Un large sourire et une réelle fierté pour la sortie de son premier solo All-In, le jour des 40 ans de son grand copain Meiday. Prendre le kawa avec Dino, « jeune old-timer », c’est comme aller boire un coup dans le « café préféré » de Sidi Omar : un petit kiff personnel et un joli symbole issu d’un morceau phare du MC. Et à l’approche de l’hiver, le café a intérêt d’être bon et chaud. Entretien avec Dino dans lequel il est question de rap dans le métro, d’indépendance, d’Internet, de lutte contre les pensées racistes et de poker. TAPIS !
Pour commencer, d’où vient ton blaze « Dino Killabizz » et sa référence claire au Wu-Tang ?
Génération Wu-Tang, on est venus tuer le biz ! On l’a fait à la française. Eux c’est les abeilles tueuses, nous on est des tueurs de business. Meiday m’a dit : « Tu ne trouves pas qu’on a un esprit Wu-Tang ? ». J’ai dit : « On est deux, comment on peut être le Wu-Tang ? ». Il m’a dit : « Non Dino, on tue le biz ! On vend nos disques et tout… » Je lui ai dit que c’était bien.
Peux-tu revenir sur ta discographie et ton parcours ?
J’ai sorti mon premier CD en 2000 qui s’appelait « Sirop de la rue ». J’ai produit 9 albums : « Sirop de la rue », ensuite j’ai sorti « 75018 beatstreet 1 », « 75018 beatstreet 2 », « Le chant des corbeaux » la première mixtape avec Meiday, « Killabizz Project » le premier album avec Meiday, « Wanted » le deuxième album avec Meiday, ensuite j’ai fait « La vérité en face » avec Ursa Major – bête de groupe du 9.3, je les adore, ils sont supers positifs, de vrais guerriers qui aiment le rap français – et enfin « 2018 avant l’album » sorti il y a deux ans. 22 ans d’activisme, j’ai commencé en 1995. En 1997, j’ai participé à mon premier projet qui était celui d’Imhotep « Algérie, j’écris ton nom », un 4 titres qui était distribué gratuitement à la FNAC quand tu achetais le livre. Depuis j’ai pas changé d’état d’esprit, j’ai rencontré les gens que je voulais, je suis super fier de mon parcours.
« Eux c’est les abeilles tueuses, nous on est des tueurs de business. »
Qu’est-ce qui explique ces 14 ans avant de sortir un premier solo ?
Je suis un mec fédérateur, je vais toujours au bout de mes idées. J’ai passé les trois quarts de mon temps à essayer de faire des choses, et là aujourd’hui j’ai dit : « Il faut que je mette mon nom un petit peu en avant ». Il faut s’affirmer en tant que Dino, que les gens savent que je peux chanter tout seul, c’est pas le problème. Ça fait des années que je chante tout seul ; que ce soit dans ma chambre, dans la rue, dans le métro, sur les scènes… partout. C’était important pour moi. J’arrive à un âge où j’ai pas besoin de prouver quoique ce soit.
Un article dans « Métro » avance 15 000 CDs vendus. C’est vrai ou les chiffres sont un peu gonflés ?
Les vrais chiffres du métro, c’est 15 000 CD’s avec 2Spee Gonzales sur la ligne 13, en trois piges. Et on en a vendu un tout petit plus. On y allait tous les jours, on le fait encore, mais de temps en temps parce que je travaille tous les jours. De temps en temps on y va, donc les scores évoluent encore. On y va moins qu’avant. Notre record c’est 44 CD’s dans une journée. On avait des horaires réguliers. On commençait à 17h et on finissait à 21h. La batterie tenait 4 heures, donc dès qu’elle arrêtait, on s’arrêtait. On se posait en haut du métro Saint-Denis Basilique. On décompressait un peu, on fumait des clopes et rigolait entre potes… et même sur place, sans musique, on arrivait encore à vendre des CD’s ! On était tellement connus que même les shtars nous disaient bonjour ! Les gens ont adoré. L’adjoint au maire est venu plusieurs fois nous acheter des CD’s, le maire nous disait bonjour et sait qui on est, on a représenté pour les sans-papiers, pour les sans-abris… Quand il faisait 40 degrés dehors, on restait dehors, devant le métro : les gens pétaient les plombs, 80 watts à fond, de 17h à 21h, des attroupements se formaient…
Vous n’avez pas eu de souci avec la police ?
On a eu quelques petites amendes, vite fait. Mais le principal était la reconnaissance des gens. Parce que les trois quarts des gens qui ont acheté le CD, contrairement à ce qu’on peut penser, c’est pas du tout des jeunes : c’est surtout des darons et des daronnes. Ils nous prenaient dans les bras et nous disaient de ne jamais arrêter, qu’ils n’aimaient pas le rap à la base, qu’on devrait entendre plus ce genre de musique à la télé, que les textes étaient toujours « connard et tiéquar »… C’est pour ça que j’intégrais ça dans mon message. On est juste des petits indépendants, des petits producteurs, mais nous on kiffe notre passion, on ne fait pas la mendicité. Si t’as pas d’argent, garde tes 2€ pour t’acheter ton café.
« Parce que les trois quarts des gens qui ont acheté des CD’s, ce sont des darons, pas des jeunes. »
Pourquoi que la Ligne 13 ?
C’est une question de choix. 2spee habitait sur la ligne 13 et moi j’étais de Clignancourt, donc c’était facile. On a fait plusieurs fois d’autres lignes, et c’était compliqué : le G.I.G.N est arrivé, les chiens… Alors que la ligne 13, à force de nous voir, les keufs dans le tromé nous respectaient. Quand ils nous voyaient, ils nous faisaient un clin d’œil. Dans le wagon, c’est interdit. On s’est déjà mangé des amendes de 400€. Les Roms, ils ne vont rien leur dire mais nous, avec notre enceinte de 80 watts, quand tu la mets dans le wagon, ah ouais tout le monde t’entend ! (rires)
Au début, on avait du mal à vendre parce qu’il faut un discours, il faut parler aux gens et essayer de les faire rigoler. Il faut bien leur expliquer, c’est tout un art. Dans certains wagons, on vendait 6/7 CD’s, mais on ne se foutait pas de la gueule des gens ; on restait toute la ligne, et on faisait 15 morceaux dans le même wagon.
C’est lequel le wagon le plus vendeur ?
Nous c’était toujours au milieu, et les heures de pointe. Quand il n’y a pas d’espace. Quand il y a beaucoup de gens, les gens ont moins peur et puis nous on est communicatifs, souriants. On apporte beaucoup de joie. Au début ça les saoulait, et au bout de 5 minutes ils rigolaient tous.
Vous n’avez jamais eu d’embrouilles ? Des passagers fatigués, blasés ?
Non, ça n’est jamais arrivé… Une fois, une grand-mère n’allait pas bien. On lui a dit qu’on la respectait, et qu’elle n’avait qu’à changer de wagon, et que je l’accompagnerais. Ça l’a fait, elle était contente à la fin, elle voulait juste discuter en fait.
http://www.youtube.com/watch?v=ZZFvIu81bRY
Les valeurs de l’indé, c’est ça ton état d’esprit ?
On finance tout nous-mêmes, c’est énorme pour des petits producteurs comme nous. J’ai trouvé des associés « Madeindizuit.com », qui investissent vraiment sérieusement financièrement avec moi. Comme c’est des amis d’enfance, ils assurent grave donc j’en place une pour Mefor et Meko. Je ne sais plus trop ce que ça veut dire « indé » pour certaines personnes. Nous, on fait vraiment du rap indé, de la production à la distribution.
Tu n’as pas été particulièrement touché par la crise du disque et l’apparition d’Internet du fait que tu vendes toi-même tes CD’s de main en main ?
J’encourage les gens à télécharger s’ils n’ont pas d’argent ! Avant que mon album sorte, j’ai déjà mis moi-même tout mon album sur Internet, tout le monde le sait. C’est bien de préserver son album, je suis d’accord, un jour peut-être j’essaierai…mais moi je craque toujours. Je veux partager. Mais même si tu le préserves, le jour de la sortie, tout est déjà en téléchargement libre. Parce que même les maisons de disque envoient ta maquette sur le net. S’ils peuvent te boycotter… S’il faut aller refaire le métro pour aller revendre 10 000 CD’s, on les revendra, ça nous fait pas peur.
Du coup, Internet t’a peut-être plus servi que desservi, puisque ça t’a permis de répandre ta musique via les réseaux sociaux comme Facebook, Youtube…
J’ai vendu 307 CD’s par Facebook. Je continue et j’ai pas envie de m’arrêter. C’est vraiment un outil communicatif. Chez moi, j’ai 307 lettres écrites à la main !
« Avant que mon album sorte, j’ai déjà mis moi-même tout mon album sur Internet, tout le monde le sait. »
Pour en venir à « All-in », comment as-tu construit cet album ?
A partir du jour où j’ai décidé de sortir mon premier album solo, il s’est passé deux ans. C’est le jour où j’ai envoyé « Fais couler le kawa » sur Internet. Il y a eu un engouement sur ce morceau. De là j’ai dit que j’allais appeler mon album « All-in », parce que j’étais un peu dans le poker et pour moi si je faisais un album, je mettais tout dedans. C’est pas qu’un album, c’est trois quarts de ma vie. C’est 22 ans et encore…
Il y a ce titre sur le FN…
J’ai placé le morceau « Fuck le FN » dans mon album parce qu’à chaque fois on me disait de le mettre. Je trouvais ça important de le dire dans mon CD… Même si la qualité sonore n’est pas terrible par rapport aux autres morceaux. Fuck le FN ! Moi, je ne suis pas un raciste ! Pour moi, on a tous la même couleur en-dessous de la peau, ça se résume à ça. Il y a des Noirs qui sont des tartés, il y a des Blancs qui sont des tartés, il y a des Rebeus qui sont des tartés. Il suffit pas d’avoir une couleur pour être un mec bien.
Tu n’as pas l’impression que la situation se dégrade ?
On va de mieux en mieux. Eux, ils nous font croire que c’est le contraire, mais nos enfants ne seront pas comme ça. Avec la génération qui arrive, le FN est amené à disparaitre. C’est une disquette qu’ils veulent nous mettre.
T’es optimiste. Tu ne vois pas Marine en 2017 ?
Mais n’importe quoi ! Et même pas en 2025 ou plus tard, je la vois nulle part moi. C’est du bluff ! Un gros coup de bluff. C’est vrai que la France profonde est un peu raciste, mais il y a une jeunesse derrière. Dans 10 ans, on en parle plus. Mon fils, quand il aura l’âge de voter… on est plus qu’eux ! Et on n’est pas bêtes. Eux, c’est que des vieux.
(Un client du café vient interrompre la discussion et débattre FN pendant un quart d’heure)
Revenons-en à « All-In ». Combien de temps as-tu pris pour l’écrire et l’enregistrer ?
Techniquement, le premier morceau que j’ai enregistré, c’était en 2006. Mais concrètement, je ne savais même pas que j’allais faire un album. Quand j’ai envoyé le premier extrait en 2012, j’ai mis direct dans la description de la vidéo : « All-In ». C’est avec ma femme que j’ai trouvé ce nom. Et ça tue, parce que justement, je mets tout dedans. Je mets « boite » ! Même si y’a 7-2 dépareillés, c’est pas grave, vas-y, tapis ! Parce que même avec As-Roi, tu peux perdre face à 7-2. Moi je crois que j’ai 7-2, eux ils ont As-Roi.
C’est qui « eux » ?
Les maisons de disques. Ils ont tout pour eux. Comment tu veux que je rivalise avec un clip à 60 000€ alors que moi j’ai mis 600€ ? Le meilleur exemple, pour moi, c’est la Scred : je veux continuer en toute discrétion.
Et les invités alors, qui sont-ils ?
Déjà il y a Georgia, ma femme, qui a une place importante sur mon CD. J’ai tout fait pour la mettre en avant le plus possible. C’est une chanteuse. Elle cartonnait bien avant que je la rencontre ! Pour moi, le morceau « Où est ma place ? », c’est Georgia featuring Dino, pas l’inverse. La King, pour moi, c’est elle. Elle a une plume tellement sincère… Sinon j’ai invité mon partenaire officiel 2spee Gonzales. Ce jour-là, Ill des X-Men était en bas de chez moi, on avait mis l’instru car on devait aller au studio le lendemain. Ill était chaud, il était le bienvenu. Je ne suis pas venu gratter Ill, ça a été une rencontre normale parce qu’on se voit souvent. Sinon j’ai aussi invité mon pote Meiday sur le morceau « C’est quoi les bails ? » et puis une belle rencontre que j’ai fait à Montpellier, Gio, membre de Longueur d’ondes, une équipe super bien, des mecs super positifs. Giovanni, il cartonne, il a du talent de ouf et mérite d’être connu un peu plus, voilà, si je peux apporter ma contribution…
Le titre « Fais couler le kawa », c’est ton morceau qui a le plus tourné. Tu peux nous en dire plus ? C’est ton morceau étendard ?
Ouais, c’est un petit peu ça. Je suis de la génération baby-foot dans les cafés. Mes parents avaient un café en bas de chez moi, j’ai grandi dans un café, je connais les histoires de café. Les demis le matin, les gens qui viennent boire des Ricard à 6h30 du matin. Je connais les ouvriers qui viennent boire leur kawa. Quand j’ai commencé à travailler, je prenais mon kawa le matin, encore aujourd’hui. Le premier truc que je fais, je descends, je vais voir Billy, le mec en bas de chez moi, et je lui commande un kawa à emporter.
« Avec la génération qui arrive, le FN est amené à disparaitre. »
Comme Sidi O, tu as ton café préféré ?
Ouais, carrément. Il y a des petits cafés que j’aime bien. Le dimanche, j’en ai un à Porte de Saint-Ouen. Un autre à Porte Montmartre. Je suis un enfant des cafés, j’ai grandi là-dedans. J’ai toujours été plus kawa que Banania (rires). Chez moi, y’a pas de lait et chocolat… Désolé pour les kiffeurs de Nesquik !
En tant qu’amateur alors, quelle est ta marque de café référence ?
Carte Noire.
Et au vu du succès du titre, tu n’as pas pensé à t’associer à une marque de café ?
J’aurais dû contacter Nespresso ! (rires) Pour remplacer Clooney et Dujardin.
Dans la prochaine pub alors ?
Ouais si ça se trouve… Avec le succès que je vais avoir (rires) !
Dino Killabizz – ALL IN : disponible uniquement ici depuis le 4 décembre.
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