SWIDT : le rap d’Onehunga veut parler au monde

Chemises hawaïennes et casquettes « 312 » vissées sur la tête, les six gars du SWIDT ont l’habitude de prendre tranquillement leur petit déjeuner devant l’entrée d’une maison blanche. C’est celle d’Isaiah, a.k.a SmokeyGotBeatz, et c’est là où ils travaillent. Entre deux bouchées dans leur meat pie, ils rigolent et prennent le soleil, assis sur les marches du perron. Autour d’eux s’étend Onehunga. Cette banlieue sans prétention de 8000 habitants au sud d’Auckland est en cours de gentrification et de désindustrialisation. C’est « chez eux ». C’est là que Smokey, Spycc, INF, Boomer-The-God, Jamal et Aza, qui forment aujourd’hui le collectif SWIDT – pour « See What I Did There » -, ont toujours vécu. Si les six amis se connaissent depuis l’enfance, c’est seulement depuis deux ans qu’ils ont décidé de se prendre au sérieux et de transformer leur hobby en projet solide.

En Nouvelle-Zélande, île biberonnée au hip hop US de la west coast, la sortie de SWIDT vs Everybody n’était clairement pas un évènement attendu. Pourtant, l’album a pris les amateurs locaux par surprise et leur a tout simplement retourné la tête ! C’est sous l’influence de SmokeyGotBeatz – génial beat maker dont on a pu notamment entendre le travail sur le « Parental Advisory » de Jay Rock (feat K. Lamar) – que le collectif se décide à travailler ensemble et à se retrousser les manches pour mettre en commun leur force de travail, leurs diverses influences et surtout leur fort sentiment d’appartenance à leur quartier. Onehunga, ils connaissent par cœur. Ils ne se sentent jamais aussi bien que chez eux. D’ailleurs, ce projet a d’abord été mû par la volonté de crier au monde leur fierté d’être nés dans cette banlieue « cool »  dont ils n’hésitent pas à dire que c’est la «It-place » de l’Océanie !

Passion Onehunga. (Red Bull Studio – Auckland, New Zealand –  April 2016) – photo © Graeme Murray

D’un quotidien frugal, bercé par les vagues du port de Manukau, ils se sont nourris pour produire un rap fidèle à leur identité. Nés dans des familles modestes, ils se moquent bien des « flash cars » qui hantent les clips de rap US. Dans leur clip, pas de strip-club mais l’épicerie du coin, pas d’arme ni de vêtements de luxe mais des chemisettes à fleurs et des chaussettes dans les claquettes, pas de barres d’immeuble mais un pont d’autoroute avec vue sur la mer, pas de musculatures bodybuildées mais des rondeurs assumées… L’image qu’ils se donnent rappelle les codes et clichés du gangsta rap, dont ils s’inspirent fortement, le cool de l’humour et de la dérision en plus.

C’est avant tout leur vie qu’ils racontent, leur ville, leur clan. Vrais, les MC’s n’inventent rien et tintent leur flow ici de la nonchalance du pacifique sud, là des accents guerriers de leurs ancêtres. Le cri collectif du refrain de « 312 », a priori gimmick classique du rap US, sonne soudain comme un appel au Haka*. Les codes et les influences se mélangent mélodieusement dans des sons qui rendent d’abord hommage à leur quotidien. En l’occurrence, 312 est le numéro du bus reliant Onehunga au centre-ville d’Auckland.

Dans « know us », INF exprime, un brin mélancolique et sans chercher à tricher sur son accent kiwi, la simplicité de sa vie, évoquant sans rage les préjugés qui entourent les siens. Comme un coup de frais insufflé au Rap NZ, le collectif SWIDT assume et revendique ses origines très « locales ». Apologétiques de la chemise hawaïenne et du « chill out », ils se baladent sur les beats flottants, entêtants et familiers de Smokey.

Comme la mer de Tasman qui frappe d’un côté ses falaises volcaniques, et l’Océan pacifique qui caresse de l’autre les plages dorées de la ville d’Auckland, les productions de SmokeyGotBeatz emportent l’auditeur dans un va et vient incessant d’émotions contradictoires. Très présentes et pourtant toutes en subtilité, les instrus soutiennent habilement les variations des MC’s et accompagnent sans fausse note leurs messages.

Ce premier album de SWIDT est court. Seulement 10 titres, dont la moitié est trustée par des featurings avec des jolis noms venant de LA. King Lil G et MC Eiht par exemple, posent ici en toute simplicité. Après une petite demi-heure, l’auditeur satisfait, peut-être même conquis, est prêt à en découvrir davantage. Il ne peut en tout cas que saluer la performance de ces MCs aux influences multiples, qui, mêlant les codes du voisin américain, leurs origines insulaires et un solide ancrage local, envoient un rap authentique et puissant, sans forcer.

*Le Haka est une danse chantée. Un rituel des Maoris de Nouvelle-Zélande, pratiqué en cœur lors d’évènements exceptionnels qui demandent courage, détermination et unité (et qu’on connait en France surtout à travers le rugby.)

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