Notre bilan rap US 2024

On sait, on sait… on est déjà mi-janvier, mais comme dit l’expression, mieux vaut tard que jamais, non ? Avec un peu de retard, nous revenons sur une année 2024 ultra riche dans le rap US. Pour éviter de s’égarer dans les centaines de projets sortis, nous avons choisi de la résumer en huit artistes qui, à leur manière, ont marqué l’année. Entre confirmations, retours inattendus et nouvelles têtes, voici ceux qui ont façonné nos douze derniers mois.

That Mexican O.T

La côte de popularité de That Mexican O.T avait sévèrement grimpé l’an passé après la sortie de Lonestar Luchador notamment grâce au carton du titre « Johnny Dang ». 2024 était donc l’année de la confirmation. Ce qui marque de suite lorsqu’on le découvre, c’est son identité musicale. On le reconnaît en une fraction de seconde. That Mexican O.T possède une voix identifiable, une vraie présence, des gimmicks marquants et un flow modulable à souhait. Il peut aisément poser lentement comme sortir des accélérations qui ne trouvent pas de fin, le tout accompagné de roulements qui sont sa véritable signature, à l’image des décorations posées par les guitaristes de blues en fin de douzième mesure. Sur Texas Technician, il prend tellement de place sur les productions qu’on en oublie que certaines manquent parfois de caractère. On aimerait qu’il pose sur des instrumentales un poil plus originales, comme celle de « Hola » où il assume pleinement sa double-identité mexicano-texane. Ces deux pans de sa personnalité sont cependant présents tout au long du disque, particulièrement pour l’aspect texan fortement incarné dans des titres comme « Chicken strips & ass ». Comme sur l’ensemble de l’album, That Mexican O.T se montre à la fois drôle et graveleux, bonne ambiance et menaçant, avec un goût pour l’absurde qui donne lieu à des images étonnantes comme celles d’un Lil’Wayne ou d’un Action Bronson. Son aura est d’ailleurs suffisamment forte pour qu’il puisse se passer de certains featurings. Les performances de MoneyBaggYo, DaBaby ou Z-Ro (son 2Pac à lui, comme il le revendiquait en interview) sont certes pertinentes, mais d’autres apparitions paraissent dispensables. Malgré quelques légers défauts, ce Texas Technician fut bien l’un des disques qui fit le plus bouger les têtes en cette années 2024, et surtout, on a définitivement envie d’aimer son auteur. Il fait sa place dans ce top à l’énergie. – Jérémy

Denzel Curry

Suite d’une première mixtape parue il y a douze ans (!), King of the mischievous south volume 2 sortait cet été, suivi à l’automne d’une version revue et augmentée. L’esthétique mixtape est populaire ces temps-ci et Denzel Curry en joue. Il affirme que si la première version de son projet était une mixtape, la seconde en était la version album. Le floridien y navigue entre les différentes traditions sonores sudistes, et rend tout particulièrement hommage au son de Memphis (d’où la présence insistante de l’historique Kingpin Skinny Pimp). De nombreux noms importants honorent d’ailleurs Denzel Curry de leur présence, et ce, de toute époque (Project Pat, Juicy J, Asap Rocky, 2 Chainz, Maxo Kream,…). Le rappeur de Carol City ne se présente pas dans son pan le plus aérien et réflexif : il est venu faire parler la poudre. On connaît sa capacité à livrer des bangers, et on peut dire que cette année, il nous a très bien servi. Le niveau de production est affolant, tous les couplets sont tranchants : en résulte quelques uns des plus grosses déflagrations de l’année, de « Set It » à « Hoodlumz ». Denzel nous a mis une succession de shoots dans la gueule et nous a à nouveau prouvé qu’il est l’un des meilleurs dans le domaine. On en ressort lessivés, sans jamais ne zapper aucun titre. L’air de rien, Denzel Curry est en train de se construire une excellente discographie et se fait doucement sa place dans le hall of fame sudiste. Presque quinze ans après ses débuts, il prouve une nouvelle fois qu’il n’avait rien d’une étoile filante. – Jérémy

Palmarès 2024 de Xavier
Beatmaker :
Futurewave
Oubli : Blu & Evidence – Los Angeles
Couplet : Chief Keef feat. Quavo – Never fly here (couplet de Quavo)
Découverte : Jameel Na’im X
5 morceaux :
Chief Keef – Love don’t live here
Mickey Diamond & Big Ghost Ltd. – Icebergs
K-Trap – Special
Blu & Evidence – Wild Wild West
Jae Skeese – Brick after Brick (Ground Level)

Insyt.

La belle découverte de l’année s’appelle Insyt, un jeune rappeur et producteur de 24 ans, membre du collectif 4datribe. Actif depuis 2021, il a déjà plusieurs EPs à son actif. L’année 2023 a été particulièrement prolifique pour lui avec pas moins de quatre projets, dont l’excellent The View From The Sky. 2024 s’annonce également comme un grand cru avec la sortie de son premier album, Mi Casa, Su Casa, suivi quelques mois plus tard par l’EP Warms Up II.
Mi Casa, Su Casa fait partie de ces albums inclassables, flirtant avec l’abstract hip-hop tout en s’éloignant des structures conventionnelles. En mêlant des samples soul (comme le groupe The Natural Four) à des rythmiques très downtempo, Insyt se révèle à travers un lyrisme profond et personnel. Pas que, puisqu’un morceau comme « Truth Serum » se démarque grâce à sa critique incisive de l’état actuel de l’Amérique, ajoutant une couche de conscience sociale à la richesse émotionnelle de l’album. Ce premier album est un véritable coup de cœur qui rappelle irrésistiblement la douceur des premiers projets de Rejjie Snow (et de Lecs Luther) ou encore les premières tribulations de Bishop Nehru. Toujours dans cette lignée, on ne peut s’empêcher d’imaginer une collaboration entre Insyt et le regretté MF DOOM, tant leurs univers semblent faits pour se croiser. – Clément

The Alchemist

Et oui, encore lui, encore. Dans le bilan « l’année rap 2024 » de nos confrères de l’abcdr du son, ShawnPucc soulignait le fait qu’à trop vouloir être productif coûte que côute et faire des albums communs avec un peu « n’importe qui », on pouvait facilement tirer sur la corde et lasser ses auditeurs. Du côté de notre rédaction, cet avis avait déjà été émis et nos craintes déjà un peu confirmé, tant l’année 2024 de tonton Alchemist a été intense. Comme 2023 et comme l’année d’avant, et même celle d’avant. Mais c’est là qu’est tout le paradoxe, certes The Alchemist part un peu dans tous les sens mais force est de constater qu’il n’a jamais autant pesé sur la scène US. Cette année c’est 5 projets et une poignée de singles qui viennent garnir la discographie du beatmaker préféré de ton beatmaker préféré. Un EP avec Hit-Boy, Heads I Win Tails You Loose avec ses potes OhNo et Gangrene, Black & Whites avec Big Hit et à nouveau Hit-Boy, The Genuine Articulate avec… lui même devant et derrière le micro et enfin The Skeleton Key avec Roc Marciano, histoire de conclure l’année en beauté. Et je vous la fait courte concernant les prod’ distillés ici et là pour d’autres (Schoolboy Q, Benny The Butcher,Kendrick Lamar pour ne citer qu’eux).
Il est possible qu’avec le temps, la qualité s’essoufle et c’est peut etre aussi pour ça qu’on entends plus ALC se préter à quelques couplets, pour palier à une certaine monotonie. Mais dans une décémnie ou le rap US n’a jamais été autant mis en avant et ou la course à la productivité est devenue chose banale (coucou Larry June, Curren$y, Da$h, Boldy James, Roc Marciano, Westside Gunn, Conway The Machine, Jay Worthy et j’en passe et des meilleurs), il est compréhensible d’en avoir un peu plein les bottes de tonton Al’. On verra ou tout ça nous mène en 2025 mais connaissant le bougre, je ne pense pas que ça faiblisse. A nous d’être assez malin pour éviter l’overdose. – Clément

Palmarès 2024 de Jérémy
Beatmaker :
Daringer
Oubli : Ab-Soul – Soul Burger
Couplet : Ka – Bread Wine Body Blood (2ème couplet)
Découverte : BigXThaPlug
5 morceaux :
Schoolboy Q – Yeern 101
Kendrick Lamar – Not like us
Mach-Hommy – The serpent and the rainbow
Vince Staples – Etouffee
Elucid feat. Billy Woods – Bad pollen

Kendrick Lamar

Bon déjà une année d’album de Kendrick Lamar, il va être difficile de justifier son absence des tops annuels. Mais une année où, en plus dudit album, le rappeur de Compton réduit l’ordure canadienne lui servant de concurrent à l’état de poussière, on ne va pas y échapper. Après le fleuve intimiste et mal aimable qu’était Mr. Morale & The Big Steppers, Kendrick revient à ses premiers amours ; GNX est court, nerveux, agressif, auto-célébrateur et rythmé à la sauce DJ Mustard, dans la pure lignée de la nouvelle scène de Los Angeles. On peut déjà anticiper que lorsqu’il arrivera au bout du chemin, GNX ne fera pas partie des disques phares qu’il aura semés. GNX ressemble plus à un album de transition (s’agissant également du premier album post-TDE), et surtout à un album sur lequel Kendrick a l’air de prendre son pied. L’année 2024 de Kendrick entérine ce que l’on savait au moins depuis To Pimp a Butterfly ; qu’il est bien le plus grand rappeur en activité, et peut-être bien celui de ce siècle. Peut-être pas celui que l’on préfère ou vers lequel on revient avec le plus de plaisir, mais l’un des derniers à susciter un tremblement de terre à chacune de ses sorties, à associer ce qui fait l’essence du rap de Compton dans la forme à un discours tantôt militant tantôt introspectif tantôt brutal, et maintenant à plonger allégrement dans ce qui fait l’essence du rap tout court, à savoir, la conflictualité. Et pas grand monde à l’horizon pour lui ravir cette place. – Xavier

Schoolboy Q

S’il n’avait pas été éclipsé par son ancien compète de TDE, Schoolboy Q aurait largement pu prétendre au titre de l’album west coast le plus important de l’année. Cinq ans après le très moyen Crash Test, huit après le formidable Blank Face LP, c’était peu dire que Blue Lips était attendu. Habitué aux albums longs, musicalement denses pour faire place à une créativité exubérante, des changements de voix et des flows multiples, Schoolboy Q s’est contenté ces dernières années d’aller humilier ceux qui avaient le malheur de l’inviter à domicile. Il était temps pour lui de se remettre en danger. Avec ses changements d’instrumentale au milieu de certains morceaux, ses changements de rythme incessants, passant de boucles mélodieuses, tantôt jazzy, tantôt soulful, à des beats saturés pleins de violence (on pense notamment à la transition entre « Blueslides » et « Yeern 101 »), Blue Lips peut sembler austère pour qui s’y aventure sans connaître le bougre. C’est pourtant tout ce qui fait la quintessence du rap de Schoolboy Q depuis un peu plus d’une décennie. La versatilité musicale et thématique, cette fois au cœur même des morceaux, fait de ce Blue Lips une sorte de mosaïque dans laquelle on aurait mis le pied ; on retrouve, épars, des pièces qui n’ont pas grand-chose à voir avec d’autres, mais dont le point commun est celui responsable de ce gros bordel. Blue Lips ne convaincra pas les détracteurs de Q (s’il y en a), mais prêchera fortement les convaincus, et vaut la peine de se pencher plus d’une fois dessus. – Xavier

Palmarès 2024 de Clément
Beatmaker :
Spice Programmers
Oubli : Willie The Kid – Deutsche Marks 4
Couplet : Ka – Bread Wine Body Blood
Découverte : Malz Monday
5 morceaux :
Rapsody – Raw feat. Lil’Wayne
Buddy – Like This
Ka – Bread Wine Body Blood (RIP)
Your Old Droog – DBZ feat. Method Man, Madlib & Denzel Curry
Ovrkast. – Cut Up

Chief Keef

En 2021, avec 4 Nem, Chief Keef continuait de parfaire son oeuvre en atteignant une maitrise, notamment dans la production, jusqu’alors inégalée. On pourrait légitimement y regretter une perte de spontanéité. Le carburantde la musique de Chief Keef est la violence, tant dans l’écriture que l’interprétation et la production. Elle semblait s’éloigner du quotidien de la vie de Keith Cozart, lui permettant de la modeler sous toutes les formes imaginables – réussies ou non. Dirty Nachos, intégralement produit (et sorti) par Mike Will Made It en mars 2024, regagne un peu de la spontanéité des oeuvres passées du rappeur de Chicago, notamment grâce à (ou à cause de) des mix moins perfectionnés. La violence n’a pas bougé mais, en quelque sorte, la spontanéité s’est mu en amusement. Difficile, donc, de savoir à quoi s’attendre lorsque l’attente, justement, relative à Almighty So 2 touche véritablement à sa fin. En fait, entre les années depuis l’annonce et l’évolution de Sosa depuis le premier volet, on pourrait même dire qu’il est difficile de ne pas s’attendre à être déçu, à retourner vers le premier. Mais les suites et numérotations n’ont jamais été laissées au hasard dans cette discographie tentaculaire et s’il y a des choses que les fans peuvent reprocher au rappeur, le fan service n’est pas l’une d’entres elles. Dès le premier morceau, nous sommes mis à l’aise. Autour d’une minute de montée en tension avant un couplet et une véritable déflagration d’énergie jusqu’à la fin. S’enchaîne une réunion avec son acolyte Ballout (et non pas Balls Out… non ? On ne peut vraiment plus rire…) et G Herbo, l’énergie ne redescend pas. Durant cette grosse heure, entièrement produite par le chef d’orchestre Keith Cozart, les jeux sur les batteries sont encore plus prégnants que sur 4 Nem et nous tiennent en haleine, les mélodies semblent plus organiques qu’à l’accoutumée et les performances au micro sont irréprochables. Alors qu’il pouvait tenter de viser des sommets commerciaux dès son premier album, le mythique Finally Rich, le rappeur de Chicago s’est tourné vers les explorations sonores cristallisées, notamment et exemplairement (mais pas exclusivement) dans Almighty So premier du nom. En ce sens, le deuxième volet est une synthèse de toute sa carrière, de ce qu’il est devenu et de son identité, son son. C’est aussi une exploration plus intime dans les retranchements d’un jeune homme qui semblait fait de marbre. – Wilhelm

Future

Confectionné depuis plusieurs années avec Metro Boomin, le dytique We Don’t Trust You & We Still Don’t Trust You semblait augurer du bon chez Future. S’il n’a pas la virtuosité de certains de ses contemporains, le producteur nous a habitué à des copies soignées pour le monstre d’Atlanta. Et, avec le recule, il faut bien reconnaître qu’il n’y a pas tromperie sur la marchandise ; on a eu tout ce à quoi on pouvait s’attendre. Passées les histoires déclenchées avec Drake, Future est un rappeur sans égal à qui on sert de très bonnes productions et… et finalement pas grand chose de plus. L’écoute est très agréable mais il manque peut-être un supplément d’âme à tout ça, tant à la production, qu’au micro, pour que la seconde écoute s’impose. C’est une des moments importants de l’année pour le rap américain, mais le fantôme de pilote automatique que l’on devine autour de Pluto est frustrant, tant il demeure fort. Alors, si Nayvadius Deum Wilburn Cash (oui, oui, c’est dans son nom) mérite une place dans cette sélection, c’est que le salut est venu à la rentrée économique 2024. Probablement libéré à l’idée de se débarrasser de Bruno Le Maire, le rappeur nous offre le petit bijou Mixtape Pluto. Largement orchestrée par Southside et Wheezy, la mixtape donne un second souffle au rappeur, un souffle de fraicheur. Il en a encore sous le pied et quand il se laisse simplement couler ce qui lui passe par la tête, le résultat est réussi. En attestent les grognements/gémissements aussi déroutants qu’appréciables dans « Plutoski ». Les deux disques précédents gagnent même à la réécoute, maintenant que le costume trop petit parait une illusion lointaine. Seul véritable point noir de cette année pour Future, l’immonde couplet de Travis Scott dans le remix du pourtant très efficace « South of France ». – Wilhelm

Palmarès 2024 de Wilhelm
Beatmaker :
Conductor Williams
Oubli : Boldy James – The Bricktionnary
Couplet : Chief Keef – Treat Myself
Découverte : BigXThaPlug
5 morceaux :
Chief Keef – 1, 2, 3
Freddie Gibbs – On The Set
Veeze & Rylo Rodriguez – Fucked a fan
Cordae feat. Lil Wayne – Saturday Mornings
El Cousteau feat. Earl Sweatshirt – Words2LiveBy

Mentions honorables : Freddie Gibbs, Veeze, SahBabii, Boldy James, Rapsody, Cookin Soul, Mach-Hommy, Rome Streetz, Lupe Fiasco.

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