Young Dolph : un hommage en 10 Bons Sons

Le 17 novembre dernier, Adolph R. Thornton, plus connu sous le nom de Young Dolph, était assassiné à la sortie d’une boulangerie dans sa ville de Memphis. Après la vive émotion qu’a suscité ce tragique événement au sein de notre rédaction, où Young Dolph était fortement apprécié, comme en atteste sa présence régulière dans nos sélections mensuelles américaines, nous avons choisi de lui rendre un hommage dans notre champ de compétence, c’est-à-dire en musique, en explorant divers aspects de son rap et de sa personne, à travers dix morceaux que nous avons sélectionnés dans une discographie particulièrement fournie.

Young Dolph – 100 Shots (Prod. DJ Squeeky)

Il pourrait sembler cynique de notre part de démarrer cet article avec ce morceau. Pour autant, s’il ne devait demeurer qu’un morceau pour définir le rappeur que fut Adolph R. Thornton, « 100 Shots » serait certainement en très bonne position. Young Dolph y brille par son humour, son flegme de flambeur et son timbre vocal si particulier. En outre, l’instrumentale exceptionnelle de DJ Squeeky, en crescendo, est également l’occasion d’évoquer le caractère extrêmement bien produit de l’ensemble de l’œuvre du dauphin de Memphis. Mais au-delà de ces aspects plutôt musicaux, le fait d’ouvrir cet article avec « 100 Shots », qui se réfère à un événement bien réel datant de 2017 (et auquel le titre de l’album Bulletproof répond directement), quand le véhicule de Dolph avait été criblé de balles dans la ville de Charlotte en Caroline du Nord, est hautement symbolique. Il répond de la carrière même du MC de Memphis, qui a été marquée par les nombreuses tentatives d’assassinat auxquelles il a échappé jusqu’à ce sinistre mercredi de novembre. Les railleries envers ses ennemis qui jusqu’alors, l’avaient manqué, constituaient également un aspect de sa musique. Cela mis à part, elles illustrent également l’incroyable violence qui ne cesse de coller à la peau de ce milieu, puisqu’elles étaient également tout ou partie liée à la musique, et pas seulement à des affaires externes. Après l’émoi collectif, il faudra des solutions. – Xavier

Young Dolph feat. Juicy J – I think I’m Sprung (prod. DJ Squeeky)

High Class Street Music 2 : Hustler’s Paradise est, avec son grand frère plus sobrement intitulé High Class Street Music, le moment où Young Dolph commence à attirer les regards à l’échelle locale, à Memphis. De son côté, on retrouve déjà toute sa personnalité musicale, là où ses tentatives précédentes restaient très marquées par l’influence des légendes de M-Town. Un peu trop même. Sa voix n’est plus le seul élément distinctif de sa musique : on le reconnaît immédiatement grâce à son interprétation singulière, globalement calme mais incisive avec des fins de phrases soudainement criées. Aussi, bien que la production soit typique de l’époque à laquelle le disque sort (2011), Dolph suit deja les mutations de la trap music dont certains codes (les basses en particulier) sont toujours plus actuels que jamais. Ainsi, c’est sûrement la porte d’entrée la plus abordables pour un néophyte. A ce stade, il a déjà reçu des couplets de 8Ball, Gucci Mane et 2 Chainz, qui s’appelle d’ailleurs encore Titty Boi à l’époque. Nous avons donc choisi d’extraire « I Think I’m Sprung » des 23 bangers de ce volume, autant parce que le morceau nous plait que pour le symbole. En effet, il est cette fois épaulé par nul autre que Juicy J dans ce qui est leur première collaboration, et les deux MCs en profitent pour déclarer leur flamme à bien des plaisirs de la vie mais en particulier à l’organe de reproduction féminin. – Wilhelm

Young Dolph & Key Glock – 1 Hell of a Life (Prod. Bandplay)

Impossible de ne pas évoquer la complémentarité entre le roi de Memphis et son héritier direct. Celle-ci est arrivée sur le tard dans la longue carrière de Dolph, Key Glock commençant à apparaître aux côtés de son cousin par alliance sur Role Model, sorti en 2018. Par la suite, les deux trublions nous offrirons deux volumes de Dum & Dummer, respectivement en 2019 et 2021. Sur chacun des deux opus, Glock et Dolph croisent le micro avec humour et talent, dans un véritable esprit d’échange transgénérationnel (un peu plus de 10 ans les séparent) plutôt que de compétition acharnée. Difficile pourtant d’établir un sommet, parmi ces 42 titres, de qualité relativement homogène et haute. Mais la mélancolie qui se dégage du riff de guitare de la production de Bandplay sur « 1 Hell of a Life » nous avait immédiatement séduits. Derrière l’aspect, une fois encore, très flambeur du morceau, et les épaisses lunettes de Dolph, une touche de spleen se fait sentir, à l’image des lyrics oscillant entre célébration du succès, et regret de ce que celui-ci a coûté. – Xavier

Young Dolph – Kush on a Yacht (prod. DJ Squeeky)

Après une série folle d’albums entre 2016 et 2017, Young Dolph calme la cadence et se contentera d’un long format par an. Il en profitera pour développer son label et les artistes qui l’entourent. L’EP Niggas Get Shot Everyday, sur lequel figure l’excellent « Kush On The Yacht », se trouve à la jointure entre ces deux périodes et fait un peu office de parc de jeu après une compétition tendue. Dans ses disques précédents, l’interprétation est empreinte d’une agressivité qui se mêle au flegme si caractéristique de l’autoproclamé Roi de Memphis. Désormais Dolph semble plus tranquille que jamais. De son charisme se dégage une force tranquille à chaque passage dans la cabine de prise de voix. Le flow est légèrement moins agressif, un peu moins crié mais pas moins intense pour autant. Derrière cette maitrise évidente, les thématiques s’inscrivent dans le meme réel ultra-violent qui a toujours été le sien. Le titre du EP en atteste et la cover enfonce le clou. Malgré ses nombreux pendentifs excessivement onéreux, notre œil s’arrête sur la cicatrice qui lui prend tout l’abdomen, gravant dans sa chair son « ancienne » vie.

Un autre nom revient souvent dans cette sélection, celui de DJ Squeeky. Depuis très tôt, Squeeky a su fournir des prods ultra efficaces et de qualité. Difficile de tirer des généralités sur une discographie aussi dense, mais on distingue un côté très frontal dans les productions qui demande une performance de qualité au rappeur. Là où les production trap ont la réputation (injuste ?) d’exiger moins de virtuosité pour faire un bon morceau, Dolph ne choisit pas la facilité. De même, bien qu’il apparaisse moins dans notre sélection, le travail de Bandplay est aussi à saluer. – Wilhelm

Young Dolph – Fuck It (Prod. DJ Squeeky)

S’il est alors déjà actif depuis de nombreuses années, avec une dizaine de mixtapes sorties depuis le début des années 2000, c’est véritablement avec King of Memphis, sorti en 2016, que Young Dolph change de dimension. C’est l’occasion, avec cette pierre angulaire importante de sa discographie, d’évoquer l’ancrage local très important de Dolph, puisque c’est également là qu’il a été sauvagement abattu. Pour contextualiser, il est important de rappeler que cette auto-proclamation de souveraineté sur sa ville sort exactement le même jour que l’album The art of hustle de son rival local Yo Gotti. Au-delà de ces querelles, Young Dolph s’est imposé au fil des ans comme une figure très importante dans sa ville, offrant des donations et des interventions à son ancien lycée, le Hamilton High School, ou encore en finançant des repas pour des centaines de familles lors de Thanksgiving.

Pour en revenir à l’album, Young Dolph, dans la continuité de ses mixtapes, continue de faire le pont entre sa Memphis natale, et le son d’Atlanta alors en pleine bourre, s’entourant des producteurs phares de la capitale géorgienne, tels que Mike Will Made It, Zaytoven ou encore TM88, tout en développant sa touche personnelle déjà décrite dans les paragraphes précédents. – Xavier

Young Dolph – Lipstick (prod. Ari Morris & Peezey)

Role Model est la première pierre de ce que nous considérons comme la dernière ère de Young Dolph, sans rupture musicale bien que la confection des disques ait l’air un peu plus soignée. La vraie différence, c’est que Young Dolph aspire à dépasser le statut de rappeur et, de ce que l’on comprend, estime y être parvenu. Le titre de l’album n’est pas anodin, il affirme vouloir servir de modèle autant aux gens de la rue qu’aux gens « normaux », citant par exemple les métiers de l’enseignement. La partie plus « sérieuse » de l’écriture du Dauphin est imbibée de violence, largement évoquée dans ces lignes, mais Adolph Thornton est tout aussi conscient de la pauvreté qui l’entoure. Il espère que son image d’entrepreneur servira de modèle : en étant plus qu’un rappeur il montre que s’en sortir n’est pas réservé à poignée d’exceptions – le rap n’étant pas une voie sûre. Bien sûr, la posture très américaine du développement par le commerce est critiquable, mais elle témoigne d’un engagement au sein de sa communauté qui, en revanche, est difficilement attaquable. Pour autant, Role Model reste un album de Young Dolph avec tout ce que l’on peut en attendre. Et même si avec un peu de bonne volonté et de mauvaise foi, on pourrait plaider l’ode à l’émancipation, notre choix est plus simple et trivial. « Lipstick » n’en est pas revendicateur, pas plus que ce dont on a l’habitude, mais son ego-trip léger et sublimé par une entêtante boucle est d’une efficacité redoutable. – Wilhelm

Young Dolph – Blue Diamonds (Prod. Sosa808)

Un peu plus d’un an avant le tragique événement, Young Dolph publiait, malgré des rumeurs de retraite, son cinquième et dernier album, Rich Slave, qui consacrait symboliquement son auteur en lui offrant son succès commercial le plus important. Enrichi un peu plus tard d’une version Deluxe de 8 titres, il est probablement aussi le plus politique, étant sorti dans un contexte particulier, à peine quelques semaines après le meurtre de George Floyd par un policier à Minneapolis qui ouvrait une séquence politique de grande importance. Si le ton général de Dolph ne devient pas soudainement militant, la célébration de sa réussite économique s’inscrit dans la condition afro-américaine, et cet aspect est tout particulièrement souligné sur la pochette, et dans « Blue Diamonds » que nous choisissons pour l’illustrer.

En outre, la réussite commerciale engendrée avec Rich Slave consacre également un autre aspect propre à Young Dolph : le modèle d’indépendance et d’autoproduction qu’il a mis en avant dès la création du label Paper Route Empire en 2008, et qui est une caractéristique fondamentale de sa musique. – Xavier

Paper Route Illuminati – Talking to my scale (prod. DJ Squeeky)

« Talking to my scale » introduit Paper Route Illuminati, la bien nommée première mixtape en groupe du label Paper Route Empire. Celui-ci est fondé par notre ami Dolph à la suite de sa toute première mixtape (solo donc) en 2008. Sans trop se mouiller, on peut dire que ce morceau est l’un des meilleurs de la galette et c’est essentiellement dû au fait que Young Dolph y officie tout seul. Les rappeurs du label, en tout cas pour l’instant, ne sont pas à la hauteur du chef de fil et de son cousin. Sans être mauvais, au contraire, personne ne dégage autant de charisme et ne rappe aussi bien. Là où Young Dolph et Key Glock sont des rappeurs qui sortent de l’ordinaire, le reste de la troupe peine à dépasser le statut de rappeur·se parmi tous les autres. Ici, nous allons plutôt profiter de l’occasion pour explorer l’aventure PRE. À la création, comme souvent, le choix de l’indépendance n’en est pas un. Mais Dolph fait de la route vers le papier un mantra qu’il scandera sans relâche. On ne sait pas vraiment si c’était à titre personnel ou pour tout le label, mais lorsqu’il est approché par des majors, il refuse et s’amuse à nourrir des rumeurs assez folles – surtout une rumeur. Il expliquera par la suite que quand l’industrie s’intéresse à lui, elle espère gagner de l’argent sur son dos. Sauf qu’il s’est alors déjà créé une base solide de fans et n’est plus assez jeune ni inexpérimenté pour agir précipitamment. Après tout, si on lui propose ces fameux 22 millions, c’est qu’on estime pouvoir rentabiliser cet investissement, il est donc en théorie capable de générer bien plus que ce montant. Finalement, sa posture se résumait parfaitement dans « Kush On The Yacht » dont on parlait plus tôt : « “Dolph why you don’t never wanna sign a major deal?” ‘Cause I’m shitting on every nigga with a major deal! ». – Wilhelm

Young Dolph feat. Lil Yachty – Bagg (Prod. TM88)

Encore un bel exemple du pont « memphiso-atlantéen » avec cette belle collaboration entre celui qui est alors la tête d’affiche principale de la ville tennesséenne et l’une des étoiles montantes de la capitale géorgienne (qui s’est certes, un peu perdue depuis). Morceau fleuve pour une configuration de la sorte, « Bagg » est une bonne illustration des collaborations que l’on peut retrouver sur les opus récents de Young Dolph : rares, absolument pas superflus et très complémentaires. L’énergie apportée par Lil Yachty au fil de son couplet est ainsi différente de celle distillée par Dolph, moins flegmatique et plus incisive, et s’intègre parfaitement entre les lignes de l’hôte.

Cette pièce maîtresse des collaborations de Young Dolph s’inscrit par ailleurs en point d’orgue de Gelato, un album passé relativement inaperçu dans la discographie du MC, sorti au milieu d’un frénésie d’opus importants de son auteur, tels que Rich Crack Baby, Bulletproof ou encore King of Memphis. Il rappelle également que lorsqu’il s’agissait de parler d’argent, il n’avait que peu d’équivalent. – Xavier

Young Dolph – While U here (prod. Drumma Boy)

Sélectionner 10 morceaux dans une masse aussi vaste (et qualitative) n’était pas évident. Pourtant, « While u here », qui fermait l’excellent Thinking Out Loud, s’est amèrement imposée comme la conclusion logique de cette liste. Il profite des couplets pour se livrer sur sa vie, ses relations avec les siens autant que ses doutes et son rôle vis-à-vis des plus jeunes. Ce dernier point revient souvent dans la musique de Young Dolph et s’y est imposé comme un angle majeur. Puis, au refrain, il invite l’auditeur à célébrer ses proches, à leur dire qu’il les aime tant qu’il le peut… tant qu’ils sont là. Si le sujet peut toujours paraitre un peu trivial quand il n’est pas déjà trop tard, il s’inscrit dans la vie d’un homme qui a été la cible de deux fusillades quelques mois plus tôt et qui a vécu dans un environnement où les décès non naturels ne sont que trop courants. L’écho du texte est d’autant plus fort que Young Dolph n’avait pas coutume de s’épancher sur ses sentiments, lui qui semblait plus prompt à évacuer par l’ironie n’a pourtant pas peur de mettre les pieds dans le plat. C’est aussi, sur l’aspect plus purement musical, un ultime rappel de la versatilité d’un rappeur aussi bien capable de faire de morceaux freestyles, d’approfondir des thèmes ou idées générales, de motiver les troupes, que de laisser place aux émotions avec la même présence charismatique dans chacun des registres. – Wilhelm


Partagez:

Un commentaire

Commentaires

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.