Chronique : Swift Guad – « La chute des corps »

Le nouvel album de Swift Guad intitulé La chute des corps est sorti le 29 Septembre 2014. Le tournant musical récent du rappeur de Montreuil a beaucoup fait parler les amateurs de rap français. Entre ceux qui aiment et ceux qui détestent, les nouvelles sonorités adoptées par S2GA dans différents morceaux n’ont laissé personne indifférent. Que ce tournant soit apprécié ou non, il a eu au moins le mérite de nous faire nous interroger sur le rap underground et son évolution. Les spéculations sur les motivations de Swift Guad et sur son futur dans le rap underground avaient été nombreuses depuis que le clip « Icare » avait été dévoilé en juin 2013. Maintenant que l’album est sorti, il ne s’agit plus de spéculer mais de constater. Alors, Swift Guad est-il passé du côté obscur tant annoncé ?

Le 24 octobre 2011 sortait dans les bacs le deuxième album de Swift Guad nommé Hécatombe 2.0. Trois ans plus tard, Swift Guad nous dévoile son troisième album : La chute des corps. Celui qui écoutera simplement ces deux albums sera, à n’en pas douter, surpris par la couleur du dernier par rapport au premier. Bien loin d’Hécatombe 2.0, il faut croire que Swift avait besoin de se renouveler en dehors des plates-bandes qui ont fait de lui l’un des rappeurs les plus estimés du rap underground français. Il s’agit là d’une prise de risques indéniables car on sait à quel point l’auditeur fidèle aime la continuité et n’aime pas être bousculé dans ses certitudes. Après tout, l’amoureux ne souhaite pas que les choses changent ; s’il aime, c’est pour un certain nombre de raisons présentes. Pourquoi souhaiterait-il que celles-ci se modifient ? Or, Swift Guad a décidé de tester notre fidélité en défiant notre amour. Mais plutôt qu’à un divorce, comme a pu le faire il y a quelques années un certain Booba, c’est à poser un nouveau regard sur son œuvre qu’il nous invite. Plutôt qu’une rupture, Swift nous appelle à briser cette routine confortable dans laquelle nous souhaiterions nous installer, mais qu’au fond nous haïrions profondément. Les plus attachés d’entre nous auront certainement du mal à se l’avouer, car si l’amour rend aveugle, il rend surtout stupide…

« J’suis encore dans mes rêves, t’apprécies pas le nouveau Swift
De Paname à Genève tu sais qu’mon rap c’est comme un couteau suisse » Bon rétablissement

La chute des corps se trouve être composé de 15 titres. Six titres étaient déjà connus du public avant la sortie de l’album puisqu’ils avaient été clipés. L’accueil était partagé et Swift avait brouillé les pistes : entre « Icare » et « La chute des corps », il y a au premier abord peu en commun. Des sonorités aux textes, on a l’impression d’avoir affaire à deux rappeurs différents. Afin de produire cet album, S2GA s’est entouré de beatmakers d’horizons variés. On retrouve Nizi, Blixx, SoulChildren, DTwice de Bel’Air, Oz Alchemist, 41987 (?), Tony-O, L’Orfère et I.N.C.H. pour des prods parfois assez différentes les unes des autres. Quant aux featurings, Swift a fait appel à A2H qu’on retrouvera avec lui et Dandyguel pour un projet commun dans le groupe Jerry Kahn, Deen Burbigo, G.O.D. part III, Katana et Zekwé, sans oublier Paco qu’on a la surprise d’entendre sur une prod aux sonorités inhabituelles pour lui, tant nous avons été accoutumés dernièrement à l’écouter sur celles de Mani Deiz.

En vertu de tous ces facteurs, l’unité de l’album est assez difficile à percevoir. Swift a réussi à mélanger deux univers qui n’ont, semble-t-il, rien en commun. Certains sons comme « Après la pluie », « Loin du cœur » ou « L.A.C.U.N.E. » sont plus chantés que rappés, et d’autres sons comme « Noir sur blanc » ou « Bon rétablissement » sont indubitablement dans la veine de ce avec quoi nous sommes familiers. Mais passé outre l’effet de surprise, on se prend à apprécier les différentes tonalités, comme s’il y avait là une peinture aux tons à la fois clairs et obscurs, aux couleurs variées et sombres. L’oreille doit s’habituer à passer d’un univers à l’autre et cela peut prendre du temps. Certains auront évidemment toujours du mal avec l’auto-tune ou les refrains chantés, mais on est forcé de convenir que leur emploi est assez bien pensé et ajusté. Finalement, il n’y a pas d’ennui dans cet album, et passé le moment de doute, on se retrouve à jouer le jeu progressivement. On prend conscience que la recherche menée par Swift pour élaborer cet album a un caractère esthétique extrêmement poussé, comme s’il s’agissait véritablement d’une peinture dont le but était de nous laisser des impressions diverses et variées.

« Tous les jours le même combat, Le roseau plie mais ne rompt pas, Y’a pas de haut, y’a que des bas, Tout peut voler en éclat ! Et tu vois, passer le temps… » Chinese Coffee

Dans une société de l’image telle que la nôtre, Swift a su reconnaître l’importance de l’œil, ce dont témoigne la multiplicité des clips liés à l’album. Alors on a envie de se dire que c’est peut-être la principale innovation de Swift Guad et le principal tournant : accorder à l’apparence et à la surface une importance capitale. Mais il ne s’agit pas d’un reproche ! S’il est possible de parler de superficialité, c’est parce que le portrait qui nous est proposé est en lui-même multiple, comme si le temps ne pouvait laisser les choses être ce qu’elle sont indéfiniment. Les apparences changent, et de ce point de vue elles ne sont pas toujours trompeuses. Car ce qui compte à propos de cette réalité, ce sont les multiples regards que l’on porte sur elle. Alors Swift fait dans le trompe-l’œil, et quand on avait cru pendant quelques temps l’avoir compris et saisi, en réalité il s’était déjà enfui. Quel est la conséquence de tout cela sur la réalisation de cet album?

Au fur et à mesure que les sons se succèdent, on a le droit à une multitude d’images, d’humeurs différentes et de personnages. Car oui, S2GA a décidé de ne pas se figer et de nous dévoiler une multiplicité de caractères différents. Certains souligneront peut-être l’inauthenticité d’une telle démarche, mais est-ce vraiment le cas ? On a vanté chez de nombreux écrivains leur capacité à s’incarner dans divers personnages en fonction de leurs humeurs. C’est une chose qui se fait très rarement dans le rap. Même le discours tenu par Swift dans cet album est en apparence contradictoire. Si dans « Le baiser du vampire », sur un refrait autotuné, il déclare : « Faut faire des thunes, faut une grosse paire de burnes », il nous déclare ensuite dans « Bon rétablissement » : « Faire des euros, je m’en bats les couilles, la vie est courte alors je baise même avec des se-gros ». Tout cela est étrange et on sent que l’album oscille entre ces deux alternatives : faire un album pour le vendre d’un côté, mais d’un autre côté toujours avec l’esprit de ne jamais se vendre ! C’est ce paradoxe du rap que Swift Guad a choisi d’incarner. Un album tout en contradiction, comment pourrait-on attendre d’un tel album qu’il ait une unité ?

En fait, peut-être s’agit-il de cet album comme de ces illusions d’optiques. Vous regardez l’image et en fonction de la manière dont vous la regardez, vous y verrez par exemple soit un vase, soit deux visages, mais vous ne verrez jamais les deux en même temps. Cette schizophrénie, les auditeurs de Swift Guad savent qu’elle était annoncée dans Hécatombe 2.0. Il y a plusieurs faces dans le rap, et plutôt que d’en choisir une, Swift a choisi dans La chute des corps d’en incarner plusieurs. A l’auditeur de porter le regard qu’il désire dessus : certains choisiront de garder le Swift à l’ancienne en rejetant le nouveau, et d’autres auditeurs préfèreront la nouveauté (en espérant qu’ils aient le cœur d’aller voir ce qu’il y avait avant). Quant aux autres, ils seront peut-être capables d’apprécier ces multiples faces en regardant la même image selon plusieurs perspectives différentes. L’exercice n’est pas facile, mais c’est à n’en pas douter, la seule façon possible d’apprécier pleinement cet album.

Afin de compléter cette chronique, allez lire notre interview de Swift Guad à propos de son album par ici ! Pour se procurer l’album, vous pouvez le choper sur Urbanmwear, en Fnac ou sur Itunes !

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