K, ton beatmaker habituel Hexpir. C’était une manière de marquer par ce projet une évolution artistique, la fin d’une époque et le début d’une autre ?

Harbor : Je pense que oui. C’est vrai qu’à partir du moment où on a écrit ce track, on a pris un tournant musical. Jusqu’il y a deux ans, on produisait des sons très typés boom-bap, comme tu dis, et là on s’ouvre à des sonorités plus actuelles. Je pense que ce projet s’inscrit dans cette démarche. Mais au niveau des textes, et de la manière dont on a amené ça, je trouve qu’on reste dans ‘’l’esprit’’ boom-bap : un boom-bap actualisé, version 2016-2017.

Hexpir : Je suis assez d’accord. C’est marrant, parce que le premier morceau du projet, c’est celui qui est le plus vieux. On est venus au Dojo (le studio de la 75e session, dans les environs de Paris, ndlr) l’été dernier avec des textes boom-bap, puis Sheldon a transformé les ambiances dans des directions plus actuelles.

C’est vrai que la majorité des instrumentaux porte la marque de Sheldon.

Harbor : Il a vraiment apporté un truc. On a conçu ce projet un peu différemment de ce dont on a l’habitude. A la base, on a posé sur des prods qui ne sont pas celles qui se retrouvent finalement sur le projet. On n’avait aucune prod de Sheldon avant de venir au Dojo, à l’été 2016.

Hexpir : Avant d’y aller, on avait juste les quatre morceaux sur lesquels il y a G.A.K, et quelques textes grattés sur des faces B. Sheldon a reconstruit tous les sons sur faces B, en s’appropriant les pistes de voix pour créer quelque chose de nouveau.

Harbor: On a aussi écrit deux ou trois morceaux directement là-bas, sur des instrus qu’il produisait à ce moment-là. Il y a vraiment eu un travail de création pendant la semaine qu’on a passée au Dojo.

On peut donc considérer que c’est un projet commun, à quatre ?

Hexpir : Dans la réflexion sur ce qu’on voulait raconter, non.

Harbor : Mais dans la réalisation sonore, oui, il y a vraiment eu un travail commun là-bas.

Hexpir : On peut dire en tout cas que Sheldon a eu une influence sur ce projet, il s’est investi à 100%.

Au-delà du rôle de Sheldon et des featurings sur le projet (Inspire, M Le Maudit, Vesti), on tend naturellement à vous rapprocher du ‘’style’’ 75e session, ou DojoKlan, de par votre propre façon de rapper. C’est dû à la rencontre avec eux, ou il existait auparavant des similarités qui ont favorisé les collaborations ?

Hexpir : C’est la seconde option.

Harbor : La connexion s’est faîte au moment où ils sont venus en concert à Strasbourg. J’ai fait un freestyle radio avec Népal, Inspire, Sheldon et Rêve Errant – un gars de Strasbourg. A ce moment-là, nos styles musicaux se rapprochaient, et c’est pour ça que le courant est passé.

Hexpir : Je n’étais pas là, moi, d’ailleurs.

Harbor : Et on est devenus potes avant de faire la musique ensemble. Donc oui, je dirais que c’est plutôt notre manière de rapper qui a engendré la connexion. Maintenant tu verras sur leur prochaines sorties que leurs délires musicaux ont évolué, ça n’a plus rien à voir avec ce qu’on a pu faire sur Double H. Aujourd’hui, nos univers musicaux sont vraiment différents.

En tout cas, l’écoute de votre projet fait directement penser à ce qu’ils ont pu faire jusqu’ici, sans vous dénier tout style propre bien entendu.

Harbor : C’est clair qu’en plus, à partir du moment où on s’est rencontrés, j’ai beaucoup traîné avec eux, notamment Inspire. Donc forcément, même indirectement, j’ai dû être influencé par leur musique.

Hexpir : Un truc qui a aussi pu favoriser la connexion et le sentiment de proximité à l’écoute, c’est qu’Harbor a un univers plutôt… très sombre, que moi je ne suis pas spécialement joyeux non plus… Je ne sais pas comment te l’exprimer, mais musicalement c’est clair qu’il y avait un truc.

Ça tombe bien, la question était programmée : l’EP monte crescendo dans la mélancolie, mis à part quelques apartés assez mystiques. Vous cherchiez volontairement à exprimer une certaine tristesse tout du long, ou c’est dû au hasard et à une spontanéité dans le choix des instrumentaux ?

Harbor : Plus que mélancolique, je dirais introspectif. Au moment de l’écriture, on était dans une phase d’introspection musicale, et peut-être même personnelle.

Hexpir : Totalement même.

Harbor : Quand tu cherches, quand tu n’es pas sûr de tout, tu es obligé d’être sérieux. Je ne me vois pas faire autre chose que ça. C’est ce qui ressort naturellement de ma musique, en ce moment en tout cas. J’ai envie que ce qui sort soit brut.

Hexpir : Ce qui est marrant, c’est que ça n’était pas du tout voulu ! C’est seulement en réécoutant l’EP, après la phase de production, que l’on s’est dit qu’il était vachement sombre. Mais honnêtement, je suis très fier de ce projet, parce qu’il a un fond très sérieux.

Harbor : On n’a ni ligne de conduite, ni ligne directrice. On n’est pas des coupe-veines. C’est juste naturel, brut. Et les titres parlent un peu d’eux-mêmes : « Perdu », « Dedans »… on est dans le vague (rires).

Hexpir : Des niveaux d’âme très inquiétants (rires).

Le fond est brut, mais il faut aller le chercher derrière une technique et des formulations travaillées.

Harbor : Voilà, c’est brut au sens d’honnête, mais bien sûr on s’est appliqués.

Hexpir : On a essayé d’être francs, sincères, de pas se prendre pour je ne sais quoi, de faire du bon son tout simplement.

Harbor : C’est prude.

On trouve beaucoup de références à votre secteur dans cet EP. Strasbourg a vu évoluer quelques rappeurs et groupes d’envergure nationale, N.A.P et Kadaz – avec La Mixture – en tête. Ressentez-vous une filiation par rapport aux scènes précédentes, ou du moins assumez-vous une certaine continuité du rap local ?

Hexpir : Je ne dirais pas qu’on se place en continuité. Après, évidemment, il y a beaucoup de respect pour Kadaz ou N.A.P. On pourrait citer Dooz Kawa aussi.

Toujours à l’ancienne, il y a un rappeur qui s’appelle Mess Bass.

Hexpir : Si si, c’est bien que tu connaisses !

Harbor : Personnellement, je dirais qu’ils ne m’ont pas influencé, mais que je ressens quand même une filiation, parce qu’on vient tous de la même ville, et que donc notre son à tous transpire un peu la même chose, quand même. Pas d’influence particulière dans le rap donc, mais beaucoup de respect, et un sentiment d’appartenance commune. Je ressens une appartenance à cette ville, où il y a toujours de très, très bons rappeurs, et c’est important de le dire. On parlait avant de la connexion avec Paris, mais moi je suis vraiment un gars de Strasbourg, qui aime sa ville et va y rester.

Hexpir : Pareil, quand je te disais qu’on ne se plaçait pas forcément en continuité, c’était par rapport aux styles. Mais Strasbourg, c’est…

« Le fief ».

Hexpir : Voilà, le fief, comme on le dit sur l’EP.

Justement, elle est comment, la scène actuelle à Strasbourg ?

Harbor : Il y a vraiment beaucoup de bons rappeurs qui vont sortir des trucs très chauds à l’avenir.

Hexpir : Il y a plein de gens qui ne se ressemblent pas, font des sons très différents, mais qui sont tous très sérieux.

Sur votre projet, il y a un dénommé Chromy.

Hexpir : C’est le meilleur !

Harbor : C’est mon gars sûr.

Hexpir : Lui il est déjà en…

Harbor : …en 2060, t’inquiète lui il va tout défourailler, promis. Et c’est actuellement l’artiste qui est le plus proche de nous. Il est venu avec nous pendant toute la semaine à Paris.

Hexpir : Il a aussi fait backeur pour pas mal de nos concerts. Vraiment un bon gars.

Harbor : Il y a aussi Sissalah (Bandicoot, des fois, ndlr) sur le projet.

C’est vrai qu’il a quelques projets enregistrés et jamais parus ?

Harbor : C’est vrai que j’ai écouté énormément de sons à lui qui ne sont jamais sortis, et qui ne sortiront probablement jamais. C’est le gars qui m’a fait rapper.

Hexpir : C’est le premier rappeur strasbourgeois que j’ai rencontré.

Harbor : Le grand-père de Strasbourg (rires).

Hexpir : Après niveau scène actuelle il y a aussi SMR, qui lui est de Mulhouse mais qui traîne beaucoup sur Strasbourg. Il est très bon. Lapez aussi, un gars proche de nous qu’on va connecter, c’est sûr.

G.A.B,  DJ Cerk aka Cerky…

Hexpir : G.A.B ça fait longtemps qu’on le suit oui, que de l’amour pour lui.

Et sur le Grand-Est, il y a des connexions en arrivage ?

Harbor : Pour moi, les connexions Grand-Est se résument à SMR.

Hexpir : Moi je suis récemment allé à Nancy avec SMR et Sisalah, il y a beaucoup de bonnes vibes là-bas, on y a enregistré un son chez Ektir (Les gars du coin, ndlr). On va y jouer le 21 avril d’ailleurs, moi tout seul ou avec Harbor. J’ai senti qu’il y avait un truc à faire avec les gens de là-bas. Donc voilà, on va aller explorer le terrain et faire des maquis.

A qui doit-on la pochette de l’EP ?

Hexpir : Un pote à moi qui s’appelle Lucas Dieffenbacher, aka Dieff, qui a également réalisé le clip de « Dedans ». Il a aussi fait quelques clips de mes solos.

Et Jean Richter, qui a réalisé le clip de « Chambre intemporelle » ?

Hexpir : C’est un ancien de la vidéo à Strasbourg.

Harbor : Un incontournable (rires).

Hexpir : Disons qu’il a fait des vidéos avec tous les gens qui se sont lancés récemment sur Strasbourg.

Harbor : Un bon gars, big up à lui. D’ailleurs il va sortir le prochain clip de Lapez.

Vous avez des projets concrets pour la suite ?

Hexpir : Je fais de la musique tout le temps, donc pour l’instant, j’enregistre.

Harbor : Moi je suis encore en cours, donc pour le son ça dépend des périodes. Mais c’est sûr qu’on est en train de se concentrer sur la suite, notamment le prochain projet commun, qui prendra une forme différente. On écrit aussi un peu chacun dans son coin, son univers, pour les projets solos.

Hexpir : On essaie de prendre le meilleur de Double H pour la suite.

Quelque-chose à ajouter qui n’ait pas été abordé ?

Harbor : Le projet est téléchargeable gratuitement sur Haute Culture à partir du 31 mars. Et puis, c’est un peu scred, mais en vérité il y a aussi des CDs qui vont arriver. Je ne voulais pas faire le marchand de tapis donc je le dis à la fin, pour les plus motivés !

EP Double H, en téléchargement gratuit sur Haute-Culture depuis le 31 mars.

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