Rencontre avec DJ Djel, pour la 1ère édition du Fonky Festival de Mars

Si la cité phocéenne a tant donné au rap français, paradoxalement, elle ne disposait toujours pas d’un festival digne de ce nom. C’est à présent chose faite avec la première édition du Fonky Festival de Mars, organisé par DJ Djel, les 12 et 13 avril 2024. L’occasion pour nous d’aborder ce projet, son organisation, l’influence de Demi Portion, les relations avec les autorités de la ville, la programmation, les rappeurs présents et absents, le hip-hop et bien sur le Djing, le tout avec une grande transparence et sincérité.

Pour commencer j’ai envie de dire: « Enfin ! ». Enfin un festival rap à Marseille, dédié au rap marseillais en plus.

DJ Djel : J’ai essayé de promouvoir la ville et les gens de la ville. Il n’y a rien d’identitaire ou de fermé, mais je crois qu’on a une identité forte et je voulais la mettre en avant, d’autant que c’est dur pour des rappeurs en développement, voire développés, de faire des tournées, des concerts. J’avais envie de proposer un plateau spécial Marseille.

L’idée m’est venue en voyant l’engouement pour le Scred Festival, pour le Demi Festival et je me disais : « Il faut que Marseille ait son festival aussi ». C’est important pour cette ville qui a donné beaucoup pour le rap et pour laquelle le rap aussi a beaucoup donné, tout comme la culture hip-hop. Je voulais donc proposer quelque chose qui ne se fait pas ailleurs, parce qu’il n’y a pas un festival du rap parisien ou un festival du rap du Sud.

Depuis combien de temps travailles-tu à l’organisation de ce projet ?

DJ Djel : Deux ans, ça fait deux années que je suis dessus avec Alphonso qui est mon associé dans cette histoire. Il a déjà travaillé pour le Scred Festival, quand il vivait à Paris, et maintenant il vit à Marseille. Je ne sais pas tout gérer, et j’ai beaucoup d’activités à côté, donc j’avais besoin avec moi de quelqu’un qui puisse gérer ce que je ne pouvais pas faire et c’était la bonne personne pour ça, d’autant que lui aussi rêvait de réaliser un tel évènement dans la ville. (Il réfléchit) Je ne dis pas que je suis la bonne personne pour organiser un tel festival mais j’ai un peu les épaules et la connaissance de cette ville pour pouvoir le faire. Je ne veux pas être chauvin mais c’est important pour le rap que ce soit des gens du rap qui le fassent ; pas forcément des artistes mais des gens qui soient de la culture.

Tu évoquais le Demi Festival auquel tu participes quasiment chaque année depuis ses débuts, Demi Portion sera d’ailleurs le parrain de cette première édition ; pourquoi ce choix et est-ce que tu lui as demandé des conseils concernant l’organisation d’un tel évènement ?

DJ Djel : Je crois qu’il n’y a qu’une année voire deux où j’étais absent, sinon oui j’ai fait chaque édition du Demi Festival. Avec Rachid, on a une histoire particulière : à La Passerelle à Sète, très jeune, il a fait son premier concert en première partie de la Fonky Family. Je trouvais belle l’idée de l’inviter comme parrain parce qu’il y a eu une perche tendue quand il était très jeune et là c’est une perche tendue aux anciens de sa part. C’est un bel échange je trouve. C’est un garçon que je respecte beaucoup, de par sa détermination, son travail, sa bienveillance, sa gentillesse, son professionnalisme et je ne trouvais personne d’autre à mettre comme parrain que lui pour une première édition. Il a été une influence pour le Fonky Festival de Mars. Je ne lui ai pas demandé de conseils mais tu fais bien de me dire ça parce que j’ai une liste de questions à lui poser. (Sourire)

Pour l’organisation du festival, a-t-il fallu monter une structure, une association, aux niveaux administratif et juridique ?

DJ Djel : Oui, il a fallu monter une association qui s’appelle Hip Hop de Mars avec Alphonso. Dans un souci de professionnalisme, on a envie de payer tous les artistes qui viendront même si on n’est pas subventionnés. On est auto-produit en partenariat avec le Cabaret Aléatoire à la Friche Belle de Mai, donc on n’a pas du tout de fonds. Les seuls fonds qu’on a c’est nos poches. Mais on veut payer tous les artistes, les accueillir professionnellement et même si on ne les paye pas à la hauteur de ce qu’ils mériteraient, on les paiera quand même. Cette association est importante, elle va gérer les cachets, les frais, on a un comptable… Ce n’est pas évident pour moi de gérer tout ça, ce n’est pas forcément mon monde, moi je suis intermittent. J’ai eu par le passé une association où je produisais des artistes et des compilations, mais c’était très différent. J’apprends, je rentre dans un milieu que je connais de loin, que ce soit la promotion, la production, l’organisation… Ce n’est pas évident mais j’apprends et j’ai envie !

Tu parlais du Cabaret Aléatoire où auront lieu les concerts ; dans ta réflexion quand tu imaginais le festival, pourquoi avoir fait ce choix, à la Friche Belle de Mai, qui a une histoire avec le hip-hop et le rap marseillais, et pas ailleurs, à l’Espace Julien ou à l’Affranchi ?

DJ Djel : Pour ne rien te cacher, la première option c’était l’Espace Julien. Mais on ne s’est pas entendu sur l’organisation, d’autant que la direction changeait, donc c’était aussi compliqué pour eux que pour nous. Mais je voulais un lieu historique. La Friche ce n’est pas le second lieu historique mais c’était logique pour nous. J’ai fait beaucoup de premières parties au Cabaret Aléatoire, que ce soit Mos Def, Kendrick Lamar, Dogg Pound et bien d’autres en rap US ou en rap FR, notre premier local de répétition avec la Fonky Family c’était là, mon premier local en tant que DJ quand DJ Rebel m’a fait une place, c’était là-bas aussi, je travaille avec l’A.M.I. qui est une grosse association historique qui s’y trouve et qui organisait à l’époque les Logiques Hip Hop (NDLR : Festival hip-hop, de 1996 à 2002), une fois par an je suis coach scénique pour le festival Hip Hop Society qui s’y déroule. Ce lieu a tellement donné au rap et au hip-hop que c’était logique d’organiser le Fonky Festival de Mars là-bas. Le Cabaret a accepté tout de suite nos conditions, la co-production du projet, ils nous ont suivis, conseillés et je les remercie beaucoup parce que c’est un partenaire de qualité.

Après la salle, j’aimerai qu’on évoque le choix de la date retenue pour les concerts parce qu’il est très important de trouver le bon moment pour lancer cette première édition. Déjà, les 12 et 13 avril, ça tombe pile après le ramadan, donc c’est cool, par contre, pas de bol, le premier soir, le 12, il y a trois concerts, Slimka à L’Affranchi, Kerchak au Moulin et Monsieur Nov à l’Espace Julien. Il manquait plus qu’un OM / PSG le 13 ! (rires)

DJ Djel : Ça fait partie des dégâts collatéraux qu’on peut avoir en tant qu’organisateur : les matches, les grèves, les problématiques qu’on doit résoudre… A la base ça devait être en mars, vers le 13 mars, parce que c’est le Fonky Festival de Mars, Marseille, etc. Avec le ramadan, c’était un peu tendu de le faire. Le Cabaret Aléatoire nous a proposé le 12, le 13 et le 14 avril, parce qu’au départ ça devait être sur trois jours puis on a calmé nos ardeurs et on a gardé le 12 et le 13 avril. C’est vrai qu’il y a des concerts mais je me dis la ville bouge de plus en plus, on est un peu plus d’un million de personnes, des gens ont déjà pris leurs places, dont certains qui viennent de Bordeaux, de Montpellier… Si on ne prend pas le pari, si on est frileux à l’idée qu’il y ait des concerts en même temps que nous, on ne le fera jamais. Je t’avoue que ça ne me fait pas peur et j’ai envie de challenger la chose, mais si on n’est moins fréquenté, ça me fera un peu mal au cœur mais c’est un risque à prendre.

C’est comme lorsque tu sors un album mais qu’il y a d’autres artistes qui sortent le même jour.

DJ Djel : Grave. C’est Kofs qui disait ça en interview, son album sortait en même temps que celui de Jul, il aurait préféré qu’il sorte un autre jour, mais c’est comme ça. Je me dis tant mieux qu’il y ait plein d’évènements, ça promotionne quelque part la ville, nous on est dans un concept différent des autres concerts, L’Affranchi est partenaire, d’autres structures marseillaises aussi. Faut pas se tirer dans les pattes mais se tirer vers le haut. C’est ma philosophie dans la culture.

Tu peux me dire quelles ont été vos relations avec les autorités ? Étant donné que vous n’avez pas de subventions.

DJ Djel : A Marseille, on a tendance à ne pas demander conseil aux artistes, à ne pas travailler avec eux. Si les artistes eux-mêmes ne prennent pas les rênes, ils ne seront considérés que comme des acteurs soit sociaux, dans le rap, ce qui est malheureux, soit juste des acteurs de la musique mais pas de la culture. Par fierté, par envie d’indépendance dans un premier temps, pour vouloir prouver aussi, on ne voulait pas que cette première édition soit subventionnée. On ne voulait pas être téléguidé par l’administration, par la ville. On voulait avoir une D.A. complètement libre. Je pense que si on avait travaillé avec la mairie, on aurait été obligé de le faire dans le secteur du 7ème, 8ème arrondissement et de tourner le dos à la mairie du 1er arrondissement… Mon souci (il cherche ses mots), mon utopie c’est l’union, l’union fait la force. Pour l’instant, on n’est pas allés les voir, j’espère qu’ils viendront à nous, on espère aller les rencontrer aussi. On sait très bien que le rap a été une vitrine pour la ville. Maintenant, ce qu’on voudrait, c’est être un peu plus pris au sérieux, nous qui sommes artistes à la base mais aussi des figures emblématiques de la ville et qui voulons la faire bouger, avec des codes que n’ont pas forcément les politiques. On ne crache pas dans la soupe, on ne les déteste pas mais on veut être considérés à notre juste valeur.

Incha’Allah, même si la jurisprudence « Marseille 2013 Capitale de la Culture » a montré comment les autorités étaient capables de ne pas prendre la mesure de ce que représentait le rap en ne l’intégrant pas dans sa programmation.

DJ Djel : Pour l’anecdote, quand on a su l’enveloppe attribuée pour les « cultures urbaines » lors de cet évènement, on s’est mis en groupe avec IAM, avec FF, 3e Œil et plein d’autres acteurs de la ville et on a demandé de pouvoir co-gérer avec eux ces subventions. Ils nous ont pris de haut en pensant qu’on était là que pour l’argent… C’est toujours pareil, on est un peu ghettoïsés, vu comme des rappeurs qui ne peuvent donner que des cours d’écriture, de DJing, mais pas pour gérer des budgets. Voilà pourquoi il ne s’est rien passé en 2013. J’avais une ou deux opérations à l’époque, pour des gens que je connaissais dans les structures, sinon je ne les aurais pas faites vu ce qu’on était payé. Nul n’est prophète en son pays. Je me retrouve à faire des choses avec Lille, avec Bordeaux, avec Paris, que je ne fais même pas dans ma ville donc je trouve ça un peu décevant.

Parlons à présent de la carte. Tu as voulu faire un évènement avec que des Marseillais, mais en regardant la line up, on est obligé de constater qu’il n’y a pas les grosses têtes d’affiche du rap marseillais, les gros vendeurs. C’est parce que pour cette première édition, le festival n’est pas subventionné et manque forcément de moyens ?

DJ Djel : Tu as tout à fait raison, c’est pour ça. De un, on avait besoin de faire nos preuves, de deux, Stony Stone, Faf Larage, Ghetto Phénomène, 3e Œil, Puissance Nord, So La Zone, R.E.D.K., sont pour nous des grosses têtes d’affiche, mais évidemment, on n’a pas un Soprano, pas un SCH, pas un Soso Maness, pas un Fonky Family, pas un IAM… On aurait aimé le faire. Mais on espère dans les éditions prochaines pouvoir le faire avec des subventions. Mais je ne suis pas du genre à quémander. J’aurai du mal à demander à Sopra ou à SCH ou à Jul de venir. Ils sont les bienvenus s’ils ont envie de venir écouter, découvrir des groupes ou donner de la force, je ne demande que ça mais par souci de subventions, je ne peux pas faire venir des grosses têtes d’affiche, des gros vendeurs. Mais je rêve de mélanger ces artistes confirmés avec des artistes en développement, qu’ils soient dans l’underground, dans la drill, la trap, boom bap…

On sera tous gagnant si une telle initiative d’organiser un festival de rap à Marseille devient pérenne. Je suis conscient que je vais perdre de l’argent sur ce projet, je ne vais pas en gagner mais ça ne me pose pas de problème. Mon premier souci c’est que ça puisse se faire. Mais si on vend pas assez de places, je ne vais pas te mentir, on risque d’annuler le projet et ce serait la plus grosse déception que j’aurai.

Je m’adresse à l’organisateur : dis moi à quel point ça a été une galère d’établir l’ordre de passage des rappeurs sur ces deux soirées. (Sourire)

Dj Djel : Les rappeurs ont beaucoup d’ego en effet et il faut le prendre en compte. Mais tous sans exception, et je tiens à le dire, ont répondu « oui » à l’appel. Beaucoup m’ont dit « Je viens même si tu ne me payes pas » et ça m’a énormément touché… Je donne beaucoup à ma ville, aux rappeurs de la ville et savoir qu’ils sont là pour moi, ça m’a fait chaud au cœur. Et ils ont tous un peu mis leur ego de côté et ils ne m’ont pas demandé l’ordre ni la durée de leur passage. En gros, on sait que des gars comme So La Zone, Stony Stone, Ghetto Phénomène, 3e Œil, Relo ont de l’actualité et j’ai envie de mettre ces gens-là à la fin des concerts. Mais des gens comme Rager, Namek, Boy ont leur place aussi et évidemment, ce sera plus vers le début des concerts, mais ils sont à découvrir parce que pour moi ce sont des artistes qui en valent le coup. Mais forcément, il y aura toujours une liste qui partira, sans être péjoratif, d’en bas à en haut pour arriver à un point final qui pour moi mettra le feu.

On a parlé des rappeurs mais j’aimerai qu’on dise un mot sur K.Méleon, bien connu de la scène marseillaise et qui va animer ces soirées.

DJ Djel : K.Méleon c’est un artiste complet, ancien danseur, rappeur, chanteur, champion du End Of the Weak il y a quelques années. Il prépare d’ailleurs un projet solo qui ne devrait pas tarder à arriver. En ce moment, il travaille avec Dany Dan et sera son backeur sur sa tournée. On fait avec lui les Oldskool Party en compagnie de Faf Larage et DJ Daz aux Canailles à Marseille. C’est pour moi le meilleur animateur de la ville. Il est toujours là pour aider les groupes, dans des stages, en faisant du coaching. C’est vraiment un des derniers activistes (il appuie sur ce terme) de la culture hip-hop. On s’est rencontré il y a des années à la première partie de Redman à l’Espace Julien. C’est mon frérot.

Le festival n’est pas que rap puisqu’il est ouvert aux disciplines du hip-hop, avec des battles mais aussi une large place accordée au DJing et c’est là un élément majeur de la scène marseillaise dont on ne parle pas assez, forcément et malheureusement éclipsé par la place que prend le rap. C’était important pour toi de mettre en avant le DJing ?

DJ Djel : Le DJing c’est très important. On n’a pas un rappeur sans un DJ aujourd’hui sur scène. Les DJ’s marseillais ont toujours été très connus, très populaires. Paix à son âme Sya Styles, paix à son âme Majestic, qui sont des DJ’s légendaires pour moi. Je me devais de mettre en avant les DJ’s. J’ai moi-même une école de DJ avec L’Affranchi qui s’appelle L’Akademix dans laquelle je donne des cours tous les mercredis. J’ai formé des DJ’s qui seront au Fonky Festival, en l’occurrence DJ Lina, DJ Riddle, d’autres avec lesquels j’ai travaillé, DJ Soon avec qui j’ai monté le collectif Don’t Sleep, DJ Kamel Night, un frérot qui gère le club Le Bounce à Marseille, DJ Big Chris y joue aussi et il sort de L’Akademix. Pour moi, c’était hyper important qu’ils soient là, qu’on les voit, qu’on les considère comme des artistes, parce que les DJ’s sont souvent en arrière plan dans les concerts alors qu’on a un rôle majeur. On a donc programmé les potos et la relève pour qu’ils soient mis en avant.

Dernière question sur l’absence de la Fonky Family sur la scène sur Fonky Festival de Mars alors que le groupe reprend du service pour quelques dates cet été sur différents festivals…

DJ Djel : C’est le Fonky Festval de Mars donc si on reprend les lettres ça fait FF de Mars. Moi, je suis Fonky Family, au même titre que les six autres membres du groupe. Je prends le pari de faire le festival, en mon nom, mais je sais que mes frères sont derrière moi. On ne sera pas là pour faire un concert de la Fonky Family mais peut-être que la prochaine édition ou la suivante, on sera là. On part déjà pour une tournée des festivals cet été. On compartimente bien les choses. Là on revient sur la scène nationale. Mais peut-être que dans le public du Fonky Festival, il y aura des membres du groupe qui viendront déguster les concerts et peut-être même qu’il y en aura un ou deux qui prendront le micro pour dire quelque chose mais on ne sera pas en concert dans ce festival. J’ai quand même voulu faire une ode à mon groupe en l’appelant Fonky Festival de Mars, comme l’est le Demi Festival ou le Scred Festival.

Lire aussi :

Partagez:

Commentaires

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.