Loko – l’interview « Vis ma vie » (2/2)

Suite et fin de l’interview de Loko pour Le Bon Son (lire la première partie). Il y est question plus en détail de la conception de son album Vis ma vie, de son rap, de sa vision du game, de ses envies, ainsi que du fameux projet 3 éléments. Le tout saupoudré de commentaires et d’anecdotes d’un témoin privilégié des différentes ères du rap français.

Le Bon Son : Explique-nous le choix du titre de ton album : « Vis ma vie » ? 

Loko : Il se passe pas un mois sans que je fasse un morceau, du coup comme je te disais j’avais accumulé pas mal de morceaux. À l’époque où j’ai décidé de faire mon album, j’ai voulu faire un morceau spontané et actuel, donner du sang neuf, qui corresponde à ma vie d’aujourd’hui, intitulé « Vis ma vie ». C’est un titre qui a un an, et concrètement, ma vie c’était sortir avec mes potes, rentrer tard, me coucher, si y’avait une meuf dans mon lit c’était cool, me lever à 13h, en attendant ma séance, une petite partie de console et manger un bout de pizza de la veille, monter sur mon scooter et retourner au studio.

À l’issue de cette séance un coup de fil de mes potes rappeurs : ‘Viens kicker, on mange une pizza et on enregistre un morceau. – OK.‘ Et donc pendant une période de ma vie ça a été un peu ma routine. Le morceau « Vis ma vie » qui porte le nom de mon album n’est pas un long morceau, et dans le clip tu vois une journée-type que je passais à cette époque-là. C’est plus forcément le cas aujourd’hui, mais je le défends encore, ça peut encore m’arriver de faire ça.

La pochette, c’est pour illustrer ton côté multi-casquettes ?

Grosse dédicace à mon graphiste ! J’étais parti pour faire un 10 titres sans prétention, 10 titres qui me plaisaient bien, les presser à 500 exemplaires et les balancer tranquillement, avec une pochette sans prétention non plus… Et quand j’ai commencé à publier des choses et à voir qu’il y avait de bons retours, que les gens qui m’avaient connu à l’époque étaient encore vivants aujourd’hui, qu’ils avaient un Facebook et qu’ils me disaient : « Cool que tu reviennes »,  « content que tu sortes un truc, peace. »… Ça m’a donné envie d’en faire plus.

Du coup la pochette initiale que j’avais à ce moment-là pour un 10 titres me plaisait moins, ces titres que j’avais sélectionnés n’étaient pas suffisants. Je suis donc revenu avec un album 20 titres dont 10 triés sur le volet, 10 écrits dans l’année, et il me fallait la pochette qui allait avec, qui satisferait l’auditeur qui aurait bien voulu me donner sa confiance. Je voulais aussi convertir ceux qui me connaissent pas, les emmener dans mon monde. Le graphiste a écouté l’album, m’a donné plusieurs choix de pochettes, et j’ai choisi celui-là assez vite parce qu’il correspondait à ma vie de studio : beatmaker, ingé son, compositeur… ce qui donne parfois une machine de taf, qui se transforme de temps en temps en humain pour passer une soirée avec des potes. Donc j’aime bien le côté humain d’un côté et machine de l’autre de la pochette.

Qui va-t-on retrouver à la prod sur cet album ?

L’exemple récent le plus probant c’est Tony Dex qui a placé des prods pour Salif. J’ai considéré que les deux étant bons, c’était bête de pas les faire coïncider. Je me suis retrouvé avec plein de banques de beatmakers, à faire écouter les prods d’un gars que j’aimais bien à un rappeur que j’aimais bien. J’ai fait se rencontrer des gens comme ça, à faire un peu le taf de manager, ou de prestataire de service.

‘Je me suis retrouvé avec plein de banques de beatmakers, à faire écouter les prods d’un gars que j’aimais bien à un rappeur que j’aimais bien, (…) à faire un peu le taf de prestataire de service.’

Du coup, quand est venu mon tour, ils étaient pas contre me lâcher un beat. Ça s’est fait amicalement. Y’a même des morceaux de mon album que j’ai recalés parce qu’il y avait pas d’histoire “vraie”, c’est-à-dire pas d’instant cool. J’ai même des featurings avec des gens connus que j’ai pas mis, parce que je voulais tous les gens présents sur un projet à moi intitulé “Vis ma vie” soient des gens que j’apprécie humainement, avec qui je sois capable de passer une soirée pizza, etc.

Et à propos de feats, ATK, t’as réuni l’équipe au complet ?

Pas du tout, en l’occurrence Axis et Test. J’aurais vraiment aimé qu’il y ait les autres, après j’ai fait d’autres titres à part avec un peu tous, mais tous les réunir sur un morceau à un moment m, c’était pas forcément évident parce que tous trentenaires, tous des choix de vie différents. Le morceau qui va sortir est vraiment représentatif de l’époque nostalgique où y’avait pas de calcul, où on rappait pour se faire plaisir. Il s’appelle “À nouveau”.

À un moment où on s’était tous perdus un peu de vue, on a eu la force et l’opportunité avec Axis et Test de se recroiser. C’est un morceau qui a été enregistré dans ma chambre, quand j’habitais chez mes parents. C’est pas une antiquité, loin de là, parce que je l’assume comme s’il avait été enregistré hier, même s’il a quelques années déjà maintenant.

Il a une signification particulière : c’est la rencontre du beatmaker avec lequel j’ai fait 5 titres sur mon album, et aussi sur 3 éléments et plein d’autre choses. Avec qui je suis parti en vacances, j’ai pu vomir en fin de soirée bourré, pleuré quand on était malheureux en couple, etc… Et en plus de cette rencontre, le fait de poser avec ces gens avec qui j’ai commencé le rap.

Avec Test on a commencé sur un terrain de basket, on s’entendait pas parce que lui il aimait dunker et moi j’aimais bien contrer ses dunks et vice-versa. C’était une tension sur un terrain de basket, qui s’est transformée en respect de basketteur, puis “tu fais quoi à part ça ?”  C’était cool de pouvoir revenir sur cette époque de nos vies de lycéens sur un morceau, qui aujourd’hui a encore du sens pour moi.

Au niveau des feats on retrouve aussi Karna et Chris Taylor, avec qui tu avais prévu de sortir un projet commun : 3 éléments. Qu’est-ce qui explique que ce projet ne soit jamais sorti ?

J’ai la force aujourd’hui, grâce à tous ceux qui me demandent sur Facebook ce qu’il est devenu, de le sortir quand même, parce qu’on avait la pochette, les morceaux, et v’là les morceaux ! Dix de plus que ceux qu’on avait annoncés ! Il s’avère qu’au moment où on était prêts à se lancer dans les bacs, Karna qui vient de Saint-Barthélemy a eu le blues de sa famille, et pour bien d’autres raisons, a eu envie de retourner aux sources. Ça a fait l’objet d’un morceau qui est sur mon album (« Ce qui me retient » ndlr). Au même moment, Chris est devenu père, et la paternité l’a emporté sur le rap. Je me voyais pas, du coup, défendre en solo un projet concocté à trois.

Ça a été fait avec tellement de coeur, et je recevais tellement de mails qui me demandaient quand ça sortait, que je suis content de le sortir enfin. Je voulais pas m’en foutre et balancer un titre sur une mixtape, l’autre sur un compil, l’autre sur YouTube, etc. Donc j’ai décidé de le presser à 300 exemplaires pour l’instant parce que j’ai pas les moyens de faire plus. Le sortir à 2000 ça voudrait dire se tenir prêt à faire de la promo, de la street promo, radio, etc… Et là je suis concentré sur mon album, et mes acolytes, aussi chers qu’ils soient à mes yeux, sont occupés à d’autres choses en ce moment. Je le sors comme un collector pour les gens qui ont apprécié. Il m’a pris énormément de temps et j’ai besoin de marquer le coup aujourd’hui et me dire « Ça n’a pas été fait pour rien ».

‘J’ai déjà assez de morceaux personnels dont je suis sûr musicalement à faire figurer sur un deuxième album.’

En parlant de promo, comment vas-tu le défendre, assurer la promo et concilier ça avec ton métier ?

J’ai cette chance d’être mon propre patron, faut que j’étudie si m’absenter une semaine de mon taf m’est préjudiciable ou non, si je vais plus kiffer être en concert qu’en séance, est-ce que ce sera mieux pour mon avenir ou pas, je suis un peu seul juge. Même si j’ai avec moi des gens qui m’ont poussé et m’ont mis un coup de pied au cul, notamment Neyg, un rappeur et Asco, que j’ai rencontrés y’a 3-4 ans. Ils m’ont aidé à faire fonctionner le rouage, au-delà de mon domaine de compétence qui est l’enregistrement. Grâce à eux, il s’est passé plein de choses. Ils m’ont montré que je pouvais le faire, ont investi un petit billet sur mon album, m’ont donné de la motivation, leurs avis sur les morceaux, des regards que j’avais pas forcément. Je suis donc seul sans l’être.

Pas de dates de concert à annoncer pour défendre l’album donc ?

J’ai pas de dates précises, parce qu’encore une fois pour l’heure je me consacre à ce que j’aime faire quand  j’en ai le temps. J’ai quelques dates parisiennes, et j’aime la scène, j’y ai pris goût en tournée nationale avec ATK, et j’ai hâte de revivre ça. Simplement aujourd’hui, le fait d’avoir un métier et des gens qui comptent sur moi m’empêche de dire : “Désolé, j’annule, j’ai un concert à Caen !” Mais plus ça va être carré et structuré, et ça commence à l’être, et plus je serai en mesure de pouvoir me programmer. Le temps de recevoir les offres, et d’y répondre. Ça sera fait avec plaisir, sur des plateaux qui me correspondent, avec des gens que j’aime bien.

D’autres projets à nous annoncer ?

Pour être super clair et honnête, j’ai tellement de morceaux en stock, et je suis tellement content de voir que ça suit, que ça m’a donné envie de faire avec les moyens d’aujourd’hui. Sans parler comme un vieux con (rires), de mon temps, quand j’étais plus jeune, quand on sortait un truc y’avait une logique temporelle qui n’existe plus : t’as quelque chose, tu peux le balancer, qu’il soit attendu ou non, que ce soit important ou non pour toi ou les auditeurs. Une maquette enregistrée à 18 heures peut être à 19 heures sur le net avec un graphisme improvisé.

Quand je vois tous les morceaux que je n’ai pas sélectionnés pour l’album, non pas qu’ils soient mauvais, mais parce qu’ils correspondaient pas au concept “Vis ma vie”… J’ai quatre familles de morceaux : les morceaux rigolos d’ados et débiles, les storytellings dans lesquels je raconte des histoires qui ne sont pas du tout les miennes, ni celles de proches, les morceaux personnels, et les morceaux où ça rime pour la rime. J’ai du bon dans ces quatre familles-là, écrits selon les moments par lesquels je passais. Mon album c’est un patchwork de ces ambiances, et j’ai encore plein de morceaux sous le coude, qui traitent des mêmes sujets mais abordés différemment.

J’ai déjà assez de morceaux personnels dont je suis sûr musicalement à faire figurer sur un deuxième album. Donc j’ai déjà une ébauche, avec 5 titres forts et importants pour moi, autour desquels je peux construire un deuxième album assez facilement. Donc je pense que j’ai déjà un deuxième album entamé sans le savoir. Et à côté de ça 3 éléments qui sort maintenant. Ça, plus la dynamique avec des rappeurs comme Neyg ou BR Crew, avec qui on rappe pour le plaisir de temps en temps… Je pense qu’il va émaner des choses de tout ça.

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‘J’ai des goûts très éclectiques en rap. J’aime juste pas le truc bête et méchant, j’aime quand c’est technique et méchant.’

On t’aura attendu 15 ans, mais maintenant que tu t’y es mis, on ne t’arrête plus !

(Rires) Ouais, j’espère ne saouler personne au final ! C’est comme pour cette interview, tu me poses une question, et j’ai un million de trucs à dire, c’est pas un hasard. Si je sors qu’aujourd’hui c’est que j’avais d’autres trucs à faire, mais aussi que j’en avais envie pendant tout ce temps.

Et tu dois sentir qu’il y a une petite attente aussi…

C’est vachement gratifiant de se sentir pas trop seul, parce que j’ai pas l’impression que mon rap corresponde à l’époque… Parce que y’a besoin de faire de la punchline gratuite ou du street à mort, de remplir des cases, et que j’ai vraiment beaucoup de mal à rentrer dans une case : j’aime beaucoup la rime, les thèmes, les trucs décalés, marrants, personnels. À la fin je serais pas étonné qu’on me dise sur un morceau rigolo : “Comme Orelsan !”. Même si j’aime beaucoup cet artiste, sur un titre comme “Petites crasses entre amis” posé il y a plus de 10 ans, je faisais déjà du rigolo. Et pareil pour l’engagé, etc…

J’ai des goûts très éclectiques en rap. J’aime juste pas le truc bête et méchant, j’aime quand c’est technique et méchant. On est tous un peu méchants des fois. Y’a un morceau dans mon album qui s’appelle “J’aurai ta peau”, avec BR Crew. Et effectivement, si tu touches à mes parents, ou à ma petite amie, ou à ce qui m’est cher, je deviens méchant. Je suis pas pour le rap méchant gratuit.

Un mot de la fin :

Tour d’abord merci aux auditeurs qui y croient et qui ont pas oublié que j’existais. J’arrive comme un djeunz dans le rap français alors que j’ai fait plein choses avant. Je vais essayer de défendre ma place comme je le peux.

Ah d’ailleurs j’en profite, c’est important pour le mot de la fin, au-delà de Neyg et Asco et de mon entourage proche… C’est quand j’ai vu L’indis, dont je respectais vachement les lyrics à l’époque des 10’ et de Nakk, revenir, que je me suis dit : “C’est pas mort pour des mecs comme nous !”. On s’était connus furtivement à travers Marc de Bombattak, le gars qui m’avait recruté chez Générations. On était frères de son sans le savoir. Et dédicace à lui, dans le sens où quand il m’a invité sur le remix de “Mes classiques”, j’ai été touché, j’ai l’impression qu’on respectait ce qu’on faisait mutuellement, sans jamais vraiment avoir scellé ça sur un morceau. Ça m’a fait super plaisir qu’il m’invite, et sa démarche était forcément sincère, car je n’avais ni buzz ni actu ! C’est tellement rare aujourd’hui.

Du coup il est sur ton album, tout comme Nakk…

À l’époque où j’étais fan de Nakk, on venait de se rencontrer et on avait fait un morceau sur une compil qui n’était jamais sortie. On a donc fait un remix de ce morceau au goût du jour, mais avec des couplets similaires à ce qui avait été écrit à l’époque. L’énergie de ce moment-là était importante pour moi, et avec Nakk on est potes, on se croise régulièrement, j’ai fait des prods sur son album. J’aurais eu aucun mal à avoir un couplet estampillé 2012, ou même 2013, 2015 ! Mais c’était cool pour moi qu’on soit raccord avec cette époque et ces moments qu’on a passés ensemble.

Et évidemment merci à toi, parce que c’est facile d’appeler les gens quand ils sont déjà en place; c’est agréable de savoir qu’il y a des gens qui sont capables de me parler de trucs que j’ai fait il y a 15 ans alors que je sors mon premier album.

Première partie de l’interview

Vis ma vie : sortie le 28 janvier. Commande : lien Fnac / iTunes

Liens : Facebook / www.loko-officiel.com

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