Just Music Beats, l’interview « 10 Bons Sons »

Alors que vient de sortir Chambre Noire de Perso, nous avons voulu donner la parole à Just Music Beats, duo de beatmakers qui a réalisé la majorité des prods du projet, afin de revenir avec eux sur cette décennie durant laquelle Buddah Kriss et Oliver ont multiplié les albums, les tapes, les compils, les remixs.  10 morceaux pour évoquer 10 ans de collaborations, d’anecdotes d’enregistrements, qui les aura vus croiser la route de Perso, IAM, Flynt, Deen Burbigo, Veerus, Veust et bien d’autres. 10 morceaux qui ont souvent servi de prétexte pour refaire le rap, à travers des coups de gueule, des coups de cœur, des digressions (pas toutes retranscrites) sur le sampling, le show de Griselda au Tonight Show chez Jimmy Fallon, sur Kobe Bryant, sur l’émission Rythm and Flow et sur le rap de nazis. Just Music Beats, le monstre à deux têtes, l’interview 10 Bons Sons.

1Sat L’Artificier feat Mesrime – « Sale Époque » (Diaspora, 2010)

Oliver : C’est quoi ça ?

Buddah Kriss : C’est avec Mesrime non ?

Oliver : C’est dans l’album de Sat, le morceau c’est « Sale Époque ».

Buddah Kriss : Sur Diaspora.

Comment vous vous retrouvez à poser une prod sur ce projet paru en 2010, période où vous débutez en binôme ?

Buddah Kriss : Déjà comment on s’est retrouvé avec Sat ? Je l’ai connu par le biais d’un ami en commun, Titoo, qui était à l’époque manager de Sat et de Stone Black de Carré Rouge. Ils étaient venus me démarcher avant qu’on fasse Just Music Beats, mais ça ne c’était pas fait pour x raisons, parce que je n’étais pas au niveau ou que je n’avais pas ce qu’ils recherchaient. Après j’ai retrouvé Sat parce qu’il avait bossé avec Oliver de son côté sur L’As de Diamant.

Oliver : Avec Marti ouais. Après Sat… On était obligés de participer au projet de Karim (Sat) ! C’était l’époque où Kriss avait produit pour AKH et on était sur la fin de L’As de Diamant sur lequel on avait réuni pas mal de monde. Pour revenir au son, c’est un sample de film d’horreur, de zombies…

Buddah Kriss : C’est Lucio Fulci ça encore non ?

Oliver : C’est ça, les films italiens très dark des années 70 et à l’époque on était très dans le délire Sid Roams. Avec mon frère on est là-dedans et on a une discographie de fou de vinyles, de films, et on a diggé là-dedans.

Buddah Kriss : Faut dire qu’on aime les nanars, les vieux films, les films de genre, c’est pour ça que quand Tarantino sort un truc, on court parce qu’on va retrouver les influences de pleins de trucs qu’on connaissait déjà. Moi je suis dans le cinéma asiatique, son frère et lui sont dans le cinéma d’horreur, le cinéma d’exploitation bien bourrin ou les films d’action des années 80… On a longtemps cherché des trucs là-dedans. Moi j’ai toujours samplé ce qui était soul, jazz, funk, Oliver aussi, mais il était plus dans les sonorités poisseuses des années 80, moi un peu moins, donc on s’étonnait mutuellement dans ce qu’on faisait. Il y a des jours il m’a rendu jaloux, il a sorti un sample et je me disais « Putain j’aurais bien aimé le trouver avant lui ! ».

Oliver : De toutes les façons, Kriss c’est le meilleur copieur de la terre…

Buddah Kriss : (éclats de rires)

Oliver : Kriss, en terme de rap, il sait tout faire. Just Blaze sortait un morceau, le lendemain il te le refaisait mais en cent fois mieux ! Après tu trouves ta patte et tu as vraiment ton grain.

Buddah Kriss : Quand les mecs dans le rap français te disent « Ouais mes influences c’est le rap américain, Mobb Deep », quand tu écoutes les albums tu as envie de leur dire « Mais c’est du Sniper frère ».

C’est une manière de s’acheter une caution que de citer l’école new new-yorkaise.

Buddah Kriss : Mais on écoute, on sait qui a les bonnes influences, sans qu’ils le disent. On bosse un peu avec eux mais quand tu écoutes Mic Pro, JL, Sek, toute l’équipe, d’ailleurs shout out à eux, tu comprends qu’ils savent placer le kick , la caisse claire, les schémas de rimes, c’est l’école Time Bomb quoi…

Oliver : C’est nos influences aussi. Tout à l’heure je te citais Just Blaze, ou Alchemist ou autres, même si j’ai toujours écouté du rap français.

Buddah Kriss : Lui plus que moi

Oliver : Moi j’ai 41 ans, j’ai vu grandir le rap français, depuis Sydney et son émission, etc. Et après l’arrivée de Time Bomb, Lunatic, le travail de Sek, c’est marquant…

Buddah Kriss : C’est un tueur, encore maintenant ! Ça fait 25 ans qu’il est là mais il casse des culs. Toujours dans son style mais ce n’est jamais vieillot, il a toujours trouvé le moyen de l’actualiser

Oliver : Un peu comme Pete Rock, ce sont des gars intemporels.

(Longue discussion sur Madlib et Freddie Gibbs)

Olivier : Pour revenir sur Karim (Sat), quand on travaille avec lui ou d’autres qui ont une histoire dans le rap, il faut que ce soit frais, avec la bonne couleur, c’est compliqué.

Buddah Kriss : Souvent les artistes se cherchent. Avec Karim c’est constamment ça, il n’a pas envie de refaire du F.F. mais il n’a pas envie de rentrer dans des clichés trap actuels. On essaie de trouver des compromis, une sorte de boum trap, on est à 85/90 BPM, tu vois comme les sons de Casanova, les sons Brooklyn, c’est du classique, mais la rythmique, les drums, avec les arrangements c’est actuel. On cherche et on va trouver… Et pour revenir au morceau, Oliver avait déjà bossé avec Mesrime pour le morceau « Dans le vrai » qui fracassait !

Oliver : Mesrime, on a fait beaucoup de morceaux ensemble, d’ailleurs on a fait la plupart de ses albums, même les pochettes, on allait coller les affiches la nuit (sourires). Franchement on s’est régalés. On essayait d’avoir cette patte marseillaise mais différente de ce qui se fait à Marseille. Mais le délire d’Endoume, des Catalans (quartiers du bord de mer à Marseille), le bastion des derniers sarseillais avec l’accent, la French Connection, les bars, l’OM, etc, nous est rentré dedans direct ! Et j’avais des sons italiens des années 70 en pagaille, ça collait parfaitement à l’image qu’il avait. On aurait pu encore plus exploser ça. Mais on ne regrette rien, on s’est éclatés.

2Perso feat. DJ Djel – « Mon nom est Perso » (Affaire personnelle, 2012)

Buddah Kriss : Ah ! Perso, avec Djel et AKH.

Oliver : C’est l’intro ça, hein ?

Buddah Kriss : L’intro d’Affaire Personnelle. Il avait un nom ce morceau…

« Mon nom est Perso ». Je voudrais savoir comment s’est faite cette rencontre ?

Buddah Kriss : Alors déjà, Djel je le connaissais depuis que je devais avoir 17 ans, je ne faisais pas encore de rap, lui il était déjà dans la Fonky Family. AKH je l’ai connu par Perso qui avait déjà fait des morceaux avec lui via Le Turf. Perso on l’a rencontré à la sombre époque de Myspace et on s’était rendus compte qu’il faisait des trucs comme nous ! Ça rappait comme on aime, et en français en plus ! (sourires) Pour ce morceau, on a fait la prod, je ne pourrais plus te dire ce qu’on a samplé, mais je sais que c’est un truc que Fat Joe avait repris.

Oliver : En fait on se retrouvait dans son slow flow.

Buddah Kriss : Et ce n’était pas commun en France de faire des instrus en dessous de 80 BPM où les mecs rappaient lent, avec beaucoup d’articulations, beaucoup de flows mais sans que ce soit chiant.

La gestion des silences c’est compliqué.

Buddah Kriss : C’est ça ! Faut savoir faire vivre un morceau avec des silences, soigner les respirations, être laidback et partir une demi-mesure après le pied. Et avec Perso, on retrouvait ce côté-là qu’on avait kiffé avec Evidence, etc. Pour ce titre, Perso voulait faire un morceau où il se présente, une sorte de carte de visite parce que c’était son album solo. Vu qu’il a toujours écouté AKH et qu’ils se connaissent, il m’a dit comme ça : « Ce serait rigolo de reprendre la phase des cactus « Mon nom est personne » avec « Mon nom est Perso » et ce serait encore plus rigolo que ce soit lui qui sorte la phase avec sa voix ». A cette époque, en 2012, je travaillais à la Cosca sur We Luv New York et on était sur les finitions de l’album de Perso. En studio j’ai proposé l’idée à Chill. Il était chaud, on l’a fait puis envoyé à Djel pour faire les scratches. On avait fait un petit clip, un teasing, pour annoncer le morceau, qu’on avait tourné à la Cosca, aux archives, dans la salle secrète où se trouvent tous ses vinyles et des tas de machines, des ASR10, des SP12, des MPC3000 limited, des trucs qui ont 25 ans et sont encore neufs, pas ouverts, des trucs qui rendraient fou n’importe quel dingue de matériel. (rires)

C’est à cette époque que vous intégrez votre tag « Just Music beats » au début de vos morceaux ?

Buddah Kriss : On en a abusé sur la PERSO Mixtape ou l’Anti Christmas Tape où on a chopé cette voix de robot. Puis on en a mis sur toutes les mixtapes qu’on faisait à la Rick Ross pour dire d’aller se faire foutre à tous ces rappeurs qui ne veulent pas nous créditer, là ils n’ont plus le choix ! (rires) Depuis, on n’a pas sorti un morceau sans ça. Et maintenant on a même des gars qui nous disent « N’oubliez pas de mettre le tag au début hein ! »

Oliver : Mais bon maintenant tout le monde le fait. Après tu fais ta promo aussi.

3Flynt – « J’ai choisi mon camp » (Itinéraire Bis, 2012)

Buddah Kriss : C’est le morceau qui s’est fait griller sur L’équipe du dimanche ça ? (rires) C’était l’instru d’Oliver qui tournait sur Canal frère ! Et tu crois qu’on a eu des sous là-dessus ?

Oliver : Un jour on va venir récupérer l’argent ! (sourire)

Nouvelle intro d’album, album sur lequel tu poses deux prods.

Oliver : Trois prods.

Ah, j’ai vu celle-là et « Quand tu seras mort ».

Oliver : Et le dernier.

Ah ouais, avec les deux instrus !

Oliver : Et elle est sale celle-là ! C’était quoi le titre du morceau ?

(On réfléchit tous les trois)

Oliver : « Le dernier seize » ! En fait Flynt m’appelle, on devait finir l’album et il me dit « J’aime tellement ce morceau et cette instru mais je suis obligé de le finir avec l’instru de Soulchildren ». Vu que c’est ses potes, je lui ai dit : « Il n’y a aucun problème frère ». Il m’a envoyé le morceau et franchement j’ai kiffé. « Quand tu seras mort » je l’aime bien aussi.

Buddah Kriss : Moi qui suis un gros bâtard je l’aime trop ce morceau ! (rires) La prod défonce ! (Il rejoue les notes en sifflant.)

Oliver : Ça prends le bien, faut le décrire dans le papier. (rires) Ce morceau « Le dernier seize » c’est un peu comme Kery et son « Le jour où j’arrêterai le rap ».

Youssoupha et Medine ont repris cette même instru et ce concept.

Buddah Kriss : Que des gens que j’aime. (sourire) (A ce moment, Kriss quitte l’itw et préfère aller jouer avec son chat.)

Oliver : Moi je suis un supporter de Kery, je l’ai écouté jeune. Pour en revenir à Flynt, c’était compliqué parce que je n’étais plus sur Paris, mais je montais encore assez souvent. Une fois j’étais dans le 18ème avec lui, toute son équipe, Nasme, on s’est captés vu qu’on se connaissait et ils ont appris que j’étais beatmaker. Je me suis retrouvé dans le studio à lui faire écouter 185 instrus et il en a pris 3 (rires). En vrai il en avait pris une dizaine mais je savais que les 10 n’allaient pas se retrouver sur l’album. Déjà une instru c’était pas mal parce que franchement Flynt c’est une pointure. J’étais content qu’on se retrouve sur cet album-là et de bosser avec Flynt, ça te permet de dire que t’as contribué un peu à l’histoire du rap

4Deen Burbigo – « Soldat Sûr » (Inception, 2012)

(Dès les premières notes, des rires.)

Buddah Kriss : (Qui reprend le début du couplet) Il a bien vieilli ce morceau. (rires)

Comment vous vous retrouvez à bosser avec Deen Burbigo, en 2012, pour son premier projet ?

Buddah Kriss : Le Turf encore une fois, c’est toujours de là que ça part. En fait Deen écoutait Le Turf et il avait fait un morceau avec quelques temps avant. De là on s’est connectés, on sympathise, on écoute des instrus et il s’est retrouvé à venir manger des pâtes au saumon à la maison. Si je ne dis pas de bêtise, c’est le premier morceau qu’on fait avec Deen. Depuis c’est devenu un très très bon pote, on travaille régulièrement ensemble… Ce morceau était cool, en plus il avait été très bien reçu, il avait été clippé, par Valentin Petit je crois. Qui fait des clips pour Asap Ferg maintenant ! Ce projet était une belle carte de visite pour Deen.

Après Deen, vous avez bossé avec Jehkyl, Eff Gee, Taipan…

Oliver : Jehkyl, c’est le petit frère de Deen et il était sur Toulon à l’époque, là encore la connexion était évidente et puis il rappe bien, il est cool.

Buddah Kriss : Taipan, je sais même plus comment on s’est capté…

Oliver : Moi non plus.

Buddah Kriss : Ça fait tellement longtemps qu’on le connait, je ne sais même plus comment on a commencé à bosser ensemble…. (Il réfléchit) Je crois qu’on l’avait invité sur un Perso ! Oui, un morceau sur les mythos ! (rires) On avait bossé avec lui avant sur son projet Court-Circuit et aussi sur Parlons Beuh je crois.

Oliver : Mais Taipan c’est un bon.

Buddah Kriss : C’est un gars avec lequel je suis souvent sur les réseaux sociaux, on rigole au point qu’on en oublie de faire du rap.

5Veust – « Skyzophrenic » (Parrhesia, 2013)

Buddah Kriss : Ça c’est toi !

Oliver : T’as fait mon jubilé en fait (rires)

Buddah Kriss : Veust ! (Il reprend les phases du morceau) Il défonce ce morceau !

Oliver : Big s/o à Veust bien sur…

Buddah Kriss : Tu veux dire quoi ? C’est le meilleur ! Veust c’est le rappeur préféré de ton rappeur préféré !

Oliver : Il punchline !

Buddah Kriss : Il est trop fort, il a trop d’esprit, il est trop cool. (Lire notre article.) Les EP qu’il a sortis (NDLR : Les Saisons de Veust), il y a des trucs qui rendent dingues. Il faisait de la multisyllabique alors même que la nouvelle génération n’était même pas née ! Dans Mic Forcing avec Masar c’était des assassins, avec Coloquinte, s/o à eux aussi, avec Chiens de Paille… Tous ces gars de Nice, Vallauris, Antibes, laisse tomber… Et même maintenant Infinit !

Oliver : A chaque fois qu’on fait un morceau avec Veust, on part en guerre.

Buddah Kriss : Ce morceau que t’as mis c’est le premier morceau qu’on a fait avec Veust et j’étais trop content. Je l’avais découvert sur le morceau « L’encre de nos plumes » avec son couplet… Rolala ! Je crois que je l’ai rencontré à la Cosca ou à Camouflage Studio. Il mérite d’être en haut du panier et de faire la pluie et le beau temps. Il n’y a qu’à écouter son morceau « Vitres teintées ».

La prod de « Skyzophrenic » date de 2013 sur la tape Parrhesia.

Buddah Kriss : Ouais méchante tape, avec le morceau « Parrhesia » produit par Cody Mc Fly qui déchire, le clip avec la neige en reverse. Cody c’est un bon, maintenant il se concentre sur la vidéo, il accompagne DJ Snake.

Sur cette prod ou d’autres plus anciennes, vous vous dites après coup, que vous l’auriez faite différemment ? Comment vous trouvez que votre son vieillit ?

Oliver : Moi je le prends comme un son de l’époque. Si tu le prends aujourd’hui, avec les nouvelles machines, les caisses tu les travailles différemment.

Buddah Kriss : Moi c’est juste sur la qualité du mix que je me dis que je ferai différemment, grâce à l’expérience. Sinon, je n’ai pas de réels regrets.

Oliver : Tu vois ce que je te disais tout à l’heure sur le Flynt, maintenant je me dirais que je laisserais la boucle telle quelle, sans y ajouter quoi que ce soit dessus et c’est ce que montrent aujourd’hui Griselda ou Roc Marciano. Après en France qui fait ça ? Perso par exemple sur « Rime et raison » et ça je kiffe, quand il rentre dedans et qu’il n’y a que sa voix et l’instru.

Buddah Kriss : Il y a JL aussi dans ce délire.

6IAM – « Fuck le refrain » (… IAM, 2013)

Buddah Kriss : (Dès les premières notes) IAM.

Oliver : Et notre première version tuait beaucoup plus…

Buddah Kriss : C’est ça qui est chiant, c’est quand tu sais que tu as la version avec le vrai sample.

Oliver : Je la kiffe celle-là, mais l’instru qu’on avait faite à la base, elle est d’une violence ! Du Havoc quoi !

Buddah Kriss : Après ça a été relativement bien rejoué mais il manquait tout le côté crasseux, poissard.

Oliver : Etre obligé de couper le sample et de tout rejouer… (Il grimace.)

Buddah Kriss : Ce n’est pas le meilleur morceau qu’on ait fait pour IAM. Le meilleur n’est jamais sorti.

Oliver : Pareil, pour des droits de sample. En France, on a vu les dégâts que ça fait quand tu vends un peu, que tu samples mais que tu ne demandes pas les droits. Rappelle-toi l’histoire de Chiens de paille (sur le morceau « Prison ») et c’était un sale délire. Quand t’es dans l’under, tu vois tes ventes et ce que tu risques, tu t’en bats les couilles. Donc IAM c’était une concrétisation. Et être sur un de leurs albums, il faut un peu le mériter aussi. Mais j’étais trop heureux de faire le morceau avec IAM. C’est une finalisation. Mon but quand je suis rentré dans le rap, ce n’était pas pour l’argent. On est des passionnés, on s’éclate. Et quand tu poses un truc avec IAM, au moins tu peux dire à n’importe qui, même à des jeunes « J’ai bossé avec IAM », et les gens te regardent avec d’autres yeux. Ça c’est une concrétisation du travail qu’on a fait. Kriss avait déjà posé des sons sur We Luv New York, il avait fait la tournée. C’est une expérience de fou. Et la relation qu’on a avec Akhenaton est particulière, surtout Kriss. Moi Jo, c’est un autre truc puisqu’il fait partie de ma famille, mais je ne m’en suis jamais servi pour quoi que ce soit. Au contraire je me suis toujours dit « Si on fait des trucs avec IAM c’est qu’on le mérite ». Sans faire le relou je crois que ce sont nos valeurs qui nous réunissent. On est sans concession aussi. On a eu quelques opportunités à un moment où on aurait pu faire un morceau un peu plus accessible, mais non. Ce n’est pas notre délire. Quand tu es artiste, tu ne fais pas des morceaux pour les hits du moment. Il y en a qui sont comme ça.

Buddah Kriss : Je respecte ! Certains sont comme ça, ils ont l’oreille et ils arrivent à faire des hits. Moi je ne sais pas faire. Je sais faire du rap que tu écoutes dans ta voiture quand tu vas chercher du shit ou que tu vas au McDo. Le rap qu’on fait n’est pas celui que les meufs vont écouter quand elles vont à la plage. J’aimerais bien mais je ne sais pas faire. (sourires)

Oliver : N’empêche, on n’est pas connus du grand public mais les rappeurs nous connaissent. Et à chaque fois qu’on sort un truc, les gens zyeutent, ils savent.

Le fait de bosser avec un ou des rappeurs qui sont aussi beatmakers, comme AKH ou Shurik’N, ça change un peu sa manière de travailler, d’envisager l’instru ?

Buddah Kriss : Perso est beatmaker aussi. Il s’est retrouvé à l’être sans avoir le choix. Et il a souvent eu des éclairs de génie ! Parce que c’est un gars qui a une bonne oreille. Il avait même posé des scratches sur des morceaux à lui.

Les rappeurs qui deviennent beatmakers ce n’est pas pareil que des beatmakers qui se mettent à rapper. Les cheminements sont différents. Les rappeurs qui deviennent beatmakers sont dans une phase constante d’apprentissage. Tandis que les beatmakers qui se mettent à rapper, surtout quand ce sont des bons beatmakers, ils connaissent le son et c’est un avantage.

Oliver : Qui c’est qui rappe et qui est beatmaker ?

Buddah Kriss : Alchemist est clairement meilleur beatmaker que rappeur.

Oliver : Mais ça fait plaisir quand il rappe.

Buddah Kriss : Traîner avec Evidence et avec Prodigy ça lui a permis de faire monter son level.

7 – Gino feat R.E.D.K. – « Maitre de cérémonie » (Appelle moi MC volume 2, 2015)

Buddah Kriss : C’est Gino ça, avec R.E.D.K., sur Appelle moi MC volume 2.

Oliver : On a fait de sales trucs avec Gino.

(S’adressant à Buddah Kriss) : Il est sorti le morceau de Flynt, Le Rat et Gino ?

Buddah Kriss : Je crois. Mais il n’y avait pas Le Rat. Le Rat a posé sur une prod à nous ? C’est incroyable ça ! Je sais qu’Hifi avait posé sur une prod à nous mais le morceau n’est jamais sorti. En tout cas ce morceau de Gino et R.E.D.K. était cool. Et on avait fait un morceau sur le volume 1 d’Appelle MC, de Dj Blaiz. Salutations à lui d’ailleurs. Il a fait deux volumes et on était sur les deux. Mais je ne me rappelle plus ce qu’on a samplé pour celui-ci. Alors comment on a rencontré Gino…

Oliver : Il avait posé sur L’As de Diamant.

Buddah Kriss : Exact. Il traînait aussi avec Sat à l’époque de Diaspora, ça doit partir de là.

Oliver : On a fait plein de morceaux ensemble, on en a clippé pas mal et puis il y avait la connexion avec Mesrime aussi.

Buddah Kriss : Il était en contact aussi avec Carpe Diem (groupe de R.E.D.K.). (S’adressant à Oliver) Tu avais d’ailleurs posé des instrus sur leur album Notre silence a des choses à dire.

Oliver : Carpe Diem ça fait un moment qu’ils sont là. R.E.D.K. a fait des trucs avec Soprano. Il aurait peut-être pu plus péter que ça. C’est le genre de gars qui peut arriver avec du vrai rap.

Buddah Kriss : Il est bon R.E.D.K. Et pourtant il n’est pas dans le même registre que nous. Nous, on fait du rap pour les nazis du rap. Je m’en rends compte, les gens qui nous suivent depuis des années, c’est des gars aussi baisés de la tête que nous. Des diggers de rappeurs cainris inconnus, c’est vraiment niché en fait. Il y a un côté élitiste.

Oliver : On fait du rap pour rappeurs.

8Veerus feat Freeze Corleone – « Jacques Chirac » (2016)

Buddah Kriss : (Dès les premières notes) Oh !

Oliver : Celui-là il est bon.

Buddah Kriss : C’est le remix ou l’original ? (Il écoute le début du morceau) Ok, c’est l’original. Je crois que Veerus nous a contactés quand il était en train de travailler APEX (en 2012). Et on se croisait sur des Myspace, à une sale époque. (rires) De là où il était, il suivait ce qu’on faisait avec Perso.

Oliver : On en revient toujours à Perso.

Buddah Kriss : Veerus avait invité Perso sur APEX (NDLR : morceau « Sans directions ») et nous avait demandé une instru. C’était une époque où on faisait des prods en pagaille. Sur ce projet, on avait posé cette prod et celle de l’intro (« Mauvaise nouvelle »), avec des scratches de DJ Sek, qu’on rencontre pour la première fois d’ailleurs. Veerus est devenu un pote, un ami. Sur tous les projets qu’il sort, on y est. A part sur Mercure mais là le concept c’était de tout faire avec Ikaz. Sinon sur Iceberg Slim on y est, sur Marché Noir on a fait le morceau avec Tengo, « Kraken ». Veerus c’est un gars qu’on apprécie beaucoup, humainement et artistiquement. C’est toujours un régal de bosser avec lui. Sur ce morceau, pour l’histoire, je ne connaissais pas Freeze Corleone. Je l’ai découvert par JMK$, quatre jours avant qu’on fasse ce morceau. Et je tombe sur « Recette » où il dit « A mon pire ennemi, mourir dans un accident avec sa famille j’lui souhaite de ouf ». Je me suis dit « C’est un nazi ! » (rires) Après je me suis pris les morceaux « Madara », les références Naruto, tout ça, mais il y avait un côté cainri en fait ! Et ça parle à des mecs comme nous ! Je me suis dit qu’il est chaud, ça rappe vraiment, dans les temps mais ça flotte aussi, c’est maîtrisé, très référencé en pop culture, en politique, mais de la politique de bars, avec du cinéma, du complot. Et dans son délire, il se renseigne. Trois jours après que je découvre le mec, Veerus m’appelle et me demande une prod. Il me dit qu’il doit faire un morceau avec un gars. Je lui demande qui c’est, il me sort Freeze Corleone. Je lui ai dit « Mais ça fait que 3 jours je connais et je me bute qu’à ça depuis ! ». Je l’avais rentré à ma playlist de fachos où il n’y a pas de français. Cette instru à la base c’était pour un remix US de Yo Goti, tu sais j’aime bien faire des remix avec des a cappella cainri. Et je propose cette insru à Veerus. Je lui envoie, 30 minutes plus tard il me demande juste d’alléger le refrain. Il m’envoie le contact de Freeze. Je discute avec lui, je lui envoie la prod. Le soir-même Veerus enregistre à Dunkerque et Freeze à Dakar. Le lendemain j’ai les pistes séparées. Marseille / Dunkerque / Dakar dans les 24 heures, le morceau était plié. Un ami de Veerus avait fait une pochette toute sobre avec Jacques Chirac, époque lunettes / cigarette. Le morceau a été super bien reçu, il a tourné, les gens déliraient sur Chirac, les emplois fictifs… Et quand il est mort, il s’est même retrouvé sur la playlist des Inrocks. Il y avait plein de morceaux engagés du genre « C’est un fils de p… » et c’était le seul morceau en mode Chi-Chi. (rires)

Oliver : Freeze je kiffe aussi même si c’est moins ma génération. Et j’ai kiffé le Roi Heenok ! Il est dans cette vibe aussi.

Buddah Kriss : Quand il a fait le morceau avec Le Roi, j’étais comme un fou !

Freeze a tiré Le Roi vers le haut !

Son couplet est incroyable ! (Il reprend les premières phases du morceau « 38 Spécial ») « De retour de la mosquée »… C’est le meilleur drop de sa vie frère ! Il rentre il est trop chaud !

Ce morceau est meilleur que celui avec Alk.

Buddah Kriss : Complètement. Pour « Jacques Chirac », il y a eu le remix du coup avec une grosse équipe : Infinit, Caballero, Veust. Que des assassins meurtriers qui tuent des gens morts ! Je recevais leurs couplets, j’étais mort de rire. Le couplet de Caba m’a fait délirer, Infinit a un couplet qui claque, Veust a des références comme le Soviet suprême, des phases comme « Tu veux connaitre le hood, t’as qu’à regarder National Geographic », « Je voulais niquer Marianne mais fallait faire la queue derrière les politiques » ! C’était l’époque de NSMLM d’Infinit aussi, dans lequel il y avait le morceau « Secte Abdoulaye », un gros classique !

Oliver : Gros projet NSMLM ! On l’a fait tirer.

Buddah Kriss : T’as écouté son freestyle Couvre Feu ? C’est indécent. En l’écoutant je me suis dit « Oh l’bâtard… ». Il est chaud !

Oliver : Il a de ces punchlines, laisse tomber.

Buddah Kriss : « Jacques Chirac », c’était vraiment cool (sourires).

9Ockney – « Mort Subite » (Stand de tir, 2017)

Buddah Kriss : C’est Ockney ça. Elle est sale cette prod frère ! Comment s’appelle ce morceau ? C’est « Mort subite ».

Oliver : On a fait plein de sales morceaux avec Ockney. On a fait le projet SOGP avec Kimble.

Buddah Kriss : Tu vois que c’est les prods trap d’il y a quelques années… Maintenant faut faire des morceaux de UGK en 99. Bon UGK en 99 c’est chaud aussi.

Oliver : Maintenant le rap c’est les mêmes prods, avec ce gros kick, c’est abusé.

Buddah Kriss : Le premier morceau qu’on a fait avec Ockney, c’était « Grosse page » avec Deen Burbigo et Ron Brice, sur un sample d’Ennio Morricone, une instru qui devait apparaitre sur le projet avorté d’IAM, IAM Morricone. Dommage parce que Ennio Morricone avait donné son accord. On avait diggé des samples durant des heures, des samples perdus de polar. Eux voulaient les grands thèmes, mais nous on a fait les outsiders comme d’habitude en allant chercher les Ennio Morricone poisseux que personne ne connait, des polars italiens de sa deuxième partie de carrière et pas des westerns spaghettis.

Oliver : Après ça a tellement été samplé que si tu samples Ennio Morricone, faut trouver quelque chose d’original. Et on a encore des trucs en stock. (sourire)

Buddah Kriss : On en a filé à droite à gauche, des trucs qui n’ont pas servi au projet d’IAM et le morceau « Grosse page » d’Ockney en faisait partie. De là c’est parti avec Ockney et ça ne s’est jamais arrêté depuis en fait.

Oliver : Même s’il dit qu’il veut arrêter le rap tous les 15 jours.

B : Mais il reprend dès que Griselda sort un projet (rires). Et on vient de sortir un morceau avec lui (« Sous mes Timbz ») qu’on a fait en novembre / décembre. Et ceux sortis auparavant, comme « Hamburger vegan », on les avait enregistrés en juillet.

Qu’est-ce qui influence, vous inspire dans vos prods ? C’est selon votre état d’esprit, selon la saison ?

Buddah Kriss : C’est plus selon mon humeur. Ce n’est pas parce qu’il fait beau que je vais faire des morceaux joyeux. Des fois il fait beau, je fais des morceaux pour trucider des gens. C’est vraiment le mood. Des fois pendant des mois tu ne fais rien à cause de ta vie personnelle, t’es pas inspiré. On n’a pas de prod dans le dernier IAM parce que lorsqu’on a été contactés pour ça, on n’avait pas la tête à faire de la musique. Mais maintenant, malheureusement pour vous, on est dans une période où on a envie de faire du rap. (rires) Depuis quelques mois je suis très productif, c’est n’importe quoi, ça fait des prods la nuit…

Oliver : C’est bon ça (sourires)… Attention les gens, vous allez vous en prendre plein la tête. (rires)

Buddah Kriss : Pour en revenir au mood, c’est souvent en fonction de ce que tu samples aussi. Ce que tu vas sampler doit être en adéquation avec ton mood du moment. Tu peux trouver un sample et tu sais que tu vas le taper comme il faut, mais ce n’est pas le bon jour pour le faire en fait. Il y a des périodes où tu produis beaucoup et tu commences à prendre des automatismes. Puis tu commences à devenir plus regardant, à chipoter sur certains petits trucs. Et là tu privilégies la qualité à la quantité. Là j’ai une prod ça fait un mois et demi que je suis dessus. Et je reviens dessus des fois 20 minutes. Ou 10 minutes : je la réécoute, je change la position d’un truc. Mais je sais que ce n’est pas encore ça. Et cette prod-là je l’ai commencée en 2013. Je l’ai retrouvée il y a quelques mois, elle avait une base de ouf, j’ai repris la rythmique, la basse, j’ai changé la vitesse. Mais pour moi elle n’est toujours pas finie. Et quand je la sortirai, je veux que ce soit dans de bonnes conditions, qu’elle fasse de l’écoute et pas dans un truc à 300 vues sur YouTube.

Oliver : Par exemple j’ai des trucs dans un dossier « 2028 » et je n’y toucherai qu’en 2028 ! (rires)

Buddah Kriss : Je sais qu’il stocke des trucs ! Il doit avoir des samples d’enculés, si je les écoute je pleure…

Oliver : Mais ça ne me ressemble pas tant que ça, parce qu’en général, je travaille dans l’instinct. Mais je veux que nos trucs soient intemporels. Et puis tu deviens exigeant. Le son c’est un truc d’autiste en fait.

Buddah Kriss : Là, ça fait deux semaines que je n’ai pas éteint mon ordinateur. Après on arrive à avoir une vie sociale, une vie de famille, mais quand t’es beatmaker tu peux te retrouver dans ta vie à l’écart du monde réel. (rires)

Oliver : Mais nous on est à Marseille, on profite du soleil. (sourire)

10 – Perso – « Légitime » (Chambre Noire, 2020)

Oliver : C’est Perso ça.

Buddah Kriss : Ah c’est « Légitime ». Sur le dernier album. Il ressort souvent ce morceau dans les tracks préférés de Chambre Noire, avec « Rime et raison ».

Oliver : « Karma » aussi. (Le morceau continue de tourner) « Sport, drogue, entertainment », les gens n’ont même compris qu’il cite Cam’ron sur son premier album.

Oliver : Il va loin Perso.

Buddah Kriss : Sur « Légitime » on était content parce qu’on a trouvé cette boucle qu’on n’avait jamais grillée.

Oliver : Tu vois c’est un sample qu’on n’aurait peut-être pas pris il y a 4/5 ans, des trucs avec des longues trompettes, des saxos, c’est revenu à la mode.

Buddah Kriss : Ce type de boucle, tu les retrouves sur les tapes de Curren$y. Et c’est vrai qu’on a vraiment kiffé faire « Légitime ». A l’enregistrement on s’est dit que Perso avait écrit un sale truc cet enfoiré.

Perso est un peu l’autre membre de Just Music Beats à moins que vous soyez les deux autres membres de l’entité Perso.

Buddah Kriss : En fait, je pense qu’on est membres honoraires du Turf aussi. Que ce soit Zoubir ou Perso, c’est des frérots. C’est des amis dans la vraie vie, en plus d’être des potes du rap. On est indissociables. Et  pourtant on a dit à Perso de prendre des prods d’autres mecs, de s’ouvrir à d’autres choses, mais il ne veut pas, il est très compliqué.

Oliver : Mais on prend beaucoup de plaisir à bosser avec Perso, j’espère que les gens vont kiffer son album, c’est ça l’important. Après le succès, c’est un bordel. Perso c’est la famille. Déjà son album Affaire personnelle je trouve que c’est un classique, qu’il est intemporel, quand tu le réécoutes, il n’a pas vieilli, les prods sonnent bien, les textes qu’il a défoncent, il y a du storytelling. Les fans des Oxmo, des Booba de l’époque, devraient s’y retrouver, dans cet album il a craché du saaale !

(Buddah Kriss part à la recherche d’un CD de l’album « Affaire Personnelle » puis ils  commentent chaque morceau, chacun des samples utilisés et l’enregistrement)

Buddah Kriss : Pour Chambre Noire, c’est un projet qui s’est fait sur la durée, pour des raisons de logistique. En une session d’enregistrement, on a fait 5 morceaux, Perso les avais déjà écrits, il les connaissait, les prises de voix ont été très faciles. Et on est très contents du projet.

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Chafik

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