Suite et fin de l’interview d’Imhotep, 10 jours après la sortie d’Arts Martiens. 10 jours après la publication de la première partie de l’interview, dans laquelle le membre d’IAM revenait en détail sur la conception du nouvel album du groupe. Place à la deuxième partie donc, dans laquelle il sera question de promo, de médias, de culture, de Hip Hop, et du 6ème membre d’IAM : Marseille.
Le Bon Son : Vous êtes en promo, invités à la radio et à la télé, chose pas forcément évidente pour tous les rappeurs en France. Considères-tu que vous faites partie du paysage musical français ?
Imhotep : Pour le public français, je pense qu’effectivement on fait partie du paysage, parce que depuis notre dernier album on a continué à faire des concerts, même si c’était pas une vraie tournée. Beaucoup de festivals, de concerts, pas seulement en France mais aussi en Europe, notamment en Suisse et en Belgique. C’est en jouant sur scène qu’on voit que le public est là. Il y a du monde partout, on a joué dans un festival en Allemagne devant 50 000 personnes, à Solidays devant 60 000 personnes. C’est impressionnant, on s’aperçoit vraiment qu’on a un public de gens qui connaissent le rap, et pas seulement en France. Après 25 ans d’existence, c’est évident qu’on est installé dans le paysage pour le public. Maintenant pour les médias c’est différent, et surtout en France. Le rap est victime de certains clichés, de certaines caricatures, qui font qu’on n’est pas encore acceptés officiellement, comme peuvent l’être le rock ou la variété. Il y a encore des clivages, des murs à faire tomber. S’il y avait un équivalent dans le rock français d’un groupe comme IAM, je pense qu’ils auraient une couverture médiatique et un accueil des médias beaucoup plus important.
Il ne faut pas oublier une chose aussi, c’est qu’en France on n’a pas de radio rap, pas de concurrence. Il n’y a que Skyrock qui passe un peu de rap, et nous on est trop adultes pour passer sur les radios “de jeunes” comme Skyrock. Et comme le rap est un peu rejeté dans le mainstream, et dans les grandes radios nationales, on ne passe pas non plus sur ces radios. Donc si tu regardes bien, on a un super accueil du public, mais les médias nous délaissent un peu, et ne nous jugent pas à notre vraie valeur.
‘On voit actuellement que le courant de fond du vrai rap continue.’
On n’est pas là pour se plaindre, l’essentiel pour nous c’est que notre public soit fidèle, continue de nous suivre, vienne nous voir en concert. Mais aujourd’hui dans les médias, on est encore à nous cataloguer dans les musiques de jeunes, de ghetto, de rebelles, ou de voyous. Nous on s’inscrit en faux contre ce cliché, cette caricature, et on fait tout pour montrer que le rap ce n’est pas uniquement ça. Et d’autre groupes le font aussi bien que nous. On voit actuellement que le courant de fond du vrai rap continue. Il y a des artistes comme Disiz qui ont déjà plusieurs années d’expérience, qui continuent à sortir des albums excellents. Il y a des groupes comme 1995 où là c’est carrément la nouvelle génération. Et on voit qu’ils sont restés attachés à un certain son, à une certaine qualité d’écriture. Le rap n’est pas mort, le rap est toujours très vivant, et très créatif.
Il faut pas juger uniquement avec une certaine dérive du rap commercial, des clashs à 2 balles, des soi-disant rappeurs qui se prennent pour des voyous. Le rap ce n’est pas seulement ça. Il ne faut pas seulement regarder le rap commercial, le Hip Hop est le mouvement culturel le plus important de la fin du 20ème siècle, et sans doute de tout le 21ème. Et ce mouvement est très créatif, et reste une influence majeure à notre époque.
On se souvient que quand L’école du Micro d’Argent était sorti, vous aviez eu une émission spéciale à Nulle Part Ailleurs. Vous étiez bien lotis quand même comme groupe…
C’est vrai, et c’était l’époque où on passait sur Skyrock aussi. À cette époque-là on a peut-être ouvert des portes avec IAM, mais encore une fois, ça ne concernait pas tous les médias, et encore moins les médias généralistes. Une chaîne comme Canal +, toujours à la pointe de l’innovation, de la recherche, de l’ouverture, nous a un peu mis sous les feux de la rampe. Mais, comme tu le dis si bien, c’était à une certaine époque, et maintenant, c’est pas le même style de rap qui est mis en avant. C’est plutôt un rap “variet’’”, comme on peut en trouver aux USA, commercial, qui a pris le devant de la scène. Et c’est dommage que les télés et les radios ne diffusent pas le rap dans toute sa diversité, toute sa richesse. C’est vrai que le clash et le buzz font de l’audimat, mais je ne suis pas sûr qu’au niveau qualité musicale on soit gagnant. Pour moi l’artiste de rap se juge sur scène et sur disque, et c’est pas parce que ça fait de l’audimat que c’est forcément un bon groupe de rap. Et parmi toutes ces portes qui se sont ouvertes, y’en a pas mal qui se sont refermées… Quand on met en avant des caricatures de rappeurs, des mauvais clichés, une partie du public ne suit pas.
‘Je pense qu’il y a un manque de volonté du pouvoir politique et économique de développer Marseille.’
Avec un titre comme “Arts Martiens” vous faites référence à Marseille, de la même manière que sur votre premier album. C’était important de remettre Marseille sur le devant de la scène ?
C’était pas délibéré au départ. Et même si on en parlait un peu moins sur les albums précédents, ça reste quelque chose de très présent. Nous on aime beaucoup notre ville. Même si on pense qu’elle a un gros problème avec son personnel politique, et ceux qui détiennent le pouvoir économique. Je pense qu’il y a un manque de volonté du pouvoir politique et économique de développer cette ville. Il y a un gros potentiel à Marseille, et malheureusement il n’est pas exploité correctement. Si on a une mauvaise image de Marseille actuellement, c’est que quand les gens essaient de faire quelque chose de bien, on leur donne pas forcément l’opportunité et la possibilité de le faire. Donc après c’est toujours pareil, on ne parle que de ce qui ne va pas, et il faudrait aussi parler de ce qui va bien. Il y a des gens courageux qui font des choses au quotidien dans les quartiers, et c’est eux qui auraient besoin d’un petit coup de main et de projecteur.
En parlant d’art et de Marseille, quel est ton regard sur Marseille 2013, capitale européenne de la culture ?
Ça ne va malheureusement pas tout changer, malgré tous les espoirs qu’on a pu y placer. En disant “capitale de LA culture”, je pense qu’on passe un peu à côté du problème. À Marseille il n’y a pas une culture, mais des cultures. De même qu’il n’y a pas une population, mais des populations, avec des histoires et des origines différentes, et donc des cultures différentes. Je trouve dommage que dans les choix culturels qui sont faits, et pas seulement pour cet évènement, on dise qu’il y a une culture officielle, qui s’adresse à une toute petite partie de la population de Marseille, mais qui est très subventionnée et prise en compte par les institutions. Je veux bien sûr parler de la musique classique, du théâtre classique, de l’opéra… Je n’ai rien contre ces cultures-là, elles font partie aussi du patrimoine culturel français, et elles ont le droit de vivre, au même titre que les autres cultures. Maintenant je pense que Marseille est plus riche que ça, contient plus de talent et de diversité. J’aurais aimé que Marseille soit la capitale de toutes les cultures, que soient représentées les origines des populations de Marseille : la méditerranée, l’Afrique du Nord, les Comores, l’Arménie. Ce sont des cultures anciennes et vivantes.
‘Même à la maison de retraite on continuera à créer des instrus et écrire des textes.’
Et je parle aussi du Hip Hop, bien entendu. Regrouper des gens d’origines différentes fait que ces gens-là partagent cette culture dans toute sa diversité. Ce n’est pas uniquement le rap : on parle de graff’, de DJing, d’écriture, de beatmaking, de danse. Cette culture-là est très vivante, très pratiquée, très consommée. À Marseille, cette culture n’a pas été assez prise en compte, ni subventionnée. Je parle pas pour IAM, ou pour Psy4 qui ont déjà eu du succès, parce on s’est débrouillés sans eux, et heureusement qu’on ne les a pas attendus. Mais il y a des acteurs culturels de Marseille qui font vivre cette culture au quotidien, et pour eux c’est très très dur. Sur le quinquennat précédent ils se sont faits sucrer leurs subventions. Ils n’ont plus les moyens de travailler. Il y a besoin de changer la classe politique à Marseille, qui favorise toujours le même type de culture. Après il y a quand même eu quelques projets intéressants, j’ai notamment participé au projet Kheper [nom de son album solo sorti en juin 2012, ndlr] Watt.
On sent une effervescence particulière autour de cet album, plus que pour le précédent. Êtes-vous déjà en train de penser à un 7ème album ?
On y pense toujours. On ne s’arrête jamais de créer. Ceci dit, là c’est le dernier album pour lequel on est signé en maison de disque. On arrive au bout de notre contrat. IAM, comme tous les autres groupes, vit de sa musique, et la maison de disque n’a pas de cadeau à nous faire. Bien sûr, si cet album-là marche, il y en aura forcément un autre plus tard. Mais quoi qu’il arrive, maison de disque ou pas, succès ou pas, ventes ou pas, c’est une passion, on ne peut pas s’empêcher de faire ça. Même à la maison de retraite on continuera à créer des instrus et écrire des textes. Il y a une photo que j’aime bien, que j’ai trouvé sur internet, où on voit un squelette devant une table de mixage, en train de dire : “Le mix est presque parfait.” Quand on a une passion, on ne s’arrête pas aux ventes, ni au succès. Il faut pratiquer, créer, comme une gymnastique intellectuelle. C’est quelque chose qui nous motive, qui nous fait vivre… Bon là on est plus sur cet album : on a répété pendant deux mois pour les festivals, en septembre on repart en répet’ pour préparer la tournée de l’hiver prochain. Donc on a un planning chargé, mais on ne s’arrête pas de créer. C’est pire qu’une drogue.
Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter ?
La santé déjà. Parce que non seulement le groupe, mais les gens qui travaillent avec nous et qui se donnent à fond, il va leur en falloir pour tenir le coup. Et puis il faut nous souhaiter que les gens achètent le disque au lieu de le pirater. Et qu’ils viennent nous voir en concert. Et on sera au paradis, les plus heureux des hommes.
Lire la 1ère partie partie de l’interview.
Arts Martiens : disponible depuis le 22 avril. iTunes / Deezer
Lire aussi la bonne chronique d’Arts Martiens de nos confrères du Rap en France.
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