Ce samedi, Le Petit Bain à Paris accueillait un live d’A2H, Taipan et Aelpéacha. Avant une performance d’une énergie débordante des trois acolytes et leur clique, Le Bon Son est allé causer avec A2. Un gars sympa et affable qui nous parle de ses influences, ses projets, son processus de création, sa vision du rap en France, et de son label Palace. Entre autres.
Salut A2H. Première question : tu en es où de tes projets ? Tu es partout en ce moment ! Un deuxième album en 2014 (Art de Vivre), des featurings à foison, des projets avec Swift Guad, du live, des sons avec Aelpéacha et Taipan, on t’a entendu sur Battements avec Mr Ogz aussi…
Avec Mr Ogz (Battements, ndlr), c’est un truc que j’ai fait il y a longtemps ! C’est sorti il y a peu mais ça a été enregistré début 2012 même s’il ne sort que fin 2014. Mais je suis content, c’est un projet qui était cool. Sinon, je suis en tournée jusqu’en avril. Et je démarre les projets des MC qui sont sur Palace, le label que j’ai monté en 2014. Il y a notamment Ori (présent pendant l’interview, ndlr) qui a un projet qui arrive. Et puis aussi Titan, Hell Maf, Bruck. Et enfin une artiste soul-R’n’B qui s’appelle (Mme) Sow. Je bosse à fond pour eux jusqu’à cet été. De mon côté, rien de neuf niveau album avant la rentrée 2015, c’est-à-dire octobre, voire novembre… Mais il va y avoir deux, trois petites pépites à droite, à gauche quand même. Des petits cadeaux, on arrive pas à rester sans rien faire (rires).
Et justement, parle nous des artistes de ton label Palace. Tu encadres les projets, tu gères leurs productions ? Comment ça se passe ?
Ouais. Avec Palace je fais déjà les arrangements et la réalisation de la plupart des projets. Par exemple j’ai fait tout ça sur le prochain Hell Maf qui sort mi-février. Ensuite il y aura le projet de Bruck, nouvelle recrue chez nous. Il avait fait un bon premier EP tout seul, et là on bosse sur un deuxième. Hell Maf s’occupe de la production à 100% et moi je suis aux arrangements. Donc ouais, je vais faire pas mal de réal, et faire de la DA sur tous les projets à venir. C’est cool, ce sont des mecs pas encore très connus, pas très exposés et pourtant talentueux. Et du coup j’endosse le rôle de producteur quoi (rires).
T’es un vrai touche-à-tout finalement.
Ouais ! En fait, j’adore le travail de studio, bosser sur des projets, mixer, jouer des instruments, c’est un deuxième kiff.
« J’adore le travail de studio, bosser sur des projets, mixer, jouer des instruments, c’est un deuxième kiff. »
Revenons à ton deuxième album, Art de Vivre, sorti en 2014. Avec quelques mois de recul, comment il a été perçu par ton public ?
Il y a deux échos. C’est un album beaucoup plus travaillé que Bipolaire (son premier album, ndlr), même si certaines personnes ne s’en rendent pas compte. Il y avait réellement des arrangements, la plupart des basses sont rejouées, il y a un travail d’édition et de mix qui est allé plus loin que sur Bipolaire. Musicalement cet album va plus loin. Après c’est un album plus calme : il y a vraiment plus de morceaux persos, de laid back, de sons nappés, de motion music, chill step etc. .. Du coup, tous les gens qui me suivent plus pour le délire du « kickage », n’ont pas forcément eu leur dose dans l’album. Par contre, tous ceux qui sont amateurs de la musicalité, d’ambiances un peu plus chill ont été servis. Je sais que j’ai deux publics en fait. J’ai celui qui kiffe les sons du style « Fonsdar », « Laisse Faire » et les seconds qui vont aimer les sons plus calmes comme « Elle Ne Veut Pas ». Le public qui kiffe le « kickage » s’est sans doute senti un peu plus délaissé, mais sinon, j’ai eu plein de bons retours. Même au niveau des médias : Les Inrocks, France Inter, Radio Nova, Le Mouv’. Ils ont capté qu’on était peut-être un ton au-dessus en termes de musicalité que le reste du rap français.
Tu parles de ton public et de ces deux écoles. Comment tu l’expliques ?
Mon public est, je pense, complètement à l’image de ce que je fais. C’est pour ça que j’ai appelé mon premier album Bipolaire. Vu que je suis un peu un touche-à-tout comme tu le disais, il y a un public qui aime quand je touche à certaines choses, et un public qui aime quand j’en touche d’autres. S’il y a des gens comme moi, ils vont aimer toutes mes ambiances. Sinon il vont en aimer une partie et je le comprends. Certains vont aimer quand ça kicke, mais un morceau laid-back qui parle de moi, ça ne va pas forcément être leur ambiance. Je trouve que j’ai un public grave métissé en plus, et large en termes de classes sociales. Il peut y avoir des mecs de quartiers comme des gens issus de famille plus riches. Avoir des gens de classes sociales différentes, c’est ça que j’apprécie, un vrai melting pot. Dans les concerts il y a tous types de personnes. Des drogués, des fils de médecin, des avocats…
« Avoir des gens de classes sociales différentes, c’est ça que j’apprécie, un vrai melting pot. »
Tu disais aussi il y a peu, que le hip-hop prend de l’âge et donc qu’il y a aussi de plus en plus de parents et de grands-parents qui écoutent du hip-hop…
En termes d’âge c’est impressionnant. Je peux avoir le mec de 40 ans qui me dit « je t’ai entendu sur France Inter, j’ai adoré, j’ai fait l’effort de venir au concert. » D’un autre côté, j’ai un petit de 16 ans qui m’a dit « Ouais mon grand frère il m’a fait écouter ». Bon lui il kiffe aussi parce que ça parle de joints et qu’il y a un côté un peu transgressif pour lui. Après c’est peut-être ce qui fait que j’ai pas autant de visibilité que certains. Peut-être que je n’ai pas de coeur de cible. Je frappe un peu à droite, à gauche, et je n’ai pas une communauté spécifique qui me pousse. J’ai un petit peu de tout. Mais on croit à ça.
On te connaît pour tes qualités de producteur, et de MC. Est-ce que l’un te fait plus kiffer que l’autre ? Ou est-ce que tu as vraiment besoin des deux pour t’épanouir ?
J’ai vraiment besoin des deux ! Mais je suis quand même un entertainer, donc je vais dire quand même que je préfère rapper.
Tu rappes, tu écris. Comment ça fonctionne ton processus d’écriture ?
C’est un process classique, de ton foncedé venant du 7-7, banlieue sud. On se met une petite dose dans la tête, et après ça vient quoi !
T’es pas du style à t’enfermer une semaine, virer tout le monde de chez toi pour ne faire qu’écrire ?
Ça peut m’arriver ! Je vais être dans une dynamique où j’ai chopé une bonne petite beuh, je vais dire à ma go et aux gars « je m’isole un peu je vais bosser sur deux-trois titres ». Ou alors ça peut être une dynamique, « je suis dans une ride ». On discute avec Ori dans la voiture, et après en rentrant j’ai une inspi. Ou parfois même directement dans la voiture. (« Il arrête pas, il arrête pas » dit Ori à côté d’A2H dans la loge).
Mais c’est Ori l’inspi en fait !
Ahah, j’ai pas le permis. Et on est des grand riders chez nous. Ori c’est le pilote toujours, ou bien il y a Larry aussi qui est notre grand rider de l’équipe. Du coup je suis toujours dans la caisse de l’un ou de l’autre. La voiture c’est une grande source d’inspiration ! C’est pour ça que je fais souvent des plateaux avec des riders comme les mecs de Splifton, Réservoir Dogues. (ndlr : comme ce soir-là avec Aelpéacha).
C’est vrai que tu rends souvent hommage à la ride dans tes sons, jusque dans les titres des morceaux…
Ouais, la ride toujours. Nous, il faut qu’on bouge, faut qu’on fasse des trucs. Mais on ne ride pas qu’en caisse. Moi je suis un grand rider du RER aussi. Mais au moins, tu restes pas sur place, tu bouges !
« Je ne me dis pas « j’écris, et il me faut un beat qui colle avec mon texte ». Je fais un texte qui colle avec le beat. »
Et on parle d’inspiration pour tes textes, mais pour tes sons comment ça se passe ? Ça vient tout seul, ou tu recherches une ambiance avant ?
Oui, ça fonctionne plus comme ça : je cherche une ambiance, et je vais essayer de la travailler. Si j’ai envie de faire un banger, je vais rentrer en studio pour ça. Souvent je décide avant de commencer de l’ambiance du beat que je vais faire. Je ne le fais pas au hasard, j’ai déjà un schéma dans ma tête avant de commencer.
Et est-ce que tu décides de l’ambiance en fonction du rap ? Par exemple si tu as un texte posé, tu vas ensuite chercher un son chill ?
Non, je fais le skeud à l’envers ! Je vais chercher à sortir les sons que je kiffe d’abord et dont j’ai besoin pour mon album. Et une fois que j’ai tous mes beats, j’écris. Je ne me dis pas « J’écris, et il me faut un beat qui colle avec mon texte ». Je fais un texte qui colle avec le beat.
Parlons de tes influences. C’est plutôt français -j’ai entendu parler d’Oxmo, NTM, Les Svink’- ou c’est plutôt US ?
J’écoute à 99,9% du US et 0,1% du français. Alors que quand j’étais plus jeune, c’était du 50/50. J’ai vraiment du mal avec le rap français aujourd’hui. Parce que je trouve qu’il manque cruellement d’originalité. Et quand je dis ça, je ne me trouve pas forcément meilleur que les autres. Peut-être que des fois, on se bride parce qu’on sait qu’on s’adresse à la France. Il m’arrive de faire des trucs complètement farfelus et de ne pas les mettre dans les albums, parce que je me dis que personne ne captera le délire. Ça me fait même chier d’avoir cette démarche, parce que finalement, je fais ce que je reproche aux autres. Du coup, pour répondre à ta question, j’écoute à fond du rap cainri.
« Je me reconnais dans ce que Kendrick Lamar raconte. Dans cette position de gars de coin chaud, mais plutôt dans la position d’un chroniqueur que dans la peau d’un voyou. »
Et alors chez les ricains, tu écoutes qui ?
Je suis à fond sur la nouvelle école TDE, même s’ils ne sont plus vraiment nouveaux. Kendrick (Lamar) par exemple, je me reconnais dans sa musique ou dans ce qu’il raconte. Dans cette position de gars de coin chaud, mais plutôt dans la position d’un chroniqueur que dans la peau d’un voyou. Il raconte ce qu’il voit, ce qu’il ride et j’apprécie. Et au niveau de sa musique, ses influences… Quand je vois son dernier truc : musiciens, solos de basse, des collaborations avec des gars comme Flying Lotus, je me dis « wah ! ». Si j’étais aux States, j’aurais essayé d’avoir le même plan de carrière qu’un gars comme lui. Je suis fanatique de Kendrick. Après j’aime toute l’écurie Top Dawg Entertainment : Ab-soul, SZA, Jhene Aiko, Isaiah Rashad… C’est un putain de label.
Mais ce qui a réellement métamorphosé ma musique – sans parler des trucs anciens, on a tous écouté les mêmes- et qui m’a mis une vraie frappe, c’est ASAP Mob. Que ce soit Rocky, Ferg ou les autres, ils sont vraiment arrivés avec les couilles sur la table. En termes de son, de flow, d’originalité. Et ils s’en foutent : un jour ils font un son où ils chantent sur une instru toute chelou, ils vont prendre un Clams Casino hyper vaporeux, le lendemain ils vont être avec 2Chainz sur un trap de barbare. Ils ont cassé les codes !!! Bon, après en termes vestimentaires, on est moins d’accord, je vais pas mettre une jupette, mais là aussi ils ont cassé les codes. Ils dictent comment les jeunes vont s’habiller dans toutes les capitales. C’est fou ce qu’ils ont réussi, en peu de temps, cette aura sur le rap en général… Je suis un grand fan de ASAP Mob.
Pro Era ?
Ouais je kiffe Pro Era. Mais tu vois, j’adore Joey Badass, mais je préfère toujours écouter un Redman. Je mets Muddy Waters et j’ai ma dose !
Enfin mon artiste favori, c’est Kanye West. Et là, je ne suis pas objectif, mais il n’y a rien que je n’aime pas dans ses sons. Il arrive toujours avec des concepts, des prods de bâtard, des flows oufs. C’est toujours un novateur de malade.
Je t’ai croisé au concert de Reverie & Louden à Paris récemment. Cette scène un peu plus « underground », tu en penses quoi ?
Ben ils en sont à l’étape d’avant ceux que j’ai cités, comme à l’époque où Kendrick parlait de Compton sur les faces B de Jay-Z. On pourrait aussi citer Chance The Rapper, Vic Mensa… Mais Reverie, Gavlyn et toute cette école un peu underground, ils n’arriveront à tirer leur épingle du jeu que s’ils ont vraiment des hits. En gardant leur formule, ce sera compliqué de faire quelque chose. Je pense que la vague de gens qui faisaient ce style est déjà passée. C’est Badass et compagnie. Avec juste un boom-bap old school ce sera compliqué que ça pète pour eux.
Pour clore ce chapitre, il y a des chances de te voir un jour faire un featuring avec des artistes américains ?
J’ai déjà fait un featuring avec Reks, le MC de Boston. Il m’avait même invité une fois à faire une scène sur Paris. On connaît des gens en commun comme Kobebeats par exemple, beatmaker de chez Palace, qui a fait une dizaine d’instrus pour Reks et des visuels de mixtapes. Du coup, quand Reks est en France, on se capte souvent, on fume un spliff, on se fait des vers. Reks attend un moment bien précis dans sa carrière pour présenter un nouvel album et faire un peu de promo en Europe. Du coup on attend pour balancer nos sons au même moment et pour que ça fasse effet boule de neige.
Nouveau chapitre : comment tu es venu au rap, après le reggae-ragga ?
Les gens me disent souvent ça, mais j’ai commencé par rapper ! Avant d’arrêter vers 2004. Le rap, c’était que des trucs cailleras, ça ne me représentait pas. Je me suis mis dans le délire reggae, ragga, dancehall avant d’avoir le même effet. Le reggae français, c’est une espèce de petite branlette de babtous à dreads qui font genre d’être engagés alors que c’est pour se donner un genre et faire un petit clash avec les darons. Et faire croire qu’ils ont des convictions… J’ai eu le même dégoût, et je suis revenu au peu-ra, je me suis dit que j’allais faire mon rap à moi, avec mes gars. Comme disait Grems récemment « le but c’était pas de faire partie du rap français, c’était juste de faire sa propre musique, notre propre musique française » (Dans le documentaire « Un jour peut-être… », ndlr). Faire partie du rap français, moi j’en n’ai rien à foutre de ça. Grems, il a tout dit dans cette phrase.
« Comme disait Grems récemment « le but c’était pas de faire partie du rap français, c’était juste de faire sa propre musique française »… »
Question classique : tu as une bonne réputation sur scène. Où tu vas chercher ton énergie ?
Franchement, quand tu vois les gens kiffer, t’as envie de kiffer encore plus. Moi je ne fais pas des concerts pour être devant les gens, je fais des concerts pour être avec les gens. J’aime m’amuser avec eux. Et peut-être que les gens ressentent ça, qu’on est là pour partager un moment, et pas pour se la raconter devant eux. Rigoler avec eux, c’est le plus important.
Un peu de balance maintenant, il est où le meilleur public ? Pas le droit de citer Melun !
Ahah, chez nous dans le 77, on n’est pas soutenus réellement, à part par nos gars. La jalousie vient rapidement dans un milieu comme le nôtre où personne ne branle rien, et que d’un coup ça pète pour un des mecs du crew. Tu te rends comptes que les gars ne te soutiennent pas tant que ça. Ils ont plus le seum que ça ne soit pas eux, au lieu d’être vraiment contents pour leurs frères. C’est dommage. Sinon parmi tous les lieux où je suis allé, pour le meilleur public, il y a deux villes : Lille et Lyon. Ces deux publics m’ont mis bien : de la beuh, de la bouffe, de l’ambiance de fou, salle pleine, ils ont fait trembler les salles !
Dernière question. Est-ce qu’il existe une question que personne ne t’a jamais posée et à laquelle tu voudrais répondre ?
(Il réfléchit, Ori, souffle quelques mots sur la vie après la musique). Ah oui. On ne m’a jamais demandé si je comptais arrêter, si je compte faire ça toute ma vie.
Et alors ?
Ben c’est compliqué. Vu que je suis le meilleur en France, si j’arrête, il va vraiment y avoir une grande carence ! Donc du coup j’arrêterai jamais ! (Rires).
Merci à A2H pour cette interview. Pour vous procurer les différents sons de A2H, ça se passe ici.
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