Ywill, entre racines et Arbre à palabres | Entretien

Rappeur emblématique de la scène nordiste et fer de lance de La Jonction, Ywill sortira ce vendredi 4 décembre son deuxième album solo intitulé Arbre à palabres. L’occasion idéale pour nous d’échanger avec lui sur la conception de ce nouveau projet dans un entretien fleuve. Nous y évoquons également ses débuts, sa passion pour les mots, son parcours au sein de son groupe et son investissement dans de nombreux ateliers d’écriture.

Tu as grandi dans une famille de musiciens. C’est de là que te vient ta passion pour la musique ?

Mes parents font du folk, du blues. Mon père écrit des chansons. Il s’enregistrait dans sa chambre avec un quatre pistes. Il a essayé de m’apprendre la guitare mais cela n’a pas fonctionné. C’est plus par le biais de mon grand frère qui m’a ramené des CD de rap que ma passion pour la musique est née. J’ai compris par la suite, lorsque je me suis mis à écrire de mon côté, que cette activité avait un lien avec ce que faisaient mes parents. Mais ce lien n’a pas été tout de suite évident pour moi. Maintenant que j’arrive plus à lire et écrire entre les lignes, à m’amuser avec la poésie, cela semble pourtant évident. Les réunions de famille finissaient souvent en bœuf avec mes parents, mes cousins. J’ai un héritage et j’en suis très fier. 

Quels sont les premiers disques qui t’ont marqué en tant qu’auditeur ?

La deuxième vague du rap français. Il y a d’abord eu IAM, NTM, Assassin, MC Solaar , mais j’ai vraiment écouté du rap de manière plus précise avec la compilation Hostile, Le Poison d’Avril de La Rumeur, Le Fond et la Forme de Fabe, Conçu pour durer de la Cliqua, le premier album de Rocca. Les années 96-97. Je suis rentré dans le rap par le rap français car j’aimais les mots, j’aimais le texte, le message. « 11’30  contre les lois racistes » en est le parfait exemple. C’est ce genre de morceau qui m’a donné l’impulsion. Avec le rap, j’avais pour la première fois l’impression d’écouter une musique où des gars s’adressaient à moi directement, avec un langage et des codes qui correspondaient à ma réalité. La génération d’avant était plus rentrée dans le rap par le rap américain. J’ai aussi été marqué par l’époque du raggamuffin, quand les toasters débitaient à toute vitesse. Pupa Rico, Raggasonic, Saï Saï, Tonton David… Au-delà du discours, j’étais surtout impressionné par le côté performance.

À quel moment te décides-tu à te lancer sérieusement dans le rap ?

Il y a eu plusieurs étapes. Mon premier texte je l’ai écrit en 97. J’ai créé un groupe qui s’appelait Ex Aequo avec un pote du collège et Oprim de La Jonction. Nous sommes des amis d’enfance. Sur les cinq premières années où j’ai fait du rap, c’était plutôt à l’échelle locale, avec des concerts de quartier. La première fois que j’ai pris un micro dans un open mic, c’était l’épanouissement total. Je n’étais pas très à l’aise à l’école et là j’avais trouvé un espace de valorisation. D’un seul coup, j’étais reconnu par les grands du quartier. Ce soir-là a été déterminant, j’ai eu un déclic. C’est devenu vraiment sérieux par la suite avec La Jonction. 

Tu connaissais donc déja Oprim mais comment s’est formé le groupe ?

Avec Oprim, Prince et Rekta, on était tous de Lille, originaires de Wazemmes et Moulins, deux quartiers limitrophes. On avait chacun nos petits groupes. J’ai rencontré Saknes à la fac, en DEUG d’espagnol. Il débarquait tout juste de Saint Quentin, petite ville située entre Lille et Paris. On a finalement plus parlé rap qu’espagnol. Il avait une énergie débordante. En trois mois à Lille, il a réussi à obtenir tout ce que nous avons eu en sept ans. Il avait récupéré un local pour répéter, il avait créé une association, un collectif et il s’apprêtait à sortir une mixtape avec des collaborations des quatre coins de la région. C’est d’ailleurs sur cette mixtape que nous avons sorti le premier morceau en tant que groupe La Jonction. Nous nous retrouvions à rapper dans des squares, dans les open mic, on a donc décidé d’unir nos forces.

Vous produisez la compilation Réunion Clandestine en 2004.

On pose cinq morceaux sur ce projet dont deux feats. Un avec IPM de Lyon et un autre avec 45 Niggaz de Marseille. Très vite on avait l’envie de dépasser les barrières locales. Le projet reste assez underground, il n’a pas vraiment rayonné, mais il nous a permis de nous faire la main sur l’auto-production. Cela signifiait prendre tes cartons de CD, louer une voiture et faire le tour de France en neuf jours pour déposer ta musique dans les magasins. Cela nous a ouvert des portes par la suite. 

Vous avez réalisé notamment un concert en première partie de la Scred Connexion à Tourcoing. 

À l’époque, il fallait d’abord être carré sur scène. On a commencé à avoir accès à des résidences scéniques grâce à la compilation. Notre première vraie scène, ça a effectivement été au Grand Mix à Tourcoing, en première partie de la Scred. C’était en 2004 pour le festival Hip Hop Dayz organisé par l’association Call 911. 

Quatre ans après Réunion Clandestine, c’est Street Radio qui voit en le jour en 2008.

C’était Just Like Hip Hop qui gérait la disitribution. Dans les années 2000, quand tu avais la sensation de ne pas faire totalement un album, plutôt un mélange de faces B et de prods personnelles, tu sortais un street CD. Malgré son côté décousu, je trouve que ce projet incarne bien la fougue et la spontanéité qu’on avait à l’époque. Avec de grosses prods, orientées boom bap US des 90’s. Mais en décalage total avec l’avènement du dirty south et la déferlante d’instrus synthétiques qui prédominaient dans le rap français entre 2005 et 2010.  C’est de ce projet qu’est extrait notre premier clip « L’impasse ». Puis on a gagné quelques concours régionaux qui nous ont permis de participer à des festivals comme L’Original à Lyon, Marsatac à Marseille ou Hip Opsession à Nantes.

Après, nous avons sorti Le point sur le J en 2013 avec Musicast. Je pense qu’ on a mis trop de temps à sortir cet album. Notre public nous attendait plus tôt. On a voulu expérimenter. On s’est pris la tête. Certainement trop. En 2010, on avait déjà de quoi faire un album, mais on a finalement bazardé les trois quart des titres pour recommencer quasi à zero. Il y a de très bons morceaux sur cet opus. Mais  j’en garde le souvenir d’un projet accouché dans la douleur. Plus homogène. Plus réfléchi. Mais moins spontané.

Vous avez toujours eu ce souhait d’étendre vos collaborations sur toute la France mais là vous avez même réussi à inviter Afu Ra sur cet album. C’est le rêve de beaucoup de rappeurs français.

J’avoue que c’est un gros kiff. Avec du recul, je me dis que le gars a quand même pris ça au sérieux. Il est venu avec nous en studio, on a joué le morceau sur scène avec lui à Lille et à Nantes au Ferrailleur. Et on a aussi tourné un clip avec lui. Bref, il s’est investi. Afu Ra c’est tout de même The Body of the Life Force, des classics du rap américain. Un bête de MC.

Il y a presque dix ans, tu as marqué les esprits avec le freestyle vidéo « La théorie du Big Bang » filmé par nos confrères des Échos du Hip Hop. Nous avons la sensation qu’il t’a aussi servi de carte de visite. 

Ce titre, je l’ai inclus ensuite dans Livre d’or, mais en vérité, le morceau studio ne remplacera jamais le freestyle. Le son de la face B sort de la voiture, on a enregistré ça en one shot. Il y a une belle énergie. Dans cette vidéo, on voit bien que je suis « habité » et que je vis le truc à fond. Ce qui fait ressortir le côté passionné. Beaucoup de gens me parlent encore de cette vidéo aujourd’hui. À sa sortie, j’ai senti qu’il y avait un petit engouement. Il aurait sans doute fallu proposer dans la foulée d’autres freestyles comme celui-là. Mais j’ai du mal à sortir des titres à la chaîne et à refaire deux fois la même chose. En plus, on était en train de préparer l’album du groupe avec La Jonction donc je me suis contenu au niveau solo.

En 2016, tu sors ton premier album solo Livre d’or. Qu’est´ce que t’a apporté le fait de travailler seul sur un projet ?

En parallèle de La Jonction, j’ai toujours écrit des morceaux en solo. En 2005, j’avais déjà un album entier enregistré sur des faces B. Pour moi, Livre d’or était une suite logique. Au début, nous étions six rappeurs dans le groupe. Tu imagines bien qu’on devait concentrer nos écrits sur des huits, douze ou seize mesures. Cela m’a appris à être plus concis. Mais tu es vite limité. On avait tous des morceaux persos, mais de mon côté ils commençaient à sérieusement s’accumuler. J’ai des morceaux sur Livre d’or qui datent d’avant Le Point sur le J. Un groupe, c’est plein de bons souvenirs. Mais c’est aussi des compromis. Je voulais ne froisser personne.

Ce projet solo, ça a aussi été l’occasion pour moi de toucher à tous les aspects relatifs à la sortie d’un album. Planifier, communiquer, trouver des dates de concerts… Au sein de La Jonction, c’était Saknes qui pensait plus à la communication et à l’orga. C’est lui qui avait une vision sur le long terme pour nous structurer. De mon côté, j’étais très focus sur l’artistique, même si on se répartissait les tâches. J’ai donc essayé de faire les choses par moi-même. J’ai eu des coups de main d’Abdel (Hiphopsupport), de Saknes, mais j’ai pris les devants sur certains points de la sortie qui étaient nouveaux pour moi. Cela a été une très belle expérience. C’est d’ailleurs en grande partie grâce à cet album que j’ai pu acquérir le statut d’intermittent du spectacle et une certaine stabilité. 

Hormis les concerts, tu organises de nombreux ateliers d’écriture dans ta région.

Effectivement, je monte beaucoup d’ateliers d’écriture. Je fais des interventions en milieu scolaire, socioculturel, et en milieu carcéral. J’ai toujours attaché de l’importance à la transmission et à la pédagogie. C’est essentiel pour qu’une culture puisse perdurer. J’ai dû animer mon premier atelier à 17 ans. J’ai continué à en faire avec La Jonction. Notre premier projet Street Radio a été financé grâce aux ateliers. Le rap nous a permis de nous élever, de nous épanouir en tant que jeunes et en tant qu’adultes. À chaque fois que je participe à un atelier, j’espère pouvoir transmettre le déclic que j’ai eu en étant adolescent lorsque j’ai découvert cette passion. Le plus souvent, je travaille avec des jeunes en rupture avec le système scolaire. J’ai donc vu que le rap pouvait constituer un accès alternatif à l’apprentissage de l’écriture au sens large.

Comment es-tu arrivé à te constituer un réseau pour ces ateliers ?

En solo comme en groupe, j’ai fait beaucoup de concerts. Par la force des choses, tu rencontres du monde, y compris des instituteurs, des travailleurs sociaux et des acteurs culturels motivés pour mettre en place ce genre de projet. Nous avions la plupart du temps de bons retours sur notre travail en atelier. Du coup, on te sollicite à nouveau et une confiance s’installe. Quand j’ai sorti Livre d’or , j’ai décidé de suivre la dynamique et de me mettre à 100 % . J’étais de fait plus dispo et plus réactif pour des ateliers que quand j’avais un boulot à côté. Les bons retours, la disponibilité, et le bouche à oreille font qu’on te sollicite de plus en plus. Et de fil en aiguille, tu finis par te constituer un réseau.

Parlons maintenant de la genèse de ton nouveau projet, Arbre à palabres, prévu pour le 4 décembre. 

Après la sortie de Livre d’or, je me suis tout de suite remis à écrire. Lorsque j’avais cinq ou six titres, j’allais enregistrer en studio. Je me suis retrouvé avec presque trente titres et j’ai vu une ossature se profiler. A un moment donné, j’ai vu qu’il me manquait un morceau fort pour conclure le projet. De là est né « Arbre à palabres », le titre éponyme. « Skyline » aussi est important pour moi. Je voulais qu’il apparaisse comme une bouffée d’air frais, pour contraster avec les chansons plus mélancoliques. 

L’album a une couleur assez boom bap mais tu as fait appel à des beatmakers comme Lucci pour tendre vers de nouvelles sonorités. 

J’ai rencontré Lucci par l’intermédiaire de Sado MC. À l’époque il avait à peine 18 ans mais une grosse culture musicale. Son taf semble payer, ça bouge plutôt bien pour lui et Bekar ces derniers temps. En fait je me sens plus MC que rappeur. Pour moi, c’est important de savoir kicker sur des instrus différentes, de savoir s’adapter à d’autres BPM. Tout en donnant toujours de l’importance à l’écriture. À l’arrivée de la trap, j’ai eu le sentiment que musicalement et rythmiquement il se passait quelque chose. Il était possible d’allier le côté lyriciste avec ce style de son. J’ai choisi d’inclure des nouvelles sonorités pour la performance, montrer que je se suis capable de m’aventurer sur d’autres terrains. La base est boom bap car c’est ce que j’aime le plus mais je ne souhaite pas rester cloisonné dans ma petite bulle. Je ne suis pas un puriste et reste à l’écoute de tout ce qui sort actuellement.

Greenfinch produit une grosse partie de tes instrus sur Arbre à palabres. Il est lui aussi originaire du nord et commence à se faire un nom sur la scène nationale. 

Il a produit le morceau « Voir plus loin », le dernier titre que j’ai enregistré pour l’album Livre d’or. Depuis nous avons continué à travailler ensemble. Souvent je lui disais : « J’aimerais bien que tu me refasses une prod dans la lignée de ce titre. » De là est né « Skyline ». Greenfinch touche à de nombreux instruments. Il a une approche très complète de la musique. Ces dernières années, il a collaboré avec beaucoup de rappeurs, c’est mérité. Il est très talentueux. Il élargit de plus en plus sa palette. 

DJ Monark, Aphrow, DJ Law et Sims sont aussi présents sur l’abum, au même titre que Dj Sharky et Dj Venum. 

J’ai découvert le taf de Monark sur les albums de VII. J’ai tout de suite kiffé le grain de ses prods. J’avais posé sur une de ses instrus pour le feat avec VII sur son album Les matins sous la lune. C’est naturellement que je les ai contactés pour mon nouvel album. VII m’a donné beaucoup de force quand j’ai sorti Livre d’or. J’aime beaucoup son univers artistique. À la fois riche et sans concession. Une écriture ultra référencée. Aphrow, c’est Greenfinch qui m’a mis en lien avec lui. Il produit beaucoup de Lo-Fi à la base.  DJ Law est un des premiers beatmakers à m’avoir balancé plein d’instrus pour Arbre à palabres. Il est de ma région. Sims, c’est un ami d’enfance, ancien DJ de la Scred. Il est plus connu pour ses talents de DJ et ses mixs pour radio Nova,  mais il fait aussi des bêtes d’instrus. On a repris le sample de « Quand je serais grand » de Fabe pour le clin d’oeil. DJ Sharky est le DJ qui m’accompagne sur scène. Très actif avec son groupe Scratchattik. DJ Venum avait déjà posé des cuts sur Livre d’or. Il a collaboré avec de nombreux groupes, y compris La Jonction.

Côté MC’s, tu as invité Paranoyan, Youssef Swatt’s et La Jonction.

Pour Youssef, j’étais très content de faire un morceau avec lui. Dans la nouvelle génération de rappeurs, il incarne l’héritage de la Scred, la plume. C’est une collaboration intergénérationnelle qui, selon moi, coule de source. J’avais aussi envie de faire un titre familial avec les frérots de La Jonction. Paranoyan m’avait invité sur deux de ses précédents projets, j’ai voulu lui rendre la pareille. En plus d’être un sacré kickeur, il a une plume de ouf. C’est un électron libre. 

En plus de l’album, quels sont tes futurs projets ? 

Je vais apparaître sur le morceau « 13’12 contre les violences policières » qui est né grâce à l’initiative du rappeur L’1consolable. Il sortira le 13 décembre. Sur ce titre, on retrouvera trente-trois MC’s dont VII, Skalpel, Saknes, Res Turner, des gars d’Ulteam Atom… Ramata Dieng, la sœur de Lamine Dieng, tué par la police le 17 juin 2007 à Paris, y fait aussi une intervention. De plus, je serai bientôt sur un projet du rappeur montpelliérain Monotof. À moyen terme, j’espère pouvoir reprendre les concerts. Je suis issu d’un groupe de scène donc mon art ne prend tout son sens que lorsque je peux me produire en live. Si la situation le permet, je souhaite organiser une release party d’ Arbre à palabres au Flow de Lille le 15 janvier 2021, avec peut-être une transmission en live sur les réseaux. 

Le mot de la fin ?

Le bon son doit circuler.

Crédit photographie: PIB (@pib_photographe)

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