Interview de Tymek Kalicinski, le visage du rap en Pologne

On entend souvent que la France est le 2ème pays au monde en matière de rap, derrière les intouchables Etats-Unis. Le rap français, né à la fin des années 80s, grandit depuis sans s’arrêter, au point d’être devenu un océan intarissable de talents, une terre reconnue pour la multiplicité et la diversité de ses acteurs. Il s’est peu à peu propagé hors des frontières, étant aujourd’hui très écouté dans les pays voisins francophones (Belgique, Suisse) ou au Canada, ainsi que dans les ex-colonies françaises en Afrique. 

Ce que l’on sait moins, c’est qu’il est très suivi en Europe, dans des pays où Molière lui-même n’aurait jamais imaginé exporter sa langue si facilement. En Allemagne, aux Pays-Bas notamment, et aussi en Pologne où le “Rap Francuski” a un visage, celui de Tymek Kalicinski. Amoureux du rap français depuis la fin des 90s, il a été jusqu’au point d’apprendre la langue pour la comprendre ! Aujourd’hui fondateur et rédacteur en chef du site Rapfrancuski, nous avons échangé avec cet ambassadeur autodidacte qui défend et promeut vaillamment le rap français à chaque occasion dans son pays, et ce depuis une décennie. Entretien avec ce journaliste, animateur radio, producteur, beatmaker et auteur… réalisé 100% en français !

Tymek, peux-tu te présenter ?

T.K : J’ai grandi et habite à côté de Varsovie. J’ai aujourd’hui 35 ans, je suis de 1984, la même année où Deenasty sortait Paname City Rappin et H.i.p.h.o.p. sur TF1 (il sourit).

Comment es-tu arrivé au rap ?

T.K : Au rap en général ou au rap français ?

Les deux !

T.K : Ah putain ! Le rap en général je ne me souviens pas. C‘était à l’école primaire, j’avais 12 ou 13 ans. Je découvre par mes amis je crois. J’écoutais du Wu Tang, du rap new-yorkais et du rap polonais. 97-98 c’était le début des vrais trucs ici avec des albums comme Skandal de Molesta ou la compile Smak Beat Records.

A la radio ?

T.K : Oui aussi. Des clips sur VHS, des K7, CD, et émissions à la radio. Quelques années plus tard, j’avais la télé par satellite chez moi et j’enregistrais des clips sur MCM (l’émission de Parano Refré) et des chaînes allemandes comme Viva et Viva Zwei, où j’ai trouvé du rap français. C’était en 1998 je pense avec des clips comme « Independenza » d’IAM, NTM, Busta Flex, etc. Après, en 1999 je crois, il y a eu un “jour du rap francais” sur MCM et j’ai enregistré 3 VHS de clips et ça m’a rendu fou ! Le rap français à l’époque était plus développé que le polonais. J’aime beaucoup l’ambiance des samples piano-violon etc. Je suis un mec curieux alors je cherchais des infos sur des rappeurs français parce que j’aimais savoir qui est qui. Mais c’était trop difficile, il n’y avait pas beaucoup d’info en anglais à l’époque, alors je cherchais et traduisais en ligne via des sites français. Puis j’ai pensé à partager mes infos et ça a donné naissance au site.

Qu’est-ce qui t’a décidé à te lancer ?

T.K : J’ai commencé à bosser avec la presse sur le rap en Pologne, pour des magazines comme Klan, Moment, ?lizg, Hiro et d’autres. Le premier site que j’ai monté c’était en 1999 mais Rapfrancuski je crois que c’est arrivé un ou deux ans après. Il y a eu des périodes de pause entre 2005 et 2010, et surtout on a perdu toutes les anciennes versions… J’ai réouvert le site en mars 2019. Pour l’instant je bosse seul sur le site et je fais ça pour le plaisir.

Tu as produit de la musique aussi ?

T.K : En 2003 on a sorti un EP 8 titres en vinyle RapFrancuski.pl EP avec des remix de morceaux français par des producteurs polonais (OSTR, Magiera & LA de White House Records, Waco etc.). C’était en édition limitée avec 250 copies. Puis en 2005 j’ai commencé l’enregistrement d’une compile avec des rappeurs français sur des prods polonaises mais c’était galère ; on a fait 15 morceaux jusqu’en 2009 mais c’est jamais sorti. Quelques années après, mon pote beatmaker Milionbeats remixe quelques-uns de ces titres puis on enregistre des nouveaux sons avec des français et aussi des morceaux franco-polonais. En 2015, on a sorti ça sous le nom Le rap français vu de la Pologne avec plus de 40 artistes de France et Pologne, des rappeurs et DJ’s sur des prods de Milionbeats.

En 2012 on a fait un projet “Rapfrancuski.pl freestyle sessions Marseille”. On a fait 19 freestyles videos sur des prod de Szczur (JWP) pendant ma visite à Marseille avec des artistes comme Soprano, REDK, Vincenzo, Kalash l’afro, Moh ou Boss One et on a sorti ça sur notre chaine Youtube. Big up à mon pote Mystik pour l’aide ! En 2005 j’étais co-auteur du livre Beaty rymy zycie (beats, rhymes et life) qui est le premier lexique du rap en Pologne avec plusieurs biographies de rappeurs du monde entier. J’ai aussi commencé à produire des sons avec des rappeurs polonais et français : j’ai fait quelques sons avec Fatale Clique, Lil Sai, Dany Boss, Krimo, Smoker etc. Il y a même Shurik’n sur une instru à moi! 

“Je cherchais des infos sur des rappeurs français parce que j’aimais savoir qui est qui. Mais c’était trop difficile, il n’y avait pas beaucoup d’info en anglais à l’époque (…) J’ai appris la langue par le rap.”

Pourquoi parles-tu français ?

TK : J’ai appris la langue par le rap. Je ne parle pas terrible, j’ai étudié juste deux ou trois ans pendant mes études. Je fais plein de fautes, il me manque des mots ou expressions mais ça va. C’est drôle parce que je sais ce que c’est le “hebs”, le “nessbi” ou la “bicrave” mais il me manque des mots simples (rire).

Vous êtes beaucoup comme toi, en Pologne, à se passionner pour le rap français ? 

T.K : Pour moi le départ c’était des rappeurs polonais à la fin des 90s qui disaient dans des interviews qu’ils s’inspiraient du rap francais. Pour beaucoup de gens, ça remonte à l’époque des feats entre WWO (NDLR : groupe polonais) et Soundkail ou Intouchable. Pas mal de monde écoutait du rap français. En ce moment, il y a comme un retour avec les morceaux de Paluch avec des Français comme S.Pri Noir, Freeman ou PLK. Il a d’ailleurs été le premier Polonais à Planète Rap !

Et à chercher d’apprendre ou du moins de comprendre la langue dans cette démarche ? Des centaines ? Des milliers ?

T.K : C’est difficile à dire, ma page Facebook compte 11 500 fans mais je crois que c’est plutôt des centaines de personnes qui sont intéressées. Je crois qu’il n’y en a pas beaucoup qui comprennent la langue. On fait aussi des traductions des clips pour que les gens comprennent un peu.

Aujourd’hui tu vis de la musique ou tu travailles à côté ?

T.K : Je taffe normalement de 9h à 17h dans une agence de marketing. 

Comment développes-tu la marque “Rap Francuski” ?

T.K : J’ai le site, je fais des traductions de clips, je mets des news, fais des interviews, tiens une webradio etc. Hier j’ai fait le premier épisode de mon émission dont le nom est “Francuski lacznik” (The French Connection), en clin d’oeil au film. J’ai joué que des nouveaux sons de 2019. Le prochain, je pense que je vais jouer des albums de 1999 pour les 20 ans. C’est sur une webradio : www.newonce.radio. C’est une fois par semaine, ça dure 2h. Je voudrais inviter des gens mais on va voir… Le podcast arrive bientôt.

Tu vas reprendre ton travail de prod ?

T.K : Pour l’instant non, j’ai pas de temps car j’ai un enfant de 10 mois.

Félicitations !T.K : Mais pour les prods, ça a toujours été un plaisir. J’ai eu 3 disques d’or (sourire) en Pologne, mais ici disque d’or c’est pour 15.000 exemplaires. C’était pour Dixon37 – Od zawsze na zawsze, Dixon37 – Lot na cale zycie et Lukasyno – Bard. J’ai fait des prods pour quelques morceaux pour ces albums.

Quel rappeur/groupe conseillerais-tu à un novice qui souhaite découvrir le rap polonais ?

T.K : Paluch, O.s.t.r., Kali, JWP, Sokó?. Et quelques albums classiques : Molesta – Skandal, WWO – We wlasnej osobie, Grammatik – Swiatla miasta, Waco – swie?y materia?, DJ 600v – Szejsetkilovolt… Il y en a plein mais c’est plus les années 2000.

Un mot de la fin ?

T.K : Big up !

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