10 Bons Sons cinématographiques

Les rappeurs sont des passionnés de cinéma. Ils s’en inspirent pour leur nom d’artiste, en utilisent des extraits dans leurs chansons, apparaissent dans certains films ou en réalisent la bande originale. Certains sont même passés derrière la caméra. Il semble encore plus intéressant de se pencher sur les différentes chansons inspirées directement de films.

En effet, nombreux sont les morceaux qui reprennent des histoires développées sur grand écran. Le poids des mots, le choc des images ; les rappeurs et les cinéastes partagent les mêmes ambitions. Les rappeurs y ont trouvé des récits dans lesquels ils se reconnaissaient, des personnages qui les incarnaient. Nous remarquerons sans grande surprise que les nineties et le cinéma américain les ont grandement influencés.

Raconter un film est toujours compliqué : il faut savoir donner envie, ne pas spoiler, expliquer pour quelles raisons on a été touché, bref, mettre des mots sur des images. L’exercice prend la forme du tour de force quand il s’agit de mettre en musique ce récit. Dans le même temps, l’intérêt pour l’artiste est grand de rapper sur un film connu de tous, apprécié ; le risque se révèle alors être mesuré, quoique réel.  L’art du storytelling fait donc la différence entre un bon film et un très bon morceau de musique.

Ainsi, les quelques exemples cités ci-dessous montrent les qualités de storyteller et les goûts de nos chers rappeurs : du thriller au film d’horreur, du drame au film de genre, profitez-en pour (re)découvrir ces films. Beaucoup en ont d’ailleurs profité pour clipper ces morceaux et se mettre dans la peau des protagonistes de l’histoire. Action.

Disiz La Peste – J’pète les plombs (Le Poisson Rouge, 2000)

Lorsque sort l’album Le Poisson rouge, en 2000, Disiz La Peste est un rookie mais surtout le phénomène qui a fait « J’pète les plombs ». Le titre devient immédiatement un tube, matraqué par Skyrock qui a senti le filon. Barclay a suivi le pas d’ailleurs en signant l’artiste.

« J’pète les plombs » porte l’album et reprend Chute libre, de Joel Schumacher (auteur de Phone Game, Le droit de tuer ou Batman Forever), présenté au Festival de Cannes en 1993. Michael Douglas tient le rôle d’un Américain moyen qui va sombrer dans la folie. Cette journée catastrophe voit la succession de mésaventures ponctuées par une explosion de violence. Disiz interprète ce titre avec humour, notamment dans le clip, bien épaulé par le B.O.S.S., Cut Killer et Cécile de France, dans le rôle de la caissière du McDo.

La première galette de Serigne M’baye arrive donc (trop) rapidement. En dépit de quelques bons morceaux (« Ghetto sitcom », « Le Poisson rouge »), l’album est plutôt quelconque. Le seul tour de force est d’avoir réussi à obtenir des feat. de Joey Starr et d’Akhenaton.

Malgré son personnage attachant (et certaines maladresses), le film Dans tes rêves, ses deux romans, son interprétation d’Othello au théâtre, ses 11 albums, de très bons titres dans sa discographie (« Nébuleuse », « Soldat de la paix », « Inspecteur Disiz », « Le monde sur mesure », « Rap Genius », « Heureusement », « Une autre espèce »), « J’pète les plombs » reste le classique de Disiz La Peste pour le grand public.

Ol’Kainry – Scène de batard (Les Chemins de la dignité, 2004)

« Oh ! Le cainri ! » Voilà comment était interpelé le jeune Freddy, dans les rues de Courcouronnes. En 2004, le nouveau leader de l’écurie Nouvelle Donne a déjà une discographie de tonton : un EP avec son groupe Agression Verbale, un autre en solo avec le classique « Abattu du vécu II », son premier LP Au-delà des apparences, le projet Facteur X (en compagnie de Kamnouze et de Jango Jack) et donc son deuxième album Les chemins de la dignité.

Dans le titre « Scène de bâtard », Ol’Kainry, bousillé de cinéma US, fait référence non pas à un, ni deux, mais à trois films, un par couplet. Premier couplet : Opération Espadon (légèrement revisité). Retiré du monde, son passé le rattrape et il doit gratter un texte de rap en vitesse (bien aidé par une Julia Chanel très gourmande…) pour, préparez-vous, Cyril Hannouna. Deuxième couplet : Menace II Society. Freddy nous raconte l’incident avec un épicier asiatique plutôt maladroit qui aurait dû éviter de parler de la mère d’Olkainry. Troisième couplet : Pulp Fiction (Palme d’or en 1994). Iron Mike est dans la peau de Bruce Willis, bien coaché par Brahim Asloum. Décidé à finir par le haut sa très modeste carrière de boxeur, il ne se couche pas lors d’un combat supposé truqué, au grand dam de Marcellus Wallace, joué par feu Mouss Diouf.

Apprécions le clip tourné dans un lieu qui semble d’un autre temps, un vidéo club !

Nakk – Nakk Q (Le Monde est mon pays, 2011)


Dans ce titre, Nakk n’effectue pas une prise d’otage dans une maison de disques, ni dans une radio première sur le rap, mais se met dans la peau de John Q, qui tente le tout pour le tout dans un hôpital afin de sauver son fils.

Pourtant le rappeur de Bobigny aurait toutes les raisons de s’en prendre au monde de la musique resté sourd à son talent. En effet, il fait partie des rappeurs préférés des rappeurs, qui ont toujours amené un vent de fraicheur dans leur texte, à l’image des Ill ou Dany Dan. Son don pour les multisyllabiques et les punchlines marquantes est exemplaire (« J’suis un des seuls qui avaient pas d’cash, dans mon coin, il pleuvait des parpaings, j’suis un des seuls qui avaient pas d’casque »), notamment pour une partie de la nouvelle génération. Malgré une discographie qui aurait pu être plus fournie si la vie l’avait épargné, Nakk nous a livré des titres qui resteront : ses participations aux 11’30 contre les lois racistes et 16’30 contre la censure, « On se reverra là-haut » avec Les 10 et Wallen, « La tour 20 », « Ils disent », « Chanson triste », « Invincible remix », « Darksun », « Mama », « John Q »…

Rien d’étonnant à voir Nakk s’identifier à Denzel Washington dans le film de Cassavetes. Modeste père de famille, homme de devoir, la vie le frappe et le système se révèle être insensible à sa situation. Celui qu’on nomme Narcisse tous les jours, qui aime son fils (« Mon fils, ce héros », dans l’album Le monde est mon pays), son épouse (« c’est pas la femme de ma vie, c’est ma vie »), mène sa barque et tant pis si le monde de la musique ne le reconnait pas (‘façon, son voisin ne sait pas qu’il rappe). Habitué à rapper dans le désert, il dirait au final que c’est même pas une carrière triste.

113 – Reservoir drogue (Les Princes de la ville, 1999)

Après un court métrage et l’écriture de scénario (dont True Romance), Reservoir Dogs est le premier long métrage de Tarantino (1992). Ce huis-clos violent, interdit aux moins de 16 ans, fait sensation à Cannes. Tarantino devient un réal’ sur lequel il faudra compter, qui s’entoure d’une flopée d’acteurs remarquables (Harvey Keitel, Michael Madsen, Tim Roth, notamment).

Le 113 suit un parcours assez similaire. Après leur participation à des projets au sein de la Mafia K’1 Fry (Légendaire et Les liens sacrés), le 113 réalise son premier album et c’est un carton ! Le disque est très rapidement disque d’or et les productions innovantes du regretté DJ Mehdi permettent à Rim’K, AP et Mokobé de multiplier les tubes : « Hold up », « Jackpot 2000 » et bien sûr « Tonton du Bled » (qui ne se souvient pas de cette interprétation du titre aux victoires de la musique ?). Le 113 est accompagné de la Mafia K’1 Fry, de l’inévitable Jmi Sissoko, de Big Red de Raggassonic et de Boss One du 3e œil dans l’album Les princes de la ville (qui fait référence à la formidable fresque sur les chicanos de L.A. et la guerre des gangs).

Le morceau « Reservoir Drogue » détourne le concept du film et l’adapte au trafic de substances illicites. M. White, M. Blonde, M. Orange, M. Pink, M. Blue, M. Brown sont remplacés par Mr Cocaïne, Mme Ecstasy, Mr Héroïne, Mr Skunk, Mr Popo, Mr Crack, notamment. Si le 113 a toujours condamné les drogues dures, leur passion pour le sport de chanvre est légendaire. Monsieur Popo et Monsieur Skunk sont les seuls rescapés du morceau, M. Héroïne, Cocaïne et compagnie finissent troués. Jetez une oreille sur ce titre…

PSY4 de la rime – La vengeance aux deux visages (Block Party, 2002)

Avant qu’ils ne fassent des morceaux spontanés, pop et street, les membres des Psy4 de la rime se distinguaient avec des titres profonds et une interprétation émouvante. L’album Block Party, sorti sur le label d’Akhenaton, 361 Records, est d’ailleurs certifié disque d’or, grâce au style si rafraichissant et touchant de Soprano, Vincenzo, Alonzo et DJ Sya Styles (RIP). Parmi les titres phares citons « Le son des bandits », « Block Party » et donc « La vengeance aux deux visages ».

Ce titre n’est autre qu’un western réalisé par Marlon Brando en 1961, véritable tragédie dans lequel la vengeance guide un des personnages jusqu’à l’issue finale. Le morceau s’en inspire et donne la parole a deux hommes liés par un drame survenu quelques années auparavant : un ancien taulard qui sort enfin de prison et souhaite refaire sa vie ; un homme ravagé par l’alcool, qui a perdu sa femme dans des conditions troubles. Ce dernier retrouve le coupable pour une scène ou plutôt un couplet d’anthologie entre Soprano et Alonzo.

Vous vous méfierez maintenant quand EDF/GDF frappera à votre porte…

Prince Waly – BO Y Z (BO Y Z, 2019)

Dans le rap jeu actuel, tout est permis et les esprits semblent bien moins étriqués que par le passé. Prince Waly incarne d’une certaine manière cette nouvelle génération. Si la collab avec Feu ! Chatterton sur le titre « BO Y Z » est déjà surprenante, que dire de l’identification du rappeur de Big Buddah Cheese au personnage principal du film Moonlight. Cet enfant, que l’on suit également à son adolescence ainsi qu’à l’âge adulte, découvre son homosexualité et doit cohabiter avec. Prince Waly, se foutant du « qu’en-dira-t-on » s’est reconnu dans ce personnage torturé, cet enfant seul, pas comme les autres (« j’suis différent, sans virilité, à la rue j’ai jamais juré fidélité »).

Waly, ce bousillé de cinéma, qui a l’habitude de référencer ses morceaux de clins d’œil au septième art (ne serait-ce que dans ce projet avec les titres « Rain Man » et « Marsellus Wallace » – formidable clip !), a vu juste dans la puissance de Moonlight. Au passage, le film est sorti à une époque où le cinéma afro-américain connaissait un dynamisme assez incroyable (12 years a slave, Fruitvale Station, Le Majordome, Dear with people, Selma, N.W.A., Creed, The birth of nation, Fences, I’m not your negro, Get Out, Black Panther).

Wallen – Mathilda (Avoir la vie devant soi, 2004)

Dans le titre « Mathilda », Wallen nous raconte l’histoire d’amitié entre un tueur à gages analphabète au grand cœur et une jeune fille devenue orpheline qui va apprendre le métier de nettoyeuse pour se venger. Celle qui a « des crampons derrière ses talons » a dû apprécier cette graine de femme, voulant faire le ménage, à grand coup de flingues. Elle s’inspire de Léon du réalisateur Luc Besson et de Jean Reno (qui collaborent encore ensemble après Le grand bleu).

Wallen s’est de nouveau entourée dans Avoir la vie devant soi du producteur Sulee B. Wax, avec lequel elle avait fait un premier disque A force de vivre, gonflé de featurings prestigieux (Rocca, Arsenïk, Shurik’n pour le classique « Celle qui a dit non »). Dans son premier effort solo, elle s’inspirait déjà du cinéma de Luc Besson et d’une femme forte dans son titre « Nom de code Nikita ». Son deuxième album est de nouveau porté par de bons morceaux (« Donna », « L’Olivier ») et des collaborations de poids lourds (Akhenaton, Dany Dan, Rohff, Lord Kossity, Lino).

Un troisième album viendra (Miséricorde, sans qu’il n’y ait de morceau intitulé « 5ème élément » ou « Jeanne d’Arc »…), une BO (Qu’Allah bénisse la France), mais on ne peut s’empêcher de penser que Wallen n’a pas eu la carrière qu’elle méritait malgré un grand talent. Comme son héroïne Mathilda, à la fin du film, elle a fait ce qu’elle devait faire et c’est tout ce qu’il restera.

Chiens de paille – 1001 Fantomes (1001 Fantomes, 2001)

« Ma fille inanimée au sol, visage de cire si gracile, pupilles trop dilatées, sur ses bras des traces d’fixes, le regard vide ma femme ne réalise pas, les images filent, larmes d’inanité, instant innommable nommé réalité. »

C’est par ces maux et la découverte du cadavre d’une jeune fille overdosée par son inspecteur de père que débute le premier morceau du premier album de Chiens de Paille (dont le nom vient d’un film de Sam Peckinpah). Le débit ne laisse aucune place à la moindre respiration, le flow est désabusé comme l’est cet homme, mort-vivant, marié à une ombre, père d’un souvenir (« On s’parlait de rien quand on s’parlait, s’écoutant, on souriait pour se cacher qu’on n’écoutait rien »).

Difficile de distinguer l’influence principale du morceau entre Tchao Pantin, avec Richard Anconina et Coluche (bluffant dans ce rôle à contre-emploi) et Traffic de Soderberg, avec Michael Douglas (encore lui !). Le résultat est un titre resté dans les mémoires, à l’écriture cinématographique et au réalisme incroyable.

Don Choa – Dr Hannibal (Vapeurs Toxiques, 2002)

Freddy, Le Silence des agneaux, Shining, Scream, Le Projet Blair Witch, le massacre à la tronçonneuse (dans Scarface..), Seven… Rien d’étonnant à voir le ptit gars sans gêne, au sourire carnassier, venir foutre son ptit bordel en name droppant tous ces films dans son titre « Dr Hannibal ». Celui qui a pour prénom François se laisse aller à ses délires déjantés et bien malheureux celle ou celui qui croisera sa route. Torture, cervelle dégustée, cadavre donné aux cochons, Choa ne rate pas une occasion de zigouiller son prochain (« Moi j’tue toute l’année qu’est-ce que j’m’en fous d’Halloween !? »). Il n’y a qu’à voir le clip pour comprendre à quel point Don Cho’ semble s’amuser comme jamais sur ce morceau, bien différent des sons signés FF.

Après le classique Si Dieu veut, sorti sur Côté Obscur, les membres de la Fonky Family décident de sortir leur solo. Après Le Rat et Sat, c’est au tour de Don Choa de réaliser son album Vapeurs toxiques (en référence à l’explosion de l’usine AZF à Toulouse, sa ville d’origine, mais aussi au cannabis et au graffiti). Après un nouvel album solo en 2007 (Jungle de béton), le plus Toulousain des Marseillais a sorti en 2017 un EP, ravivant les flammes du mal, avec le très romerorien « Kill dem all ». Définitivement, « le plus méchant des animal ».

Flynt feat Orelsan – Mon pote (Itinéraire Bis, 2013)

Pour ce dernier morceau, une petite dérogation à la règle, dans le sens où il n’est pas inspiré par un film. En effet, Flynt, le rappeur du 18e arrondissement, qui a rencontré un beau succès d’estime avec son premier album J’éclaire ma ville en 2007, revient en 2013 avec Itinéraire Bis, où il invite Orelsan pour un buddy track sur l’amitié. Le Parisien et le Caennais auraient pu reprendre le concept d’un buddy movie mais c’est au niveau du visuel que les deux compères ont innové. L’incroyable clip de Francis Cutter montre Flynt et Orel rejouer des scènes de films cultes aux côtés des acteurs grâce à une réalisation impressionnante. Ça va du blockbuster (Independance Day) à la comédie française (Les Valseuses, Les Visiteurs, La Tour Montparnasse infernale), en passant par des classiques du cinéma (La Haine, Pulp Fiction, Il était une fois en Amérique) et des films complètement barrés (Las Vegas Parano, Orange Mécanique). Faites-vous plaisir, il y a plus d’une vingtaine de films référencés tout au long du clip !

BONUS TRACK : Zippo – Palme d’or (Zippo contre les robots, 2016)

Le Festival de Cannes n’est pas qu’une grand-messe où tout le gratin du cinéma mondial se réunit pour se célébrer, c’est aussi l’occasion pour des prolos d’avoir une mission d’intérim à faire. Zippo découvre l’envers du décor et le regard qu’il porte sur le monde du septième art est sans équivoque. C’est la France d’en bas, celle des petites mains, pas habituée à avoir la parole qui crache sa haine aux people, aux pique-assiettes, aux bimbos, aux nantis, aux condescendants, qui gravitent à Cannes durant le Festival. Zippo est à deux doigts d’allumer la mèche ou de ramener sa hache pour faire un massacre.

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