Fayçal – l’interview « 10 Bons Sons »

Le 13 novvembre dernier, Fayçal était de passage à Neuchâtel, au Queens Kong Club où il partageait la scène Street Addict avec Lacraps. Nous avons saisi l’occasion pour revenir sur l’intéressante carrière du Bordelais à travers une sélection de dix morceaux.

1 – Fayçal – Vivants mortels (Murmures d’un silence, 2006, Prod : VII)

Mon premier album, mes premiers pas, ma jeunesse, les premiers rêves, les premières désillusions. La construction en fait, « Vivants mortels » fait partie de cette période-là. C’est un morceau humain tout simplement, dans le sens où ce que je dis dans le texte on le vit tous. Je ne voulais pas dire morts-vivants, j’ai préféré prendre le contre-pied en disant vivants mortels. C’est-à-dire des gens destinés à la mort mais qui sont en vie alors que les morts-vivants c’est plus des morts qui reviennent à la vie. Du coup c’est un truc, rien que par rapport au titre, qui est porteur d’une envie de vivre, c’est vraiment ça que je voulais faire.

On sent déjà que tu te diriges vers un univers très poétique, très lyrique…

Ouais complètement. Mais parce que c’était en pleine époque de la fac, où j’ai eu la chance d’aller après le bac et j’étais dans cet univers-là. C’est un univers qui me plaisait, les lettres et tout ça, et ça m’a beaucoup façonné en tant que rappeur.

2 – Fayçal – Lettre d’un héros (Murmures d’un silence, 2006, Prod : VII)

Ça c’est un morceau sur mon père, et à l’heure actuelle il me touche encore. Ça raconte sa vie, comment il est arrivé en France. Tout n’était pas rose mais au final il s’en est sorti par le travail. Tu vois c’était la première génération et ils n’avaient que le travail en tête parce qu’il y avait que cette manière pour construire quelque chose de solide. Nous on a eu la chance d’arriver derrière avec plus de facilités même si tout est relatif. On avait l’accès à la langue par exemple, alors que mon père il a fallu qu’il l’apprenne. C’est un morceau que je me devais de faire et je suis très content de l’avoir fait sur le premier album parce que ça montre que c’est quelque chose d’important pour moi. Et avec le temps c’est un morceau que j’aime bien dans sa construction aussi, avec la chute à la fin quand on comprend que je parle de mon père.

3 – Fayçal – Heures éternelles (Saison grise, 2008, Prod : 2FCH)

Ça c’est un morceau pour la compil de 2FCH. A l’époque j’étais dans un label qui s’appelait Sonatine, et cette compil réunissait un peu tous les rappeurs présents sur ce label. C’était une bonne époque où il y avait une bonne émulation entre nous. Maintenant c’est fini mais c’est la vie, il faut avancer. Et ce n’est pas forcément  plus mal pour tout le monde, parce qu’il y’avait des ambitions différentes. Moi ce morceau me rappelle cette époque directement et c’est des bons souvenirs quand même. Après sur le morceau en lui-même je n’en suis pas particulièrement fan.

Pourtant c’est un morceau qui revient assez souvent…

Ouais c’est vrai, c’est un morceau qui est pas mal écouté. Comme quoi il n’y a pas forcément de recette. Mais même si je l’aime bien c’est pas un de mes préférés.

Peut-être que le thème joue aussi, parce qu’il est à la fois intéressant mais il parle un peu à tout le monde.

Ouais exactement. Les heures qui s’éternisent ou qui passent vite c’est vrai que tout le monde est un peu concerné.

J’ai l’impression que la scène rap bordelaise a du mal à ressortir. C’est une ville importante en France mais au final très peu de rappeurs ont réussi à se faire connaître à l’échelle nationale…

Je pense qu’on est trop dans nos « publics respectifs ». Parce qu’à Bordeaux il y a du public pour tous les raps, donc il y a du rap pour tous les publics. Il n’y a pas forcément de confrontation, mais on n’est pas là à se dire « lui il vient de notre ville, on va le supporter pour la sortie de son album ». Même si entre nous on se respecte, il n’y a pas forcément d’union ou d’entraide.

Pourtant de ton côté on sent qu’il y a quand même une volonté de mise en avant quand on voit les invités sur les deux premiers albums.

Ouais c’est vrai que les deux premiers c’est que des gens de mon entourage. J’ai toujours aimé passer par le kif, en partageant avec mes potes. Je le garde encore mais sur le dernier album je voulais inviter des gens que j’aimais artistiquement et humainement. Tous ceux qui sont présents sur le dernier c’est des MC’s qui me font kiffer en rap français et que j’écoute.

C’est vrai que sur le dernier on a vraiment senti cette volonté de faire en sorte que chaque invité amène une valeur ajoutée.

Ouais grave. C’est vrai qu’à l’époque j’ai fait ça beaucoup plus en mode « freestyle ». Même si c’est toujours des gens que je kiffe c’était beaucoup plus brouillon. Je prenais pas forcément en compte l’univers des MC’s. Sur le coup c’était cool mais maintenant je me dis que sur certains morceaux j’aurais pu faire beaucoup mieux. Mais bon c’est comme ça que t’apprends et que tu te construis.

4 – Fayçal – Le sentier de l’écriture (Secrets de l’oubli, 2009, Prod : 2FCH)

Ça c’est le morceau qui parle de mon parcours vis-à-vis de l’écriture, comment j’y suis arrivé et comment ça s’est passé. Je n’’ai plus grand souvenir de ce morceau. C’est un peu comme « Les vestiges de ma vingtaine » mais par rapport à l’écriture. Dans le premier couplet, je raconte les premières années, comment j’ai rencontré l’écriture à l’école. Le deuxième couplet c’est plus affranchi. Avec plus de maturité et de recul.

Dans le premier couplet tu cites des classiques du rap français, on sent que tu viens quand même du rap à la base…

Ouais bien sûr. Bon j’écrivais déjà avant le rap, mais une fois que ces gars-là sont arrivés, Oxmo, Akhenaton etc., la période 1998, j’étais jeune et je m’y suis mis vraiment. C’était une bonne époque.

5 – Fayçal – La belle endormie (Secrets de l’oubli, 2009, Prod : 2FCH)

Ça c’est sur ma ville, Bordeaux. C’est un beat que je n’aurais pas forcément pris quelques années avant, qui est un peu électro au refrain. C’est pas forcément ce type de prods que j’écoutais. Mais c’est vrai que là je l’écoute et je me dis qu’elle reste dans l’air du temps avec l’électro, le côté planant, elle est assez intemporelle finalement. C’est pour ça que ce morceau a beaucoup tourné, et en plus il y a un beau clip. A la base je l’avais fait pour les gars de ma ville, pour raconter ma ville. Et après j’ai vu que les gens écoutaient, c’était cool. En plus c’est un morceau que j’ai écrit assez rapidement.

Je sais que tu aimes bien le foot, et je vois beaucoup de gens de Bordeaux dire que l’équipe de foot est un peu le reflet de la ville. On sent qu’il y a du potentiel mais que ça s’endort sur ses lauriers.

Ouais grave, c’est exactement ça, et moi le premier d’ailleurs. A Bordeaux on est vraiment comme ça. On a un beau cadre de vie donc on laisse facilement la vie couler, on n’est pas très travailleurs. Il y en a beaucoup qui taffent hein, c’est pas ça que je dis. Mais c’est vrai qu’on s’endort un peu sur nos lauriers, on paraît un peu hautains même si c’est pas forcément vrai.

6 – Fayçal – In articulo mortis (Secrets de l’oubli, 2009, Prod : 2FCH)

C’est un morceau où il y a eu plein d’interprétations. On m’envoyait des messages « Qui c’est ? ». Mais en fait c’est moi. La mort de mes 25 ans, le quart de siècle. Comme si j’étais mort à 25 ans et que je racontais mon enterrement au début et que je faisais mon testament. C’est un morceau mystique quand même. J’aime beaucoup l’instru, encore aujourd’hui avec son côté planant.

Pour rebondir ce que l’on disait sur « Heures éternelles », j’ai l’impression que ce morceau a très peu tourné, alors que selon moi il fait vraiment partie de tes meilleurs…

Ouais moi aussi c’est vrai. Je trouve qu’il est vraiment meilleur qu’ »Heures éternelles ». Il y a la même technique mais au-delà de ça il y a une thématique, un concept. Sur « Heures éternelles » il y en a une aussi mais je trouve que c’est plus facile à faire. Il est mystique aussi, il est pas facile d’accès, c’est peut-être pour ça qu’il n’a pas été écouté « à sa juste valeur ». Mais moi c’est un morceau qui me plaît donc à partir de là qu’il tourne ou pas… L’essentiel c’est d’être fier de sa musique, d’être content de ce qu’on a fait.

7 – VII – Le sang et le pain (feat. Fayçal) (Le grand chaos, 2009, Prod : VII)

Je reconnais dès les premières notes (il sourit). C’est un des meilleurs feats que j’ai pu faire. C’est vraiment une belle combinaison, entre le côté hardcore de VII et le côté mystique que je peux avoir sur ce morceau. La confrontation entre « le bien et le mal », c’est ce qui fonctionne sur ce morceau.

C’est quelque chose qu’on retrouve de moins en moins actuellement, peu de rappeurs parviennent à amener un véritable univers…

C’est vrai. Mais c’est ce qui te fait durer. C’est pour ça que j’ai pu faire trois albums. Si t’as pas d’univers, pas de technique, les gens ils t’oublient. Tu peux te renouveler mais il faut une patte.

8 – Fayçal – Mélodie d’un jour de juin (L’or du commun, 2013, Prod : DJ Yep)

Ça c’est la ville où je suis né et où j’ai grandi qui s’appelle Blaye. On était hyper excentrés de Bordeaux. Tu n’avais pas forcément de bus. Et du coup la guitare ça donne un côté « no man’s land » au truc. C’est une ville où je retourne de temps en temps parce que j’y ai de la famille. Et je voulais raconter simplement une journée là-bas, où je travaille pas, comment ça se passait. Et du coup essayer de sublimer ça en l’embellissant un peu, avec des mots. Au final mon inspi c’est la réalité. Après c’est la forme et le ressenti que j’y mets qui donnent de l’importance, sinon c’est des petits riens. Mais en même temps c’est ça le plus profond et le plus intéressant, d’où le titre de l’album.

J’ai trouvé que tu avais vraiment voulu amener un univers « ensoleillé » sur l’album complet…

C’est vrai tu as raison, mais ce morceau particulièrement quand même, parce que la guitare ça fait penser à l’été, aux beaux jours.

Au niveau de l’écriture aussi, elle est plus accessible que sur les projets précédents.

Ouais c’est ce que j’ai voulu. En fait je me rends compte avec le temps que le plus difficile c’est d’allier ma technique à des choses simples. Tu vois ma technique je peux l’avoir, des rimes croisées, embrassées, à l’intérieur des mesures. Mais ce qui compte c’est de le faire simplement, avec des images qui parlent et c’est ça qui est difficile. Et c’est encore plus difficile quand tu t’imposes des contraintes. Le challenge c’est d’aller au-delà des barrières.

9 – Fayçal – Requiem pour encre fine (feat Mysa & L’Indis) (L’or du commun, 2013, Prod : Noname)

Ça aussi c’est dans mes feat préférés. Encore aujourd’hui je me dis « qui est-ce qui dépasse ces gars-là ? », sans être condescendant ou méchant envers la nouvelle génération. Mais au niveau des lyrics, des images et de la technique, qui est-ce qui arrive à leur niveau ? Après il y a des nouveaux flows, des nouvelles interprétations, des nouvelles choses qui arrivent, mais purement lyriquement il y a des sacrées pépites. C’est un morceau qui est propre au sens noble. On a essayé de rendre hommage au rap tout simplement. On voulait montrer qu’on pouvait amener une qualité d’écriture en faisant du rap. Pas forcément pour les billets ou pour la gloire mais parce que c’est cool. Parce qu’on sait faire ça et que c’est une démarche positive. La poésie c’est ça aussi. « Requiem pour encre fine » c’est un chant à la mort des fines plumes. Que ce soit Mysa, L’Indis ou moi-même, on parle de comment l’industrie est gangrénée, comment des gens sans forcément de talent, en misant beaucoup plus sur l’image arrivent à marcher. Après c’est la société qui veut ça.

10 – Fayçal – 29,5 (Inédit, 2015, Prod : Face B de RZA & MF Doom)

Instru classique. En fait j’avais un peu mis le rap de côté, et je reprenais gentiment l’écriture. J’avais envie de faire un morceau dans la continuité de ce que j’avais fait. J’aime bien rapper et écrire sur ce genre de beats. J’aimerais expérimenter d’autres sonorités aussi c’est important et surtout enrichissant. Sur ce morceau-là c’est de la nostalgie. Le temps qui fait son affaire et toi tu es là. La vie va vite et tout se finit. Les choses passent. C’est un morceau sur la vie tout simplement. Je raconte un peu ce qui s’est passé en un an.

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