AL, l’interview au Pays des Lumières

C’est dans l’entre-deux-tours que nous avions rencontré AL, lui qui vient de sortir son album entre les attentats du 13 novembre et le premier tour des élections régionales plaçant le FN en tête. Loin des préoccupations purement carriéristes de certains de ses congénères, AL avance, prend de l’âge et du galon et mûrit, comme son rap qu’il est fier de voir grandir sans chaînes ni muselière. Retour en paroles et en musique sur une discussion dans un café de la Gare du Nord. En toute décontraction et avec une répartie fringante.

Ton album est sorti le 20 novembre, soit une semaine pile après les attentats. Comment l’as-tu vécu ?

Déjà, le jour où c’est arrivé, nous on était sur scène à Arras. J’ai fait mon set, je devais descendre de scène, c’était au tour du set de Casey et moi je devais remonter avec elle pour qu’on finisse ensemble. Je l’ai appris pendant le laps de temps où je suis descendu de scène. Je suis remonté sur scène, franchement, je n’avais plus la tête à ça. Ça s’est terminé, on était tous en backstage, tous bouleversés, tous énervés. Ensuite, il a fallu qu’on fasse la route pour rentrer sur Paris, en se demandant ce qui allait arriver quand on allait arriver à l’approche de Paname. On s‘attendait à voir des barrages de partout… Voilà comment j’ai vécu le truc. Au niveau de la sortie du disque quelques temps après, moi j’ai même balancé un clip le même jour.

« Je pense que les albums de Jul (…) et de Booba qui sont sortis après m’ont fait plus de mal ! (rires) » AL, à propos de la sortie de son album juste après les attentats.

L’écoute de l’album pour les médias avait eu lieu le 12 novembre. Tu avais dû planifier ta promo en conséquence ?

Les jours qui ont suivi, je devais faire des interviews et voir des gens, j’ai annulé parce que personne n’était dans ce délire et moi le premier de toute façon. Je ne saurais pas dire, c’est le recul. Sur Paname, c’était tendu et ça se comprend. Au niveau de la sortie-même du disque, pour en rire un petit peu, je pense que les albums de Jul, de Gradur et de Booba qui sont sortis après m’ont fait plus de mal ! (rires) A chaud, sur les quelques jours, ouais, ça a un petit peu bouleversé.

Tu n’as pas pensé à décaler ta sortie ?

Non, c’était trop tard. Et franchement, même si j’avais pu, je pense que je ne l’aurais pas fait. C’était calé comme ça. Les gens avaient peut-être autre chose à foutre à ce moment-là que d’aller sur Amazon ou sur le site de la FNAC, ou d’aller même tout simplement faire la démarche d’aller chercher en boutique le disque en physique. Tu regardais les réseaux sociaux à ce moment-là, les gens parlaient d’autre chose que de musique, et c’est logique.

Tu avais déjà joué au Bataclan ?

Oui j’y avais déjà joué, une fois. Rocé nous a invités là-bas en fin 2013, et je crois que quand Casey l’avait fait, j’avais fait un morceau avec elle sur scène aussi. L’endroit, tu le connais, tu visualises, c’est choquant. Ce soir-là, je sais que moi, dans l’état dans lequel j’étais, je ne sais pas si un truc, qui ne concerne pas les membres de ma famille ou des proches, je ne sais pas s’il y a quelque chose qui m’a déjà autant affecté que le 13 novembre. Mais après il y a beauuuuucoup de choses à dire… Et pour autant, j’ai pas mis mon Facebook en bleu-blanc-rouge.

Avais-tu des dates en groupe ou en solo pour lesquelles tu aurais dû réfléchir à annuler ou maintenir ?

Non. Asocial Club, après le Pan Piper, y’avait plus rien (voir le beau reportage photos de nos confrères de SURL). Et moi, j’espère que ça va venir. Et puis voilà, les choses aussi mine de rien et heureusement, à tous les niveaux et pour tout le monde, vont vite, j’espère, reprendre le cours normal.

Tu tombes en plein dedans avec ton album et la chanson intitulée « Al-Qaeda ». Tu dis dedans que tu as « mal choisi ton blaze » car la recherche Google suggère en premier ce groupe terroriste. Désormais, on va plutôt googler « Daesh »…

(Rires)

Il sort limite trop tard ce morceau ?

Non, il ne sort pas trop tard. Il aurait pu sortir depuis que je suis jeune j’ai envie de dire, et que j’ai pu me rendre compte de ce qui n’allait pas en France. Parce que t’es noir, parce que t’es banlieusard… pour toutes ces choses-là. C’est la bande-son de la vie de beaucoup d’entre nous des morceaux comme ça !

Comment tu en es venu à choisir ce titre ?

Je ne sais pas, j’aimais bien la rime, ça faisait « punchline » comme on dit. Mon but, c’est de faire des concerts et de faire crier les gens « Al-Qaeda » ! (rires)

Ton album est on ne peut plus en lien avec l’actualité de par son contenu. Tu donnes notamment ton opinion dans « Le pays des Lumières » sur la question posée aux musulmans de se désolidariser ou non des évènements…

Ouais, c’est quelque chose qui à la fois m’a choqué, quand j’ai commencé à entendre les premières du genre « Il faut que la communauté musulmane française s’explique sur ce qui est en train de se passer aux quatre coins du monde », c’est incroyable, et à la fois, ça va dans l’esprit des gens qui sont en mode « colonialistes » et qui donnent des injections à tout-va comme ça, c’est normal, c’est pas surprenant. C’est le principe de l’amalgame. Sauf que là, on interpelle directement les gens : « Eh ! C’est des gens comme vous ! » Le traitement médiatique, il n’est pas le même quand tu t’appelles Coulibaly que quand tu t’appelles Anders Breivik. C’est ça que ça souligne.

Le Président a décrété l’état d’urgence au lendemain des attentats du 13 novembre, et ce pour une durée de 3 mois. Il y a un vif débat, avec notamment beaucoup d’interpellations hasardeuses, de peur et d’amalgames générés dans tous les sens. Comment te positionnes-tu par rapport à ça ?

C’est du pain béni pour des gens qui n’en attendaient même pas tant j’ai l’impression ! On en a vu le résultat politiquement (NDLR : l’interview a été réalisée dans l’entre-deux-tours des élections régionales) C’est comme une suite logique ; les gens sont là avec l’épouvantail du Front National, ça fait 30 piges, 40 piges qu’on essaye de mettre ça en place. Après, évidemment, à l’approche de la ligne d’arrivée, y’a un frisson (rires) ! Tout le relent nauséabond de l’inconscient commun, il existe depuis super longtemps. Un jour, on va arriver, comme ce qui se passe aux Etats-Unis ; ce qui peut se passer de pire pour un homme politique, c’est de se faire traiter de « socialiste » ! (rires) Aux Etats-Unis, c’est la crainte des politiques. Quand tu veux insulter le mec, tu lui dis : « Ouais, t’es socialiste ! », et là, il va se démener par tous les moyens nécessaires pour essayer de te contrer. Parce que là-bas, les Démocrates c’est la Droite, et les Républicains c’est l’extrême-droite. En France on y arrivera. Même historiquement, la gauche au pouvoir en France, c’est très rare. La France est un pays de droite de longue date.

Tu le disais sur « Paroles d’homme », le premier titre de ton premier album « High-tech et primitif », tu as « plus souffert le 21 avril que le 11 septembre ». Une phrase très forte de sens. Quelle réflexion as-tu quand tu constates 13 ans plus tard que le FN est en tête avant le second tour des élections régionales et qu’il progresse en nombre de voix exprimées dans plusieurs régions ?

Il n’a pas besoin d’être en place le FN ! Parce que de toute façon, tous ceux qui s’en servent comme bouc émissaire ou pour effrayer les gens, ils sont exactement sur la même ligne de conduite. Aujourd’hui, on est sous un gouvernement de droite, qu’on le veuille ou non. Et puis si un jour le FN passe, et bah voilà, les choses seront claires ! On verra qui est pour, et on verra qui est contre. On verra qui suit, et on verra qui gueule et qui résiste. Ça sera beaucoup plus clair ! Les mêmes gens qui te balancent le FN à la gueule à tout bout de champ parce que tu ne votes pas ou nanani nananain, arrêtez de crier, le jour où le FN passe, c’est moi qui vais bouffer de toute façon !

« Aujourd’hui, on est sous un gouvernement de droite, qu’on le veuille ou non. Et puis si un jour le FN passe, et bah voilà, les choses seront claires ! »

On avait déjà abordé le thème du rap politisé lors de notre interview de l’Asocial Club, et Casey s’exprimait récemment dessus chez nos confrères de SURL, en dénonçant le fait que le rap n’est – de son point de vue – pas spécialement moins politisé qu’avant. En rectifiant un peu le tir, on peut penser que c’est peut-être le rap médiatisé qui l’est moins…

(il coupe) Ouais, clairement. Celui qui est mis en avant, il semble violent. Mais c’est de la violence divertissante : c’est des gros mots, c’est des flingues, c’est de la drogue. Regarde un blockbuster, regarde un film de gangsters, c’est la même chose. Mais quelque chose qui représenterait une vraie violence pour les institutions, dans la musique, c’est dur à mettre en place.

Et donc, le morceau étendard du rap français qu’on brandit face à ce genre de trouble politique, c’est le classique « 11’30 contre les lois racistes ». Ce serait envisageable aujourd’hui de donner une suite ? Y’aurait-il un intérêt ? Un impact ?

T’aurais beaucoup moins de « têtes d’affiches » qui voudraient suivre je pense. Parce que les gens ils veulent faire de la SACEM, ils veulent faire du divertissement, ils veulent passer en radio.

D’après toi, il y a une mainmise du pouvoir sur les médias ?

Ça, c’est clair ! Les gens aussi, tout bêtement, pour beaucoup d’entre eux, aiment beaucoup écouter de la musique juste pour penser à autre chose. Comme ils allument la télé et ils regardent un talk-show, ou une émission où t’as des bonnes femmes qui achètent des fringues ou d’autres qui font de la cuisine. Il y a des gens qui consomment de la musique de la même façon.

Est-ce un problème sociétal ? Est-ce que ça participe à l’abrutissement des mentalités ?

Ça participe comme tout peut participer, quel que soit le domaine artistique ou culturel. Il y a des choses qui sont là et qui n’ont pas pour vocation d’éveiller les esprits.

Ton premier album est sorti en 2008, soit un an après l’élection de Sarkozy à la présidence de la république. Avant son arrivée, existaient encore les « émissions spés » la nuit sur Skyrock de type « Couvre-feu », « SKY B.O.S.S. » ou « La Nocturne » ; Première question, as-tu connu cette époque en tant que MC ?

J’avais été chez Cut, j’avais été chez Joey Starr à l’époque oui. Après Skyrock, c’était que le wagon de tête. Il y a beaucoup de radios qui étaient accrochées à ce wagon derrière.

Deuxième question, est-ce que tu penses que l’arrêt soudain des émissions spés qui coïncide avec l’élection de Sarkozy, ait un lien, direct ou indirect, de cause à effet ? On peut y voir un coup à la Bolloré avec les Guignols de l’Info…

Je ne me suis jamais posé la question… Je ne pense pas que ça soit lié directement et je ne pense pas que ça puisse avoir un impact aussi fort que ça. Il y a aussi des explications politiques et sociétales.

Al, Casey, Vîrus, comment réagiraient ce genre de personnalités à une invitation à Skyrock ou à une demande de diffusion de leurs sons sur ces ondes ?

On n’y est pas, et les choses sont souvent à leur place. Il ne faut pas reprocher au boucher de ne pas vendre de barquettes végétariennes ! (rires) Je ne peux pas crier de ne pas être diffusé sur telle ou telle radio quand j’écoute ce qu’ils passent. Celui qui veut passer ta musique, il va passer ta musique. Et des fois, ça va peut-être te surprendre ! Mais finalement, quand tu réfléchis, il y a une cohérence.

Et des radios plus généralistes de type France Inter ou Mouv’, est-ce qu’on espère y être diffusé ou invité pour toucher un plus large public ?

Déjà, le mot « public » c’est chaud ! Je ne suis pas à l’aise avec. Après, il faut savoir formater. Il y a certains morceaux qui ont une forme, un contenu, un ton, une couleur. Déjà, le formatage il vient de toi à la base. Tu te fais formater que si tu l’acceptes ! Personne n’écrit tes morceaux, personne ne les enregistre, personne ne les choisit.

Revenons un peu sur tes débuts et ton équipe. Qui compose Matière Première aujourd’hui ? Vous étiez des potes d’enfance de Dijon/Talant ?

Loubna ne fait plus partie du truc, Stef est un peu moins assidu et Adil bosse sur des morceaux. Moi, j’étais le premier à rapper parce que je suis le plus vieux, Adil, je l’avais eu sur des ateliers d’écriture, Stef a le même âge que moi et on se connait depuis l’école primaire.

Comment t’étais-tu retrouvé sur l’album de Fabe « Détournement de son » et sur le projet de Cut Killer « Opération freestyle » ?

« Les lions dans la brousse » ? Putain ! J’en ai marre qu’on me parle de ce morceau ! (sourire) Mais bon, c’est le morceau qui a le plus tourné de tout ce que j’ai fait c’est vrai. C’était à Bourges lors d’un concert que j’ai rencontré Fabe, mais c’était pas le festival de Bourges. Il y avait La Rumeur aussi, et on a fait un freestyle à la fin, on a rappé et lui est venu vers moi : « C’est bien ce que tu fais ! » On a échangé nos contacts, et il m’a recontacté en me disant que Cut cherchait des gens pour faire une compile. Je lui ai envoyé des trucs, et donc voilà le morceau s’est retrouvé sur « Opération freestyle ».

Entre cette parution en 1998 et 2008, ton premier album solo, il se passe 10 ans sans qu’on n’entende plus trop parler de toi ni que tu sortes des projets. C’est une traversée du désert ?

En 2004, on a sorti le maxi « Le masque du ravisseur » puis « Matière première : quand le brut s’enflamme ». 2006, y’a le projet d’Adil « La nuit tombe ». D’une part, du fait de la vie, et d’autre part, pour moi, sortir un album, c’était pas une fin en soi.

Tu le rappais dès ta la première phrase du morceau introductif de ton premier solo « J’y crois pas, putain ! Ce premier projet d’album n’en est plus un, il devient réalité »…

C’était pas une fin en soi. Je rappais, et c’est un pote à moi qui m’a convoqué : « Tout le monde fait des albums ! Toi aussi, fais-en un ! » Là, on a essayé de mettre des choses en place, d’avancer un petit plus concrètement. Et puis aussi, j’avais besoin de désacraliser le truc. Je ne savais même pas par où commencer, sous quel angle attaquer le truc. C’était compliqué, mais j’ai dû apprendre à le faire.

Sur ce premier album, outre tes proches de Matière Première, on retrouve déjà des valeurs sûres en invités : Casey et Ekoué de La Rumeur. Comment vous étiez-vous rencontrés ?

Je connaissais Casey de par sa musique et je l’avais rencontrée le même jour du concert à Bourges. Après, j’ai emménagé à Blanc-Mesnil donc je voyais B.James, Casey, Sheryo, toute cette équipe. J’habite là-bas depuis 2001. On se voyait, si ça matche tu traînes avec les gens puis ça devient tes potes.

Le morceau « Ça fait mal quand même » t’a-t-il ouvert à une plus large exposition ?

Ouais, si je regarde mes vues, le morceau avec Casey tourne plus.

On sait qu’il y a eu comme une scission entre Anfalsh et La Rumeur. Avec le recul, aujourd’hui, ça reste un bon souvenir ?

Ah bon ? (rires) En tout cas, tourner avec Casey ouais, parce qu’elle est exposée à la hauteur de son talent, et elle devrait même l’être encore plus si tu veux mon avis personnel.

Parlons un peu de ton rapport aux études. Tu le dis sur « High-tech & primitif », ton père ne voulait pas que tu redoubles, et finalement, sur ce nouvel album, tu nous expliques que tu « arrives à retripler ta première » et que « la connerie des rappeurs, si [tu] avais fait des études, [tu] en aurais fait une thèse ». Comment es-tu passé de Talant au Blanc-Mesnil ? Est-ce qu’il y a un lien avec les études ou la recherche de travail ?

A Dijon, je galérais ouais. La Première, ensuite esquiver l’armée, mon père me dit de me bouger les fesses donc je fais des petits jobs. Je monte sur Paname en 1993, je bossais à Disney. Après je redescends à Dijon, je bosse à l’usine. Après je végète : je bosse dans une petite asso, je fais de l’intérim, je suis au RMI et j’habitais avec Raaf de Matière Première. Et ouais, c’est vers fin 2000 que je me dis que je vais monter sur Paname pour cherche du boulot là-bas, tout simplement parce qu’il y avait ma sœur qui était là. Après, ça s’est fait ici.

« Souvent, les profs, c’est des gens, qui, eux, ont rarement été confrontés à l’échec, à la difficulté. Quand ils se retrouvent face à ça, ils ne sont pas de bon conseil. »

Tu as eu de la peine à trouver ta voie ?

Ouais, clairement. A cette époque-là, c’était moins grave que maintenant. Maintenant il y a 4 millions de chômeurs « officiellement » ! C’est chaud. C’est une phase de galères. Un schéma classique : tu arrêtes les études, tu n’as pas de background et tu te retrouves comme un con.

Le fait que tu en parles dans tes morceaux symbolise ton attachement à ce sujet. Tu as insisté dans les études en allant jusqu’à tripler ta Première, comment expliques-tu ces difficultés scolaires ? Le système ne te convenait-il pas ? En veux-tu au système ?

Il y a des choses qui sont dues à ça, après il y a des choses qui sont dues aux individus. Les trucs d’orientation, tout ça… Souvent, les profs, c’est des gens, qui, eux, ont rarement été confrontés à l’échec, à la difficulté. Quand ils se retrouvent face à ça, ils ne sont pas de bon conseil. Surtout dans les endroits d’où nous on vient. C’est comme les condés : c’est les pires qui sont parachutés dans les pires endroits ! Limite, il faudrait l’inverse pour qu’il y ait une espèce de justice, une espèce d’équilibre. Il faudrait mettre des gens qui ont une vraie philosophie, une vraie expérience. On va balancer des petits jeunes qui se retrouvent là, dans des environnements humains dont ils n’ont pas l’habitude. Des fois, ça peut faire la différence. Moi, je sais que le goût de la lecture, c’est quand j’ai passé mon bac à 33 ans ; je suis tombé sur un prof, c’était un ouf ! Il racontait des anecdotes, il t’incitait, il te donnait envie, il t’amenait des bouquins… Quand tu te retrouves face à des gens passionnés et pas désenchantés, ça peut faire la différence. Après, je dis pas que c’est facile.

Du coup, est-ce que le Al adulte a l’envie de reprendre des études auxquels il aspirait plus jeune ?

A 33 piges j’ai passé le bac, surtout parce que ça faisait partie d’un projet professionnel. Je sais que c’était une année grave intéressante, du fait de se ré-intellectualiser. Qu’est-ce qu’on fait souvent ? On regarde des journaux pétés, de la merde ou du foot à la télé… Rapidement, tu crames tes neurones, bêtement. Ça faisait longtemps que j’avais ça en tête. Et cette soif de savoir, de culture, malheureusement, ça m’est venu grave trop tard ! C’est mon seul regret. Mais c’est difficile en pratique, dans la vie de tous les jours, quand tu dois taffer… Les gens qui y arrivent, franchement je leur tire mon chapeau. J’ai rencontré un rappeur, qui avait fait notre première partie, il est jeune, il a 22 piges et un bac+3, qui m’a dit qu’il voulait arrêter. Je lui ai dit « T’es ouf ou quoi ? Tu dois faire 100 mètres, tu t’arrêtes à 90 mètres ! Ça fait combien de temps que t’es à l’école ? Depuis la maternelle, 17 piges ? Tu vas arrêter alors que t’es pas loin d’un master… En même temps, t’arrives à faire du rap à côté. Là, t’es bien. T’es passé entre les mailles du filet, tu vas arriver à une place à laquelle ils ne t’attendent pas. Tout ce qu’ils espèrent de toi, c’est que tu taffes dans une usine, que tu fasses du foot, que tu te retrouves en cabane ou au mieux que tu fasses du rap ! » (rires)

Ou du rap en cabane, comme ça tu ne déranges personne !

Exact ! Mais là, tu vas sortir avec un master à 25 piges, et t’as grandi à Blanc-Mesnil… Là c’est un vrai truc de gangster, là c’est un vrai truc de hustler !

Tu vis de ta musique aujourd’hui ?

Non, je bosse à côté.

Pour continuer sur le sujet, le morceau « Mineurs » avec B.James et Casey, c’est une incitation à poursuivre des études ?

Ouais, y’a un peu de ça. Le refrain vient d’un texte que j’ai écrit et que je n’ai pas encore sorti. Je pensais aux jeunes de maintenant parce que j’ai 42 piges, et il y a des gens qui sont MES petits. Ça ne peut pas faire de mal. En tout cas, ça peut forcément offrir plus de choix.

C’est le genre de texte qu’on n’aurait pas imaginé sur tes albums précédents. C’est avec le recul que tu t’autorises…

(il coupe) De prendre cette posture de daron tu veux dire ?

Oui, parce qu’il y a un risque musical…

(il rit) Pédagogique ? Non, non, c’est juste que je vais rentrer chez moi, je vais voir des petits et j’entends des gars dirent « Ouais les petits, nanani nanana… » et je leur réponds qu’ils ont la mémoire courte car on était à leur place il n’y a pas longtemps, et quand les darons passaient, c’est nous qu’ils voyaient. Il faut une espèce d’indulgence, les gens tu ne les connais pas. Nous, on était là, on tenait le mur à 2 heures du matin le week-end, qui a vraiment mal fini parmi nous ? Dieu merci, pas tant que ça.

Tu agis comme un relais avec les générations plus jeunes ?

Je ne sais pas si j’ai les épaules assez larges pour endosser ce rôle. Je ne sais pas si c’est à moi de le faire. C’était pour pointer du doigt une jeunesse qu’on va enterrer vite, qui peut être perdue pendant un certain temps, mais Dieu merci, heureusement, la majeure partie du temps, les gens mûrissent, deviennent adultes, se reprennent en main. Contrairement à ce qu’on peut dire, les gens sont entourés, encadrés, tout le monde n’est pas abandonné et livré à soi-même.

T’es de nature optimiste ?

Sur ce coup-là, non. Ce que je veux juste dire, c’est que tu peux tout entendre. Moi j’ai entendu, à propos des auteurs des attentats du 13 novembre : « Ouais, mais c’est de la faute de leurs parents ! » (Sourire gêné) Qu’est-ce que tu racontes ? Ces gens-là, avant d’être des problèmes pour la France, souvent, c’est des problèmes pour leurs familles ! L’état psychologique de ces gens-là, il y a forcément des choses à dire dessus. La responsabilité des parents ? OK, mais il y a d’autres trucs malheureusement qui rentrent en jeu. Cette frustration exacerbée, dévastatrice, franchement, pour mettre ça sur le dos des parents, vas-y mais c’est chaud quand même…

Tu es père toi ?

Non. Pas encore.

Tu n’aspires pas à l’être ?

Si, si, ça n’a rien à voir. Je suis en retard sur le taf (rires) mais tranquille…

Ça sera du coup dans « la deuxième partie de ta vie », puisque tu nous l’as annoncé comme ça, la seconde moitié commence à 42 ans…

C’est symbolique ! Il n’y a pas eu de bascule, de déclic. Mais ne serait-ce que les petits qui disent « Bonjour Monsieur »… Il y a plein de choses qui changent.

Des cheveux blancs ?

Des poils blancs, partout, la beu-bar elle en est infestée ! Mais cool.

Peux-tu revenir sur la forme du morceau ?

J’écoutais l’instru, et j’entendais chanter. Pour tout te dire, l’effet, comme quand tu mettais un vieux disque à l’époque, qui est sur la voix, n’y était pas à la base parce que je n’ai pas assumé de chanter à 100%. On a mis l’effet, et j’ai même tisé un petit peu pour le faire avant de l’enregistrer (sourire).

On rentre dans ton album de forte manière, et on en ressort par un sentiment au moins aussi fort. C’est assez inédit pour être souligné. L’as-tu pensé comme un cheminement fataliste vers la vieillesse ?

Je ne sais pas si c’est « jamais vu ». J’ai déjà entendu des trucs sur ce thème, après, ouais, c’est abordé différemment. Le fait dedans, c’est que j’étais incapable de dire où j’allais le mettre dans l’album au niveau du tracklisting.

Cette fin est quand même prenante, angoissante, entre la maladie, la mort et l’hérédité de la maladie…

Que Dieu nous préserve. Il n’y a pas de mort, il y a une rémission du cancer, mon père va mieux.

La fuite du temps te préoccupe ?

Peut-être inconsciemment plus que je ne le pense. Mais comme ça, non j’y pense pas. Ça ne me met pas une pression si grande que ça. Le côté un peu sombre, c’est des choses que j’affectionne artistiquement, quel que soit le domaine. Si vraiment ça me collait, est-ce que je pourrais l’évoquer à travers des morceaux ? Je n’en suis pas sûr. Je ne suis pas en mode californienne, à me teindre en blonde, à me faire gonfler les seins pour rester jeune. (rires) J’ai forcément d’autres problèmes, mais pas ceux-là.

« Ma hantise, c’est que j’ai déjà entendu des morceaux tristes ratés, et c’est drôle. »

Donc il ne faut pas nécessairement voir dans l’intro et l’outro une lecture entre les lignes ?

Je ne sais pas, je n’avais pas fait le rapprochement, c’est toi qui souligne ça.

Comment as-tu pensé ton tracklisting alors ?

C’est ce qu’il y a de plus galère à faire ! Je l’ai fait avec mon DJ au niveau des sonorités des morceaux, voir ce qui s’enchaînait bien. Au niveau des thématiques et des ambiances, ce qui est un peu plus frais c’est au début de l’album pour aller plus vers « le dark » sur la fin. Le dernier morceau, j’avais l’impression que c’est celui qui impactait le plus, je ne voyais pas sa place ailleurs qu’à la fin.

Tu le dis toi-même, ce morceau très singulier est ta « première chanson d’amour ». En te livrant et en narrant sous forme de storytelling la maladie de ton père et comment tu l’as vécu, tu laisses l’auditeur pénétrer dans ton intime. Le mettre à la fin pour qu’il ressorte, c’était une sorte d’hommage ?

Ouais, ouais ! Je te dis la vérité, je ne sais même pas s’il l’a écouté le morceau. Il y avait un petit peu cet aspect-là… Un morceau, c’est souvent un accident. J’écoutais comme ça et la première rime part là-dessus… C’est un truc con, l’inspiration. A travers sa propre histoire, l’intérêt c’est toujours d’essayer de généraliser et d’humaniser le truc, pour essayer de faire un truc le plus vrai possible, le plus commun possible. Il faut savoir se regarder, à l’intérieur de soi-même, de la façon la plus juste. Sur un thème comme ça, c’est toujours délicat. J’aurais pu être plus trash. Sérieusement. Dans des situations comme ça, il y a des détails que tu ne racontes pas, par pudeur. T’es obligé d’avoir une certaine réserve.

Ça a été une épreuve pour toi de l’écrire ? Comment tes proches ont accepté que tu places ce morceau sur ton album ?

Je leur ai fait écouter ! Ils n’ont pas voulu en parler… Les gens à qui j’ai fait écouter sont des gens qui connaissent mon père. J’ai essayé de prendre du recul et de considérer le morceau en tant que morceau et rien d‘autre, parce que je me suis dit que mêmepour le rappeur sur scène ça pouvait être difficile. Je l’ai fait déjà, et ça c’est bien passé. Le côté hommage, pas seulement à mon daron, mais à ma famille parce que ces choses-là, c’est une galère pour toute la famille quand ça arrive, tout bêtement. Il avait sa place dans le truc. Ma hantise, c’est que j’ai déjà entendu des morceaux tristes ratés, et c’est drôle au final. Ça, c’est chaud. Quand tu veux faire rire et que c’est raté, c’est chaud. Tu es limite mal à l’aise pour la personne qui fait ça. L’inverse, c’est pareil. Quand tu penses toucher les gens et que c’est raté, c’est chaud aussi mine de rien. Ouais voilà, c’était un pari.

« Sans capote », c’est une histoire vraie ou une fiction ?

Histoire vraie, que du vrai, nous c’est la réalité, c’est le ter-ter ! (rires) Quand tu fais un disque, moi comment je le conçois, c’est des humeurs et des points de vue. Après c’est cliché, c’est déjà vu et revu… Ce que je voulais dire, c’est que tu écris sur ce qui t’arrives.

C’est un règlement de compte ?

C’était marrant je trouve. Après, le morceau, je n’ai pas voulu en faire un truc dramatique.

Non, mais il sort en premier extrait, premier clip, il est quand même mis en avant…

Ça m’a fait plus golri !

La personne visée s’est retrouvée ?

Je ne sais pas ! Ça m’a fait golri, et c’est parce que j’ai réglé cette histoire dans ma tête que j’ai pu faire un morceau comme ça. Autant que possible, c’est du vrai. Parce que si je dois inventer des choses, j’invente quoi ? Je dis que je suis un gangster, que je deale de la coke, que je braque des gens et que si tu me chauffes je vais te tirer dessus ? « Dans ses yeux », pareil, c’est du vrai, « Un léger sourire aux lèvres » aussi c’est des choses qui peuvent m’arriver.

Je voulais justement revenir sur « Dans ses yeux ». Le premier couplet parle d’une confrontation avec une DRH raciste : quelle boîte t’a reçu comme ça ?

Ah il y en a plein ! Mais les « dans ses yeux », ces moments-là tu les retrouves même une fois que tu es embauché ! Il y a combien de boites où quand tu montes dans la hiérarchie ça devient monochrome et il n’y a plus que des Blancs ? « Dans ses yeux », ça parle du non-dit, des perceptions que tu as et qui veulent tout dire. Ne serait-ce que de rentrer dans un restaurant ou un magasin, et de sentir le regard du vigile, en un millième de seconde, dans ses yeux, il y a « qui tu es ? », « pour qui lui te prend ? ». Ce sont mes idées reçues contre les siennes.

Que penses-tu du DRH ou du vigile dans ces moments ?

Dieu merci, même sur ce que j’en pense, j’ai un peu de recul, un peu de discernement et je ne vais pas le voir pour lui dire « Hey, c’est quoi le problème ? » Parce que sinon tu vas t’embrouiller dix fois par jour. C’est même pas du fatalisme, c’est des choses avec lesquelles tu as appris à vivre.

C’est douloureux à 42 ans de (…)

(il coupe) C’est tous les jours douloureux ! Des fois tu ne vas pas prévoir, tu ne vas pas être en forme, et tu vas dire « Nique ta mère ! » Ni plus ni moins. Les petits, des fois, n’ont pas le discernement et vont réagir à leur façon. Quand tu pointes tout le temps les gens du doigt, à un moment ils vont se refermer sur eux-mêmes, encore pire. Ça reste douloureux jusqu’à présent, à moins que tu sois dans le déni ou incapable de reconnaître la condescendance, le paternalisme ou toutes ces saletés.

Willy Sagnol ?

J’ai entendu « Ah, il pleure ! Ah il est ému, triste, choqué ! » Fallait qu’il nous demande ce que ça fait de se sentir sous le feu des projecteurs – pour d’après lui – de mauvaises raisons ! Par exemple, la dernière fois, j’ai regardé un truc sur Facebook ; le mec qui a été sauvé le 13 novembre par son téléphone, je ne sais pas si tu as fait attention, le journaliste le tutoie. Il parle à un mec qui a 25 ou 30 ans, qui parle bien français, c’est un renoi, et il le tutoie. Ça veut dire quelque chose, tu vois ? Il y a plein de choses comme ça. Ouais c’est un renoi, il a l’accent banlieusard, mais il y a combien d’accents en France ? S’il avait eu l’accent chti ou l’accent du Jura, est-ce qu’il l’aurait tutoyé ?

Quand on grandit dans ces conditions, et qu’on s’y habitue, est-ce que le ras-le-bol ne pousse pas à se mettre en quête d’un autre type de société, d’une autre culture ? Est-ce que ça ne donne pas l’envie de partir, découvrir autre chose ?

Il y a du ras-le-bol. Après, je te dis, il y a des choses comme la paternité, peut-être qu’un jour j’aurai des gosses et je vais voir les choses différemment, de façon plus grave. Je ne sais pas. Heureusement, je te dis, tu as à la fois du discernement, du recul et il y a des jours où tu n’y penses pas, Dieu merci, sinon on serait fous. Mais on prend beaucoup plus sur nous qu’on ne le pense. Quand je dis « nous », je parle de tous ceux qui peuvent être considérés comme minoritaires. Même être une meuf en France, c’est sûrement relou de toute façon. Dès que t’es pas un homme, blanc, entre 40 et 60 ans… parce que même quand t’es jeune on va te reprocher tous les problèmes du monde !

Pour revenir à l’album, pourquoi avoir choisi comme titre « Le pays des Lumières » ?

Le choix des titres, c’est toujours une galère. Je regardais la tracklist, et c’est con mais j’avais l’impression que c’est celui qui faisait le plus « titre ». Je me dis toujours qu’il faut que le titre soit un des morceaux de l’album, même si c’est pas une règle ! Et puis parce que l’album, à travers plusieurs titres, garde en fil rouge le point de vue d’un noir, banlieusard, en France.

Donc on peut y voir un filtre rouge comme sur les photos de profil Facebook après les attentats ?

(Sourire) T’as tout compris !

En ce qui concerne tes invités, mis à part les proches attendus, seul Taïro fait office de surprise. Comment s’est-il retrouvé sur ton album ?

Je l’ai souvent écouté chanter et j’ai toujours kiffé ce qu’il faisait. Et là c’est pareil, il m’a dépanné. Parce que le refrain de ce morceau, c’est moi qui devais le faire, et j’ai réussi à convaincre personne ; ni moi ni mes soss. Pour être honnête aussi, j’avais envie que l’album soit plus varié et qu’il y ait plus de relief que sur les autres. J’ai pensé à ça, franchement, c’est pour ça que je voulais mettre des feats parce que sur Terminal 3 il n’y en avait pas.

Oui, à part « Tout seul » remix avec Vîrus…

Voilà. C’est aussi pour ça que même au niveau musical, j’ai un petit peu travaillé différemment, avec d’autres beatmakers ou même avec Saxe. J’ai essayé de plus tenir compte de la musique. Il m’arrivait parfois d’entendre une séquence dans un instru, et de dire au producteur : « Non, non, mets cette séquence-là tout le long du morceau, avec une petite variation sur le refrain ! » Et mine de rien, ça appauvrissait le truc. J’ai plus essayé de m’adapter aux variations, aux orchestrations, et j’aime croire que, peut-être à cause de ça, cet album-là peut s’écouter plus facilement. Si je me mettais à la place d’un auditeur qui n’écoute pas de rap, c’est peut-être plus facile avec celui-ci qu’avec les autres.

Pourquoi ne pas avoir ouvert carrément l’album à d’autres beatmakers, d’autres MC’s du milieu rap indé parisien ? Les avoir traité à « 99% de très cons », ça t’a peut-être porté préjudice non ?

Ahah, 99% c’est parce qu’on avait besoin d’une formule choc ! Même si c’est vrai que j’écoute très peu de tout ce qu’il se fait en rap français. Après y’a beaucoup de choses qui se font, tout n’est pas à jeter. Mais tu as dit un mot qui est révélateur : le mot « milieu ». Je ne suis pas dans le milieu rap, je ne suis pas dans le milieu rap indé, je ne suis pas dans le milieu rap tout court.

Et pourquoi fermer à une chanteuse ou un chanteur d’un autre courant musical ?

C’est pas quelque chose que je fais naturellement, instinctivement, d’aller vers les autres. Tout bêtement. Après, y’a des gens qui conçoivent le truc en terme de produit et de couleur : « Tiens, j’aimerais bien avoir son flow à lui, ce que lui raconte… » et qui n’ont pas de problème à se mélanger. Mais le côté « Michel Drucker » du truc, non. (Il prend une voix d’adolescente pré-pubère) « Ouais on est tous ensemble, tout le monde est cool, on est pareil, non lui il est formidable ! » Franchement, ça me dégoûte limite !

On ne te retrouve pas sur l’affiche du Scred Festival, réunion d’anciens et de plus jeunes rappeurs, affiche sur laquelle on aurait pu penser te retrouver ainsi que Casey. Vous n’avez pas été invités ?

Non, moi j’ai pas été invité personnellement.

Ce genre de rendez-vous…

Non, moi, ça ne me fait pas bander ! Mais à travers ce festival, il y a quand même des choses différentes, des sonorités différentes. C’est pas une uniformisation. Le danger, chez les mecs qui sont très mis en avant, je suis désolé, mais tu peux écouter 4 ou 5 albums, c’est le même disque ! Les mêmes thématiques, les mêmes beatmakers, les mêmes ambiances…

« Le danger, chez les mecs qui sont très mis en avant, je suis désolé, mais tu peux écouter 4 ou 5 albums, c’est le même disque ! Les mêmes thématiques, les mêmes beatmakers, les mêmes ambiances… »

Tu viens d’une époque où tu rappais avec des mecs comme Fabe ou Ekoué, et pour qui c’était primordial de se démarquer dans le style, dans le flow, dans le contenu. Face à cette uniformisation inconsciente, tu n’as pas l’impression d’être un dinosaure dans le rap aujourd’hui ?

Je ne sais pas si c’est si inconscient que ça. Tu sais, le rap, il est vu comme un ascenseur social, donc il n’y en a qu’un : celui qui marche en ce moment, celui qui monte maintenant, celui qu’il ne faut pas rater. Les gens veulent faire ce qui marche, et rien d’autre. Après dinosaure ou pas, je me sens comme je me sens !

L’expérience de groupe « Asocial », après le CD et la tournée, qu’est-ce qu’elle t’a apporté humainement et artistiquement ?

C’était différent ! On est 5, faut discuter, faire des compromis. Et en même temps, on ne s’imposait rien. C’est ce qu’il y a de plus frais dans le rap, partir faire des concerts ! On a fait 25 dates derrière le disque, c’était bien. Et artistiquement, c’était bien aussi. Moi, je suis un peu « le bon élève » ; dès qu’on dit « Y’a un morceau », c’est souvent moi qui commençais. C’est pour ça que sur le disque, c’est souvent moi qui commence les morceaux, et qui ai souvent amené les thématiques. Les autres se foutaient de ma gueule, disaient que j’étais le fayot (sourire). Ça m’a un peu aidé sur mon propre disque, parce qu’il y a plus de morceaux où je prends une thématique et je m’y tiens. Ce que j’avais du mal à faire auparavant. Même si c’est plus forcément ce qui est en vogue aujourd’hui, les raps à thème, c’est ce que je préfère en tout cas.

Quel regard portes-tu sur ta discographie ?

Je ne saurais pas quoi te dire ! Franchement, j’ai de la chance, j’ai pu sortir trois disques. Si tu m’avais dit ça y’a dix piges, je t’aurais répondu « N’importe quoi ! » Je suis de plus en plus à l’aise avec la réalisation d’un skeud. Et puis voilà, c’est pas la pierre angulaire de mon existence. Y’a plein de choses qui se passent dans ma vie à côté. Si je dois faire un bilan, ça serait plus général. J’ai eu la chance de faire des concerts, de bouger avec mes potes. Et puis jusqu’à présent, je n’ai pas été forcé de faire autre chose que ce que j’aime artistiquement, ça c’est une chance !

Tu nourris des regrets du type projets avortés, dates ratées, des morceaux auxquels tu n’aurais pas participé, des titres qui ont mal vieilli ?

Non, ce que je regrette, c’est de n’avoir pas continué mes études ! Putain, c’est déjà l’heure du bilan avec toutes les questions que tu me poses !

Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour cet album ?

Pfff… Souhaite-moi bonne santé ! Non, je ne sais pas… Je n’ai jamais eu le besoin ou l’obligation de faire autre chose que ce que j’avais envie de faire, faut me souhaiter que ça continue, comme ça je sais que je serai en paix avec moi-même.

Un mot de la fin pour conclure ?

Bonne chance à tout le monde ! Non, « bon chance » (rires)

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