Stick et Swed, le retour du Doom-Bap

Le réseau underground de la ville rose recèle en elle plein de trésors que les oreilles attentives savent déceler. Il faut, pour les trouver, chercher dans l’ombre et creuser en-deçà du plus visible, mais ce qu’il en ressort est de l’ordre du diamant brut. Stick et Swed font partie de ceux-là. Bien entendu, l’un comme l’autre, membres fondateurs de « CMF » et du label du même nom en 2010, n’en sont pas à leur coup d’essai : le premier album 1 MC 2 plus du rappeur date de 2014 alors que le beatmaker distribue ses instrumentales depuis plus d’une quinzaine d’années. Les classes ont donc été faites il y a longtemps.  La question se pose alors : Pourquoi n’en avez-vous pas entendu parler ? Plusieurs réponses sont possibles (nous vous laissons choisir celle qui vous convient) : (1) parce que vous ne lisez pas lebonson.org ; (2) parce qu’il y a une tendance naturelle de l’être humain à préférer la joie à la tristesse ; (3) parce que vous entendez mais que vous n’écoutez pas.

S’il fallait prouver par l’exemple qu’il n’y a ni causalité ni corrélation entre le talent d’un artiste et le succès qu’il rencontre, Stick serait un exemple de choix. Peu de rappeurs ont cette capacité de mêler poésie et vulgarité d’une manière aussi fine et brutale. Car l’écriture de Stick n’est comme nulle autre dans le rap français : elle dispose l’esprit à une certaine mélancolie et le ramène perpétuellement à la violence du réel. S’il chante la vie, c’est en même temps avec la mort tapie derrière. « Poésie sombre » dit-il de lui-même dans « Roi des ombres ». Et c’est dans ce domaine qu’il excelle.

Swed est l’artisan du rayon du fond. S’il remplit, comme tout bon beatmaker, le rôle ingrat qui est de magnifier le rappeur, la place qui doit être occupée sur un album commun est différente. Comment se partager équitablement la piste quand un autre passera son temps à proférer des immondices sur la musique ? S’il faut un orgueil démesuré pour être rappeur (il faut premièrement considérer que l’on a des choses à dire et deuxièmement que ces choses sont intéressantes), il faut une humilité toute aussi importante pour être beatmaker. Ce ne sont pas les interludes qui suffisent à donner le change. Toutefois, les deux comparses ont trouvé une solution plaisante : un son hommage « beatmaker » qui conte, sous la forme d’un story-telling, les déceptions de ces hommes de l’ombre ; une complicité qui transpire du premier titre au dernier, très clairement audible dans l’ambiance qui est créée par l’album.

Globalement, l’univers des artistes du label CMF est particulier. S’il n’est pas possible de considérer, à proprement parler, qu’il s’agit d’un rap « alternatif », il convient quand même d’affirmer que l’on ressent des influences musicales marquées, notamment le métal et le punk, qui donnent une coloration surprenante à la musique. Peut-être est-ce là une raison pour laquelle le succès reste limité à un public restreint ? En tout cas l’originalité est certainement à ce prix, et celle-ci peut ne pas plaire à tout le monde.

De fait, après quelques expérimentations musicales plus ou moins réussies sur ces derniers albums, Stick est revenu avec Doom-bap sur le terrain qui lui sied le mieux : celui du boom-bap bien sombre. Les thèmes d’écriture sont classiques (l’échec, les relations interpersonnelles, l’école, le rap, la misère, les drogues et la défonce…) mais les tournures de phrases sorties de l’esprit dérangé de Stick apportent ce qu’il faut pour rendre l’ensemble original. Swed n’est pas en reste et la musique a ce ton mélodieux qui permet d’avaler l’album d’une traite. Celle-ci accompagne parfaitement le flow, et même sur un titre comme « Magnétoscope » dans lequel on entend principalement les percussions, l’ajout subtil des plages mélodiques derrière est fait avec goût. Les deux artistes en featuring, Pedro et Melan, apportent la touche extérieure au duo mais restent des habitués puisqu’ils étaient déjà présents sur le premier album.

En conclusion, Doom-bap est un excellent album qui satisfera les auditeurs habituels du label « CMF », eux qui auraient pu être moins à l’aise avec les albums précédents du rappeur toulousain. En proposant un retour aux sources dans la lignée d’1 MC 2 plus tout en ajoutant l’expérience des projets précédents, une finesse musicale, des textes riches sur des thèmes classiques, Stick et Swed sont parvenus à faire un projet cohérent et plus que réussi. Ainsi, l’hommage à  MF-Doom, que laisse entendre le choix du titre de l’album, n’est pas en vain. Le succès commercial ne sera certainement pas au rendez-vous, mais les années passant, il n’est peut-être plus ce qui est recherché. Un album à écouter d’une oreille attentive, et si les finances vous le permettent, à acheter !

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