Sameer Ahmad, l’interview « 10 Bons Sons »

Si pour certains Sameer Ahmad est une référence, un artiste à part, un esthète, pour d’autres il est à classer dans la catégorie des rappeurs trop compliqués, au discours inaccessible. Un perdant magnifique. Scred. Jamais dans la tendance mais toujours dans la bonne direction. Quelques semaines avant la sortie de son nouvel album Apaches le 12 juin 2019, nous l’avons rencontré à Montpellier pour une interview « 10 Bons Sons » qui devait durer deux heures tout au plus, afin d’aborder son parcours, sa discographie, son rapport au rap, à la musique, mais qui s’est terminée en milieu de soirée, après avoir parlé de religion, de Garrincha, de l’Ajax Amsterdam, des journalistes rap, de cinéma, du temps qui passe et de sa « carrière ». Espérons que le compte rendu de cette rencontre fleuve de 7 heures soit le plus fidèle possible aux riches échanges de cet après-midi en compagnie de Sameer Ahmad.

1– Nas – « Genesis » (Illmatic, 1994)

(Il reprend les premières paroles) Ce n’est pas de moi ça ! C’est Nas, Illmatic, « Genesis ».

Je t’ai mis ce morceau parce qu’il me semble que cet album t’a vachement influencé. Donc je voulais savoir comment tu as découvert le hip-hop, le rap, si c’est cet album qui t’a fait rentrer dedans…

Je suis rentré dans le rap par le skate. On nous apportait des vidéos américaines en noir et blanc. Il y avait énormément de rap américain dans ces vidéos de skate, que je ne connaissais pas. J’habitais une petite ville en Normandie qui s’appelle Flers, c’est là que j’ai découvert le rap. Avec Souls Of Mischief, Tribe Called Quest, Del The Funky Homosapien, etc. Ça m’avait parlé de fou !

Le skate c’était vraiment une passion. On était vers 1992… J’ai connu la grande transition du skate : avant c’était les surfeurs, puis le street a pris toute la place, avec les Mike Carroll, toute la culture qui venait du Justin Herman Plaza, avec le skate chicano, les Jovontae Turner, la black culture qui est rentrée là-dedans… Ça a complètement changé le jeu : il n’y avait plus de rampes, c’était juste s’amuser dans la rue, c’était très technique, très axé sur le style. C’est le skate qui a amené les baggy, les Adidas Gazelle, les Puma Clyde… On s’habillait comme ça ! Ça nous plaisait d’être en marge. A l’époque tout le monde écoutait les Doors, Nirvana, et j’ai aussi adoré tout le son des seventies…

Un jour j’avais un pote qui avait acheté l’album de Nas en cassette … Je me souviendrai toujours de cette intro. Quand je l’ai écoutée la première fois, c’était l’automne, il y avait des feuilles mortes par terre et je me suis dit « mais c’est exactement le son pour cette journée ! »

Et puis la science de la rime de Nas…

Ce qui m’avait impressionné et que je ne comprenais pas, c’était les « effets spéciaux ». Il faisait des effets spéciaux, avec des rimes qui tapent et je me disais « comment il fait ? » A l’époque les flows étaient nuls (NDLR : il se met à mimer le rap du début des années 1990). Et là Nas débarque avec des rimes internes (il rappe un passage) ! Je me disais « mais comment il s’y retrouve ? ».

L’autre album qui m’a impressionné c’est Dah Shinin de Smif-N-Wessun, et encore jusqu’à maintenant ! C’est leur côté hyper minimaliste, hyper posé… Mon imaginaire partait loin ! Leur côté nocturne mais chaleureux, c’était beau…

Et petit à petit je me suis mis dedans. J’avais des copains qui avaient des platines, on achetait des vinyles, on se faisait des tapes.. J’aimais aussi beaucoup tout le côté californien, pas Snoop et tout, même si j’aimais bien, c’était surtout les Del The Funky Homosapien, les Souls Of Mischief… C’était comme le skate ! Ils faisaient des figures, ce n’était plus le vieux rap, il y avait des beats minimalistes. Il y avait vraiment les vieux rappeurs et les nouveaux, avec une énergie… Je me retrouvais complètement là-dedans.

Il y avait déjà une new school à l’époque.

Je n’ai jamais écouté ou je ne me suis pas pris Public Enemy, N.W.A, ce n’était pas mon truc, c’était un peu bruyant, raide, avec des couches et des couches de samples… Alors que Smif-N-Wessun, c’était très blues, c’était jamaïquain, avec un breakbeat fébrile, plein de groove, parce que c’était mal accordé, avec une ligne de basse et eux qui étaient dessus. (sourire) Faut écouter « Bucktown » ! Incroyable !

2– Ahmad – « Post scriptum » (Le sens de la formule, 2005)

Oh c’est horrible ! (il grimace)

Je savais que tu n’aimais pas ce morceau…

Ce n’est pas que je ne l’assume pas, mais je le déteste, je le trouve nul, sur la forme, c’est très mal rappé.

Tu le trouves impudique ?

Je le trouve vulgaire, racoleur et je suis tombé dans le piège de la fausse humilité. C’est vraiment du rap français comme il ne faut plus jamais en faire. Si j’ai un exemple à donner à des jeunes, ce serait : « écoutez ce morceau et ne faites jamais ça ! ». Ce titre c’est de la fausse pudeur! « Vous ne pouvez pas me critiquer parce que je dis des choses tristes », tu vois c’est ça ce morceau. « Regardez comme je me légitime ». C’est un morceau d’hypocrite, de lâche. C’est non-artistique.

Tu as fait ce morceau pour ton premier album en 2005 et dans le premier album, on se base sur sa vie écoulée. Est-ce qu’il ne faut pas un peu se dévoiler pour que l’auditeur sache qui parle ?

Je vois ce que tu veux dire mais ce n’était pas voulu. Je m’étais fait un cahier des charges à la con… Je ne savais pas rapper. C’est très mal rappé ! Rien que ça, ça devrait être interdit. Même si c’est bien écrit, quand c’est mal rappé, c’est mort. Il y des erreurs de placement, il n’y a pas de swing…

Une erreur de parcours…

J’étais jeune… Mais regarde Nas avait le même âge que moi quand il a fait Illmatic et il n’y avait pas cette erreur. Il était même plus jeune que moi ! Biggie ne faisait pas cette erreur… Moi j’ai fait cette erreur. Après c’est un album qui a vendu 12 exemplaires donc ce n’est pas grave… (sourire)

On revient sur les conditions de sortie de ce premier album : tu t’étais mis une pression, comment tu l’as fait ?

On a eu l’occasion d’avoir un studio et on l’a fait en 10/12 jours. J’ai eu l’opportunité de l’enregistrer, je l’ai fait. A l’époque, il y en avait plein qui sortaient des disques non pas par talent mais parce qu’ils en avaient l’opportunité. J’en faisais partie. J’y ai mis un peu d’argent, je me suis fait un kiff. Et l’album est catastrophique. Les sons n’étaient pas ouf. Mais c’est normal. Il n’y a pas eu de travail. J’avais d’autres priorités, j’étais prof en collège, je voulais changer, il fallait que je passe des concours, j’avais ma femme… Je savais que l’album était très mauvais. C’était l’époque de Blueprint quand même ! Je me trouvais bon auditeur mais très mauvais rappeur… (sourire) Et je n’avais pas de distribution, je n’ai eu aucun retour, moi-même je n’ai pas défendu le disque.

On était d’ailleurs dans un temps mort médiatique puisque les magazines avaient disparu, internet n’existait pas encore…

Le rap était bizarre, c’était l’époque des Sinik, Diam’s et L.I.M. Aux Etats-Unis c’était différent. C’était l’époque où les gros labels proposaient de très bonnes choses, plus que les indépendants, c’était très particulier.

3– Ahmad – « Restons debout » (Le môme qui voulut être roi, 2007)

Je connais…  (il réfléchit) C’est moi qui ai fait la prod. Là ça groove déjà plus. « Restons debout », le morceau j’aurais du l’appeler « Blues urbain », tu vois le truc bien pompeux…

A cette époque j’avais rencontré beaucoup de personnes, qui faisaient du rap, qui étaient dans la musique et du coup je m’exerçais beaucoup plus. J’ai commencé à écrire, à trouver des placements intéressants même si ce n’était pas encore ouf, mais j’étais plus à l’aise, je m’étais plus trouvé dans la voix. Je commençais à avoir une petite plume et je voyais que ça interpellait un peu plus. Au niveau du son, c’était l’arrivée de Kanye West avec tous les sons un peu soulful qui me parlaient énormément. Là j’étais plutôt content de moi. C’était du home studioing de ouf. Je m’amusais à faire des prods. Là je me disais « ce n’est pas ridicule ».

Mais ça faisait encore cahier des charges. Il y avait un morceau sur la rue, un morceau sur l’amour, un morceau sur ma mère, un morceau sur la mort, un morceau sur l’amitié et les souvenirs. C’était très scolaire.

En même temps, tu étais en plein dans l’époque puisque les morceaux à thème étaient très courant…

Tu vois maintenant on me dit « tu ne fais jamais de morceaux à thèmes », mais j’en ai fait énormément ! Sur cet album chaque morceau aborde un thème et je n’y déroge pas. Mais j’étais content de la sonorité que j’amenais, du grain, des placements de rimes, du petit flow qui commençait à arriver…

Pour quelles raisons tu te mets à la prod ?

Je ne me retrouvais pas dans les sons de l’époque, très froids, génériques et moi je voulais des sons plus à la Kanye, soul, jazz, plus organiques… C’est le dernier album de ma ceinture blanche. C’est des trucs qui n’auraient même pas dû sortir en fait, mais tant pis.

C’est un peu ce que tu dis dans ce titre quand tu sors « les erreurs coûtent cher, je l’ai compris en me rachetant »

Le rap à cette époque c’était ma respiration, je venais d’avoir mon premier enfant, je n’avais pas encore eu mon diplôme, donc ça me permettait de souffler le mercredi après-midi. Je n’avais pas du tout d’ambition dans le rap, j’avais d’autres choses dans ma vie. J’ai toujours été sérieux, tu vois je me suis marié avec la femme que j’aime depuis 20 ans… A un moment faut être un bonhomme comme on dit… Mais on reste des gamins, moi mon côté gamin, c’était faire du rap.

De 2007 on va basculer en 2010…

4– Ahmad – « Ahmadeus plus » (Justin Herman Plaza, 2010)


Ouai « Ahmadeus plus ». C’est moi qui ai fait la prod, toutes les prods même.

Le morceau commence par un scratch, il y en a dans le refrain et dans tout l’album ; c’est ton côté « gardien de temple » ou c’est de la fainéantise ?

C’est beaucoup de fainéantise (sourires)… En fait je n’ai jamais été très refrain. Tu vois dans le rap français, moins dans le rap ricain, comme les instrus étaient longilignes je passais les refrains, je ne les écoutais pas. J’écoutais le rap français très différemment du rap ricain. En français, l’instru m’intéressait rarement, contrairement aux couplets. A cette époque j’avais beaucoup plus de temps, je rappais énormément chez moi. Je commençais à trouver un style, l’écriture arrivait facilement : j’étais en voiture, les phases arrivaient, j’avais des idées de samples, j’étais plus aguerri dans les découpages…

En fait j’ai eu un déclic, notamment dans le flow, je ne sais pas comment ça s’est passé. Avant je démarrais sur le premier temps, je finissais sur le dernier temps. Et là je rappais tout le temps et j’ai compris que je pouvais démarrer sur le demi temps. J’ai compris tout le côté swing… J’ai compris un truc, il y a eu un déclic.

A partir de là, je fais un truc moins générique, je mets quelques réflexions dans mes textes, j’aborde le skate, qui n’était pas du tout hip-hop, à l’époque c’était foot ou basket. J’assume le côté arabe chelou, qui parle de skate. Outkast m’a vachement libéré… Je me disais que je maîtrisais à peu près ce que je faisais. Et puis je fais vraiment un truc qui me parle, avec mes références, ma façon de rapper… Je ne rappe plus du tout comme avant…

D’ailleurs, sur ce morceau tu dis « je laisse le rap aux rappeurs », puis « ce n’est pas du rap, ça va bien plus loin » ; dans « Avant vous », tu dis « le rap c’était mieux avant vous, le rap c’était vieux avant nous » ; dans « L’aurore sur mes lauriers », tu dis « ma zique se rapproche de ce qu’ils appellent le rap »… C’est quoi ton problème avec le rap et les rappeurs ?

Je me disais qu’il fallait que je m’éloigne complètement du rap français pour faire ce que je voulais… Parce que je trouvais que les thèmes et les codes rap français étaient trop petits. C’était trop petit pour ce que je voulais faire ! Et une fois que j’ai accepté ça, j’ai eu un déclic. Et quand je faisais écouter à des proches connectés au rap de l’époque, ils me disaient « mais c’est pas du tout du rap ! ». Ils me disaient « c’est chelou ». C’est comme quelqu’un qui n’écoute que du Dre ou du 50 Cent, pour eux le rap c’est ça et tu lui fais écouter du MF Doom, il va te dire « mais ce n’est pas du rap, c’est un truc de guignol, c’est nul ». Ben moi je savais que j’étais dans cette position-là. A cette époque, pour beaucoup, Alibi Montana était bien bien plus fort que Kanye West, qu’ils ne comprenaient pas. Tu vois donc je me suis dit « on va laisser le rap aux rappeurs »… C’est à partir de cette époque que j’ai vraiment kiffé faire. Avant j’en faisais pour rigoler. Là, j’avais l’impression d’avoir pigé des trucs, je kiffais.

Ce projet sort en 2010, seulement en digital et à partir de là tu ne mettras plus ton visage sur les pochettes.

On avait pressé 50 exemplaires en vinyle, c’était compliqué… Et pour la pochette, c’était tellement cliché de mettre sa tronche… Tu vois les trucs de l’époque, les L’ Algerino, je détestais tellement ça… Je ne voulais pas faire ça. Je me rappelle d’une scène à La Paillade où L’ Algerino était invité. Et les mecs kiffaient sa musique ! Moi je trouvais ça pété ! Là je me suis rendu compte d’un truc. Avant ça, je me disais qu’un mec qui écoutait L’Algerino, il pouvait m’écouter aussi, parce que c’était du rap. Là j’ai compris que ça n’avait rien avoir… Je ne pourrai jamais parler à ce public, ils ne comprendront jamais ma musique, ça ne sert à rien d’aller les draguer et je n’ai pas d’effort à faire là-dessus. Tant pis. Moi je fais mon truc, je ne gagne pas ma vie avec ça donc je le fais à 100%, sans concession. Justin Herman Plaza je l’ai fait dans cet état d’esprit. Et bizarrement c’est avec ce projet que j’ai eu beaucoup plus de légitimité. Avant je voulais coller à une esthétique, faire partie de la famille. Et on m’a bien fait comprendre que c’était mort. On ne m’invitait jamais… Après ce n’était pas grave, ce n’était que du rap…

5– Sameer Ahmad – « Mon polo » (2011)

« Mon polo » !

Sur ce morceau, tu fais enfin référence au rap français, après avoir cité Nas, Biggie, Big L…

Non je fais référence à un rap français (sourire). Je me suis dit « je vais m’inscrire dans le rap français, mais dans mon rap français, pas le rap français ». Le rap français ça ne veut rien dire… Dans les backs de rap, il y a Marwa Loud à côté de Roc Marciano… Je fais partie d’un arbre généalogique et je ne fais pas le même rap, le même blues comme je dis, que d’autres.

Et est-ce que le featuring avec Ill a été envisagé ?

Non je n’y ai pas pensé. Et « Retour aux pyramides » (samplé sur « Mon polo »), ce n’est même pas mon morceau préféré des X-Men, mon morceau préféré de rap français à l’époque c’était « Pendez-les ». L’instru, les placements… Exceptionnel ! C’est du niveau du Boot Camp Click.

Dans ce morceau tu dis « c’est que des rappeurs, j’suis un putain de paradoxe » et il y a un côté paradoxal à ce moment-là dans ta musique. Tu délaisses un peu les références US en mettant en avant un rap français, mais dans tes références US, je trouve que tu ne cites que les aspects glorieux de la culture américaine. Il n’y a qu’un moment dans « Restons debout », où tu fais une allusion au KKK et il faudra attendre « Sitting Bull » pour que tu dises « que Sitting Bull nous goome Clint Eastwood »…

C’est parce que j’ai la même vision de l’Amérique que Sergio Leone. C’est une vision très européenne, ce n’est pas une vision pro-américaine du tout. C’est une vision artistique européenne. Quand il prend le western américain et il se l’accapare pour faire un truc très européen, moi je fais exactement la même chose. Je prends le rap américain mais je l’européanise à ma façon. C’est mon fantasme, c’est mon Amérique à moi. Ce n’est pas l’Amérique. Toutes proportions gardées, je veux faire du rap comme Sergio fait du western.

Ce morceau t’a ouvert des portes et t’a donné une visibilité supplémentaire de par le clin d’œil aux X-Men…

Le clip aussi. C’était la première fois qu’on faisait un vrai clip. Les précédents n’étaient pas du même niveau… Là, il y avait Samm de Coloquinte, Sako & Hal de Chiens de paille, Saïd, qui s’intéressaient à moi, Akhenaton avait entendu parler de moi puis m’avait invité par la suite… Ces gars avaient beaucoup relayé le clip. En fait ils m’avaient validé. Et je pense que le son était cool.

6– Sameer Ahmad feat. Sako – « Hotel Bilderberg » (2011)

Je reconnais direct, « Hotel Bilderberg » avec Sako, enregistré chez Samm, par DJ Elyes, son frère, l’école du 06…

C’est ton premier featuring majeur.

On se connaissait un peu avant, il m’avait découvert par les sons. Il y avait un ptit label, No-Y Lab, qui était proche de La Cosca, qui m’avait proposé un coup de main, notamment leur studio d’enregistrement. Je pouvais essayer des choses différentes, ramener des instrus différentes, avec le bassiste d’IAM, donc ça m’intéressait. Et Sako avait kiffé ce que je faisais. Il n’était plus trop dans le rap et il était chaud pour refaire un morceau. On se met d’accord pour faire un titre. Mais je lui dis que je choisis la prod et lui le BPM. Je n’allais pas le lancer sur un truc du genre « Berceuse babylonienne » où c’était du 70 BPM. J’étais parti sur un truc un peu à la Jay Dee et il a kiffé. Faut savoir que Sako écrit beaucoup, c’était très dense… Je ne dis pas qu’il a appris avec moi et tu peux lui demander, mais il a kiffé cette expérience, dans le sens où je lui montrais comment aérer son rap, que la respiration ce n’était pas une erreur au contraire, c’était un atout de ouf, c’était du rythme aussi. L’instru était très bizarre parce qu’il y a une basse en contre temps et une caisse claire que sur les temps forts, elle n’était pas évidente.

C’était une bonne expérience, c’était marrant. Et là je me suis dit « je suis au niveau », lyricalement. Parce que je me suis toujours trouvé un peu faible sur les lyrics. Sur la forme, j’ai évolué, évolué, évolué, mais sur les lyrics je me suis demandé « est-ce que je vais faire le poids ? ». Je savais que sur le flow j’allais m’en tirer… Et quand il m’a validé j’étais content. Sako quoi, « Maudits soient les yeux fermés » !

Vos deux publics devaient être ravis que vous collaboriez ensemble.

Mais je n’avais pas de public ! Bizarrement c’était surtout les rappeurs qui me connaissaient. Les Youssoupha, les Disiz, plus que l’auditeur lambda, donc c’était un peu un rap de rappeurs quand même…

En 2011, t’es dans une productivité presque inédite pour toi, puisque tu as sorti en 2010 Justin Herman Plaza, puis « Mon Polo », « Big Ben », « Hotel Bilderberg » ; tu sens dans un nouvel état d’esprit ?

Je me fais vachement plaisir parce que je trouve que le rap français est en train de changer complètement et je me sens beaucoup plus légitime avec mon délire d’arabe d’Orient, hippie, skateboard… Je me sens beaucoup plus accepté, les jeunes revendiquent le même arbre généalogique, comme les Alpha Wann, etc. Avec Facebook et les réseaux, je me rends compte que je suis écouté par beaucoup plus de monde qu’avant. Ça me faisait kiffer… (il réfléchit) Comme la petite compet’ individuelle de skate sur une belle place californienne sous un beau soleil samedi et le lendemain il n’y a pas école. Tout le monde amenait son truc… Cette période c’est ça !

7– Sameer Ahmad feat. Dany Dan – « Mastermindzz » (2012)

T’as mis la version du clip ? C’est avec Dan.

Tu l’as ressenti comme un grand saut, ce feat avec Dany Dan ? Quel était ton état d’esprit durant la conception de ce morceau ?

Dan je le connaissais déjà, on se voyait pour son album Poétiquement correct, je l’avais accompagné pour sa tournée radio ici. Je lui avais fait écouter quelques trucs et il avait bien kiffé. Après « Mon polo » il m’avait envoyé un message en me disant « Merde t’as mangé du lion ?! ». Quand il est redescendu sur Montpellier, je lui ai proposé de faire un truc et il était chaud. Alors on a galéré sur l’instru. On a construit le morceau ensemble mais on a été obligés de l’enregistrer séparément. Puis on s’est retrouvés pour faire le clip.

Je me suis dit que la boucle était bouclée parce que je savais qu’après j’allais passer à autre chose. C’était la fin d’une période où j’avais fait mes classes et je reboucle avec mon arbre généalogique du rap français. Dan c’était ça, après Ill sur « Mon Polo », Sako, les phases sur « Big Ben ». Là je me disais que j’allais m’exprimer par la suite à 100%.

C’est la fin d’une nouvelle période de ta « carrière » : la première avec Le sens de la formule et Le môme qui voulut devenir roi, la deuxième avec Justin Herman Plaza et Ne mourrez jamais seul.

(Il coupe) Mais ça n’existe pas Le sens de la formule et Le môme qui voulut être roi. (sourire)

Avant d’attaquer la 3e partie de ta discographie, j’aimerais rebondir sur le clip de « Mastermindzz », influencé par The Big Lebowski des frères Coen pour parler un peu cinéma, qui a une grande influence sur ta musique. Quel est le dernier film que tu as aimé ? Ça peut être ancien, récent…

Il y a un vieux film italien que j’ai trouvé extraordinaire c’est « Je la connaissais bien », il est tellement actuel, c’est incroyable. C’est l’histoire d’une jeune fille, jolie, qui veut être connue. C’est comme L’argent de la vieille, pathétique et comique en même temps…

Affreux, sales et méchants !

C’est ça ! Et un film que j’ai réappris à aimer c’est There were will blood avec Daniel D. Lewis. Au début je l’avais trouvé bien, je n’avais pas complètement plongé dedans mais maintenant je le trouve exceptionnel. Sinon mon film préféré de tous les temps, je crois que c’est Le bon, la brute et le truand. Parce qu’il n’y a pas d’histoire d’amour. C’est une tragédie grecque qui se passe dans l’Ouest fantasmé des Etats-Unis. J’ai même été voir les décors à Almeria, je suis passionné. Pour moi, le cinéma français et italien des années 1960, c’est le plus grand cinéma, avec le nouvel Hollywood.

8– Sameer Ahmad – « Nouveau Sinatra » (Perdants Magnifiques, 2014)

« Nouveau Sinatra » ! Putain j’ai eu du mal ! Je me disais « je connais cette guitare… »

A partir de l’album Perdants Magnifiques, je trouve que ta musique ressemble vraiment à un « puzzle de mots et de pensées ».

Cet album je l’ai fait non pas par thème mais par humeur. C’était très instinctif. Là je n’écris plus du tout pareil. J’écoute les sons quand je vais au travail en voiture et t’as les phases, les notes qui viennent. Je construisais les morceaux oralement, je les rappais et après je les écrivais pour m’en rappeler. Avant j’écrivais les morceaux puis je les rappais. J’avais commencé avec « Mon Polo », où je trouvais des yaourts, des idées, des fois des couleurs des fois un mot et je construisais le texte comme ça…

Par exemple ta fin de couplet, quand tu dis « et je vise dans le mille quand je pisse dans le vide », ne peut pas se retrouver ailleurs dans le morceau.

En général le début et la fin de couplet, je les ai. Surtout les fins. J’ai du mal à trouver les débuts. Je fais souvent les textes en remontant. Avant je descendais maintenant j’ai l’idée de phase que je veux et je la travaille sur 4 ou 8 mesures pour l’amener et donc je remonte.

Dans l’album, il y a très peu de refrain, de scratches, tu laisses souvent l’instru tourner…

En fait avec mes beatmakers, on a vraiment voulu que ce ne soit pas bavard. Comme on dit, « le silence après du Mozart, c’est du Mozart ». On se disait qu’il fallait que les gens reprennent leurs esprits.

La musique, le cinéma, la peinture, c’est souvent « participatif », dans le sens où chacun y voit quelque chose, qui peut être différent selon le point de vue. Alpha Wann disait « on comprend pas la même chose, même si on lit le même livre ».

C’est exactement ça ! C’est pour ça que je ne ferai plus d’explication de texte, je trouve que ça gâche tout, c’est comme expliquer une blague. J’aime mieux donner des directions plutôt que d’expliquer ce que j’ai voulu dire.

Pareil avec les clips. Quand les musiques sont terre à terre, elles permettent une imagerie ouf, mais quand t’as une écriture comme LK, comme Isha (lire notre chronique de La vie augmente Vol.2), le clip dessert des fois le morceau en imposant une imagerie alors que ton titre permet qu’il y en ait autant que d’auditeurs. Le clip des fois n’est pas approprié. Pour un Sofiane ça ne peut qu’amener quelque chose en plus parce que c’est tellement terre à terre, en terme de phases oniriques. PNL pareil. C’est le clip qui donne une connotation, ce n’est pas ton écoute. On dit beaucoup que le visuel est important parce que la musique est beaucoup moins transcendantale. Pour des artistes qui ont des musiques hyper transcendantales comme Schoolboy Q, Kendrick, Ab-Soul, c’est très compliqué, même s’ils ont les moyens de leur ambition. Isha mérite des clips à la PNL. Joe Lucazz aussi ! Joe, c’est notre bluesman, c’est Gil Scott Heron ! C’est un artiste exceptionnel. Il est trop grand pour la France ! C’est un personnage de ouf… (il se reprend) Non, c’est une personnalité de ouf (lire notre chronique de No Name 2.0)… Ce n’est pas Sofiane tu vois… Il a trop de talent pour être une star.

Dans Perdants Magnifiques, tu te fais roi du recyclage, en reprenant souvent d’anciennes phases de tes morceaux…

Je m’auto-sample ! C’est le côté hyper egotrip : je n’arrive pas à trouver des références chez vous, je retourne sur les miennes (sourires) !

Il y a peut-être trop de rap divertissant…

Le rap divertissant est absolument ennuyeux. Je m’emmerde, je m’emmerde ! Quand on me donne Koba LaD, je m’emmerde ! Si c’est du divertissant, faut que ce soit divertissant ! Je me dis « quand est-ce que ça finit ? ». To Pimp a Butterfly c’est divertissant ! Les références, etc, je m’amuse de ouf ! Mais quand après tu mets un Ninho derrière, c’est hyper ennuyeux. C’est comme quand tu bois de l’eau mais que t’as pas soif… Je ne suis pas Fif de Booska P, il me faut autre chose. En fait, ce n’est pas le rap que j’aime, c’est une certaine proposition artistique, que je peux retrouver dans le rap, mais que je retrouve aussi dans Lou Reed, Miles Davies ou Ab-Soul. Ce n’est pas parce que RK fait du rap que je vais écouter. Son intention ne me parle pas. Voilà (sourires).

9– Un amour suprême feat. Sobre – « Part.3 » (Jovontae EP, 2017)

Ouai… « Part.4 ». Non « Part.3 » avec Sobre.

Tu as pris un pseudo parce que tu ne voulais pas faire un Perdants Magnifiques part.2 ?

Je trouvais que j’avais atteint mon but avec cet album. Vu que j’écris et que j’enregistre souvent, je voyais que je faisais les mêmes morceaux que dans Perdants Magnifiques. J’avais pris un automatisme qui n’était plus en accord avec ce que je faisais. Et j’ai toujours voulu faire partie d’un groupe, d’un duo, à la Outkast, Tribe Called Quest, etc. Comme j’ai 40 piges, je me suis dit que j’allais faire deux gamins de 20 ans, avec du skate, des origines ethniques et deux personnalités différentes, ce que je suis un peu aussi… C’était juste pour me donner une autre impulsion et sortir de l’instinctif. Et on l’a fait en un mois. Et je vais faire le volume 2, pareil, avec 5/6 morceaux.

Du coup, ça m’a donné une impulsion totale pour un nouvel album. Avec en plus Skeez’, LK qui s’est greffé, Pumashan qui proposait d’autres choses, on est donc parti dans un délire totalement différent, avec des instrus différentes. Et des artistes comme Robert Johnson m’ont influencé dans ce truc de « vendre son âme au diable » en faisant ce que je sais faire même si ça va parler qu’à 10 pelos…

Au début du morceau, tu dis « en plein été un fait divers a fait la Une » en faisant référence à l’affaire du burkini et on n’a pas l’habitude de t’entendre évoquer la vie politique française…

Entre autres ! C’était aussi en référence à un vieux morceau de Solaar qui m’a fait toujours fait marrer. Les gens m’ont reproché le jeu de mots en disant que c’était trop facile, sans capter le clin d’œil à Solaar… Et j’aurais pas fait ce jeu de mots pour un album de Sameer Ahmad mais là, pour un mec de 20 ans (NDLR : Jovontae), c’était marrant, je pouvais me permettre ça.

10– Sameer Ahmad « South side » (2018)

(Direct) « South Side » avec Andre 3000.

Je n’ai pas voulu mettre « Sitting Bull » parce qu’on en n’avait pas mal parlé. Dans celui-là, tu demandes du respect pour le sud, pour toi-même ?

Ce n’est pas que le sud, c’est plus ceux qui sont en marge. Outkast parlaient de ceux qui sont mis en marge, qui ne font pas la même musique que les autres et qui ont des choses à dire.

Dans ce titre, comme dans tous tes morceaux, il y a de nombreux clins d’œil. Souvent on parle de toi comme d’un rappeur à références, comme Joe Lucazz, Infinit, Freeze Corleone, 404 Billy, Prince Waly… C’est une représentation qui te convient, qui te dérange ?

Moi je ne trouve pas que je suis un rappeur à références. Je m’en sers mais ce n’est pas le but ultime. Tu remarqueras il y a très peu de « comme… » dans mes textes. C’est surtout les X-Men qui ont amené ça. C’est une école. Mais je ne fais pas de références pour la référence. Faut que ça serve l’histoire. Je suis un rappeur qui me sert de références.

Si on récapitule, t’as fait le feat avec Sako, avec Dany Dan, on sait que t’es proche de JP Manova, de Joe Lucazz, Perdants Magnifiques a été salué par la critique, tu as sorti Amour Suprême, comment ça se fait que tu ne fais pas beaucoup de featurings ?

On m’invite mais je ne suis pas tout le temps focus sur la musique… C’est logique quoi ! C’est des gens que je connais qui vont m’inviter. Après je ne fais pas partie de la famille du rap aussi. Ils se connaissent tous, moi je n’ai aucun ami rappeur, je traine avec aucun rappeur dans la vie. J’ai des amis beatmakers, musiciens, qui ne travaillent quasiment que pour moi mais sinon…

Mais même à l’échelle de Montpellier ? Quel regard tu portes sur Joke ?

On n’a pas fait de morceau ensemble mais j’aime beaucoup ce qu’il a fait, notamment ses deux EP’s Tokyo et Kyoto. J’avais trouvé ça extraordinaire ! Et puis il amenait un vent frais. Ça me parlait. Par rapport à la musique que je fais, je me sens plus proche d’un Joke que du retour de Sinik. A un moment Joke a un peu été enfermé dans son personnage, mais je trouve qu’il pourrait aller encore plus loin, dans ses textes, dans ses prises de risque…

Dernière question, j’aimerais avoir le bon son que tu écoutes en ce moment ?

Alors moi je mets énormément de temps à digérer un album, c’est un héritage des années 90 ça. (sourire) J’y reste 4/5 mois environ, voire plus. Il faut du temps quoi ! Ceux qui font des premières écoutes, c’est débile… Je suis sorti de To Pimp a Butterfly il y a un an et demi, seulement.  Par exemple, le Daytona de Pusha T, je commence à le lâcher un petit peu, mais je l’ai écouté tous les jours. J’ai bien aimé le dernier Boogie (lire notre chronique). Sinon, je suis reparti sur Stankonia d’Outkast. J’en ai besoin aussi. Il y a le FM de Vince Staples. Là, il y a un album dont je ne décroche pas, même s’il a été mal jugé, mais je pense qu’il faut beaucoup de temps pour le comprendre, c’est le Do What Thou Wilt de Ab-Soul. Je le trouve exceptionnel ! Il m’a vachement influencé et ça faisait longtemps qu’un album ne m’avait pas autant marqué.

Remerciements à Jonathan T., le white devil.

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