Chronique : Medine – « Démineur »

Il était temps pour Medine de redonner du sens à son œuvre. Tout d’abord, car il était au cœur de nombreuses polémiques lancées par les pseudo-intellectuels habitués des plateaux télévisés ; mais également car une partie de son public de la première heure ne semblait plus comprendre les derniers morceaux. Depuis la sortie de Protest song, les sonorités étaient souvent différentes, les featurings aventureux, et la finalité du discours difficilement perceptible. C’est donc avec surprise que les auditeurs ont découvert le 25 mai, en téléchargement, la sortie d’un EP de dix titres appelé sobrement Démineur. Un seul mot, pour une dizaine de titres dont la moitié était déjà connue, avec un espoir : donner du sens au-delà du buzz médiatique, et prouver aux auditeurs que s’ils avaient mal interprété certains sons, c’était uniquement parce qu’ils n’avaient pas su lire entre les lignes.

Impossible de comprendre de quoi il est question dans cet EP sans saisir le contexte dans lequel il a été produit. Comme toujours chez Médine, cet EP est politique, au sens noble du terme, c’est-à-dire qu’il y est question de bout en bout du vivre-ensemble et de citoyenneté. Pourquoi cela est-il difficile à percevoir ? Car l’apparence et la carrière de Médine véhiculent tellement de préjugés qu’elles sont déjà un facteur de division. Les pseudo-journalistes et pseudo-intellectuels sont nombreux à s’arrêter à l’apparaître au détriment de l’être : « Ce que nous sommes est tellement fort qu’on en oublie notre amour » rappait déjà Médine dans « 11 Septembre » en 2004. Onze années et le temps ne change rien à l’affaire puisque cela se traduit en 2015 par « Ce que l’on est parle tellement fort que l’on oubliera ce que l’on dit » dans le son « Speaker Corner ». Alors, la question se pose encore et toujours : « Qui est vraiment Médine ? ». A ceux qui n’auraient toujours pas compris, le rappeur de Dîn Records répond en musique, sans featuring sur des instrumentales de Proof.

« Je suis pas le sauveur du monde. Rien qu’un démineur qu’on a pris pour un poseur de bombes ». Le titre de l’EP Démineur est une référence directe à cette phrase tirée du son « Trône » présent sur Table d’écoute 2 sorti en 2011. Preuve que la situation n’a pas changé en l’espace de quatre années et que la personnalité de Médine est toujours aussi insaisissable que difficile à comprendre. Il suffit de voir ce que les chiens de garde islamophobes, Finkielkraut et Fourest à leur tête, en disent dans les grands médias : Médine est devenu en quelques années le symbole des méfaits du rap et de l’islam, du prosélytisme musulman, du rejet des valeurs républicaines, et en conséquence du refus d’intégration des minorités ethniques. Mais la ridicule mauvaise foi de ces chiens de garde se heurte à un artiste qui sait brouiller les pistes, et qui sait répliquer à sa manière. A ceux qui l’accusent d’avoir lissé son discours, Médine réplique en sortant « Grand Médine ». A ceux qui l’accusent de rejeter la laïcité, Médine réplique en sortant « Don’t laïk ». A ceux qui lui somment d’expliquer ses prises de position, il réplique en sortant « MC Soraal ». A ceux qui lui reprochent l’emploi de nouvelles sonorités et de s’orienter sur des sons trap, il réplique en sortant « Gaza Soccer Beach ». De quoi désorienter tous ceux qui, au détriment de la pensée, se plaisent à mettre les gens dans des catégories bien définies… Alors, à défaut d’être compris, Médine fait parler.

« Reboot », premier son de cet E.P., pose les bases de ce qui semble être une volonté de la part de l’artiste havrais de remettre les compteurs à zéro. Amende honorable de Médine après un dernier album trop gentillet ? Ayant récemment rompu son contrat chez Because, l’Arabian Panther aurait retrouvé son mordant. L’annonce de « Reboot » est claire : après une période plus calme, il est temps de donner à nouveau à penser. Car depuis qu’il a commencé le rap, Médine a compris que pour se faire entendre, il faut parler fort, et il faut surtout provoquer. Alors Médine provoque, et enclenche le débat, obligeant chacun à choisir son camp : non pas celui entre « l’axe du bien » et « l’axe du mal », mais celui entre penser ou ne pas penser.

« Ce régime peu paritaire qui nous voit comme des Boko Haram / Aux dernières nouvelles au Carlton de Lille y’avait pas beaucoup d’Arabes / Ceux qui solutionnent la crise en vendant leurs mairies aux racistes /Désolé de t’apprendre que la France ce n’est pas la méritocratie » – Démineur

La couleur de cet EP se laissait deviner par la sortie en octobre dernier de « Grand Medine », qui apparaissait d’ailleurs dans nos 10 Bons Sons de 2014. Comme à son habitude, sur une prod de Proof et sous la forme d’un egotrip, il expliquait ses différentes prises de position qui pour certaines ont fait polémique (on pense notamment à sa visite en prison à Kémi Seba ou bien à la mauvaise interprétation du son « Angle d’attaque »). Bien loin d’être un mea culpa, le rappeur haut-normand originaire du Havre justifiait l’ensemble de ses actes par ce combat qu’il mène au quotidien contre les clichés et pour les minorités en souffrance. Un véritable manifeste ayant pour objectif de définir une ligne politique et rapologique claire. Bien sûr, certains se concentreront sur la pique à destination de Booba en occultant le reste. Dommage, ils manqueront comme d’habitude l’essentiel.

Symbole de cette lecture trop rapide, le son « Don’t laïk » a entrainé lors de sa sortie son lot de quolibets et de réactions. Sorti avec le clip, les images sont fortes, trop fortes peut-être pour pouvoir être compris sereinement. La violence n’est pas seulement dans l’image mais également dans la musique et les sonorités trap. Comme pour faire mentir Lino qui affirmait dans « Ne m’appelle plus rappeur » : « La trap, c’est que des gimmicks », Médine s’y essaye en gardant un discours complexe. Mais le choc est réel, et en dehors du discours et de la voix, on a du mal à croire qu’il s’agit du même rappeur sur les sons « Gaza Soccer Beach » et « Don’t Laïk ». Alors il l’affirme : il ne s’agit pas de critiquer la laïcité mais les laïcards, ceux qui détournent les principes de la laïcité et l’idéal républicain pour diviser les français et stigmatiser les musulmans. Finkielkraut et son « dégueulis verbal » montent au créneau et les médias s’enflamment.

De fait, la force de Médine tient dans sa capacité à saisir intuitivement les problèmes sociaux et à en dégager ce qui fait mal au confort petit-bourgeois. Mauvaise conscience de son temps, il est musulman et le revendique, c’est donc la présence que la société française ne supporte pas et qu’elle essaye de dissimuler. « Speaker Corner », c’est l’histoire d’un homme qui a de la voix, qui l’utilise, et qui porte ainsi dans les médias la voix de l’immigration. Contre les « terroristes de la pensée », contre la pensée unique bourgeoise et se nourrissant des clichés sur les banlieusards et les immigrés, Médine fait entendre autre chose. Grâce au rap. Et donner la parole à ceux qui ne l’ont pas, n’était-ce pas ça au commencement le rap ?

« Ali X », morceau hommage au rap conscient et à Kery James. Dans la lignée du portrait dressé il y a quelques années dans « Lecture aléatoire », Médine réaffirme son admiration pour Kery James. A l’inverse, « #Faisgafatwa » tend à viser tous ceux qui prétendent savoir mieux que les autres, ceux qui parlent tout en ne sachant pas grand-chose. Qu’ils soient imams ou rappeurs, les clichés véhiculés par ces hommes nuisent aux différentes communautés. Médine a toujours été critique à l’égard de ceux qui travestissent la foi musulmane, et ce sont eux qui sont visés par ce jeu de mots sur la sonorité « Fais gaffe à toi » et « Fais ta Fatwa ». Bien loin d’idéaliser la communauté musulmane, Médine sait la placer elle aussi face à ses contradictions, mais cette partie de son discours est bien souvent passée sous silence par ceux qui veulent le simplifier.

« Eh, t’as su qu’Médine était une ville en écoutant mes disques /T’as connu l’din grâce à ma team, aujourd’hui tu dis qu’on est clientélistes / C’est la mosquée qui s’fout d’la Sadaka / Le monastère qui sert de sa Black Card » – #Faisgafatwa

Cette simplification de la pensée, elle s’opère à de nombreux niveaux. Alors c’est difficile quand on se contente des clichés que de comprendre le message d’un son comme « MC Soraal ». Alors qu’il n’est ni Solaar, ni Soral, on aurait tendance à vouloir le faire entrer dans l’un ou l’autre de ces camps. Comment certains ont-ils pu voir dans ce morceau un hommage à Soral ? Au contraire, Médine souligne qu’il n’est pas Soral et qu’une vision manichéenne de la société française, d’un côté les bons, de l’autre côté les méchants, est une vision qui divise. Il ne s’agit pas d’être pour ou contre mais de comprendre dans quel contexte les problèmes se posent. Le propos doit être nuancé, il n’y a pas que deux voies. Il n’y a pas « ceux qui sont Charlie » et « ceux qui ne sont pas Charlie »… La tendance au dualisme des médias est problématique car elle simplifie la réalité. Le discours du son « Boulehya » va également en ce sens : contre l’hypocrisie des médias, dénoncer ceux qui véhiculent les clichés et qui décrédibilisent les causes, qu’ils soient des rappeurs ou des personnalités célèbres.

Car il est trop facile d’adopter une vision dualiste, notamment en cas de conflits. L’engagement de Médine envers la souffrance des palestiniens de Gaza est symbolisée par le son « Gaza soccer beach ». Bien loin d’attaquer frontalement Israël dans un son qui aurait pu être lui-même un cliché, Médine choisit de parler de ces quatres enfants qui moururent sur une plage touchée par un missile israélien. Symbole du massacre de civils innocents qui se retrouvent pris dans un conflit qui les dépasse. Symbole de l’impuissance d’une communauté internationale qui se trouve prise en étau. Sur une production simple avec une guitare, ce son est une petite piqûre de rappel : dès qu’il est question de story-telling, on a du mal à trouver mieux que la plume de Médine.

Enfin, cet EP se conclut sur le titre qui donne son nom à l’album. « Démineur », dans lequel Médine passe en revue les emblèmes de la nation française. Les trois couleurs du drapeau : le bleu, le blanc et le rouge sont les fils d’une bombe qu’il faut désamorcer. Le bleu, c’est l’élitisme de la bourgeoisie, le mépris par la classe politique des classes populaires qui est la cause du communautarisme. Le blanc, ce sont les cols-blancs, les banques et l’économie. A la racine d’une misère bien réelle, un capitalisme débridé qui détruit le lien social en détruisant toutes les valeurs qui sont nécessaires au vivre-ensemble. Le rouge, le sang de la Mère Patrie qui coule car ce sont ceux qui prétendent la défendre qui la tuent à petit feu. Un dernier son magnifique pour critiquer le silence d’une classe dominante qui devra finir par entendre le bruit du peuple. Car le problème, finalement, ce n’est pas l’immigration, c’est l’exploitation.

Démineur a su faire ce que n’avait pas fait Protest Song (probablement par choix artistique) : attaquer concrètement les cibles responsables de la fracture sociale. « Qui veut la paix prépare la guerre », crédo des albums précédents avait disparu. Médine retourne à ses premiers combats avec un EP incisif qui a déjà fait beaucoup parler. Maintenant, il ne s’agit plus de parler, mais de penser dans le calme. Les problèmes sociaux dégagés dans cet album sont bien réels. Chaque phase est à méditer et à comprendre, à écouter et à réécouter pour tenter d’en saisir le sens. Médine nous apprend à lire entre les lignes, à chercher au-delà des apparences. C’est un apprentissage nécessaire. Comme pour nos rappeler que penser, c’est lutter contre les préjugés et les clichés. N’est-ce pas le synonyme de « Déminer » ?

Démineur est disponible sur Itunes,  Spotify ou encore Deezer.

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