Big Budha Cheez, c’est le combo producteur / MC de Montreuil qui fait doucement parler de lui. Nous avons eu la chance d’écouter en avance L’Heure des Loups, le premier album du duo qui sortira le 22 avril. Un LP qui nous plonge dans le rap des années 90, voire 80. Dans les sonorités, on s’y croirait. À l’écoute, la nostalgie de l’effervescence du jeune mouvement hip-hop s’empare de nous. Même le visuel est dans le thème. Police style Street Fighter, veste en cuir, chaîne en or, dégaine à la Erik B and Rakim…
Mais cette simili madeleine de Proust ne nous propose pas seulement un retour en arrière. Car les thèmes sont encore bien d’aujourd’hui : la ride, les femmes, être jeune et causer de l’argent du beurre. Tout en sachant qu’il faut trimer pour faire de la crème. À la tombée de la nuit, Fiasko Proximo, producteur et MC, et Prince Waly, rappeur de son état, nous reçoivent dans leur fief montreuillois pour causer de leur présent.
Salut les gars, et merci de nous recevoir dans vos studios. Étape obligée, pouvez-vous vous présenter pour les lecteurs du Bon Son ?
Prince Waly : Moi c’est Prince Waly, je fais partie de Big Budha Cheez, j’ai 24 ans maintenant. J’habite Montreuil, je fais ma vie à Montreuil.
Fiasko Proximo : Il a tout dit, Fiasko Proximo, membre du duo Big Budha Cheez, et du collectif Exepoq. 24 ans à la fin du mois. On est allés au collège ensemble avec Waly. Et pareil, je suis résident à Montreuil.
En quelques mots, que s’est-il passé pour vous depuis le dernier EP ?
Waly : Le dernier était un 12 titres avec DJ Medfleed, en 2013. Depuis ce temps les gens vont se dire qu’on ne nous a pas beaucoup vus, que c’est fini. Mais on taffait, on bossait, on faisait les projets. Certains ne sont pas sortis, ont été mis de côté, mais on était dans la création. Et en 2016, on a décidé que c’était le moment de sortir un projet. On a réussi à préparer quelque chose de concret. Malgré tout, pendant ces trois ans, il y a eu des apparitions, des featurings avec Alpha Wann, (Myth) Syzer… Après on a essayé de faire notre truc à nous sur un projet.
L’Heure des Loups.
Ouais, L’Heure des Loups, exactement.
C’est quoi le message avec ce titre d’album ? Vous êtes des prédateurs ?
Waly : C’est simple en fait. Nous on est de Montreuil. Et on représente « M. City ». Montreuil ça peut représenter la ville le jour et M. City, la ville la nuit. C’est à partir de la tombée de la nuit que la création se met en marche.
Fiasko : Et là, tu n’as plus que des loups. Tous nos projets ont une référence à M. City. « Ma Routine Roule à M. City », « M.City Citizen ». Là, c’est pour souligner qu’il y a Montreuil le jour, M.City la nuit.
Rentrons dans le vif du sujet. Vous êtes dans l’imagerie, voire l’iconographie du hip-hop des débuts, ou fin des années 80, début 90. Sur votre pochette d’album, on dirait du Erik B & Rakim, Big Daddy Kane etc… Comment vous êtes venus à ça ? Vous avez 24 ans et n’avez pas eu la chance de vivre cette époque.
Fiasko : C’est simple, moi c’est par rapport à mon grand frère, qui écoutait du rap. Donc j’ai écouté du rap de ces années-là. C’est ce qui est resté gravé dans ma tête, et en grandissant je ne me suis pas dit que ça s’améliorait au niveau du son. J’ai un grand respect pour ces années-là, 80, 90. Même pour ce qui se faisait avant, même si ce n’est pas du rap. Et pour la pochette, on s’était basés plutôt sur Bobby Brown. Au final, on a ce rendu et on est archi contents.
Waly : Comme il a dit, même si on était petits à cette époque, j’ai des grands frères et grandes soeurs, et j’ai baigné dedans. Comme avec des fringues. Le plus grand a les moyens, s’achète des fringues, puis les passe aux plus petits. Là c’est pareil. Pour la pochette, c’est surtout des trucs qu’on aime. On kiffe ce délire-là, on trouve ça beau. D’ailleurs, c’est Clifto Cream qui l’a faite cette cover, et c’est Fréderic Coudreau à la photo. On a essayé de faire un truc qui nous parlait, qui nous plaisait. Pas vraiment pour nous donner un style. On est habillés un peu en col roulé, en cuir. C’est des sapes qu’on kifferait mettre, si on pouvait mettre ça tous les jours. La pochette plaît, les gens en parlent, c’est cool.
Dans votre entourage, on voit beaucoup de gens comme Myth Syzer, capables de naviguer vers des sonorités plus électroniques. Ce n’est pas le cas sur cet album, mais ce serait envisageable de sortir un opus dans cette tendance un jour ?
Fiasko : Moi je ne travaille pas avec Myth Syzer, c’est plutôt Waly. Au niveau de ce que tu dis, ce serait tout à fait possible oui. Moi j’ai une vision bien arrêtée sur la musique que je fais. Quand C’est Budha Cheez tu vois, on essaie d’innover sur plein de trucs. Donc arriver sur un délire électro pourquoi pas, tant que ça reste artistique, et proche de ce qu’on fait de base. Ça ne me dérangerait pas parce j’ai écouté des trucs électros, différents.
Ou des productions très chaudes de Myth Syzer, je trouve ça très innovant de base. Ou même les Anglais. Ils sont très très chauds les Anglais. Ils restent les plus forts pour moi sur cette culture « électro-rap » innovante. Moi je ne serais pas du tout contre. En ce moment je bosse beaucoup les productions pour d’autre personnes, et donc je suis toujours à chercher ce que je pourrais mélanger, je ne suis pas encore venu à l’électro, mais ce n’est pas un truc qui me dérangerait.
Dans les Anglais, tu penses à qui ? Des influences High Focus, Ninja Tune, Big Dada, ou plus grime ?
Fiasko : Moi celui qui m’avait le plus marqué c’est Dizzee Rascal. Dans cette ambiance là, il était déjà très chaud. Plus récemment, il y a Skepta que m’a fait découvrir Waly. C’est vraiment violent. Et puis les Anglais ont un passé musical vraiment hardcore. Un peu comme les Américains en fait. Et ils joignent assez bien les deux bouts entre l’innovation et leur passé. Skepta, c’est fou. Les clips qu’il sort, la dégaine qu’il a avec une certaine classe, ses sons… J’ai beaucoup de respect pour ça.
Waly : Je pense même que le futur du rap va se tourner vers l’Angleterre. Sur son label (BBK), je crois que Skepta a même signé Drake. Il a fait un son avec A$AP Nast. Le gars, honnêtement, remonte bien le niveau. Il est vraiment très balèze. Je pense qu’il y a un délire un Angleterre en ce moment qui va bien bien exploser.
On parlait productions tout à l’heure. Fiasko, c’est toi qui les a toutes signées sur L’Heure des Loups ?
Fiasko : Ouais, mais en grande collaboration avec notre ingé son, Côme. J’ai écrit toutes les bases, et il m’a aidé sur plein d’arrangements, sur des basses. Il a aussi fait un gros taf sur les prods. Mais oui j’étais à la conception de toutes les instrus. C’était déjà le cas sur le projet avec Medfleed ou M. City Citizen…
Waly : Mais là c’était beaucoup plus poussé.
Fiasko : On est allé plus loin, il y a eu plus de recherches.
« Le sample, c’est mon ingrédient de base (…) je ne suis pas du tout musicien : j’ai appris tout seul, personne ne m’a expliqué comment on faisait. Je ne connais pas les gammes, je n’ai jamais eu l’occasion. Je me suis lancé dans la sauce comme ça. » – Fiasko Proximo
Sur les prods justement, il y a pas mal de samples. Mais est-ce qu’il y a aussi des sons que tu recrées, que tu recomposes dans l’ambiance de l’époque, avec les outils de l’époque ? Ou bien le sample est ton ingrédient de base ?
Fiasko : C’est mon ingrédient de base vu que je ne suis pas du tout musicien : j’ai appris tout ça tout seul, personne ne m’a expliqué comment on faisait. Je ne connais pas les gammes, je n’en ai jamais eu l’occasion. Je me suis lancé dans la sauce comme ça, et je me sers surtout du sample. Mais parfois il peut y avoir de la composition tirée de samples. Je vais en tirer des bouts, des notes, et j’en fais de la compo. Après, apprendre les bases concrètes, ce serait bien. Donc pas de composition pure sur L’Heure des Loups, à part quelques transitions composées à deux entre Côme et moi, sur lesquelles on retrouve Papa Lex.
Prince Waly, Fiasko Proximo, vous signez tous les deux cet album. Entre rap et instrumentales, vous avez travaillé comment ?
Waly : Pour ce projet-là, on se retrouvait ici (leur studio de Montreuil, ndlr). Fiasko trouvait des samples. Chacun avait ses petites idées ensuite « ralentis un peu », « accélère » etc… Ensuite on trouvait une bonne sonorité, une nappe, une base d’instru, puis on ajoutait un beat. On partait sur un délire de textes, puis on enregistrait le son. Au cas par cas. Côme venait faire quelques arrangements, quelques trucs. On est arrivé à faire 11 titres comme ça. D’abord la base d’instru, ensuite on trouvait le thème, et on écrivait.
Fiasko : En fait on est souvent pris par le temps, tu vois. Quand on se lance dans un projet, on a souvent remarqué qu’on ne voulait pas que ça mette trop longtemps. Mais on ne voulait pas non plus que ce soit trop court, pour garder une certaine qualité. On a eu le temps de rôder ça pendant les derniers projets qu’on a sortis. On a eu une autre façon de travailler. Sample, écoute, instru. Et quand les instrus ont été bouclées, je n’étais pas content de quatre instrus que j’ai voulu refaire. Et là-dedans certaines versions n’ont finalement pas été retenues. Au final sur tout le projet, je crois que seules deux n’ont pas été retenues. Mais elles ressortiront peut-être quand même.
Tu dis qu’il fallait que ce ne soit quand même pas trop long. Dans un souci de cohérence ?
Fiasko : Oui, parce le CD doit raconter une histoire de A à Z. On met beaucoup d’importance là-dessus. Et l’autre chose, c’est que nos sons nous saoulent au bout d’un moment. On n’arrive plus à les lancer. À part des sons comme « Fume Un Boug », qu’on fait encore sur scène. Et une ou deux pépites qu’on peut avoir par projet. Comme « M. City Citizen ».
Des sons que le public demande peut-être aussi, non ?
Fiasko : Non, parce que par exemple « Fume un Boug » n’est plus disponible. Et peu de gens ont le projet. On le donne au public, pour certaines personnes. Il est sur Internet maintenant, mais ce n’est pas un son qui marche plus que ça. Mais sur scène, il a vraiment la patate.
On a eu la chance d’écouter l’album en avant-première. Quand on écoute « Vice et Vertu » ou « Goldman Sachs », il y a deux trucs qu’on ressent dans les textes : un rejet et une critique de la société du fric, mais aussi le fait que vous l’embrassez un peu en même temps. C’est de l’autodéfense ?
Fiasko : On est jeunes. Et la société de consommation est très forte. Tout le monde a envie de s’acheter sa paire de Nike, son iPhone, son machin. C’est une réalité. En même temps, ce qu’on défend c’est qu’on kifferait consommer, mais qu’en même temps on nous prend pour des cons. Sur chaque son qu’on fait, on ne va pas te donner des leçons., t’expliquer comment faire ta vie. On montre un point de vue qui est le nôtre, qui peut aussi être celui du mec en bas de chez lui, qui ne va pas être écolo, qui va consommer, etc. Mais en même temps, ce gars, il ne faut pas l’oublier. C’est plus ce développement-là qu’on a. Parce qu’on vient aussi d’une culture plus street, de rue, où il y a cette culture de consommation et en même temps, on grandit et on se dit qu’on a des responsabilités à avoir. On prend conscience de plein de choses en évoluant. Surtout avec la musique, en rencontrant plein de gens.
Ce qui est intéressant dans un morceau comme « Goldman Sachs » c’est que tu as deux points de vues. Mon texte est plutôt sur le rejet, parce que par exemple ma banque me casse les couilles à chaque fois que je fais un retrait, c’est une réalité. Et en même temps, quand Waly va te parler d’être joueur de baseball, de thunes : oui ce serait un kiff. On aurait kiffé faire ça. Mais on évolue aujourd’hui dans une société où c’est un cas très compliqué. T’es joueur de foot, tu gagnes des millions, et l’autre crève la dalle. Mais il ne faut pas rejeter le fait de dire « Putain j’aurais kiffé être ça ». Ce son, « Goldman Sachs » représente ça. Et quand on a écrit les textes, je ne l’avais pas perçu comme ça au début. C’est quand il y a eu l’instru, les points de vue, que j’ai trouvé bien que le texte de Waly soit comme ça. De dire qu’avoir un million ce serait un kiff. Et en même temps n’oublions pas qu’il y a des banques qui te niquent quoi que tu fasses.
Waly : Après comme tu dis, pour que certains s’enrichissent, il faut qu’il y ait des pauvres. On n’est pas des donneurs de leçons. On a 24 ans, on est encore jeunes, on ne connaît pas encore tout. Quand on a écrit ce texte, c’était pour l’atmosphère, parler d’argent. Au fond, tout le monde aimerait en avoir. Mais tout le monde n’en ferait pas la même chose. Certains feraient de l’humanitaire, d’autres achèteraient des Nike. Mais sur nos sons on ne donne pas de leçons.
Fiasko : Ouais. Chacun mène sa vie comme il veut. T’es un mec bien, tant mieux, t’es un mec con, t’es un mec con. T’as envie de dépenser du fric, tu le fais. Ces textes on les tire de ce qu’on voit, des gens qu’on côtoie, et de notre vie à nous, tout simplement. On se donne des thèmes : ce serait bien de parler de ça, un peu moins de ça. Et même le « moins de ça », on peut en faire quelque chose. Mais on ne se donne pas de limite. Sur « Triple C » (« Ma Chérie, ma Caisse et mon Cash »), tu peux avoir la nana qui va te dire « ton son, c’est plus bas que terre ». Je suis désolé, car même si ma vie ce n’est pas ça, je ne connais personne qui ne voudrait pas sa Jaguar, de la thune, et sa meuf qu’il kiffe. Et inversement pour une fille. Alors après on est des mecs, donc on parle d’un point de vue de mec, mais c’est une réalité. On ne va pas s’interdire ça, alors qu’on kifferait le faire. Tant qu’on ne dit pas des trucs hardcores sans aucun sens, moi je trouve que tu peux parler de plein de choses.
« Mon rap reste un divertissement, une histoire. Voilà, je veux que mon rap reste comme ça, comme un film (…) Je trouve qu’il faut vraiment séparer vie artistique et vie personnelle » – Fiasko Proximo
Malgré tout, est-ce qu’on trouve des thèmes que vous n’avez pas pu aborder, pour diverses raisons ?
Waly : Il y en a. Mais il y a surtout des thèmes qu’on n’avait pas l’habitude d’aborder. Et comme on grandit, qu’on prend de la maturité, qu’il y a eu les évènements à Paris (les attentats, ndlr), ça nous a amenés à réfléchir. On a parlé des parents par exemple sur « Mes Patrons ». J’avais jamais fait un son sur ce sujet. On a mis de l’émotion dans ce son là. On essaie toujours de travailler à l’émotion et à l’atmosphère. « Paix » est aussi un thème nouveau. On n’avait pas l’habitude de ça.
Fiasko : C’est vrai qu’en général, on est plus sur un registre « Triple C ». Mais quand on fait ce projet-là on a fait « Paix » par exemple, après les évènements, sans porter aucun jugement. On a nos convictions propres, mais ce n’est pas pour ça que je vais aller à un concert en tant que rappeur pour niquer ça, ou niquer ça. Ça c’est ma vie de tous les jours. Mon rap reste un divertissement, une histoire. Voilà, je veux que mon rap reste comme ça, comme un film. Un film qui me fait kiffer, raconte des choses qui n’existeront jamais pour moi, comme dans Pulp Fiction. Et Tarantino ne me fait pas une leçon de morale quand je regarde son film, mais peut-être que dans sa vie il se bat pour telle ou telle valeur. Je trouve qu’il faut vraiment séparer vie artistique et vie personnelle. Après c’est notre opinion. Tu sais, on nous a proposé de faire des concerts pour réagir sur plein de choses. Surtout après les évènements. On ne les a pas faits, pas parce qu’on se bat les couilles, mais parce qu’en tant qu’artistes, on n’a pas notre place là-bas. En tant que bonhomme oui.
C’est sûr que « Paix », dont le titre parle, et mes « Mes Patrons » sont deux thèmes différents par rapport à notre délire. On avait jamais parlé de nos parents. Eux pour qui ça a été sans doute plus difficile que pour nous, qui avons une petite chance en plus. Et c’était intéressant de le développer sur une instru.
« On m’a filé les CD des X-Men… les mecs m’ont procuré de l’émotion, une atmosphère de ouf. C’est comme ça que je me suis dit « Je veux faire du rap, et faire kiffer les gens » » – Prince Waly
On vous compare beaucoup à des Ricains. Mais aussi à X-Men. En parlant un peu plus de thèmes comme ça, est-ce que la comparaison ne va pas s’amplifier ? Vous rapprocher du reste du rap français ?
Waly : Quand on a créé ces tracks, il n’y avait rien de calculé. On avait l’instru, ça nous inspirait, le thème tombait.
Fiasko : On ne calcule pas. On essaie toujours de rigoler, se taper des barres. Là où les X-Men étaient forts, ou même Booba, c’est que quoique tu fasses, il faut que tes textes soient drôles. Les mecs étaient très fort là-dedans : Ill, Booba aussi dans son style, Oxmo l’a fait. Avec des textes comme « Paix », « Mes patrons », ou encore « L’Époque Choque », on a moins été dans ce registre, et nous ça nous a semblé sortir de ce qu’on faisait d’habitude. Et effectivement, je pense que ces morceaux ressortiront et que des gens se diront « ah tiens, ça me fait penser à du IAM, à du NTM » parce qu’on est restés dans un registre rap, gros beat, sample, thème sérieux et propre. Alors que même sur des sons comme « Goldman Sachs » on va déconner.
Waly : Après c’est normal qu’on nous compare un peu à eux, ça a été la base d’inspiration. À partir du moment où on m’a filé les CD des X-Men… Les mecs m’ont procuré de l’émotion, une atmosphère de ouf. C’est comme ça que je me suis dit « Je veux faire du rap, et faire kiffer les gens ». C’est peut-être pour ça que ça se ressent. Mais je pense qu’on arrive aussi à faire notre truc à nous aujourd’hui, c’est Big Budha Cheez. Et peut-être qu’on ne nous comparera plus trop aux autres.
« Aujourd’hui, je taffe encore sur des chantiers. Même si le soir, je suis aussi quasiment tout le temps au studio. » – Fiasko Proximo
Vous parliez de vos vies d’artistes, et de vos vies de bonhomme. Aujourd’hui, le rap prend quelles proportions dans votre quotidien ?
Fiasko : Ce n’est plus un passe-temps. On a mis deux ans environ, après nos débuts en tant que Big Budha Cheez, avant de se dire que le rap n’était plus seulement un passe-temps. Mais aujourd’hui, je taffe encore sur des chantiers. Même si le soir, je suis aussi quasiment tout le temps au studio, et j’essaie aussi de profiter de ma nana. Mais j’essaie de séparer vraiment les choses. Si tu ne sépares pas les choses, je pense que t’es niqué. Quoique tu fasses, même si demain ton projet pète, tu peux vite te faire niquer. J’essaie de fixer des limites. Je taffe encore, c’est un peu galère pour payer les loyers etc. Proportions ? Je dirais que c’est un temps plein le rap, et dans tout ça je travaille.
Waly : En pourcentage, je dirais que plus on bosse… (il s’arrête, ndlr) tu vois, je dis « on bosse » maintenant. On ne dit plus « on va faire du rap » . Dès que j’ai du temps, je fais du son. Je taffe aussi à côté, j’ai ma daronne, mes trucs et tout. Mais tout le reste, c’est rap. Plus on y va, et plus ça devient un job. Tu as des contraintes, tu as aussi des obligations. Le rap aujourd’hui, ça prend une place énorme.
Fiasko : Et on est obligé de prendre ça comme un job, même si on ne le voulait pas au départ. On a une manageuse derrière nous, une boîte de distrib, on signe des contrats, des concerts. Tout un système qui se met en place donc ça devient un job. Mais on garde les pieds sur terre. Aujourd’hui j’ai fait un chantier toute l’après-midi, hier aussi. C’est bien parce qu’on a ces deux aspects. C’est drôle, l’autre fois en sortant d’un chantier, un mec m’a reconnu, il était content, il a fait une photo avec moi, j’étais en habits de taf. Cette différence je l’apprécie. Quand je fais du rap, c’est un de mes plus gros kiff, monter sur scène tout ça. Si le rap devient mon principal job, peut-être qu’à côté je resterai à faire des petits chantiers ou mes trucs à moi. J’ai toujours eu ce truc là, mon père fait des chantiers aussi, tu vois.
Et puis je vois aussi un autre truc. Waly et moi, on est des potes à la base. Et maintenant quand on se rodave, c’est pour aller faire des concerts, du son. Ça fait longtemps qu’on s’est pas rodave normalement. Je crois que la dernière fois c’était il y a au moins un mois et demi. On est allé se choper un grec frites tous les deux, et encore c’était après une interview. Pour résumer, oui, c’est devenu un job. Et puis avec ce projet, je vois qu’on attire des gens comme toi, ou même d’autres presses, ou des scènes, des boîtes de distrib’… Je me dis que ce sera peut-être plus clair dans l’avenir, mais ça ne me fait pas peur. Je sais m’équilibrer.
Vous étiez sur scène hier soir, ça a l’air d’être un kiff. Qu’est-ce que vous préférez : la scène ou le studio ?
Waly : Ce qui me procure le plus de sensations, le plus de rapports humains, c’est la scène. Pareil pour Fiasko je pense. Quand tu montes sur la scène, n’importe quel artiste te le dira, t’as toujours un petit trac. Même si je ne stresse plus. Et quand t’arrives et que tu vois que les gens sont là pour te voir, payent pour te voir… ça me fait encore bizarre de me dire que des mecs payent pour me regarder chanter. Et quand on fait du son et que les gens kiffent, c’est que du bonheur. Et j’ai énormément de respect pour les mecs qui se déplacent nous voir. Alors que le studio, c’est cool, tu poses ton rap dans ta cabine, t’entends bien ta voix et tout, mais les sensations sont différentes.
Mais je comprends. Certains ont un rapport difficile avec la scène, ils sont sûrement archi réservés. Mais pour moi la meilleure sensation, c’est la scène. Si on fait de la musique c’est pour partager, c’est du divertissement comme dit Fiasko. Et le meilleur divertissement que tu puisses donner, c’est sur la scène. Un CD, ce sera différent, tu pourras l’écouter chez toi ou dans ta caisse. En concert t’es avec plein de gars, que tu ne connais pas forcément, tu fais des rencontres. C’est du partage avec l’artiste, le public. Je kiffe la scène. Je préfère voir un mec sur scène que d’écouter son CD. Le mec sur scène va dégager un autre truc.
Fiasko : Surtout que tout ce qu’on fait en studio, c’est pour la scène au final.
Waly : Et tu peux vraiment montrer ce que tu sais faire. Et tu peux vraiment voir si l’artistes est bon ou pas (rires).
« Ça me fait encore bizarre de me dire que des mecs payent pour me regarder chanter (…) Et j’ai énormément de respect pour les mecs qui se déplacent nous voir… Ils nous donnent de la force. » – Prince Waly
On va vous voir plus souvent sur scène avec la promotion de l’album ?
Waly : On est en préparation justement des Release Parties. Il y en aura une à Paris, certainement une en Belgique aussi. On a des propositions de concerts… Plus on va approcher du jour J, plus ça va exploser. On est prêts en tout cas.
Fiasko : En 2016 on fera pas mal de scènes. Et comme disait Waly, j’ai un grand respect pour les gens qui viennent nous voir. Que ce soit gratos ou payant. Les gens qui supportent le truc. Respect pour ceux qu’on appelle les soldats dans le rap aujourd’hui. Parce que j’ai été soldat d’autres artistes par le passé, et j’espère que ces artistes-là avaient du respect pour nous aussi.
Waly : Ils nous donnent de la force. C’est ce qui nous pousse à vouloir en faire plus, pour ces gens-là. Vous nous supportez, alors on va vous donner de la qualité et de la force aussi.
On fait des allers-retours avec l’album. Mais avant même de l’écouter, on remarque une chose : pas de featurings… Ça tranche avec vos collaborations précédentes avec Jazzy Bazz, ou L’uZine.
Fiasko : On a eu des opportunités. On côtoie pas mal de rappeurs. Mais on ne calcule rien. On s’est lancés dans notre projet à une période où les artistes avec qui on se disait qu’on allait faire des featurings n’étaient pas libres à ce moment-là : leurs projets sortaient, des tournées etc. Après, un mec aurait déboulé en disant : « ouais je kiffe bien, je veux poser », je pense qu’on l’aurait fait. Mais quand j’écoute le skeud, même si j’ai de moins en moins de recul, je me dis que ce n’était pas gênant. Et puis on fait du son, c’est pas Alice Aux Pays des Merveilles. Si quelqu’un ne peut pas être là, il ne peut pas être là. Papa Lex devait être beaucoup plus sur l’album et il s’est fait opérer à ce moment. Pour les featurings, c’était un peu pareil. On ne s’est pas pris la tête là-dessus, on a fait ce qu’on avait envie de faire. Mais on avait des propositions.
Waly : Et si on n’a pas fait ces collaborations, c’est surtout des questions de coordinations.
On a déjà pas mal parlé de Montreuil, et du son de Montreuil. Il y a des mecs qui vous font kiffer ici ? Vous écoutez qui comme rappeur du coin ?
Fiasko : Ah ben oui. L’Uzine déjà. Même si certains sont aussi de Romainville. Swift, j’écoute et j’aime beaucoup, même si je n’ai pas forcément d’albums de lui. On l’a vu au Narvalow, il nous a invités. Il y a aussi Triplego, tous ces trucs.
Waly : Très très chaud Triplego. À Montreuil, tu as beaucoup d’artistes. Et on ne comprend pas comment il n’y a pas eu un gros boom. Un mec qui pète. Swift aurait pu le faire à un moment sans doute. Il commençait à bien bien tourner. Après t’as aussi des anciens du quartier : 93 Lyrics, Théorème, Sanctuaire…
Fiasko : Quand j’étais plus jeune, pour moi tous ces mecs étaient au niveau des X-Men, etc. Pas parce que ces mecs étaient de chez moi, mais parce que ces mecs étaient très forts aussi.
Waly : Et dans un style montreuillois. D’ailleurs Issaba, du collectif Exepoq comme nous, rappe encore comme ça. C’est vrai que nous on n’a pas ce truc-là. Et je te conseille d’aller écouter ce genre de rap très technique.
Fiasko : Mais même Swift n’utilise pas trop ce style je crois, mais tu as un vrai style montreuillois. Moi je l’ai fait une fois seulement dans un couplet, de poser en faisant des consonances, comme on faisait ici.
Waly : Mais aujourd’hui le rap de Montreuil est très diversifié. Tu peux passer du Triplego, à du Big Budha Cheez, du Nothier, que tu vas mettre en mode je fais de la muscu, t’as aussi Ichon, qui fait partie de Bon Gamin.
Tu as fait un son bien bon d’ailleurs avec Bon Gamin.
Waly : Ouais ça a bien tourné. J’écoute mes gars. Il y a beaucoup d’artistes ici, on attend juste que ça pète.
« Pour moi l’évolution du rap, va se faire par les producteurs. Ce sont eux qui font le moove, qui changent la donne. » – Prince Waly
Sorti de Montreuil, quelles sont vos influences actuelles ? Vous parliez des Anglais tout à l’heure. Quels sont vos trucs chauds ?
Waly : Kendrick Lamar. Je te le dis, l’avenir du rap c’est Kendrick Lamar. Franchement, avant d’avoir de l’avoir écouté, j’écoutais quasi que du son des années 90, parfois plus récent mais maximum 2005. Limite, je faisais un rejet de tout ce qui sortait. Après, je me suis dit que j’allais écouter autre chose, pour voir. Et Kendrick Lamar m’a ouvert sur plein d’autres trucs. C’est un génie. Que ce soit sur scène ou sur CD. Le mec dégage quelque chose. Sa prestation aux Grammy Awards, c’était quand même dingue. Après Skepta, qui ramène le délire anglais un peu nouveau. Et puis Badass, Action Bronson. Bronson, c’est fou, il a son délire, il était cuisinier en plus, il y a un univers… C’est là où ils sont forts. Les mecs font du son, et il y a tout un univers autour d’eux.
Fiasko : Pareil. Et comme j’ai déjà dit dans d’autres interviews, j’ai pas mal de respect pour PNL. En plus je viens de voir qu’ils sont disque d’or. En totale indépendance. C’est l’avenir de plein de choses qu’ils réussissent comme ça. Et après on écoute d’autres trucs très bons mais pas forcément encore connus, parmi nos proches. Après il y a des gens comme Nekfeu, lui fait un Zénith maintenant. Il a aussi eu un parcours…
Waly : Il y a Don Dada aussi. Alpha Wann c’est pareil, il a encore mis la barre haut (Avec Alph Lauren II, ndlr) C’est un artiste que je respecte énormément. J’avais fait un track avec lui, j’étais fier.
Fiasko : Lo’ ou Alpha, on les côtoyés, notamment pour « Rov or Benz », ce sont des gars au top. Et l’opus d’Alpha Wann est très bon. Et « Playoffs »…
Waly : Et il dit que c’est un freestyle !
Fiasko : Sur le son « Alph Lauren », je pense que c’est Lo’ et un autre producteur (VM The Don, ndlr) qui font la production. Tu as une instru, puis tu as un break avec une deuxième instru. Et ça c’est très bon. C’est du son que j’écoute l’après-midi, ou quand je vais courir. Les sons, les tonalités, son texte est très bon. Et en plus de ça, je peux reconnaître la qualité d’enregistrement, même si c’est fait en numérique, pas dans un studio, on voit qu’il y a de la console derrière.
Waly : Et Jazzy Bazz ! Et pour moi l’évolution du rap va se faire par les producteurs. Ce sont eux qui font le mouve, qui changent la donne.
Qui changent l’ambiance…
Waly : Exactement. Un mec qui arrive avec un nouveau style d’instrus, il peut carrément tout te changer. Il y a par exemple eu l’époque boom bap, l’époque dirty, et tout s’est fait grâce aux instrus. Ce sont surtout les putains de beatmakers qui peuvent m’inspirer. Comme Syzer.
« Je me fais des challenges avec les beatmakers. Je leur demande de m’envoyer des productions vraiment chaudes, et je me dis que je dois être plus chaud que la prod’. » – Prince Waly
Et en dehors de Fiasko ici présent, quel est ton top 5 parmi les producteurs ?
Waly : Ben ce sont pas forcément des mecs connus, mais des mecs avec qui je bosse, et qui font des prods magnifiques. Tu as Bad Clan, un mec qui s’appelle Chardz, Lord Zoo, et puis Hologram Lo’, Myth Syzer. Les mecs de chez Don Dada. Diabi, il fait des productions de dingue. VM The Don, qui a produit « Barcelone » pour Alpha Wann. Et en ce moment, je me fais des challenges avec les beatmakers. Je leur demande de m’envoyer des productions vraiment chaudes, et je me dis que je dois être plus chaud que la prod’.
Et si tu devais choisir un américain ? Même un truc impossible, peu importe.
Waly : Scott Storch, qui faisait les productions de Busta Rhymes. Je crois qu’il est fauché maintenant. Il était énorme lui. Bon après, t’as Dre. Même si au final il paraît que son son souvent le plus reconnu « Still D.R.E. » n’est pas produit par lui, ou pas entièrement (ndlr : officiellement, le titre est annoncé comme produit par Dr Dre, Mel-Man, et justement Scott Storch). Mais les ricains s’en fichent de ça.
Fiasko : Quoiqu’il se passe, si le son est bon à la fin, c’est ce qui compte avec eux. Que t’aies pas écrit l’instru, que t’aies pas écrit les textes, peu importe, si le son est bon à la fin. En France c’est très compliqué de faire ça. Et c’est le grand décalage qu’on a encore avec les Américains ou les Anglais.
Waly : Moi je crois que j’adorerais faire, ça écrire pour d’autres. Ce serait marrant de voir comment le mec va poser le texte que t’écris. Ce serait dingue.
Les gars, le mot de la fin, c’est pour vous :
Waly : L’Heure des Loups, le 22 avril.
Fiasko : Cours le pécho si t’as envie.
Waly : On a mis trois ans, mais on vraiment bossé, et on a mis toute notre émotion, de l’atmosphère, de la sueur. On cherche de la force, et on espère que les gens nous donneront de la force. Et merci à Le Bon Son.
Fiasko : Merci Le Bon Son. Et longue vie à M. City.
Merci à l’équipe de chez Exepoq, et à Fiasko Proximo et Prince Waly pour leur disponibilité.
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