Across The US : escale hip-hop à BOSTON

Et si on partait ensemble pour un périple musical ? Le Bon Son vous propose à partir ce mois d’avril un voyage de quelques étapes à travers les USA.

Au-delà des énormes bastions que sont Los Angeles et New-York City. On s’est dit à la rédaction qu’il serait sympa de poser nos valises et nos ghettoblasters ailleurs qu’à Brooklyn, Queens ou Compton, dont les rues sont quadrillées chaque jour par la presse spécialisée. Attachez vos ceintures, aujourd’hui on atterrit à Boston, pour un petit tour d’horizon de la scène locale.

Beantown pour les intimes c’est à la fois une ville de savoirs et une ville riche d’histoire, jadis terreau de l’indépendantisme face à la couronne britannique, où les génies de ce monde font leurs classes au sein des universités parmi les plus cotées au monde (MIT, Harvard…). Mais, ville à plusieurs visages, Boston est également une cité populaire, où on sent encore l’empreinte des premiers  immigrants irlandais ou italiens. Où les difficultés quotidiennes des gens des quartiers de Roxbury ou South Boston se font sentir, à quelques encablures seulement des jolies rues fleuries aux maisons basses du centre-ville.

De ce cocktail est née une histoire hip-hop parfois méconnue, dans l’ombre de la grande New-York à quatre heures de route de là. C’est par exemple à Boston qu’est né et a grandi Keith Elam aka le regretté Guru avant de devenir la moitié de Gang Starr. Mais l’histoire commence bien avant cela, et dès la décennie 80 quelques groupes et MC avaient tenté d’éclore. Une dizaine d’années après que les USA aient découvert les block parties de DJ Kool Herc à Harlem, 4 ans après l’explosion du Sugar Hill Gang, c’est en 1983 que les bostoniens Kevin Fleetwood & The Cadillacs sortent  « Sweat If Off », un son bien connu des breakers, avec ce sample qu’on repère à des kilomètres aujourd’hui. 

Puis quelques années plus tard, en 1988, intervient un autre évènement alors anodin, aujourd’hui marquant :  The Source naît sur le campus de Harvard. Au départ simple newsletter distribuée par une bande de potes dans les rues de la ville, le papelard est devenu, avec XXL, le magazine papier le plus connu dans le domaine.

Harvard, où 9th Wonder est venu ces dernières années dispenser des cours sur l’histoire du hip-hop dans une institution surtout connue pour avoir couvé un grand nombre des présidents américains. Le leader de Little Brother, orginaire de Caroline du Nord,  a immortalisé cette démarche dans son documentaire « The Hip-Hop Fellow ».

Dans cette ville, on est fier. Fier de son identité, de son histoire, de ses universités, de sa brasserie, de ses équipes sportives, fier son quartier, des plus riches aux plus paupérisés, fier de ses origines, qu’elles soient irlandaises, italiennes, asiatiques, afro-américaines…  C’est dans ce contexte que Big Shug pond son histoire, celle de «son» Boston. Un environnement, South Boston, a priori un peu moins facile qu’en plein downtown ou que sur les différents campus universitaires qui jonchent la cité verte. Deux figures locales, Termanology et Singapore Kane, viennent également crier leur quotidien sur le morceau. «My Boston», lourdeur East Coast produite en 2008 par DJ Premier.

Termanology justement. Lui aussi a reçu en son temps un coup de pouce via des productions de Primo. Originaire de Lawrence, dans la grande banlieue de Boston, le MC d’origine portoricaine connaît son succès dans les années 2000-2010, avec une série de mixtapes nommée « Hood Politics » puis confirme avec plusieurs albums studios. À Boston, on aime rarement New-York City. Comme disent les autochtones dans le monde du sport :  «I Support two teams : Boston and whoever beats New-York». Pourtant, musicalement, les influences et connexions new-yorkaises sont bien là. Boom-bap, micro-samples qui tournent en boucle, parfois deux ou trois riffs de violon. L’imagerie développée est celle de la vie de quartier, du ghetto américain, imagerie dans laquelle Termanology se rêve en successeur portoricain de Big Pun. C’est la recette, certes classique, mais exécutée à merveille sur l’album «Politics As Usual».

Mais au fait, on parle MC, sur des productions souvent new-yorkaises, mais quid des faiseurs de sons, de manieurs de boucles, de beatmakers made in  Massachusetts ? C’est là qu’on cause de l’emblématique Statik Selektah. Statik, c’est un bonhomme de Charlestown, faubourg un peu risqué de la ville, vous savez le quartier immortalisé par Ben Affleck dans The Town, où joue notamment Slaine, le MC bostonien de La Coka Nostra. Pour les minots qui découvrent le rap, Statik Selektah c’est « le mec qui accompagne Joey Badass ». Mais avant cela, il faut surtout dire qu’avec ses projets solos ou ses collaborations, le producteur a bossé avec les meilleurs rappeurs depuis une dizaine d’années : Action Bronson, Talib Kweli, Raekwon, Evidence, et j’en passe. Pour la petite histoire, son dernier album « What Goes Around » (2014) est basé presque entièrement sur des influences jazz. La raison ? Kanye West à qui il avait présenté des sons en studio, lui aurait rétorqué qu’il était désormais impossible de faire des albums avec ces sonorités. « Jazz is dead » d’après monseigneur West. Oui mais non. Le bostonien est cabochard, et c’est ce qu’on aime (ou déteste) dans cette ville. En tous les cas, l’opus et l’initiative furent salués par la critique, et les grands rappeurs se ruèrent à nouveau en studio pour accompagner maître Statik : B-Real, Freddie Gibbs, Action Bronson, Sean Price, Ab-Soul …

Sans conteste, le beatmaker est le hip-hopeur aujourd’hui le plus reconnu au sein et en dehors des limites de la métropole, surtout  qu’il collabore pas mal avec les gars du coin : Edo G, Reks, 7L & Esoteric, Slaine…

D’ailleurs, Edo G (ou Ed OG, c’est selon), c’est LA figure old school parmi toute cette bande. Le MC, comme Kevin Fleetwood ou Guru, est un taulier de Roxbury, quartier juste au sud du centre-ville, à la forte communauté noire et ouvrière. À la différence des quartiers de downtown comme Back Bay ou Beacon Hill où moins de 10% de la population est afro-américaine. Dans les années 80, Edo G monte peu à peu dans les charts en montant différents groupes et en apparaissant en 1986 avec son Fresh To Impress Crew sur la légendaire compilation « Boston Goes Def!« , regroupant des acteurs de la scène locale souvent entendus sur la radio étudiante du MIT qui consacre alors des plages horaires au hip-hop de la métropole du Massachusetts.

Boston goes def

Celui qu’on n’appelle pas encore Edo G mais Edo Rock s’acoquine avec d’autres rappeurs et se fait petit à petit repérer. Passant de groupes en groupes, il finit par taffer dans les années 90 et 2000 avec Pete Rock, RZA, le canadien Marco Polo, ou Premier. Mais son morceau le plus célèbre, en duo avec son pote de Brooklyn Masta Ace, est co-signé par DJ Supreme One, un gars du coin, et Pete Rock. Une perle.

Au fur et à mesure de nos pérégrinations, on finit par se dire que Boston est vraiment une ville sous-cotée du rap américain, rarement positionnée sur la carte des scènes qui comptent, et à tort. Peut-être parce que dans les années 90, le hip-hop n’avait pas bonne presse dans la ville. Les gangs profitaient des différents évènements pour s’affronter, et les organisateurs de concerts ne se bousculaient pas au portillon pour programmer du rap. Le point d’orgue fut un concert gratuit organisé en plein coeur de la ville en 1992 qui dégénéra en bataille de rue. Bien que le hip-hop ne fusse pas le seul style musical à l’affiche, c’est bien lui qui fut stigmatisé. Edo G, déjà reconnu au niveau national dut par exemple attendre deux ans pour se reproduire dans sa propre ville, alors qu’il rappait un peu partout dans le pays. Mais cette mise à l’index n’empêcha pas l’émergence d’autres acteurs à succès. Aux artistes déjà cités on pourrait ajouter Mr Lif ou encore le duo MC/DJ aux accents undergrounds 7l & Esoteric, qui dès les années 90 régalait les oreilles des clubs alternatifs  de sons sombres à souhait, en peu comme des alters egos des Jedi Mind Tricks de Philadelphie.

Pour poursuivre cette histoire du hip-hop bostonien et pour finir notre escale, on vous prodigue l’écoute de deux ou trois des rélèves de la ville. Pour commencer, on citera Nat Anglin aka Natural qu’on a pu entendre sur des mixtapes Pro Era aux côtés de Nyck Caution ou Dessy Hinds (« Peep the APROcalypse », 2012). Le rappeur a de la ressource, et son album autoproduit en 2013, « Ways To Go »,  mériterait bien plus d’attention. Ses vues YouTube sont encore peu nombreuses et il tarde à rencontrer le succès. Peu importe, nous on aime. Sur son album (gratuit), il  rappe notamment aux côtés d’une autre étoile montante du coin, Dutch ReBelle. 

Parler des rising stars de Boston sans mentionner Cousin Stizz serait presque un blasphème. À peine 21 000 personnes sur sa page Facebook, mais près de 5 millions d’écoutes sur son titre phare « Fresh Prince », un  délicat exercice d’ego trip tout en désinvolture, maîtrisé à la perfection.*
Mais notre grosse claque du moment, c’est Michael Christmas. Un jeune d’à peine plus de 20 ans, probablement sosie officiel de Baby Huey. Il a secoué la ville, et le monde du hip-hop US avec sa tape « Is This Art? » sortie l’an passé. Mixtape sur laquelle on retrouve aussi Rome Fortune. Tout en nonchalance mais fluidité, posant souvent sur des productions ralenties, on a déjà vu Michael Christmas à SXSW, le festival d’Austin, Texas, où se retrouve tous les ans la crème de la musique indé américaine. Notre morceau préféré du rappeur ? Le jazzy « Y’All Trippin' », tourné dans la Big Apple, avec une bonne dose d’autodérision.

Enfin, ce qui manque à notre sens à Boston, c’est un grand et bon label pour en faire une ville totalement reconnue et plus influente en termes de hip-hop. Pour le reste, la qualité est là.

On a fini notre promenade, on file plus au sud, direction Philadelphie. Il paraît qu’ils sont bons là-bas aussi.

*L’article original, publié en avril 2015, ne mentionnait pas Cousin Stizz, dont le succès est apparu dans les semaines suivantes, avec la sortie de Suffolk County (2 juin 2015).

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