Chronique : Alkpote – « Sadisme et perversion »

Comment aborder le phénomène Alkpote ? Pour certains, il s’agit d’un génie incompris, au talent démesuré qui sera sans doute consacré 100 ans après sa mort. D’autres parlent au contraire d’un rappeur limité qui ne doit sa notoriété qu’à l’utilisation exagérée d’obscénités. Certains sont plus mesurés et parlent simplement d’un rappeur humoristique, constamment dans l’hyperbole et la vulgarité accrue à son maximum. Une chose est certaine cependant, au cours de ses 15 années dans le rap et de sa discographie incroyablement fournie, l’homme aux multiples surnoms a su se façonner une image durable et unique dans le paysage du rap français. Il est indubitablement un des meilleurs techniciens du game, multipliant les flows et les schémas de rimes à l’intérieur même des couplets. Rimeur de génie, il a su développer au rang d’art l’utilisation du name-droping en en faisant son cheval de bataille au cours de sa longue carrière. Depuis Haine misère et crasse avec son compère d’époque Katana, jusqu’à Sadisme et Perversion, l’aigle royal de Carthage est désormais un emblème de la culture rap en France et ne laisse personne indifférent, que ce soit en bien ou en mal.

Sadisme et perversion est déjà la deuxième trace discographique d’Alkpote cette année. Il avait sorti en janvier Ténébreuse Musique avec Sidisid, un album dense et assez impénétrable pour les non-initiés. Il est cette fois de retour en solitaire ou presque, puisque l’album est intégralement produit par le fidèle DJ Weedim. La production justement, c’est un des gros points forts de cet album. A la fois homogène dans l’ambiance générale mais assez varié dans les mélodies et les sonorités, DJ Weedim prouve qu’il fait partie de la fine fleur des instrumentales trap en rap français. Les subkick sont extrêmement travaillés, c’est d’ailleurs une de ses qualités premières (il était déjà à la production de « La crise » sur L’orgasmixtape). Il est parvenu à apporter une véritable atmosphère générale avec des lignes de batteries assez régulières tout en parvenant à varier les mélodies. L’illustration parfaite est le génial « Amsterdam city gang » où la boucle à la fois estivale et planante correspond parfaitement au morceau et nous donne envie de rouler jusqu’à la ville de Johan Cruyff en écoutant exclusivement ce morceau sur le trajet. Seule exception à cette ambiance trap multifacettes, le titre « Super Fluxxx » qui est un véritable morceau de reggaeton.

La force principale d’Alkpote, surtout depuis L’orgasmixtape, a été de laisser uniquement s’exprimer son personnage, permettant ainsi de tout se permettre. Après quelques essais d’autotune sur les projets précédents et notamment sur l’extraordinaire « Mégapute » présent sur Ténébreuse Musique, il a cette fois décidé de se l’approprier complètement en prouvant qu’il est l’un des rares à maîtriser l’exercice en France (avec PNL et Booba principalement). Ainsi il n’y a pas un track où on ne retrouve pas un soupçon d’autotune savamment dosé qui au final est du plus bel effet, notamment sur « Survivant de l’enfer » qui possède tous les attributs du hit de l’été dans lequel l’empereur de la crasserie chantonne pendant 3 minutes 30.

Rasant son album de tout featuring embarrassant pour la première fois de sa carrière, Alkpote a cette fois choisi de laisser s’exprimer librement sur 15 pistes (dont deux skits hilarants) ce personnage façonné depuis bien longtemps. Alors qu’il annonçait il y a peu l’arrivée imminente de La dernière valse, on sent que ce chef d’œuvre aux allures de 5ème symphonie de Beethoven est proche. Jamais il n’aura poussé ce rap crade qui a fait sa notoriété aussi loin. L’album est presque uniquement constitué d’égotrips de ce style si particulier alliant la multi-syllabique poussée à l’extrême, le name-droping à toutes les sauces et souvent absurde et ce vocabulaire ultra riche dans tous les registres possibles, atteignant probablement son point d’orgue sur l’excellent « Renifle » où il réalise un tour de force impressionnant en faisant rimer François Léotard avec Léonard de Vinci. Ainsi on n’a pas vraiment de morceau à thème contrairement autres projets, excepté « Amsterdam City Gang » et dans une moindre mesure « Pyramides » dans lequel seul le refrain est consacré à ce thème qui lui est si cher.

Si Sadisme et perversion n’est pas la meilleure trace discographique de l’aigle royal de Carthage (dur de faire mieux que L’empereur ou la première Orgasmixtape, il demeure probablement  le plus abouti en ce qui concerne le personnage construit depuis le début de sa carrière. Que ce soit sur « Plan à dix », « Renifle » ou encore dans « Plus pure », il pousse volontairement le bouchon dans ses derniers retranchements. Il est également épatant dans sa capacité à faire progresser sa technique et à multiplier ses variétés de flows. A l’heure où beaucoup de MC’s plus jeunes émergeant aujourd’hui de la masse (notamment le phénomène Hamza) revendiquent complètement l’influence que Jonathan H a pu avoir sur leurs qualités de rappeurs, peut-être que la consécration pointe enfin le bout de son nez pour ce rappeur éternellement mis de côté par le grand public. A l’orée de La dernière valse, il serait bien propice de reconnaître que très peu de MC’s ont tant influencé le rap depuis 2005 avec « charisme et perfection ».

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