Documentaire : « Les rêves des Saints Noirs »

Lorsque Philippe Lafaix s’est rendu dans le quartier de Pinto Salinas à Caracas pour réaliser son documentaire, il était loin de s’imaginer la tournure qu’allaient prendre les événements. À la base du projet, il avait le désir de parler des SANTOS NEGROS (les Saints Noirs en espagnol), un groupe de hip-hop local composé de Kraken et Karma. Malheureusement, dès le début du tournage, Kraken est assassiné de sept balles dans le corps alors qu’il assistait à un concert. Rattrapé par la réalité qu’il décriait dans ses textes, il laissera derrière lui des âmes meurtries par sa disparition.

Kraken était à la fois connu pour sa musique, mais aussi pour son quotidien de délinquant. Le Venezuela en général est un pays où règnent quotidiennement la violence et la mort, et ce sont près de 18000 personnes qui ont été tuées en 2015 alors que le pays n’est pas en guerre. Bien que les autorités tentent de faire croire le contraire, les origines de ce massacre remontent à plusieurs décennies. Ce ne sont pas des questions de territoires dont il est question, mais plutôt de vendetta. Karma et sa mère en témoignent durant le documentaire, et Kraken était devenu une sorte de gangster conscient qui, pour reprendre les mots de Karma, savait ce qu’il faisait et savait comment il finirait.

Au travers ce groupe, ce quartier, c’est aussi la tragédie de toute une population qui est pointée. Cette violence perpétuée ne connaît plus ses origines mais s’entretient au quotidien. Parfois les gens ne peuvent sortir leurs enfants, où même aller travailler, de peur d’être pris dans une fusillade. Philippe Lafaix raconte dans une interview donnée récemment à radio Nova quelques anecdotes liées au tournage, comme cette pièce criblée de balles où il dormait, ou encore l’histoire de ce coursier de l’Alliance française qui s’est fait tuer pour ne pas avoir voulu laisser son scooter.

Alors on comprend mieux le fond du documentaire, l’envie de Pinto Salinas de repousser les limites  pour montrer au reste du monde cette condition inqualifiable. On comprend mieux la rage, qui peut sortir de la gorge de ces jeunes gens, qui voient leurs amis et leurs familles se faire massacrer quand des petits de sept ans prennent les armes. On comprend mieux cette transe qui les anime, lorsqu’ils rappent les textes de Kraken devant son cercueil ouvert…

 

los santos negros

Le cinéaste explique dans son documentaire que la mort du rappeur a été médiatisé. En pleine campagne, les militants anti-chaviste ont investi Pinto Salinas dans le but de dénoncer l’insécurité de Caracas. C’est un moment assez intéressant de la vidéo, car on y voit militants pros et anti-chavistes échanger des mots, se bousculer, sous le regard indécis de Karma et des passants. Les uns en bleu, les autres en rouge, comme si les Crips et les Bloods avaient trouvé leur voie politique.

Ce documentaire, dénué d’artifices, est intéressant pour qui s’intéresse à la vrai nature d’un rap conscient n’ayant pour vocation que de décrire le quotidien vénézuélien. Kraken, malgré sa vie tourmentée, savait toucher par ses mots et avait la verve d’un Baudelaire ou d’un Rimbaud. Karma, qui n’a pas la même vie que son cousin, est considéré comme l’un des meilleurs représentants de sa discipline, et a réussi à se faire connaître par sa musique. Il a décidé de poursuivre son chemin seul tout en gardant le nom de Santos Negros. Il est aujourd’hui étudiant dans une université d’art et va avoir un enfant.

karma los santos negros

Si vous souhaitez en savoir plus sur les Santos Negros : le Twitter de Karma et leur Soundcloud

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