Eli MC, la Montpelliéraine atterrie à Nantes il y a quelques années, propose un bel EP qui constitue son troisième projet solo… en guise de point final à une discographie qui laissera un goût amer à pas mal d’auditeurs. Une fois n’est pas coutume, nous l’avons eu en exclusivité et avons succombé au(x) charme(s) d’une alchimie évidente entre une des plus belles plumes-voix féminines du hip-hop français et un beatmaker qui continue un parcours de haute volée, adaptant avec justesse ses mélodies et ses beats à chaque artiste avec lequel il collabore. Manque-moi, entièrement produit par Lionel Soulchildren, sera disponible en digital uniquement le 6 novembre.
A la triste nouvelle annoncée sur Facebook un jour de novembre 2016 de sa volonté de ne plus rapper, répond un an plus tard un EP attendu, bouleversant et poétique. « Oui, c’est le dernier. Il ne devait même pas sortir à la base. Moi, je voulais juste sortir le titre « Manque-moi » pour le partager avec les gens et c’est Lionel qui a insisté pour travailler jusqu’au bout les titres qu’on avait fait ensemble » nous confie Eli presque timidement. Bien lui en a pris. Sa ténacité nous offre cinq titres rappés et quatre instrumentales frappés du sceau Soulchildren dont on se délecte avec délicatesse, impatience et conscience les dernières mesures d’Eli… du moins sur des BPM hip-hop : « J’ai pris cette décision car je n’arrive plus à gérer ma vie de famille et la vie musicale. La vie fait que j’ai besoin d’accorder du temps à mon travail dans lequel j’ai des responsabilités. Et ça commençait à devenir compliqué de mêler ça à la composition, l’écriture et les concerts. » Eli écrit, rappe, chantonne et chante sur cette demi-heure de son particulièrement émouvante. Pour ce qui est du décor musical, pas de surprise et une seule prise de risque car c’est une continuité assez logique, peut-être même plus fine et esthétique que les précédents solos. La patte de Lionel Soulchildren remet un coup de griffe supplémentaire à sa discographie ; dans la lignée des albums avec Pejmaxx, et en attendant le nouveau, il sert une dose très appréciable de bon rap, orienté clairement vers une mélancolie automnale qui se révèle peu à peu en ce début novembre. Seule l’outro parait hors-sujet, très aérienne par rapport aux autres pistes qui se répondent par leur intimité et leur subtilité.
« Celui qui a l’âme heureuse ne ressent pas le poids des années, et mon petit quart de siècle me dit qu’en fait, j’suis pas épargnée » Eli traverse le temps avec l’idée d’y laisser son empreinte. Une douce voix, jamais agressive, qui alterne rap et chant d’une facilité déconcertante, même si on se doute qu’il y a du travail en amont. Dans le « jeu de nos vies » elle ne manque pas de prendre du recul sur sa musique, pour mieux appréhender les étapes comme la naissance d’un futur enfant. Beaucoup d’images nourrissent son propos, toujours avec le souci de la rime qui claque et surtout dans la quête du beau. Oui, ces 9 pistes passent toutes seules, lourdes de sens, responsables mais si subtiles à l’oreille. Un rap sur la fuite du temps qui trouve son ascendance dans un poème d’Apollinaire et son contrepied dans le récent morceau d’Hugo TSR.
La prise de risque qu’on évoquait, c’est le pari du chant. Eli se lance sur « Mona Lisa » et « Ce qu’il nous reste », deux des titres les plus forts. Vraie valeur ajoutée, ses passages chantés font respirer les couplets rappés bien que la clarté de son élocution, toujours optimale, ne le nécessite pas outre mesure. C’est peut-être là une direction vers laquelle tend la jeune artiste, en quête d’un assouvissement par l’écriture qui semble vital, éternel. Les morceaux défilent, et le clap de Lionel résonne lentement, sa fameuse casse claire nous guidant paisiblement à travers ses voix pitchées ou ses notes de piano poignantes. Omniprésent en cette fin d’année (Pejmaxx, Geule Blansh, Eli MC…), il délivre ici un projet dans lequel il se sera investi à plein temps, allant jusqu’à co-réaliser la pochette avec Eli. Cette femme, droite, affrontant le vent et les flèches, résiste. A la fois violent et romantique, le cliché inspiré aurait mérité d’attirer les regards dans les bacs des magasins. Dommage.
Eli prend le temps de donner vie à l’âme humaine, soulevant qu’ « on est rien de plus que d’la poussière que la musique fait danser », partageant un maximum d’intimité, de mémoires et de projets avec ses auditeurs. S’efforçant de fouiller dans ses souvenirs pour trier les bons moments de ceux désagréables, affrontant les absences et les abandons, recherchant « le goût du pire ». C’est un travail sur soi mis en images et musique, qui nous ramène à des illustrations universelles comme celle de la Joconde, ou d’autres idées d’enluminures fleurissent à l’écoute des mélodies proposées.
« Je défendrai pas le Droit des Femmes pour me faire des couilles en or » ELI MC
Si l’on peut déplorer ce choix de mettre fin à une discographie jeune et pourtant peu avare en rimes, de plus en plus précise et esthétique, dessinée par une voix qui semblait atteindre sa cible, on peut espérer que ce n’est qu’une remise en question du format et non du fond, qui, a déjà convaincu plusieurs milliers de personnes. La ferveur qui nous anime et la précaution d’écoute préparent un moment de kiff pur. Ce dernier tour de piste n’est peut-être pas définitif, et on se refuse d’employer le terme d’ « inachevé» pour qualifier sa carrière. Rassurons-nous tout de même : « J’ai envie d’aborder l’écriture sous une autre forme, de me détacher un peu des réseaux, des concerts, des déplacements. Si je me remets à la musique plus tard, je pense que je laisserai le rap de côté. Je pense avoir besoin de vivre loin des codes qu’impose le rap à tous les artistes. » Et laissons-lui le dernier mot, dédié à son binôme beatmaker : « Je suis très fière de cet EP et Lionel a fait 90% du taf. C’est un producteur et réalisateur plein de talent, il m’a beaucoup aidé à avancer. Il m’a beaucoup aiguillé dans la manière de poser les textes du EP et a su trouver les bons mots pour me faire prendre confiance en moi au niveau du chant ». Tu nous manques déjà.
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