Chronique : Vîrus – « Faire-part » et « Huis-clos »

Quand nous avions rencontré Vîrus dans le cadre d’une interview avec L’Asocial Club, il nous avait déclaré : « Le fait de prendre un micro, c’est un acte politique. Prendre un micro devant des gens, ça veut dire un auditoire, et la politique, c’est quoi à part dire des choses devant des gens à convaincre ? ». Or, il est difficile à l’écoute de l’œuvre de Vîrus de voir un véritable engagement politique, au sens où on s’attendrait à voir de la part d’un rappeur qui tient une telle déclaration une démarche de « conscientisation » des auditeurs. Mais Vîrus est hors-norme et anormal, et il y a longtemps qu’il a choisi d’autres procédures, hors des sentiers battus, rejetant les voies traditionnelles de la provocation et allant chercher parmi celles qui s’enrobent dans des belles phrases, des jeux de mots à n’en plus finir, et qui pour finir mettent des claques de sens.

Le 20 novembre 2015, à la manière dont il l’avait fait pour Le choix dans la date, le rappeur haut-normand choisit de sortir en physique un album qui est la réunion de deux projets : Faire-part d’un côté, qui était disponible en téléchargement depuis le 18 juin 2013, et Huis Clos qui a été dévoilé le jour-même. Deux projets de quatre titres, qui forment par leur réunion un projet huit titres. La continuité entre les deux EP est évidente : premièrement car les instrumentales sont le produit d’un seul et même beatmaker, Banane, que l’on ne retrouve nulle part ailleurs qu’avec Vîrus, et qui a cette capacité de lui faire des prods sur mesure ; deuxièmement car l’étrange univers de Vîrus est l’œuvre d’une méticuleuse construction qui se dévoile au fur et à mesure des sorties : entre isolement, enfermement, révolte, folie ou décès, c’est toute une poésie de l’oppression que l’on découvre. Michel Foucault ne l’aurait pas reniée.

L’auteur, entre autres de L’histoire de la folie à l’âge classique et Surveiller et punir, déclarait dans son cours au Collège de France paru sous le titre Le pouvoir psychiatrique : « A l’asile comme partout, le pouvoir, ce n’est jamais ce que quelqu’un détient, ce n’est jamais non plus ce qui émane de quelqu’un. Le pouvoir n’appartient ni à quelqu’un ni, d’ailleurs, à un groupe ; il n’y a pouvoir que parce qu’il y a dispersion, relais, réseaux, appuis réciproques, différences de potentiel, décalages, etc. » (Michel Foucault, Le pouvoir psychiatrique, éditions Gallimard, p.6). Le comparatif est osé, car il est difficile de comparer l’œuvre d’un chercheur en sciences sociales avec l’œuvre d’un rappeur, mais de manière troublante car tellement cohérente, Vîrus dessine ces réseaux, ce pouvoir qui s’exerce sur l’individu qui, en-dehors de la norme, se retrouve contraint à l’exclusion. De la prison à l’asile, en passant par l’école pour terminer dans un cercueil, l’écriture de Vîrus se nourrit de ces histoires.

« À travers toutes ces villes dont les panneaux visibles à l’entrée offrent un résumé de la vi(e)…site. Hôpital, groupes scolaires, cimetière. Tu nais et pis taffes ; tu meurs, épitaphe. » – Des Fins…

A partir d’une telle grille de lecture, il est impossible de nier l’aspect politique de Huis-Clos ou Faire-part. Ce n’est pas un tel aspect qui saute aux yeux au premier abord, car la subtilité de l’écriture de Vîrus fait que l’on s’attarde d’abord à la surface. Il faut dans un premier temps avoir le livret en main et lire les textes de manière quasi-scolaire, en déceler les multiplicités de sens et s’y arrêter. Il faut ruminer. Les idolâtres de la punchline facile passeront leur chemin. Si Vîrus nous arrache parfois un sourire, il est toujours couplé d’un : « Oh le bâtard ! ». Une exclamation qu’on lâche, parce que dans une énième écoute, on perçoit ce que l’on n’avait pas perçu jusqu’alors : un mot qui, balancé nonchalamment, venait traîner là et qui, de par un double sens, embellit une phrase dont la finalité était la description de ce désert du réel qui confine ceux qui sont sains d’esprit dans la folie.

C’est en creusant en-deçà d’une forme qui ne nous fait rester qu’en surface que l’on découvre un monde. Ce monde, c’est celui de l’oppression perpétuelle. Vîrus ne se contente pas de décrire son mal-être, il en dépeint les causes. L’oppression est partout, jusque dans les bonnes œuvres d’une société qui prétendant agir dans l’intérêt de tous aliène en réalité l’ensemble des citoyens. Au ridicule plaisir de se détendre devant un match de foot, Vîrus répond par « Champions League », dégageant les contradictions de tous ceux dont les pseudo-convictions révolutionnaires s’accommodent sans trop de soucis du système politique actuel, et qui collaborent avec lui jusque dans ses divertissements… Pendant que les autres crèvent.

La mort est le thème de prédilection de Faire-Part puisqu’à « 6.35 » répond « Des fins ». D’un côté la thématique de la violence, de l’autre celle du deuil. Des thèmes hautement politiques puisque leur enjeu est le rapport à l’autre. Si la mort est inévitable et répond à un impératif biologique, il reste que les conditions dans lesquels on meurt sont relatives aux conditions de vie… Des sons qui, chacun à leur manière, décrivent comment la violence physique inhérente aux rapports des individus entre eux répond dans une large mesure à une violence symbolique qui s’exerce sur ces mêmes individus et qui est la production d’une organisation sociale qui légitime la domination des uns sur les autres. Bien sûr, tout cela se déploie dans une contradiction motrice entre la volonté d’exister en tant qu’individu et le fait de n’être qu’au milieu d’une foule indéterminée d’individus qui désirent la même chose : se sentir exister, à n’importe quel prix, quitte à préférer la destruction à la construction. Au milieu de ce grand capharnaüm qui fout le cafard, comme le révèle l’orthographe du premier son, comment ne pas devenir fou ? Même l’amour des êtres chers a pour unique fin sa négation dans la mort, redoublée elle-même de l’oubli.

La folie, c’est à bien des égards le thème central de Huis Clos, mais également de l’ensemble de la discographie de Vîrus, même si ce ne n’est jamais apparu aussi clairement que dans cet E.P. La folie, c’est la question du normal et de l’anormal, donc la question de la norme, donc la question du pouvoir, donc une question politique. Trop vite oublié par une grille de lecture trop introspective des textes, il faut voir que Vîrus ne parle pas que de lui-même. Ou plutôt s’il parle de lui-même, il parle également de tous ceux qui sont tentés de choisir la fuite face à la réalité, ou sur un autre plan, de choisir la solitude à la communauté. Il décrit cette désastreuse « insociable sociabilité » humaine. Alors, « avec un peu de chance je deviendrai barge et félé » annonce Vîrus dans « Bonne nouvelle ». Paradoxalement, la folie devient en même temps l’inévitable condamnation et l’échappatoire espérée, à la fois soignée et accrue par cette automédication et auto-empoisonnement dans l’alcool, si bien décrits dans « Marquis de Florimont ». Passer de la maison d’arrêt de Rouen à l’asile psychiatrique de Navarre, difficile d’y voir une victoire. Et pourtant, c’est presque de cette manière-là que la chose est décrite.

« Si je m’en tire, que l’avenir fasse de moi un mytho. Pour l’instant j’aime pas mes textes parce que je les vis trop. » Navarre

Finalement, Vîrus est le rappeur d’un concept : l’aliénation. Disparu de la novlangue politicienne depuis quelques temps, ce concept d’aliénation permet de penser l’oppression. Dépossédant l’individu de lui-même en le faisant entrer par la violence dans la norme, notre société contemporaine qui se présente sous les offices les plus humanistes du monde n’est en réalité qu’une structure oppressive. L’individu est dépossédé de lui-même, de sa propre mort, de sa maîtrise, et de ses forces propres. C’est ce constat que pose l’œuvre de Vîrus, et c’est avec cette grille de lecture qu’il faut comprendre ce projet. La mort comme unique horizon, c’est ce qui ressortait de Faire-Part. Finalement, Huis Clos en propose un autre : la folie. L’une avant l’autre, parce que l’on sait tous comment ça finira. Ce double projet est celui d’un diagnostic décrivant une impossible société qui, plutôt que de soigner la folie qui dort en son sein, l’alimente, la produit et la provoque. Notre histoire est celle d’une schizophrénie politique où d’un côté la folie devient la norme et d’un autre côté l’anormal est folie. A défaut d’en être le médecin, Vîrus a choisi d’en être le symptôme. Et de nous mettre des claques à chaque texte.

Si vous voulez vous procurer le projet, allez faire un tour sur le site dans le rayon du fond.

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