10 Bons Sons québécois en 2020

Des deux côtés de l’Atlantique, l’industrie du rap n’a pas chômé. L’apparition de nombreux rookies aux univers innovants comme le come-back de vétérans expérimentés ont fait de 2020 une année extrêmement riche pour le rap québécois. En direct de Montréal, voici donc un tour de piste en dix moments d’exception d’une scène rap québ en pleine ébullition.

Imposs – Gaillance (feat. Lost, Shreez & Misa) [Prod. Major]

Plus qu’un featuring, « Gaillance » est une passation de pouvoir. Si l’album Mentalité moune morne du légendaire groupe Muzion (composé d’Imposs et de ses acolytes Dramatik et J.Kyll) a un moment représenté le graal d’une scène québ en plein développement, ÉlévaZIIION apparaît 25 ans plus tard dans un paysage truffé de propositions musicales plus diverses les unes que les autres. Une frange du rap québ dite street rap a particulièrement fait parler d’elle durant les trois dernières années et c’est elle qu’Imposs choisit de mettre à l’honneur.

Sur « Gaillance », le taulier croise le fer avec une nouvelle garde en pleine possession de ses moyens. Dans ce morceau, les démonstrations techniques de haute voltige côtoient les messages codés. Truffé de néologismes typiquement montréalais, Imposs, Lost, Shreez et Misa décrivent à la fois un mode de vie trempé dans l’illicite (« on a de la frappe qui pourrait t’rendre ortho »), consommation de drogues douces (« mon buzz c’est de l’huile, mon cerveau est frit ») et ambiances festives (« Gaillance, gaillance, si elle est bad elle veut bouger ses reins »). L’ambiance du morceau encapsule une scène street rap en pleine explosion en plus de bénéficier de la contribution de Major, meilleur espoir d’une génération de beatmakers montréalais on the come up.

Lost – Ça va mal aller

Commentaire social d’une pandémie aux allures d’hécatombe, « Ça va mal aller » offre un regard désabusé sur la détresse psychologique dont souffrent les enfants et les personnes âgées confinés. Au plus fort de la crise sanitaire, de multiples sites d’éclosion s’étaient déclarés dans les CHSLD (Centres d’hébergement de soins de longue durée) du Québec, offrant une énième preuve de leur désuétude, alors même qu’une part grandissante de la population québécoise qualifie la situation actuelle de crise de santé mentale. Le leader de 5Sang14 nous avait habitué à un écrin cru, virulent et intransigeant. Ici, c’est Lucas Frank qui, non sans une pointe de cynisme, s’adresse à nous et à notre humanité.

Lary Kidd – BLEACH [Prod. Stack Moolah]

Au bout d’un moment, tout le monde a fini par s’en rendre compte. Du jour au lendemain, le rap avait changé, désormais biberonné aux ski masks et aux boucles étouffées du son Griselda, pour le meilleur et pour le pire. Mais le chemin est glissant pour les émules potentiels d’un style aussi casse-gueule (faut savoir rapper quoi). Lary Kidd, lui, au contraire, n’attendait que ça. Élevé au son brut d’Armaggedon et Wu-Tang Forever, cette nouvelle vague arrivait à point-nommé pour cet habitué du son de la côte Est. C’est donc un jeune homme plus inspiré que jamais qu’on a découvert en direct de l’édition virtuelle 2020 des Francos de Montréal. Le peuple réclame désormais d’autres chansons avoisinant 68 BPM (Stack Moolah, what up?!). « Ça c’est pour les gens éduqués seulement man », comme il dit.

Mike Shabb – Slide [Prod. Danny Ill]

Après deux ans à parsemer les plateformes de singles en éclaireur, la plus grande promesse du rap québ anglophone a désormais atteint sa forme finale. Des toplines entêtantes, une sélection de flows ciselés et précis habillés par l’univers musical de Danny Ill, tout ça sous la houlette de VNCE Carter (des Dead Obies). Les timbres de pop, R&B et de musique électronique des morceaux de Life Is Short en font un grand cru trônant au sommet du palmarès des albums québ de l’année. À défaut de vous faire tout l’album, découvrez « Slide » et son ambiance mi-trap, mi-futuriste.

Rowjay – Fascination (Outro) [Prod. Nadji OG]

Au départ, la musique de Rowjay est une fantasmagorie. Un univers plus grand que nature, presque surfait tant l’apparat y est central. « Fascination » marque un retour à la réalité, une baissée de rideaux après le spectacle. Avec sa prosodie habituelle, Rowjay révèle les behind the scenes après les crédits déroulés à la fin du film. Cette outro produite par Nadji OG est pour le Jeune Finesseur l’occasion de faire le bilan d’un parcours parsemé de luxe, de shit et de persévérance (« J’ai décidé de prendre l’escalier au lieu de prendre l’ascenseur ») et ce, malgré l’adversité (« J’me rappelle quand je venais de commencer, tout le monde disait que j’étais fou […], maintenant regarde comment j’suis loud »). Une main sur le volant, un œil dans le rétroviseur, le jeune rookie trace son chemin en attendant son nouvel album Carnaval de Finesse, Vol. 2.

Waahli – Bliye Sa [Prod. Waahli & Boogát]

Un air de « La Vi Ti Neg »? Ce serait extrêmement réducteur de résumer « Bliye Sa » ainsi. À défaut de ressasser la misère, le MC multilingue de Nomadic Massive préfère nous proposer de s’évader le temps d’une visite guidée sous le soleil caniculaire du Brésil. Le résultat, tubesque et entêtant, est de toute beauté. Cette chanson, c’est Montréal, c’est Sao Paulo, Port-au-Prince, l’hybridité culturelle dans ce qu’il y a de plus organique. Avec le légendaire Boogát en renfort (qu’on attend de pied ferme pour une suite à El Gato y Los Rumberos)… « En créole, s’il-vous-plaît! »

Connaisseur Ticaso – Dos large [Prod. Ruffsound]

Connaisseur revient de loin. D’une traversée du désert, passé par la case prison, pour finir par signer un contrat d’artiste avec le label ayant fait le plus de vagues en 2020. Celui qu’on considère comme l’un des plus grands rappeurs québécois n’a pas encore sorti d’album en solo. Il est pourtant plébiscité à travers le Québec et au-delà, fort de classiques ayant passé l’épreuve du temps. Après un clip visionné des deux côtés de l’Atlantique, c’est avec « Dos large » que Connaisseur Ticaso confirme les promesses placées en lui (« J’reviens du era du boom-bap mais j’suis still relevant »). Un rap de proximité gonflé aux instrumentales taillées sur mesure par le superproducteur Ruffsound : on ne change pas une équipe qui gagne.

Souldia – Vilain [Prod. Farfadet]

On aurait pu dire de Souldia que 2020 a été « une année record ». Au compteur, deux albums solo, un album commun avec Tizzo, un concert virtuel à succès et des clips tournés partout sur la planète. Loin d’entacher la qualité de son propos, la productivité de Souldia est plutôt une force motrice. C’est une thérapie à cœur ouvert dont on est témoin à chaque morceau de cet artiste écorché vif. Clé de voûte d’un album situé entre l’ombre et la lumière, « Vilain » apparaît comme un cri du coeur au milieu d’un tourbillon d’émotions éparses. Une chanson touchante faisant le point sur des années de labeur pour le rappeur de Limoilou et dont la carrière bénéficie actuellement d’un second souffle.

Original Gros Bonnet – Watch a Flower Bloom

« Entre la paresse et le greed, quel est le plus grand ennemi? » Cette interrogation synthétise tout le propos du dernier disque d’Original Gros Bonnet, Tous les jours printemps. Coincées entre la fin et le commencement (« Un été ça a feelé comme une vie »), entre la jouissance des acquis et les espoirs de la découverte, les tensions non-dites par Franky Fade, rappeur du groupe, sont sublimées à travers l’étirement des notes. « Watch a Flower Bloom » est l’aboutissement de ce questionnement laissant fleurir les réponses.

Rymz – DIE [Prod. Pierre-Olivier Couturier]

Le rappeur maskoutain opère un retour aux fondamentaux avec un EP aux sonorités denses et métalliques. Sur le poignant « DIE », le poète rimouskois François Guerrette accompagne Rymz pour planter le décor de leur catharsis musicale. Le résultat est magistralement orchestré, les paroles scandées accompagnent les arrangements avant-pop de Pierre-Olivier Couturier. En attendant un nouvel album, le plus emo des rappeurs québ repousse les sentiers battus avec une proposition musicale inédite et sans concession aucune.

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