On a écouté « Néfaste – Dans mon monde »

Une fois n’est pas coutume, nous avons eu le privilège de pouvoir écouter, digérer, et disséquer en exclu le nouveau projet de Nefaste, Dans mon monde, qui sort demain. Après Armes blanches / Idées noires (2014) et Premier pas (2015), il boucle la trilogie avec un EP comptant cette fois pas moins de 16 pistes. Ressentis au moment de ce dernier tour de piste… avant l’album.

D’emblée, on sait à quoi s’attendre. Scratchs réunissant Rohff et Flynt, ressuscitant Fabe ou le Booba de 2003, clamant unanimement l’amour du hip-hop, on est loin de la tendance… Reste à savoir si on est dans la bonne direction. La plume de Nefaste, membre le plus éminent du groupe RSKP, a déjà conquis pas mal d’auditeurs en attente de fraîcheurs de la scène rap indé française. Plusieurs concerts, des apparitions sur différents projets, une Poignée de punchlines, et surtout le projet commun avec Mani Deiz, Pejmaxx et Ol Zico magnifiquement illustré par Slob Design ; il s’inscrit dans une courbe de progression et d’exposition constante, et vient confirmer peu à peu les espoirs placés en lui.

https://www.youtube.com/watch?v=btSs3HrxpqY

Rappant ses tristesses plus facilement que ses humeurs joyeuses, Nef ne « sait que se plaindre » de son propre aveu mais ne cache pas que son désir de stabilité passe par des efforts à fournir sur lui-même. Il n’y a qu’à voir la tracklist pour se faire une idée du mal qui le ronge, et qui cause quelques redondances évitables sur ce long format. Parfois fatigué, lassé, il parvient quand même à alterner avec des éclats d’énergie comme sur le très bon « A mon tour » où la prod old school de DJ Stresh ponctuée de scratchs confère un rappel de connaisseur bienvenu. Car s’il s’énerve et regrette un tas de bâtons qui bloque les roues de son épanouissement, c’est qu’il y a des raisons. En premier lieu, la police. Sujet récurrent depuis des décennies en France et donc dans la musique hexagonale, il passe en revue, égratigne et rend la monnaie de sa pièce à un corps de métier qui franchit trop souvent les limites de l’acceptable. Nefaste fait appel à Coluche pour appuyer encore un peu sur le clou anti-flics qui l’obsède. Là encore, il n’opère pas dans la mode actuelle car il opte pour l’explication plus que pour l’insulte facile. Dans un département du Val d’Oise particulièrement visé par les débordements des flics, il a le mérite de s’attaquer au sujet frontalement, et sans le détourner comme un objet de promo. Une démarche sincère, louable.

Sa voix agréable est un atout, car elle lui permet de jouer sur plusieurs couleurs, la dominante étant celle du blues. Un blues moderne brut déversé dans un flow de rimes travaillées, où l’on croise des gens qui « nagent à contre-Coran » ou « plongent dans un rhum ou un décolleté » quand la tête n’est pas à la fête. Étonnante vision où ni l’enivrement ni les rapports sexuels ne sont festifs, mais au contraire des symboles d’habitudes malsaines dans un quotidien bien gris. Dans ce que certains qualifieront de « pleurnicheur », on préfère y entendre une âme de bluesman qui chante ses peines au monde. Un exutoire libérateur, concentré, et qui sent le bitume, fait rare en 2017. Bien conscient de ses qualités et défauts humains, il rappe à visage découvert, sans artifice, quitte à exposer avec pudeur ses contradictions et ses tourments. Le format « Face à moi-même » lui permet d’extérioriser tout ça, et l’on pourra regretter quelques propos empreints de transphobie ou misogynes « Une femme est fidèle quand t’as de l’oseille » pas nécessaires. Les balades jazzy « Mayday » et « Triste époque », le nostalgique « Hier encore » ou le symptomatique « Doc », Nefaste s’est engagé à nous emmener dans « son » monde, bien qu’il soit terne et peu enclin à accueillir des touristes du rap. Soyez avertis.

Les Kids of Crackling Itam, Nizi et Mani Deiz, Ben Maker, Robot Orchestra et DJ Stresh sont les producteurs aguerris qui se partagent cet opus. Les invités au micro se comptent sur les doigts d’une main : les potos Lekma et Sosa, et l’enfoiré qu’on ne présente plus, Lacraps. Un projet intimiste de bout en bout. Encourageant et toujours un cran au-dessus de ses précédentes sorties, Nefaste sort un EP aussi solide que sombre, avant un premier album attendu pour 2018. Pas sûr que l’arrivée de l’automne le pousse à la chansonnette ou au refrain enjoué d’ici-là.

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Antoine

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