Amarok, un loup avec un micro

Nous sommes dans une forêt sombre. Le ciel est gris, annonçant l’orage et les arbres sont secs, probablement ceux d’un début d’hiver. Çà et là gisent les cadavres d’une société déchue, pourris de l’intérieur et dévorés par d’énormes mouches. Au loin, on peut entendre les cloches du requiem de ce bas monde. Seul, un loup traverse ce chaos d’un pas lent mais sûr. Il a laissé sa meute pour se lancer dans le monde en solitaire. Enfin, pas vraiment seul, il a gardé quelques artefacts de ses frères de crocs les plus fidèles : Marcelo, Raz Poutine, Archimage, Sidi, Fonka, Letik et Stab.

C’est donc le premier album du rappeur de LaBelge, collectif regroupant entre autres Syntax ou les beatmakers Archimage, Marcelo et Raz Poutine. Un essai résolument sombre à tous les niveaux, intitulé L’appel à la meute. Amarok, reconnaissable à sa voix semblable à aucune autre si ce n’est à celle de son compère de meute Syntax, possède une écriture poignante et soignée, tout en gardant une technique certaine. Le fond et la forme sont en parfaite osmose, car les thèmes sont nombreux. Dans L’enfer de la def, nous avons droit à un storytelling d’un jeune qui raconte comment la drogue, même douce, peut être dramatique. Dans Liberta, la liberté est traitée de manière originale en parlant du côté spirituel du concept.

« Je serai libre le jour où personne n’aura à me dire que je le suis »

Nous pourrions parler de tous les thèmes traités dans cet album mais cette chronique serait beaucoup trop longue. Nous allons nous arrêter un instant sur le magnifique Ma muse qui traite de l’inspiration du poète. Amarok nous parle de la sensation de solitude quand il n’arrive pas à écrire. Cette effroyable impression de se retrouver comme un loup sans proie. Le texte est réellement splendide et exécuté dans un mélange parfaitement dosé de spontanéité et de maîtrise. Il est certes bien aidé par l’instrumentale simple mais parfaite de Marcelo, agrémenté de quelques scratchs. Techniquement, le belge ne s’aventure pas en terre inconnue et garde un flow lent et serein. Il a pour lui une voix spéciale qui prend aux tripes et qui transmet une certaine émotion grâce à son intonation. Toutefois, il ne rechigne pas à s’essayer à des assonances et allitérations relativement bien maîtrisées dans l’ensemble. Généralement, on reste dans un domaine de rimes à trois syllabes, sans schéma précis. On peut également entendre certains refrains chantés, ceux de Syntax qui  ne sont pas de mauvais goût. C’est d’ailleurs le seul invité de l’album.

Musicalement, l’album n’est pas aussi pauvre qu’il le laisse croire. Si la majorité des prods sont sombres et mélancoliques, il y a certaines exceptions. La première est évidemment la boucle courte et les drums légers de Sidi sur Dans ma tête, qui donnent un résultat plutôt enjoué. Raz Poutine signe lui une prod assez spéciale, avec un sample plutôt inquiétant composé de seulement deux notes dans L’enfer de la def. Fonka, reconnaissable à ses lignes de drums puissantes avec la snare qui claque, signe une jolie instrumentale qui sort également des barrières de l’album sur Sombre. Sinon, la plupart des prods sont signées Marcelo qui garde une ligne directrice assez claire. Les prods sont simples avec des boucles de piano ou de violon diablement efficaces et qui concordent parfaitement avec les textes qu’elles ambiancent. Seule exception, l’unique extrait qui a précédé le lâché dans la bergerie du loup belge, Fils de loup, sur laquelle il offre une prod dynamique avec uniquement des voix d’opéra en guise de sample.

Nous sommes dans une vision pessimiste de ce bas monde. Ce loup un peu spécial enjambe les décombres, un cahier et un stylo lui semblent suffisant pour affronter cette sinistre forêt. On peut noter la sincérité qui émane des versets qui guident l’auditeur. Le somptueux Dégradé de noirceur, point d’orgue de l’album en est le parfait exemple. À force d’errer dans cette forêt, Amarok a su trouver la bonne formule pour associer la spontanéité et le rap venant du fond de lui-même avec une certaine structure et un travail sur la forme. De plus, il a su faire quelque chose de rare actuellement ; créer un univers qui lui est propre et construire un album de manière cohérente, titulaire d’une homogénéité remarquable. Pour acheter « L’appel à la meute », une seul adresse.

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