Napoleon Da Legend, de Washington à Marseille : l’interview « 10 Bons Sons »

À une époque où l’indépendance fait office de maître-mot, on occulte souvent les difficultés que rencontrent certains artistes à tirer leur épingle sans pour autant jouer selon les règles. Depuis quelques années, l’hégémonie écrasante des algorithmes a radicalisé les propositions musicales d’une large frange du rap américain de façon à stimuler une créativité laissant peu ou pas de place aux propositions jusqu’au-boutistes. Entre un certain univers underground pouvant parfois sonner comme les variations d’un même thème, le trait chaque fois grossi, et une éthique du mainstream où l’importance de l’idée prend le pas sur son exécution, certains choisissent d’emprunter une voie alternative. Napoleon Da Legend figure dans cette catégorie. Une fanbase fidèle, des albums fouillés, des bonnes relations et un flow tout-terrain qui préfère le ghetto à la luxure : la recette d’une riche carrière en indépendant, avec l’humilité d’un gars qui trace sa route la tête haute tenue. Voici son parcours en dix morceaux phares.

1 – Napoleon Da Legend – The Anthem (2001, Prison / The Anthem)

T’as un petit air de N.O.R.E. sur cette chanson…

Peut-être que c’était mon subconscient, j’écoutais beaucoup Noreaga. C’était quand il était chaud, à l’époque. Je vois que ma voix n’avait pas encore trop changée. J’avais encore une voix de gosse. J’ai enregistré cette chanson en France, en fait. C’était JR Ewing qui m’avait payé pour faire un maxi et il y avait cette chanson qui était produite par Alsoprodby, le producteur de Saïan Supa Crew à l’époque. On a enregistré ça et la chanson « Prison » dans le studio de Cut Killer. C’est devenu la chanson qui mettait le plus d’ambiance dans mes concerts parce qu’elle était uptempo.

C’était le premier disque que tu sortais ?

Non, je crois qu’il y en avait un autre. Quand j’étais allé à Paris vers mes 14-15 ans, j’avais rencontré les gars du Saïan Supa Crew. Il y a un gars qui est venu au studio qui s’appelait Samir. J’ai enregistré un morceau qui s’appelait « Free Speech » et il l’a sorti sur la face B d’un vinyle commun avec 7 Corrompus en 1998. Malheureusement, je ne retrouve plus la chanson. Je vois que la face A est sur YouTube, mais la face B n’est plus trouvable.

C’est fou de se rendre compte que tu as commencé à rapper en anglais en France.

En fait, c’est surtout que j’ai d’abord eu accès à des opportunités en France. Ça ne veut pas dire que j’ai commencé là-bas. Ce qui s’est passé, c’est que le frère d’un de mes meilleurs amis habitait à Paris. J’avais également des cousins à moi là-bas. Son frère faisait de la musique et on est devenus très proches. Quand il venait à Washington, il nous disait qu’il avait un studio qui s’appelle « Studio Nomad » à Stalingrad, qu’il y avait des gars qui s’appelaient Saïan Supa Crew qui étaient très forts et tout ça. Il nous faisait écouter des trucs. Donc, j’ai dit, pendant l’été je vais passer voir ma tante en France et ce serait une opportunité de le rencontrer en studio. C’était mes premières expériences de studio. En Amérique, on avait enregistré sur des petits 4 pistes, chez mon pote Edon qui habitait à côté de chez moi. Mais quand je suis allé là-bas, c’était un un autre niveau. Le Studio Nomad, c’était un gros truc. Il y avait DJ Fun, Alsoprodby et les gars du Saïan Supa Crew avant qu’ils soient signés. J’ai vu comment ils enregistraient. J’étais là-bas tous les jours, du matin au soir. C’était comme si je faisais partie du groupe. Quand ils allaient à la radio, je les accompagnais et je rappais avec eux. J’ai d’ailleurs quelques chansons avec Vicelow, Leeroy et d’autres qui ne sont jamais sorties encore.

C’était avant qu’ils sortent Saïan Supa Land ?

Je suis sur ce projet ! J’apparais sur la chanson « La solution » feat. Les COM’X, composé de moi et mon pote qui habitait à Paris, et justement, ce projet c’est peut-être la première fois que j’ai rappé en français, même si je rappais en anglais à l’époque. Comme j’étais autour d’eux, j’ai naturellement écrit des textes en français. Quelques mois après, de retour en Amérique, ils ont signé avec Virgin ou un label comme ça. KLR était encore vivant à l’époque.

2 – Napoleon Da Legend – Wise Men feat. Sean Price (2013, Awakening)

C’est un gros saut dans le temps. Qu’est-ce qui s’est passé pour toi entre The Anthem / Prison et ce premier album ?

C’est ce que j’appelle les dark ages de ma vie. C’était une période où mes parents avaient quitté l’Amérique. Ils avaient divorcé, ma mère est partie à Paris et mon père en Côte d’Ivoire. J’ai décidé de rester seul à Washington. J’étais sans famille mais avec des amis dont les proches me soutenaient si j’en avais besoin. J’étais pas vraiment seul mais je me cherchais en tant que jeune gars qui voulait réussir dans le rap, mais qui devait tout de même vivre. On faisait beaucoup la fête avec mes potes. Le rockstar/rapstar lifestyle, je l’ai vécu durant cette période. Avec mes amis, on sortait, on voyageait. S’il y avait le NBA All-Star Weekend à Los Angeles, on prenait l’avion jusque là-bas. On emmenait nos CDs et on les donnait partout aux gens. On sortait en soirée. On s’incrustait dans des shows. Je me rappelle même qu’une fois, j’étais sur scène avec Wyclef. Je me souviens plus comment je m’étais retrouvé là. On faisait un peu les fous, tu vois. On faisait la fête. On sortait beaucoup, des fois on voyageait ensemble à Paris, on allait dans différents États. J’enregistrais des chansons, on les gravait sur des CDs et on les distribuait à New York, à Philadelphie, à Détroit, Los Angeles, mais on n’avait pas vraiment de structure. On ne comprenait le rap game, le music business.

J’avais un buzz à Washington, les gens de la ville me connaissaient. On faisait les premières parties de Ghostface, Nelly, Busta Rhymes, Phife Dawg… On faisait même des concerts à guichet fermé à Maryland et à DC ! On allait dans les open-mics. On avait un groupe d’amis avec qui on allait un peu partout. On s’appelait Black Mafia, à ne pas confondre avec BMF. On avait un buzz parce qu’à chaque concert, on vendait tous les tickets. Mais si on avait été intelligents, qu’on avait filmé et qu’on avait utilisé Internet pour se faire remarquer à l’extérieur de Washington, je crois qu’on aurait pu se faire remarquer d’une autre manière. On était jeunes, on croyait qu’on était déjà des stars.

Je me souviens d’un show dans une boîte à Washington et Young Murz et Cadillac Tah de Murder Inc. étaient là. Quand ce dernier a vu l’ambiance du show, il a directement appelé Irv Gotti. On n’a jamais eu de retours malheureusement. Parfois, j’allais à New York, on avait des rencontres à Universal avec Eric Nicks. Les gens disaient qu’ils voulaient me signer. J’ai eu des rencontres avec des A&Rs de SRC Records, le label de Akon. J’ai même rencontré Reggie Ose [NDLR : Combat Jack, RIP] parce qu’il avait un autre label dans le West Coast qui voulait me signer mais rien n’a jamais abouti. Quand je suis arrivé à New York, j’étais plus dans l’optique de faire des demos pour les montrer à quelqu’un parce qu’avec l’expérience, j’avais compris qu’il fallait que j’organise une fanbase autour de moi. Durant ces moments, je faisais de la musique mais j’étais un peu démotivé, découragé. J’avais des problèmes avec certains de mes amis. Il y avait beaucoup de mauvaises influences autour de moi, des gars qui allaient souvent en prison. Je savais que j’étais pas réellement heureux, qu’il manquait quelque chose dans ma vie. Peut-être qu’à l’intérieur de moi, je savais que j’allais pas vraiment à fond, mais je n’arrivais pas à mettre le doigt sur ce sentiment. Ce qui a changé, c’est la mort subite de mon père aux Comores. Ça a un peu bouleversé ma vie, je me suis dit que je ne voulais plus faire de musique. Je ne gagnais pas d’argent, mais je ne voulais pas non plus me mélanger à ceux qui faisaient du business dans la rue. Je me suis dit que je devais trouver un boulot comme toute le monde et vivre ma vie. Quelques années plus tard, après m’être remis de tout ça, je me suis dit qu’il fallait que je déménage à New York parce que bien que j’avais arrêté la musique, il y avait toujours des lyrics qui me venaient. Comme si j’avais des voix dans ma tête. C’était étrange parce que dans mon coeur, j’avais fini avec la musique mais j’avais toujours des idées donc j’ai recommencé à enregistrer une fois là-bas.

C’est à New York que tu réalises ton premier album Awakening, qui contient entre autres un featuring de Sean Price et un autre avec Raekwon. Dans quel état d’esprit étais-tu à ce moment-là ?

Je connaissais une fille qui habitait à Brooklyn. Elle me propose de m’héberger quand j’avais besoin. Avec le temps, j’ai fini par m’y établir définitivement. J’ai donc commencé à rencontrer des gens New York et il y a un gars qui m’a dit un jour qu’il connaissait bien Sean Price. Il me disait qu’il aimait travailler avec des nouveaux artistes et qu’il pouvait donc me référer à lui. J’y croyais pas trop parce que c’était Sean Price, quand même ! Contre toute attente, je l’ai au téléphone le même jour. J’ai donc pris ce beat qui était de DUS (New Jersey) et j’ai enregistré mon couplet et le refrain. Le lendemain, il me rappelle et se met à me rapper son couplet. J’arrivais pas à y croire. Il me propose de le rejoindre au studio de PF Cuttin, son DJ, pour l’enregistrement. Le mec qui a fait « When the East is in the house, oh my god. Danger », c’est fou! J’arrive donc au studio et il me dit que Sean Price est en train d’enregistrer dans un booth construit avec des milk crates. Dès qu’il termine son couplet, je lui propose de tourner un clip. Il me répond qu’il est d’accord, à condition que ce ne soit pas un clip ordinaire avec des scènes filmées dans la rue parce qu’il en a déjà trop fait. J’ai donc commencé à préparer le clip avec mon ami Niro des 2Bal 2Neg’ qui habitait à New York à ce moment-là. Malheureusement, j’avais du mal à contacter Sean Price et au bout de quelques jours, je commence à me décourager mais par chance, un jour, il finit par répondre au moment-même où je me faisais arrêter par des policiers qui cherchaient le suspect d’un crime. Sean Price me dit alors qu’il est prêt à le faire, à condition qu’on le tourne le lendemain. J’étais tellement content de parler à Sean Price que je suis resté au téléphone pendant toute la durée de l’interpellation ! Faut se souvenir que ce vidéoclip est très scénarisé, donc c’était toute une paire de manches de pouvoir rassembler tous les acteurs, trouver les lieux où tourner. C’était fou ! Le lendemain donc, j’ai été chercher Sean Price pour qu’on aille filmer ses parties à Harlem.

Et comment s’était faite la connexion avec Raekwon ?

La chanson avec Raekwon s’est faite avant. Juste avant que je déménage à New York, au moment où je commençais à reprendre le rap. J’avais un pote à Maryland qui avait rencontré Raekwon. Donc il avait dû lui parler de moi et lui proposer qu’on fasse un featuring. Mon pote s’est donc arrangé avec le frère de Raekwon, Dom Perignon, et ça s’est fait à distance. J’ai procédé de la même manière : je lui envoie un couplet et un refrain pour qu’il ajoute son couplet. On était tellement contents parce que c’était la première fois que je collaborais avec un de mes artistes préférés, même si la collaboration avec Sean Price était beaucoup plus marquante. Jusqu’à aujourd’hui, on ne s’est jamais encore rencontré, Raekwon et moi.

3 – Napoleon Da Legend – My Life (2001, single)

NDL : murmure les paroles.

Cette chanson, je l’ai découverte dans le Built To Last Mix de Conçu pour durer. C’est bien l’instrumentale de Live On, Live Long de Capone-N-Noreaga ?

Oui. Ça a toujours été une de mes instrus préférées. Je suis un grand fan de Noreaga. Je crois que cette chanson date de 2001, quand j’étais encore à Washington.

Et elle est sortie 12 ans après !

Elle n’est jamais réellement sortie. Elle faisait partie des morceaux que je mettais dans mes demos et tout ça. J’avais beaucoup d’estime en moi-même quand j’ai fait cette chanson. Je croyais vraiment que j’étais fort (rires). C’était une de nos chansons préférées à jouer en concert, mes amis et moi. D’ailleurs, les scratchs au refrain, je les ai faits avec ma voix. L’influence des gars du Saïan…

C’est une de mes chansons préférées de toi, personnellement.

Wow. Tu sais, malgré tout le temps que je ne l’ai pas écoutée, je la connais encore presque par coeur. Ça prouve à quel point elle me tenait à coeur, à l’époque.

4 – Napoleon Da Legend – Black Privilege feat. Mad Squablz (2016, Steal This Mixtape Too)

De qui est le discours à la fin de la chanson ?

C’est Muhammad Ali, quand il a gagné le championnat contre Sonny Liston et qu’il n’était pas encore connu. Ça témoigne de l’énergie qu’il avait à ce moment-là.

C’est une chanson très importante dans ta carrière.

Le concept de cette chanson a été élaboré au moment où je produisais la série Steal This Mixtape. Il y avait mon pote Bryan Winston qui m’aidait à chercher des instrus. C’est lui qui m’a fait plonger plus profondément dans le travail de beatmakers comme J Dilla, Madlib, Onra dont j’ai utilisé les beats. On discutait simplement et à un moment, je sors l’expression « black privilege » et il me répond : « on dirait un titre de chanson ». J’ai donc directement commencé à l’écrire. J’essayais pas d’être trop lyrical, je voulais simplement montrer la force de la persévérance. Pendant cette période, j’allais beaucoup en Philadelphie. C’est là que j’ai rencontré Mad Squablz. Je le trouvais très fort. J’ai voulu que son énergie soit transmise via cette chanson. Par la suite, on a fait le clip. Ça a ouvert beaucoup de portes pour moi. Avant que Facebook change son algorithme, ma fanbase partageait beaucoup le contenu que je publiais sur Facebook et YouTube, la promo autour de mes mixtapes m’a donc permis de réaliser une tournée, le « Steal This Mixtape Tour ». Quand je suis rentré aux États-Unis, j’ai fait SXSW, Sway In the Morning, Fox 5 News DC, Essence Festival, plein de trucs. Tout ça grâce à « Black Privilege » et ce que ça voulait dire, particulièrement dans le climat politique du moment. Trump venait de se faire élire président… Cette chanson, en fait, je ne l’écoute pas souvent mais je finis toujours mes concerts en la chantant. C’est vraiment en concert que je perçois son impact. À mon avis, il y a des chansons qui sont plus agréables à écouter seul, avec ses écouteurs, d’autres prennent leur importance en concert.

Le titre de la chanson est un twist de l’expression « white privilege ». Pourquoi est-ce que tu as voulu faire ce statement ? Cette chanson pourrait sortir aujourd’hui, maintenant que les questions de relations raciales sont plus prises au sérieux qu’auparavant. C’est une expression qui vient des Critical Race Studies, qui attaquent justement ces problématiques de blackness, de whiteness au centre des problématiques d’inégalités sociales aujourd’hui. Mais pour toi, qu’est-ce que cette expression représente ?

Sur la couverture de la première Steal This Mixtape, qui est sortie en 2016, tu vois un homme noir en train de crier après un policier habillé en équipement anti-émeutes. Et ça, c’était avant la mort de George Floyd. Là-dessus, je crois que j’étais en avance. Sur la couverture de la deuxième, c’est une explosion avec deux personnes qui ont le poing en l’air.

Quand je parlais à Sean Price au téléphone, deux policiers m’ont arrêté et m’ont dit qu’ils voulaient voir mes papiers parce qu’il y avait eu un meurtre alors que je ne faisais que me mêler de mes propres affaires. Et c’était pas la première fois ! Il y a des fois où on rentrait de boîte de nuits à Washington et des policiers pointaient leurs pistolets sur nous et nous disaient la même chose : « il y a eu un meurtre et la personne a utilisé la même voiture que vous ». Moi, dans ces situations, je sais rester calme, mais je comprenais ceux qui s’énervaient. C’était du harcèlement ! Quand on te harcèle, ça t’énerve. Il se peut très bien qu’à ces moments-là, si un de mes amis s’était énervé, on se soit retrouvés en prison. Dans certains magasins de Paris même, on m’empêchait d’entrer. Ils n’aimaient pas ma tête. Et je ne parle pas de magasins chics ! Je te parle de supermarchés comme Auchan, à La Défense ! Je me souviens aussi qu’à l’école, les plus mauvais élèves n’étaient pas Blancs. Pour une certaine raison, ils avaient systématiquement de moins bonnes notes. Est-ce que c’était une coïncidence ? Quand j’y pense maintenant, je me dis qu’on avait des professeurs racistes, parce qu’on était d’origine africaine, maghrébine ou je ne sais quoi.

En fait, « Black Privilege », ça veut dire que tu peux t’exprimer comme tu veux. C’est la liberté totale. C’est une manière de s’affirmer. Les gens qui ont des mauvaises intentions vont peut-être me taxer de black supremacism, mais c’est totalement le contraire. Ces choses ne veulent rien dire quand tu fais partie des opprimés. Le suprémacisme blanc exprime une situation de privilège dans la société. Mon message c’est que « on ne devrait pas s’excuser d’être qui nous sommes » et même quand je pensais à la chanson et à sa définition, je me disais que c’était universel parce que c’est noir. Tout le monde peut avoir du « black privilege ». Même quand tu entends des personnes blanches qui disent qu’ils n’ont pas de privilège blanc parce qu’ils sont pauvres, qu’ils n’ont rien, qu’ils n’ont pas de soins de santé.

Mais c’est ce qui participe de la définition du privilège, c’est qu’il est invisible…

C’est invisible, mais je peux les comprendre s’ils ne connaissent pas l’histoire. En revanche, toutes ces choses démontrent qu’on a beaucoup de choses en commun. Fais comme nous, get yourself some black privilege. Parce que quelque part, même quand moi je rentre aux Comores, j’ai davantage de privilèges que la plupart des gens là-bas. Quand tu y vas, les gens sont souriants, ils sont généreux malgré tout. Pour moi, c’est ça le black privilege. Malgré que tu sois dans les pires conditions, tu restes fier d’être qui tu es avec ce que tu as. Tout le monde peut avoir ça, parce qu’au-delà de la race, c’est un truc humain ! Maintenant, on voit qu’il y a une classe qui nous opprime tous. On peut utiliser cette force du black privilege pour s’allier et être plus forts.

5 – Napoleon Da Legend & DJ Scribe – Le Bien, Le Mal (Remix) (2018, DJ Scribe Presents Gifted Unlimited Forever)

Le morceau original est l’une des premières connexions FR-US de l’histoire. Tu as voulu le reprendre sur cette mixtape hommage à Guru. Pourrais-tu me parler de cette relation que tu entretiens avec DJ Scribe, la France et la raison de cet hommage ?

En 2017, quand j’ai fait ma première tournée européenne, la « Steal This Mixtape Tour » avec mon pote DJ Architeknic, la troisième date de la tournée à Mulhouse m’a vraiment marquée. C’était dans un salle plus proche du bar plus que de la salle de concert. Ce soir-là, c’était rempli. DJ Scribe avait une grosse énergie sur scène. Il est très gentil et très hip-hop. Après le show, il est resté en contact avec moi et on a commencé à collaborer. On a sorti Mulhouse 2 Brooklyn et Brooklyn in Mulhouse peu après. J’y suis retourné en 2019 pour faire une concert dans une grande salle qui s’appelait le Noumatrouff. DJ Scribe était très fan de Gang Starr. Il avait d’ailleurs rencontré DJ Premier et Guru plusieurs fois lors de leurs passages en France. Il voulait leur rendre hommage. J’adorais aussi Guru et il avait les versions instrumentales des morceaux donc j’étais chaud de le faire. J’avais également fait une mixtape hommage à 2Pac. D’ailleurs, je ne crois pas que l’instrumentale de « Le Bien, Le Mal » soit trouvable. C’est Jimmy Jay, avec qui j’ai collaboré plusieurs fois, qui nous l’a refilée.

Ce lien avec la France, tu l’entretiens encore jusqu’à aujourd’hui.

Oui, ça fait partie de moi. Je trouves ça hyper important.

6- Napoleon Da Legend – Guy Like Me (feat. Minz) (2018, Afrostreet)

Cette chanson est très spéciale puisque les sonorités sont très ouvertes, mais tu ne te compromets aucunement sur la partie rap.

En fait, j’ai toujours eu envie de rapper sur des rythmes comme ça. Je trouve que j’ai une manière unique de rapper pour ce genre de beat, calé sur la rythmique comme ça, mais les gens ne prêtent pas trop attention à ces détails. Au passage, Minz qui collabore avec moi sur la chanson, est un artiste qui commence à être populaire en Afrique. J’aime les challenges et aussi défier la perception que les gens ont de moi. Je sais que la façon dont les gens me perçoivent c’est que je suis un MC pour les puristes mais j’ai envie qu’on comprenne que je suis un artiste avant d’être un MC. Et que j’aime tenter des choses, sortir de ma bulle. Je sais que certaines personnes vont me regarder bizarrement, mais pour moi c’est un équilibre. J’aime faire plaisir aux gens qui écoutent de l’afrobeat. Ça amène aussi une public féminin qu’on a moins dans le rap underground.

7- Napoleon Da Legend & Giallo Point – D Rose Bones (2019, Coup d’Etat 2)

Une autre connexion internationale. Giallo Point, beatmaker anglais réputé pour ses instrus minimalistes, très connecté avec la scène underground américaine...

En fait, j’ai entendu parler de lui lors d’une interview dans un podcast. L’autre artiste invité disait qu’il ne comprenait pas comment il pouvait être aussi productif. Ça m’a rappelé ma propre productivité. Je me suis dis « pourquoi pas essayer de le joindre ? » Il connaissait mon travail donc ça s’est fait naturellement. Il a commencé à m’envoyer des beats malgré que je n’avais jamais écouté ce qu’il faisait. J’avais simplement fait confiance à ce qui se disait sur lui.

En entendant ses beats, je me suis dit que ce serait intéressant d’explorer davantage ces sonorités vu que j’en avais rarement utilisées. Ça m’a permis d’être plus street. J’aime ça parce que j’écris en fonction de la musique, c’est la musique qui dicte le ton des paroles. Ça m’a permis d’exprimer certaines idées. Lui et moi, sur une période très courte, on a enregistré beaucoup de morceaux, ce qui nous a permis de sortir trois albums échelonnés sur plusieurs années.

Le titre « Coup d’État », c’était mon idée. Je suis Comorien et les Îles Comores, c’est le pays où il y a eu le plus de coups d’États au monde. C’était quelque chose que j’entendais beaucoup, ayant vécu là-bas. Et vu que mon nom c’était Napoléon, je me suis dit que ce serait comme un coup d’État sur le game.

Il y a des featurings avec Rim et SmooVth, très actifs dans le réseau rap underground américain. J’ai l’impression qu’un autre de tes points communs avec cette scène, c’est une façon particulière de vendre sa musique hors des canaux traditionnels, sur Bandcamp, en vinyle...

Ce que j’aime plus que vendre ma musique, c’est de l’offrir. Je donne toujours l’option d’acheter mes disques ou de les télécharger, mais je suis content si tu les stream sur YouTube. Je trouves cette façon de vendre des disques hors de prix un peu exagérée. Quand j’ai sorti mon vinyle de Dragon Ball, je l’ai sorti à 25$ alors que d’autres, avec un concept pareil, l’auraient vendu à 40$ au moins. Ça les regarde et tant mieux si ça marche pour eux, mais personnellement, je préfère que ma musique reste accessible au plus grand nombre. Je suis pas un mec très penché sur le marketing, je reste un gars du peuple à la base.

Tu as un public très fidèle.

Je crois qu’il est fidèle parce qu’il se retrouve dans ma musique et que j’ai un certain respect pour ceux qui me suivent. On se donne tous une image quand on rappe, mais quelque part, les gens voient à travers ça. J’ai pas peur d’être vulnérable, de parler de vrais enjeux, de dire que j’ai eu un boulot normal alors que beaucoup qui sont dans la même situation prétendent être des dealeurs de drogue. Il y a une confiance entre moi et mon public.

ll y a un certain mouvement dans le rap où beaucoup de rappeurs, même parmi les plus établis, maltraitent leurs fans et les fans aiment ça. J’ai déjà entendu certains rappeurs dire « j’entends que vous vous plaignez parce que vous avez pas encore reçu votre vinyle ! Vous le recevrez quand j’aurai le temps de vous l’envoyer ! ». Des trucs un peu méprisants comme ça… Moi, c’est pas mon éducation. Personnellement, je me contente de faire de la musique du mieux que je peux en gardant mon savoir-vivre. Dieu merci, ça a marché pour moi, je vis bien de ma musique. Si tu compiles toutes les ventes, streams et downloads que j’ai fait durant ma carrière ces dernières années, ça fait beaucoup !

Souvent les gens qui vont en Europe, c’est des old-timers. Je fais partie des rares qui ont la chance de tourner encore là-bas. Je cultive des relations saines avec les gens et c’est quelque chose que je chéris. C’est jamais une histoire de calcul, c’est que de la sincérité, de l’humain. C’est avec cet état d’esprit que j’ai pu rencontrer Akhénaton. Lui non plus, de son côté, même s’il pourrait travailler avec n’importe qui s’il le désirait.

C’est même un des artistes installés qui hésite le moins à citer les nouveaux rappeurs qu’il découvre et qu’il aime !

Exact. C’est qu’une question de vibe.

Ça te prend combien de temps faire un morceau ?

Tout dépend des circonstances mais en général, si j’aime le beat, j’écris et j’enregistre en moins d’une heure.

Comment as-tu développé cette productivité ?

Je ne réalise pas vraiment. J’ai surtout remarqué, quand j’ai commencé à faire les Steal This Mixtapes, à quel rythme j’arrivais à écrire. Je me souviens d’une fois où je disais à mon pote DJ Bazarro que franchement, personne ne pouvait rivaliser avec mon éthique de travail. Je le disais pas de manière arrogante, mais quand je constate que j’écris certains sons en cinq minutes, je me dis que c’est vrai. Je suis pas du genre à garder des lyrics dans un cahier, à écrire avant d’arriver au studio. J’arrive toujours mains dans les poches, j’écoute l’instru, je me fais confiance et je m’exprime sur la musique. J’ai pas peur d’être moi-même. Je réfléchis à peine quand j’écris, ça vient tout seul. C’est pour ça que je suis aussi productif. Et si j’exprime pas toutes ces idées, je deviens fou. J’ai l’impression de constamment m’améliorer donc je suis toujours curieux de voir où ça me mène. Rendu à ce niveau, je m’amuse tellement ! Je crois que quelqu’un comme Sean Price est du même style. PF Cuttin me disait qu’après sa mort, il avait encore 1500 chansons qui n’étaient jamais sorties.

8 – Napoleon Da Legend – De rien (2020, Charles de Gaulle)

C’est extrait de ton premier projet bilingue. C’est pas bizarre d’écrire plusieurs chansons sur le même beat ?

Franchement, non. Tu sais, ça m’est arrivé que Giallo Point m’envoie tellement de sons que j’ai enregistré deux chansons sur le même beat sans me rendre compte que je l’avais déjà utilisé ! « De rien », c’était la première chanson en français que j’écrivais depuis les années 90. C’était un test pour voir ce que ça donnait. C’est là que j’ai repris confiance en mes talents de rappeur en français.

Quelles sont les premières réactions que tu as eu ?

Je crois que le premier à qui j’ai envoyé le morceau, c’était Saïd d’IAM. J’avais fait une première interview en français pour Médiapac, un média comorien et elle avait eu 100 000 vues donc je me suis dit qu’il fallait que je commence à écrire des trucs pour les francophones qui me suivaient. J’ai rencontré IAM dans un concert à New York, par chance. C’était DJ Scribe qui m’avait mis sur la liste d’Imhotep. Après le show, j’étais dans le côté VIP, Saïd m’a aperçu et m’a proposé de me présenter à tout le groupe. J’ai discuté avec Akhenaton et les autres, et on est devenu amis. Quand Saïd a entendu le morceau, il m’a dit que j’étais « trop fort ». Il a ce don pour m’encourager et ça me fait plaisir mais franchement, j’étais déjà convaincu de sortir ce morceau malgré cette confirmation. Je sais que rapper en français après tout ce parcours, c’est quelque chose d’unique.

9 – Akhenaton & Just Music Beats feat. Napoleon Da Legend – Storytellers (2020, Astéroïde)

Ta première collaboration avec Akhenaton. Comment s’était de rapper avec quelqu’un de sa stature ?

C’était comme un rêve ! Tu sais, beaucoup de gens qui me suivent ne comprennent pas que j’ai autant été bercé par le rap français que le rap américain. J’ai jamais eu de préférence pour l’un ou l’autre. Quand j’étais jeune, c’était l’âge d’or du rap français donc jamais j’aurais cru qu’Akhenaton m’appellerait out of the blue pour rapper sur son album malgré les liens que j’avais créés avec eux. Saïd me disait d’ailleurs qu’avant leurs concerts, ils écoutaient souvent ma musique en backstage, dans le tour bus, en particulier les morceaux comme « Passe-temps d’un dieu » où je rappe en français. Je le croyais pas vraiment mais quand j’ai vu le message d’Akhenaton, je me suis dit que c’était peut-être vrai ! Merci au COVID, IAM n’était pas en tournée et il était en pleine réalisation de son album avec Just Music Beats. Ce morceau, c’est lui qui m’a proposé le concept. Faire un « flip the verse », il y a pas beaucoup d’MCs qui peuvent le faire. Akhénaton est bilingue. C’était le destin.

Parce qu’AKH et Shurik’N aussi rappaient en anglais sur Concept !

C’est fou ! Je savais pas pour Shurik’N. Faut que je le réécoute ! En tout cas, Akhenaton m’a dit que ça faisait longtemps qu’il l’avait pas fait. Il était content.

Beaucoup de rappeurs français écoutent du rap américain sans comprendre les paroles, donc ça fait plaisir d’entendre un rappeur français bilingue collaborer avec un américain. Très souvent, ces connexions internationales sont moins réussies pour cette raison.

Je suis d’accord avec toi. Je me souviens qu’à l’époque, il y avait quelques collaborations US-FR qui se faisaient. Celle entre Guru et MC Solaar était très bonne, mais sur d’autres, je sentais qu’il manquait d’alchimie et j’avais l’impression que les rappeurs américains s’en foutaient, le faisaient uniquement pour l’argent, sans respect mutuel. Si moi je rappe avec Akhenaton, Lino, Oxmo ou Kery James, je sais ce que ça représente. C’est des gens que je respecte. C’est des légendes. Je mettrais mon âme dedans. Des fois, je fais des collaborations avec des artistes dans des langues étrangères, c’est que moi et le beat et vu que je ne comprends pas ce que dit l’artiste, ce qu’il représente dans son pays, je me contente de faire ce que je sais faire. Mais c’est bien plus naturel quand je le fais avec un artiste que je comprends.

10 – Napoleon Da Legend – Frieza (feat. Nejma Nefertiti) (2020, Dragon Ball G)

Ce morceau est extrait d’un album où tu samples que des morceaux issus de la bande originale de Dragon Ball Z. Ce n’est pas la seule fois où tu fais l’exercice de piocher dans l’univers d’un animé. Quel est ton rapport avec l’univers des dessins-animés japonais ?

Les mangas étaient une de mes obsessions quand j’étais jeune. Grâce à ma connexion avec la France, j’ai régulièrement eu des gens qui m’envoyaient des cassettes d’animés japonais. Je préférais regarder ça que les dessins-animés américains. J’ai toujours eu un lien fort avec cette culture et avec la musique des animés. Je me suis rendu compte en grandissant de l’importance qu’elle avait. Au fur et à mesure de mes recherches autour de ces morceaux, j’ai commencé à vouloir faire des albums en les utilisant. J’ai donc décidé de le faire en conservant l’esprit des musiques originales de Saint-Seiya, Ken Le Surivant et Dragon Ball. C’était un plaisir personnel. Je ne me limite pas dans ce que je peux faire, même si pour ça défie certains codes habituels.

Est-ce que tu pourrais me parler de la rappeuse Nejma Nefertiti ?

On faisait du service communautaire ensemble. Quand je suis arrivé à New York, j’ai commencé à faire du bénévolat dans des camps d’été pour jeunes, des ateliers hip-hop, etc. J’avais pas vraiment le réseau pour faire du communautaire à Washington donc j’en ai profité pour nouer des liens à New York. J’ai fait pas mal de trucs dans le Bronx, Brownsville, même dans des prisons pour jeunes comme Rikers Island. Nejma Nefertiti faisait partie de ce réseau, on s’est donc noué d’amitié. Ça a pris deux-trois ans avant qu’on fasse une chanson ensemble. Un jour, quand je faisais Steal This Mixtape 3, je l’ai invitée sur « Encrypted Wisdom » et ça s’est fait tellement facilement et bien qu’on a renouvelé l’exercice plusieurs fois depuis. Les gens aiment beaucoup ce morceau.

On est dans un game qui est très macho. Il y a peu de rappeurs underground qui collaborent avec des femmes ou qui ont des femmes dans leurs clips. Personnellement, c’est quelque chose que je veux changer. Nejma est très forte. Souvent, c’est difficile de contacter certains rappeurs, de mener à bien un projet mais avec elle, c’est toujours très efficace. On prépare un projet ensemble que je vais produire entièrement. Je trouve que nos collaborations sont toujours très bonnes, nos contrastes de voix donnent toujours quelque chose d’intéressant.

C’est clair ! J’ai même l’impression qu’elle se dépasse quand elle est en feat sur des chansons à toi.

Elle a envie de me tuer sur mes trucs ! Je l’entends aussi. J’aime ça, ça nous pousse à faire mieux.

Un mot de la fin ?

C’était cool de se remémorer tout mon parcours. J’écoute rarement mes anciens projets. J’écoute surtout celles qui sont pas encore sorties. C’est intéressant de me remettre à cette époque où j’étais plein d’incertitudes. Je suis content du parcours accompli et je crois que j’ai encore beaucoup à faire.

Quels sont tes projets à paraître prochainement ?

J’ai un projet produit par Akhenaton qui va sortir [NDLR : projet déjà sorti], là. J’en ai beaucoup d’autres mais je sais pas toujours l’ordre dans lesquels ils sortent [rires]. Je me laisse le temps d’être surpris ! L’année dernière, j’ai sorti dix projets sans vraiment le prévoir.

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2 commentaires

  • Bon matin,

    Je m’appelle Daniel Saad, je suis un artiste indépendant de Montréal. J’ai sorti un album le vendredi 9 septembre : The Greatest Story I Never Told. Je voulais le partager avec vous. Ce projet parle entre autres des problèmes à Montréal et comment ils m’ont affecté, et comment j’ai appris à surmonter ceux-ci dans ma vie. C’est différent de ce qui est fait à Montréal en anglais. Je crois qu’il mérite d’en être parlé. Merci de votre temps, j’apprécie beaucoup.

    Au plaisir,
    Daniel

    Instagram : @iamdanielsaad
    Twitter : @iamdanielsaad
    https://fanlink.to/iamdanielsaad

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