STICK : l’interview « 1 MC 2 plus »

C’est par un après-midi ensoleillé de la fin du mois d’août que nous sommes allés rencontrer le MC toulousain, membre du groupe Parazit, qui s’apprête enfin à sortir son premier album : « 1 MC 2 plus ». L’occasion de siroter une bière en terrasse, mais aussi de revenir en détail sur la genèse de l’opus, ainsi que sur son parcours, ses influences, ses activités au sein du label Crazy Motherfuckers Records, la scène locale, et encore plein d’autres sujets… Rencontre avec Stick :

Peux-tu nous retracer tes débuts dans le Hip Hop ?

Ça fait longtemps que j’écris, depuis petit. J’écrivais surtout des scénarios, des petites histoires. J’ai commencé à écrire mes premiers textes en 2000, à 14 ans. J’ai pas été très actif jusqu’en 2011, année où j’ai commencé à faire de la scène et à m’y mettre plus sérieusement.

Je suis tombé sur des nouvelles de toi sur le net.

J’en écris de temps en temps, là j’essaie d’écrire un truc un peu plus long, je ne sais pas trop encore ce que ça va donner. Je publiais des nouvelles, j’avais un blog mais ça a été supprimé.

D’où vient ton blaze, Stick ?

Ça vient du graffiti. On essayait de graffer un petit peu au lycée avec CMF, toujours la même équipe : Swed, Meda et moi-même. J’avais essayé de trouver un blaze avec des lettres un peu cools… Au début j’étais parti sur Balistik. C’était super long donc j’ai juste gardé le Stik à la fin, puis c’est devenu Stick. Je me suis dit que ça faisait le petit bédo, genre le petit joint qui te déchire même si tu ne t’y attends pas. Je l’ai gardé, même s’il y a plein de gens qui ont le même blaze… C’est un peu chiant mais ça fait 15 ans que je le porte, donc du coup je le garde.

Tu sors ton album « 1 MC 2 plus », peux-tu nous expliquer le choix du titre ?

À la base c’est un vieux titre, j’avais eu l’idée en 2003. Au début c’était plus pour aller à contre-courant, pour faire un petit truc un peu négatif, défaitiste genre « Je suis juste un MC de plus », au lieu de faire « J’arrive, je suis le meilleur ! » Après il y avais aussi le délire de la liste comme dans Kill Bill : tu mets comme des noms de MC’s, tu en tues un, tu le rayes, ça fait un MC de plus. Ça correspondait bien à mon son un peu plus défaitiste, c’était un peu plus cool donc j’aimais bien ce titre. Au final ça n’a plus grand chose à voir mais j’ai gardé ce titre, qui prend encore un autre sens une fois qu’on à écouté tout l’album…

Dans la même veine, en terme de titre, il y a l’album d’Orelsan, « Perdu d’avance ». Ça lui a porté chance…

Lui ça lui a porté chance ! (rires) Quand son album est sorti j’avais plein de titres qui ressemblaient à ce qu’il faisait. On avait des phases en commun, c’était fou. Ça m’a saoulé. Pour son album à l’époque il avait fait des petites pubs, du style il joue au poker, il a un jeu tout pourri… C’est des trucs que je voulais faire ! Des trucs tout cons : par exemple t’es dans un abribus, des flics passent, ils te contrôlent. Pourquoi ? « Un MC de plus ». Ça arrive à tous les MC’s. Du coup quand son album est sorti j’étais dégoûté. C’est un peu à cause de ça que j’ai lâché les sons un peu cools, façon défaitiste. Après j’ai tout le temps alterné entre le sombre et le con. Mais j’ai un peu lâché le côté con pour l’assombrir un peu, pour ne pas que ça fasse le même délire que ce monsieur.

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Quand as-tu commencé à bosser sur ce premier album ?

Concrètement, j’ai commencé à le taffer en 2008-2009. « Dégénérés » c’est un des premiers que j’ai écrit comme je t’avais dit (cf 10 Bons Sons en mai 2014), donc ça va faire 4-5 ans que je suis dessus.

Effectivement tu nous avais dit que tu étais parti de ce morceau-là, et que tout s’était articulé autour.

J’avais déjà plusieurs idées, des thèmes, des sons déjà écrits, je n’avais pas forcément les instrus. Mais « Dégénérés » c’est le premier titre que j’ai enregistré pour l’album, en même temps que l’intro. Et à partir de là ça a commencé à se construire autour. Je voulais raconter l’univers vers lequel j’allais, à quoi ça allait ressembler même au niveau des sons. C’est vraiment autour de ce morceau que ça s’est goupillé.

Qui va-t-on retrouver à la prod ?

C’est très éclectique, mais il y a tout l’entourage : c’est surtout les potes. Il y a Al’Tarba, Swed, Toxine, Metronom, Nizi, Tiwaan, NaDaDrop, Fonka, Goune, I.N.C.H. et Zenghi qui s’est rajouté récemment.

Comment s’est effectué ton choix ? Tu avais des commandes ou bien eux t’ont fait des propositions ?

Sur tous les morceaux de l’album ça s’est joué différemment. Il y avait des morceaux que j’avais déjà écrits et pour lesquels je cherchais des prods qui collent. J’avais même des morceaux que j’avais écrits sur d’autres prods à la base, mais qui ont été remixés. Par exemple j’avais un morceau sur une prod de Swed, mais il y avait quelque chose qui me gênait, et I.N.C.H. m’a fait un remix. Il y a un son de Tox’ comme ça aussi, mais c’était sur une prod de lui à la base. On a changé il y a deux semaines. On a fini l’album il y a deux semaines en fait.

Donc ça dépend : il y a eu des sons inspirés par des instrus, des instrus ont été inspirées peut-être par des textes, ça a changé jusqu’à la dernière minute. Il y a six mois l’album n’avait rien à voir avec ce qu’il est aujourd’hui.

C’est vrai que ça fait quelques mois qu’il est censé sortir « sous peu »…

L’album aurait pu sortir en décembre dernier, mais il aurait été beaucoup moins bien je pense. Les titres que j’avais en tête y figuraient, j’avais quasiment mes 18 titres, il manquait juste un ou deux trucs à enregistrer. Entre ce moment-là et aujourd’hui, il y a eu des morceaux qui se sont rajoutés qui étaient pas censés y être… Et au final on arrive à un truc mieux que si on l’avait sorti l’année dernière.

Certains rappeurs disent qu’il faut savoir fixer une date limite à l’enregistrement d’un album…

C’est tout à fait ça. Perso cet album j’en peux plus ! (rires) Ça fait trop longtemps que je suis dessus. Et tu peux jamais te dire : « Ça y est il est parfait, il est merveilleux ! » Tu trouves toujours des trucs à refaire : une autre instru, un autre couplet, une autre phase. En plus je bosse pas mal en mode autiste : j’enregistre un son, et je vais l’écouter 10 000 fois à chercher ce qui va pas. C’est ce que je fais en ce moment avec l’album, en me disant que je ne touche plus à rien, plus pour le mastering. Mais je ne réécris ni n’enregistre plus rien. Ça fait deux mois que j’ai posé les stylos. Il y a toujours moyen de l’arranger, mais à ce rythme-là tu n’en finis jamais. C’est le syndrome « Detox » ! (rires)

La petite imperfection peut avoir son charme aussi…

Il y en a qui n’aiment pas, moi j’aime bien le son crado. 36th Chamber du Wu-Tang, tu l’écoutes, foncièrement il est dégueulasse, et pourtant c’est du génie.

Qui va-t-on retrouver en featuring ?

La famille. Pedro (son acolyte au sein de Parazit, ndlr), Melan, Rahma le Singe et Sad Vicious des Droogz Brigade, et Goune. Juste entre copains, on n’a pas été chercher trop loin pour le feats. J’ai vraiment voulu présenter mon univers, et les gens qui gravitent autour principalement. Et c’est pas un MC, mais DJ Hesa a placé quelques scratchs sur l’album.

Avec CMF vous avez programmé une bonne partie du rap indé à La Dynamo, et donc tu as eu l’occasion de rencontrer beaucoup de monde. On imagine que tu aurais pu inviter des gros noms…

Ceux qui posent sur l’album sont des gens avec qui j’ai des rapports autres que le rap. Je les vois tous les jours, c’est des potos. À une époque j’aurais bien aimé faire des feats avec des gros blazes. Maintenant je commence à m’en foutre un peu, ça m’intéresse pas plus que ça. Après il y a des gens avec qui je me verrais bien poser, mais je ne ferai pas la démarche d’aller demander… Si ça se fait naturellement, qu’on se retrouve dans un studio avec une instru et qu’on pose, pourquoi pas ? Mais faire la démarche exprès ça ne me branche pas plus que ça.

Parle-nous un peu de la pochette de Shalik qui a fait son petit effet…

C’est le rappeur Docteur Shalik membre du groupe Le Cri De Banban (un groupe de Rouen) qui l’a réalisée, son blaze de graphiste c’est juste Shalik. C’est mon jumeau maléfique : un gros barbu qui aime les comics, SOS Fantôme et ces trucs à la con… Et le rap. Il avait fait la pochette d’Al’Tarba & Lord Lhus [pour leur album commun Acid & Vicious], il a aussi fait celle du prochain album d’Al’Tarba, qui défonce. Il a un style comics qui me fait kiffer, d’un dessinateur que j’aime particulièrement, Joe Madureira (Joe Mad!) qui est un gros tueur. Après Shalik a beaucoup de styles différents, il fait aussi de la peinture… C’est son taf, il est vraiment très fort. Et comme dans sa vibe comics il avait ce côté proche de ce dessinateur qui me faisait kiffer, c’était une évidence que ce soit lui qui me fasse la pochette.

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Si on regarde les sorties du label Crazy Motherfuckers Records, il y a eu Acid & Vicious, maintenant il y a ton album, celui d’Al’Tarba qui arrive. Shalik va continuer à réaliser toutes les pochettes ? Je demande parce qu’il a repris l’étiquette d’Acid & Vicious.

C’est une idée à lui, il a fait ça pour le clin d’oeil. Moi ça me fait kiffer. C’est encore une référence, ça se fait beaucoup dans les comics. Image Comics utilisait beaucoup ce concept de l’étiquette, qui reprenait un truc symbolique des albums d’avant. J’ai trouvé ça stylé, ça peut même amener un délire pour les futurs projets : reprendre à chaque fois dans la petite étiquette un dessin de la pochette du projet qui est sorti avant. Après je ne sais pas comment ça va se passer, ce ne sera pas forcément lui qui fera toutes les prochaines pochettes. Déjà pour la mixtape de Goune (Ricky Martin) c’est une photo, l’album des Droogz on sait pas encore…

Il y a donc un album de la Droogz Brigade dans le four ?

Oui, ça arrive, ça arrive… Ils sont en train de très bien taffer en ce moment. Ils se sont bien bougés, Al’Tarba était sur Toulouse cet été. Ils ont commencé à enregistrer des trucs… Et franchement, je pense déjà que ça va être mon album préféré de rap français de l’année prochaine. Ça va être une grosse tuerie. Après c’est pas facile ils sont un peu éparpillés.

Label, organisation de concerts, sorties, merchandising, distribution, collectif… Parle-nous un peu de Crazy Mother Fuckers Records.

À la base ça part d’un délire de potos : Swed, Meda et moi. On est partis dans ce délire CMF, on avait le blaze, on l’écrivait sur les murs, on le gueulait dans les micros… Il n’y avait pas de forme, que dalle. Après on est devenu une asso, puis un label. Et en même temps, quand on part en concert avec les Droogz pour des tournées, c’est une sorte de collectif : l’équipe CMF. Comme une grande famille… (rires)

On sent des influences communes entre Parazit et Droogz Brigade, vous vous connaissez depuis longtemps ?

Ça ne fait que trois ans qu’on se connaît. On a tout de suite accroché. Je les connaissais par leur musique. La première fois que j’ai entendu leurs sons, je me suis dit : « C’est quoi ces types qui écoutent du Jedi Mind, du Ill Bill, qui parlent de heavy metal ? ». On avait les mêmes références ! À une époque où à Toulouse tout le monde écoutait Sefyu, j’ai découvert qu’il y avait des gens dans cette ville qui écoutaient les mêmes choses que moi, qui faisaient la même musique. Je ne pensais pas que ça existait. Après on s’est rapproché, je leur ai proposé de faire un son sur une prod de NaDaDrop, un truc dubstep, il y a trois ans, qu’on n’a jamais fait au final. Entre temps on a fait d’autres trucs, ça a bien collé, et on traîne ensemble. C’est assez évident comme rapprochement.

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Avec CMF, vous avez programmé une bonne partie du rap indé à la Dynamo, et fait jouer la scène rap toulousaine dès que c’était possible. Peut-on parler d’activisme ?

À la base pas du tout. On est plutôt des gros branleurs qui chambrent les activistes. En fait c’est partie sous l’impulsion de Swed : la première fois où on s’est bougé le cul, c’était fin 2010, on a monté l’asso. On s’est dit qu’il était temps de monter quelque chose de concret, de façon à pouvoir sortir mon album, l’idée étant d’avoir notre structure à nous pour le faire. Swed nous a dit qu’on devrait faire un concert, et il a eu l’idée de faire un plateau avec Flynt, Demi Portion et Pejmaxx. C’est le premier concert qu’on a fait, en se disant que ça faisait longtemps qu’on avait pas vu de concert de rap qu’on aime nous à Toulouse. De là on a rencontré Pedro, et on commencé à faire des concerts dans ce style plus régulièrement. Après personnellement, même si j’aime les concerts, j’essaie de plus me concentrer sur le label. L’orga c’est pas forcément un truc que je rêvais de faire, même si on a eu des moments de ouf en organisant des concerts.

Quelques mots sur la scène locale ?

Elle est plutôt active. Toulouse est devenu une bonne ville, et ce n’était pas forcément le cas il y a quelques années. Après la période KDD, à part des rares groupes comme Sarrazin qui ont toujours été là de façon active, ou même L’Assemblée, il n’y a pas eu grand chose… Juste des petits trucs qui sortaient vite fait. Ça a longtemps été une traversée du désert. Puis avec l’arrivée des Polychrome, Droogz, ça a commencé à se remuer un peu, à taffer dans l’ombre. Et maintenant ça commence à porter ses fruits. Mais Toulouse n’est pas encore reconnue à sa juste valeur. À une époque on parlait beaucoup des deux grandes villes Paris et Marseille. Aujourd’hui, en terme qualitatif, Toulouse occupe une bonne place. Il y a beaucoup de styles différents, du sombre au smooth, avec de la qualité à chaque fois : Klams, Bigflo & Oli, Furax, Omerta, Billy Bats… Il y a une effervescence, tu sens qu’il se passe quelque chose, même si ce n’est pas trop sorti d’ici.

C’est quoi la suite pour toi ? Quelque chose avec Parazit ?

On doit faire un EP avec Parazit, on a déjà quelques prods de côté. Je travaille en parallèle sur mon deuxième album, j’ai quelques instrus de côté, quelques thèmes, ça commence à prendre forme.

Le mot de la fin :

Écoutez l’album ! Et un gros big up à Metronom qui est en train de se taper le master et le mix, qui fait le sale boulot… Parce qu’écouter toutes ces saloperies à longueur de temps, c’est pas bon pour la santé ! Un gros big up aussi à tous les gens qui ont taffé sur le skeud, de la pochette aux clips, en passant par le mix, ainsi qu’aux personnes chez qui j’ai pu enregistrer, sans qui je n’aurais pas pu faire ce merveilleux CD ! (rires)

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1 MC 2 plus : disponible sur www.cmf-records.com.

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