Crown [Grim Reaperz] – l’interview « Pieces To The Puzzle »

Annoncé de longue date, il nous tardait de savoir ce qu’allait donner « Pieces To The Puzzle », le premier LP de Crown, beatmaker au sein des Grim Reaperz. Révélé au public francophone avec Scylla, Saké ou Furax, il est responsable de dizaines de boucheries auditives, et a su exporter sa patte du Canada à la Corée, en passant par l’Europe et les Etats Unis. Le tracklist dévoilé il y a peu révèle des combinaisons internationales complètement inédites qui devraient ravir les amateurs du genre. Crown :

Bonjour Crown, peux-tu te présenter aux lecteurs du Bon Son, et nous retracer les grandes lignes de ton parcours ?

Salut à tous ! Crown beatmaker et scratcheur à mes heures perdues. J’ai commencé en 98 aux platines, j’ai collaboré avec de nombreux artistes pour des refrains scratchés à l’époque en France, Canada, Corée du Sud… Puis j’ai sorti ma première compilation inédite en 2004 : « Sang9 ». Je me suis mis à la production autour de 2004 quand j’ai commencé à travailler avec Saké des Zakariens et Scylla. Nous avons sorti ensuite « Just Listen », un album beatmaking avec plein d’invité comme Raekwon du Wu-Tang, Braille, Mainflow, Emcee Killa… Un projet que j’avais produit avec Nefast, un gars de chez moi avec qui j’avais commencé le deejaying, et qui a arrêté la musique avant même la fin du projet.

Premier EP en vinyle avec RADix (Boston) en 2008, création du collectif Grim Reaperz en 2009  avec les premières sorties vinyles du EP « FUCK U » en 2010, EP avec Seek « 6 Dayz of Torture ». Affiliation au label Enemy Soil (Vinnie Paz/ JEdi Mind Tricks) puis « Blood-Leg Vol.1 » , Scylla « S.C.Y »,  « Blood Leg Vol.2 ». Puis cette nouvelle sortie produite en solo, donc mon vrai premier opus : « Pieces To The Puzzle » qui sort le 17 février 2014.

Tu as réuni un gros casting, entre UK, US et France. Comment as-tu réussi à ramener tout ce beau monde ?

Ce sont quasiment que des artistes que j’ai déjà rencontrés, bookés ou hébergés chez moi, donc cela n’as pas été  trop compliqué . Akhenaton m’a été présenté grâce a mon pote Soulkast. Vorheez qui est présent sur le track avec Masta Ace m’a aidé pour ce dernier ainsi que pour Krumb Snatcha avec qui jai recollaboré depuis pour de nouveaux projets. Gwenzel (Futur Proche) a eu la bonne initiative de me présenter Fayçal, un artiste que je ne connaissais pas et qui m’a agréablement surpris par sa qualité d’écriture.

Quel a été ton critère de sélection pour les MC’s ?

Premièrement il faut savoir que j’ai construit l’album instrumentalement, puis une fois que j’avais la trame du projet niveau son, j’ai réfléchi à qui collerait avec quoi. De là j’ai contacté ceux qui me paraissaient les plus évidents, les proches, ainsi que certains avec qui j’avais toujours eu envie de bosser, et tout c’est réalisé de façon assez naturelle. Tous ont accroché direct à la seule instrumentale proposée et voila ! Je leur disais « je prépare mon album, j’ai pensé à toi pour ce son, dis-moi si ça t’inspire » en précisant bien que si le son n’évoquait aucune inspiration, on trouverait un autre projet dans le futur pour réaliser quelque chose. Ça me tenait vraiment à cœur que chacun vienne avec plaisir et non par obligation.

Voulais-tu les amener vers des terrains spécifiques ? Tu as sorti Scylla de ses violons par exemple…

[rires] Oui et non. Je pense que Scylla est vraiment le seul qui soit sorti de ses sentiers battus, bien que nous ayons déjà fait un morceau avec une vibe jazzy qui s’appelle « Appel à la paix » mais qu’il a finalement joué uniquement en live. D’autres, comme Grand Agent, étaient plus dans une vibe actuelle, new school, et je tenais vraiment à le refaire jouer sur une instru comme à l’époque où je l’avais connu quand il était chez Rawkus.

Il y a de belles combinaisons, on pense notamment à Flynt / AKH / PMD. C’est toi qui a décidé de ces combinaisons ou ça s’est fait au feeling ?

Ce morceau c’est une grande histoire… On en rigole encore avec Flynt. Ça m’a pris, même nous a pris, car Flynt s’est beaucoup investi sur ce morceau pour le finaliser. Au début j’avais enregistré Lil Dap quand il était en France. Avec Flynt on était en contact depuis un moment et je lui avais dit qu’il nous fallait une collab’ sur cet album. Il a kiffé direct la prod, chose assez rare [rires](cf notre interview de Flynt réalisée en 2012). Il nous manquait un troisième comparse pour finaliser le son, on a longuement réfléchi, on a proposé le titre à d’autres qui ont refusé car trop « old school », puis d’autres avec qui je n’étais pas forcément satisfait de l’ensemble.

J’ai finalement lancé l’idée assez folle d’inviter AKH. J’ai soumis l’idée a Soulkast qui m’a aidé a le contacter vu qu’il avait déjà travaillé avec sur son dernier opus. PMD je l’ai rencontré lors d’une tournée qu’il faisait avec Snowgoons que je connais très bien, je leur avais proposé de faire un arrêt à la maison sur leur tournée car ils passaient devant. J’avais proposé a PMD de participer, mais pas forcément sur ce titre. Puis au fil de la conversation je lui avais dit que le mois d’après j’enregistrerais avec Akhenaton pour le projet. Il m’a dit qu’il connaissait bien IAM. Une fois sur Marseille en studio pour le couplet de Chill, je lui ait dit que PMD risquait de nous rejoindre sur l’album et AKH a rebondi sur le fait que Shurik’n avait enregistré avec Eric Sermon a l’époque (le partenaire de PMD dans EPMD), et que du coup ça aurait été intéressant que lui collabore finalement avec PMD. On aurait bouclé la boucle en quelque sorte ! PMD à tout suite adhéré au concept de se retrouver avec AKH des années après la connexion Shurik’n / Eric Sermon.

Une petite anecdote sur l’enregistrement ?

Mmmm… Une anecdote tout court, avec PMD d’ailleurs. Il était chez moi donc avec les Goons, en plein milieu de tournée, et je le voyais peu manger, en galère. Il me fait « j’ai une rage de dents depuis 4 jours« . Il me dit : « Ça me pourrit ma tournée c’est une vraie galère, même avec les aspirines, etc. » Rien n’y fait. Du coup je lui ai donné des médicaments assez forts que j’utilise moi en cas de migraine, et il a été soulagé dans les 15 minutes. Il est venu me voir avec un grand sourire d’enfant en mode « man you saved my tour, thank you so much, let’s do something for your album ! » [rires] C’était marrant, la situation été loin d’être banale. Parish c’est un mec qui a bercé ma jeunesse avec EPMD. Et de « sauver » sa tournée européenne de sa rage de dent… C’est un bon souvenir!

D’ailleurs tu collabores beaucoup avec certains MC’s sur leurs projets solos, comme Furax, Saké, ou Scylla… Des projets en préparation avec eux ?

Oui toujours. On a remixé entre autres le titre de Furax « La Machine » qu’il joue toujours sur scène, mais qui va sortir en audio sur notre CD promo de remix, puis une participation sur le maxi avec Infamous Mobb. Avec Scylla on a pas mal de choses aussi, pour ses projets et de divers concepts vidéos. Il est aussi sur le maxi avec Infamous, Furax et Jeff Le Nerf.

Saké travail avec nous, entre autres, sur son nouvel album. On est satisfaits du résultat, l’alchimie musicale entre nous n’a plus de secret ! On n’a pas toujours été d’accord sur diverses choses, mais artistiquement le côté beatmaker/MC est vraiment poussé, ce sont de vraies collaborations où chacun apporte sa pièce au travail de l’autre, pour être content du morceau final.

Comment as-tu réussi à réunir ATK ? Tu vas faire plaisir à leur public là…

Tout a commencé quand j’ai voulu inviter Gwenzel de Futur Proche car on se connaissait depuis des années, j’avais finalement pas mal travaillé pour ses projets et peu sur les miens, c’était l’occasion. Lui comme moi on connaissait les différents membres d’ATK mais pas forcément les mêmes. Il a donc proposé à Antilop Sa, Axis et Cyanure. Fréko était une évidence, c’est quelqu’un que j’ai la chance de croiser dès que je suis sur Paris, c’est un personnage atypique, très original artistiquement, qui apporte beaucoup de choses à un morceau et surtout un bonhomme avec un grand cœur qui aime partager. Je l’ai toujours invité sur mes projets les plus importants. Il a tout mon respect, le reste de l’équipe est super aussi, que des gens simples qui aiment la musique. ATK a bercé mon adolescence, donc réussir à les réunir pour ce projet d’importance pour moi en tant que « premier » opus, c’était super frais ! J’ai voulu amener un beat qui me rappelait les morceaux que je scotchais à l’époque, un beat droit, percutant, avec une grosse mélodie mélancolique. Gwenzel m’a proposé Fayçal en plus, et j’ai ramené un mec de chez moi que je connais depuis mes début qui s’appelle Tupan, du collectif Le Fond D’la Classe. Le tout scratché par mon pote Dj Venum !

Le Bon Son - Pieces To The Puzzle

Ça fait un moment qu’on annonçait « Pieces To The Puzzle », qu’est-ce qui explique le délai pour sa sortie ? Les joies de l’indépendance ?

J’avais annoncé le projet doucement mais sûrement, la date a juste été repoussée de six mois car on était juste avec le mix / mastering, le temps pour la distrib’ de travailler le projet. J’ai signé avec Modulor Pro qui font du bon travail et avec qui je m’entends bien (un big up a Elvin !) Ils sont basé a Paris et au Japon, ça m’intéressait depuis des années de toucher le marché japonais car ce genre de projets hip hop jazzy positif, très « classic » dans le genre, ils sont ultra demandeurs. Puis mes deux artistes coréens Rhyme-A- et Paloalto pour qui je bossais à mes débuts sont présents, c’était bien aussi de faire tourner le skeud là-bas. J’étais le cul entre deux chaises, on m’a proposé plusieurs contrats de plusieurs maisons de distrib. Soit je travaillais l’album en francophonie et là, au vu des artistes que j’avais ce n’était pas forcement idéal, soit je partais sur de l’international et pouvais toucher les Etats Unis. On se voit bien être distribués en Allemagne et en Europe.

C’est vrai que les joies de l’indépendance y jouent, on fait tout nous-mêmes avec l’équipe Just Listen Records, que ce soient les mixes par Soundsizer, le mastering par Supervillain, gérer notre shop, la communication, le suivi avec les artistes, les papiers et j’en passe. Des fois je me dis que je passe plus de temps a faire de la paperasse que sur le sampleur ! Mais on n’a pas le choix si on veut que tout soit fait correctement.

Vois-tu une évolution dans la reconnaissance du travail de beatmaker en France ?

On y arrive doucement, j’ai vraiment lutté avec les rappeurs pour nous créditer comme il se doit. Faire comprendre aux gens que nous aussi, les beatmakers, on est des artistes à part entière comme tous les autres. On fait 50% d’un morceau ce qui n’est pas rien, ça m’a souvent coûté de longs débats stériles face à certains égocentriques, alors que perso ça a toujours été EVIDENT. C’est peut être dû à ma culture rap US, qui eux ont toujours été reconnaissants envers leurs compositeurs, au moins sur les crédits. Aux States on connait peut être plus les mecs qui font les sons que ceux qui les rappent. [rires] En France ça commence à venir et c’est vraiment bien, car on passe beaucoup de temps dans l’ombre a créer et travailler les morceaux.

Quel regard portes-tu sur l’état actuel du beatmaking français d’ailleurs ?

C’est difficile à dire sur le plan « français » au sens large car je n’écoute pas tout. Une grosse vibe plus « actuelle » m’ennuie profondément à écouter, car les sons sonnent égo trip et les mecs ne rappent que des choses pas vraiment intéressantes. A 30 ans, les discours « je suis le meilleur, le père du rap game, les autres c’est d’la merde » ouais bon… Je passe mon tour.  Du peu que j’écoute les français sont créatifs dans leurs styles.

« Aux States on connait peut être plus les mecs qui font les sons que ceux qui les rappent. »

Dans l’univers plus « underground » on a une patte, un savoir faire, qui disparaît peu à peu côté USA. C’est pour ça que les MC’s de là-bas viennent et nous démarchent de plus en plus, car ils ont du mal à trouver des mecs sérieux et qui leur donnent des ambiances solides bien authentiques.

Là c’est ton projet solo, y a-t-il des projets de prévus avec les Grim Reaperz ?

Oui, 2014 va être une bonne année (certes on dit tous ça le 1er janvier) mais nous avons pas mal de projets finis, un CD de remix qui va arriver après mon LP, un album avec Emcee Killa (Caxton Press) qui s’appelle « Zapatista », un projet engagé et vraiment bon. C’est un MC que j’affectionne particulièrement et je suis très fier de cet album, qui pour moi est à l’heure actuelle notre meilleur travail sur long format. Le « Blood Leg vol.3 » est quasi bouclé on devrait le sortir pour l’été. J’ai une galette de remix que j’ai faite avec DJ Duke (Assassin) qui va sortir là dans le prochain trimestre.

Un EP avec Rasco est prêt pour le pressage qui s’appelle « Flush Royal » et ce fameux maxi avec Infamous Mobb West qui devrait enfin sortir cet année. On a tapé un morceau sur le nouveau Army Of The Phararohs, on a un maxi avec eux aussi qui sortira sous notre label Just Listen Records, on a fait un morceau super bon sur le prochain album de Ali (45 scientific)… Un projet fun uniquement instrumental est bouclé, on attend les prototypes car on va sortir ça de façon originale au  niveau du packaging. Puis d’autres projet en cours, certains verront peut-être le jour en fin d’année si toutes les sorties se déroulent bien, que le soutien est là. Enfin plein de bonnes choses, on s’amuse !

Le mot de la fin :

J’espère que tous ceux qui achèteront « Pieces To The Puzzle » prendront autant de plaisir à l’écouter que moi-même à le produire ! Paix !

Le Bon Son - Pieces To The Puzzle

Photo d’en-tête : Madman

Crown – Pieces To The Puzzle en précommande sur iTunes / BandCamp

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