Rocca – l’interview « 10 Bons Sons »

Nous avons rencontré Rocca à l’occasion de son concert à Toulouse, organisé le 24 avril dernier au Connexion par Qualidistrict. L’occasion pour nous de lui soumettre 10 morceaux de sa discographie, depuis ses débuts avec La Cliqua jusqu’à ses derniers faits d’armes en solo, en passant par La Squadra, Tres Coronas, et ses premiers albums solos. 20 ans de carrière pour une interview de 25 minutes. Un peu court pourraient penser certains, mais c’est sans compter sur le débit du MC franco-colombien. Rocca, pour Le Bon Son :

1 – Rocca – « Comme une sarbacane » – 1995

C’est le premier vrai morceau que j’enregistre comme Rocca de La Cliqua en solo [issu de l’EP de La Cliqua Conçu pour durer,ndlr]. La Cliqua était un groupe avec plusieurs entités : Daddy Lord C, Rocca, La Squadra, Coup d’Etat Phonique qui comprenait plusieurs MC’s… Il y avait plein de gens autour. Et là chacun faisait un solo. « Sarbacane » c’était le premier morceau où on m’a dit : « Vas-y Rocca, c’est toi là. C’est pas La Cliqua, mets ta saveur. » Et j’ai fait « Comme une sarbacane » dans lequel tu retrouvais direct la cohérence de mes origines, du hip-hop, de ce truc à la fois colombien et parisien… J’ai planté mon univers en trois couplets, avec des rimes, des métaphores, un swing qui étaient inédits pour l’époque. C’est pour ça que c’est devenu un classique. Quand j’ai sorti ce morceau-là, je me suis dit qu’il fallait que je montre tout mon acharnement pour la rime. Et puis c’était l’engouement : je devais avoir 18-19 ans, avec toute la hargne que j’avais à cette époque-là. C’est devenu un classique, je le rappe encore sur scène, on me le demande. Les paroles étaient très bien pensées, je pense que j’ai toujours été un artiste qui réfléchit quand il écrit, c’est pour ça que ça perdure. J’ai ressorti ce morceau en 2003 avec « Sarbacane 2003 ». Si tu fais attention j’utilise les mêmes fins de rimes dans le premier couplet en changeant l’interprétation.

Sur le couplet de « Labyrinthe » des 2Bal 2Neg’, tu replaces l’expression « Comme une sarbacane » comme une référence volontaire à ce morceau ?

Exactement, dans l’underground on me connaissait avec ça. C’était pas comme aujourd’hui avec internet, où on voit ta tête, on sait qui t’es. Au début il n’y avait que ta voix et la rue. Je me rappelle il y avait des rumeurs qui disaient : « Rocca c’est un renoi de 2 mètres« . Comme je trainais avec Daddy Lord C, les gens pensaient « Black Dragon », et quand ils me voyaient ils était impactés. Et dans le game ils avaient pas l’habitude de voir un latino, ils n’en avaient jamais vu ici ! Je fais partie de la première vague de latinos. Dans le rap américain il y en a plein, mais dans le rap français il n’y en avait pas. Ça changeait des cé-fran, des rabzas, des africains ou des antillais. D’un coup c’était un colombien et j’ai amené ma saveur. « Sarbacane » c’était la touche. Les gens m’appelaient « le colombien qui sait parler français ».

2 – Rocca – « Les jeunes de l’univers » – 1997

À cette époque-là j’écoutais une chanson à la radio de Michel Berger, et j’ai entendu la loop [boucle, ndlr] et je me suis dit « Oh la boucle de bâtard !« . À l’époque personne ne samplait de musique française. C’était toujours de la musique américaine, de la soul, personne piochait jamais dans des trucs français. Je suis allé chercher le disque, je l’ai filé à Lumumba, qui m’a produit une bête de prod. Quand j’ai commencé à écrire ce morceau, c’était de manière très profonde et spontanée, parce que j’avais des problèmes dans ma famille. Je ne pensais pas du tout que ça allait être le single de l’album, mais alors pas du tout. Pour l’album Entre deux mondes on s’est dit que le premier morceau qu’on lâcherait ce serait « Entre deux mondes » justement, pour la rue.

Mais il a une dimension universelle quand même « Les jeunes de l’univers »…

Oui mais je ne pensais pas faire un hit avec. On savait que c’était un bon morceau, mais on avait les cartouches ailleurs. À l’époque ce qui plaisait c’était des morceaux comme « Sous un grand ciel gris » par exemple, plus mélancoliques. Un morceau avec un message comme ça et une touche d’espoir c’était inédit. C’est un des premiers morceaux « underground » qui a été joué sur des chaînes comme NRJ, Skyrock… C’est un morceau qui d’un coup m’a fait exploser et connaître le showbiz, que je ne connaissais pas du tout.

Qu’as tu pensé de la reprise par Laâm ?

C’est même pas qu’elle l’a repris : ils ont pris une meuf rebeu qui chante, et ils lui ont dit : « Il y a un petit gars qui cartonne tout en ce moment mais c’est trop rap, reprends la chanson de Michel Berger mais sans lui.« 

Ça s’est passé comme ça ?

Ça s’est passé comme ça. Un gros boycott envers moi de la part de l’industrie. Parce que quand ils me voyaient moi, ils voyaient que je n’étais pas trop commode. Et j’étais avec La Cliqua. Quand on arrivait aux plateaux télés ils voyaient le bordel. C’était pas un gars manipulable qu’ils avaient en face. C’était un gars réfléchi, intelligent, street, avec du caractère, qui sait ce qu’il fait. Ça ne les arrangeait pas. Le showbizness quoi.

3 – La Squadra – « Un dernier jour sur Terre » – 1998

Morceau de dingue de La Squadra. D’ailleurs tous les morceaux de La Squadra sont dingues : « Requiem », « En dehors des lois », « Là d’où l’on vient », « Un dernier jour sur Terre », « Les quartiers chauffent »… Ils sont tous dingues. C’était le duo de choc.

Sur « Les quartiers chauffent«  il y a Raphaël aussi…

On l’a mis au refrain, mais au début c’était un truc de La Squadra. Daddy et moi on formait une équipe de choc à cette époque-là.

Il avait été question d’un album de La Squadra… 

Oui, mais ça ne s’est jamais fait, c’est dommage. C’était vraiment un duo de choc : sur scène, dans la vraie vie, dans l’intimité comme dans le professionnel. Quand le colombien et l’africain kickaient en freestyle c’était un truc de fou.

Ce morceau était sorti sur le Cut Killer Show

[Il coupe] C’était le bordel quand on jouait ce morceau-là. Petite anecdote : un jour, je ne sais pas où on va jouer, avec Daddy et Cut (Cut Killer faisait une tournée Cut Killer Tour), on dit à Cut : « Si tu nous mets au milieu, ça va partir en couilles. Mets-nous à la fin de ton show ou tu vas pas pouvoir terminer. » Mais il y avait d’autres gars qui voulaient passer en dernier. Et c’est parti en bagarre générale. À chaque fois qu’on jouait ce morceau-là ça partait en bagarre générale en fait, comme des émeutes d’excitation. Il y avait plein de gars de cités, et donc ça poussait le verre d’un mec et ça partait en couilles. Tout le temps. Ce son les rendait dingues.

4 – La Cliqua – « Né pour ça »

Prod de dingue de Gallegos. J’ai toujours aimé cet album-là, l’album de la licorne [en référence à la pochette, ndlr]. Il a été boudé quand il est sorti, c’est d’ailleurs pour ça qu’on a arrêté La Cliqua. On estimait qu’on avait fait le top musicalement, mais à ce moment-là il y avait une souffrance dans le rap français. Les gens ne faisaient attention qu’aux groupes diffusés sur Skyrock. Ils ne faisaient plus trop attention à ce que balançait la street. Le public suivait comme un mouton. Et cet album-là est sorti, et les fans n’ont pas compris la pochette, ils n’ont pas voulu écouter l’album. Ils étaient trop collés à des images qu’ils voulaient voir, et donc l’album est passé à la trappe. Alors que si tu le ressors aujourd’hui c’est une balle atomique : les lyrics, les ambiances musicales…

La pochette intriguait à l’époque c’est vrai.

Ils ont pas aimé, elle faisait rock. Alors qu’il était dingue cet album, il avait des scratchs de ouf, des samples de malades, il était dark ! On s’attendait à ce qu’il ait plus d’impact, et il n’a pas été reçu comme tel.

Il a été assez peu diffusé…

Ils l’ont boycotté direct. Trop hardcore.

Et Skyrock n’a pas voulu profiter du buzz des « Jeunes de l’Univers », de ton album ?

Non, et puis à l’époque on commençait vraiment à s’embrouiller avec Arsenal, il y avait une division entre les artistes et le label, et c’est parti en couilles.

5 – Rocca – « El original » – 2001

Ce morceau je l’ai fait au moment d’Elevación. Je me suis dit : « Ça y est j’ai sorti un album, j’y parle de l’Amérique Latine, il est temps que je mette MA saveur. » Ça c’est une prod à moi, une de mes toutes premières, avec ma MPC. J’ai fait venir des potos musiciens : des cubains, vénézueliens, colombiens. On a taffé tous ensemble sur ce morceau-là pour que les gens voient que je pouvais être plus vaste que ça, rapper en deux langues, avoir le même flow dans les deux langues. J’ai fait deux versions, et la version en espagnol a été un hit en Amérique Latine qui m’a ouvert les portes aux Etats Unis. Fin 2001 je vivais déjà à moitié là-bas. C’est un très bon souvenir ce morceau-là, il m’a permis de me voir plus comme un artiste international et pas seulement de rap français.

Tu n’as jamais eu envie de revenir avec un album façon Entre deux mondes ?

Non, et c’est pour ça que l’album s’appelle Elevación. C’est pour ça que je parais frais, tout comme ma musique, mon flow. Parce que je ne refais jamais  les mêmes choses. L’idée était de passer à autre chose que ce que j’avais fait avec La Cliqua. Il me fallait passer à un autre niveau. Tous mes albums ont ce concept de toujours mieux faire, apporter quelque chose de nouveau. Je ne vais pas réexplorer des choses que j’ai déjà faites, ça me fait chier.

6 – Rocca – « Avril 75 » – 2001

Une prod de Chris, chanmé. Il faisait les prods pour 45 Scientific. Je l’ai rencontré par un pote à moi qui s’appelle JM, qui chante, un pote de quartier. Il m’a présenté Chris et on s’est kiffé tout de suite. J’avais jamais posé sur ce type de prod, avec un groove de cette couleur. Et voilà, c’est un morceau qui parle sur ma life, vu qu’avril 75 est mon mois de naissance, et qui raconte comment j’ai grandi jusqu’à prendre le micro. C’est ce que j’appelle le Rocca « très écriture ». Tu sens que la prose et la rime sont affûtées. Rocca peut avoir plusieurs facettes : je peux déconner, être conscient, très hardcore, et aussi soul et poétique. « Avril 75 » a ce côté-là plus poétique.

7 – Tres Coronas – « Falsedades » – 2001

Le hit. Ce morceau-là, ils le connaissent pas en France. Il y a des gens qui osent dire : « J’ai plus de classiques que Rocca. » Mais ils oublient que j’ai des classiques en France, et ce sont les gens qui me l’ont dit, et mon public latino-américain connaît mes classiques en espagnol, qui sont peut-être le double de ce que j’ai sorti en France. Des morceaux comme « Falsedades », « A criticarme », « Ahora o nunca », « Envidias », « Instinto animal », « Vamos a jugar » et j’en passe… Ce sont des classiques là-bas, et quand je te dis « classiques », c’est que tout le monde les connaît. Tu les entends dans les soirées, les mixtapes, dans la rue… Je l’ai enregistré en 2001 à l’époque d’Elevación. Derrière la pochette j’étais avec PNO, et on dit : « Tres Coronas : prochainement Nuestra Cosa ». En 1999-2000 j’étais déjà à New York en train d’enregistrer mes mixtapes, mais sans les sortir encore. En 2001 on a commencé à les diffuser dans les sphères de New York, Washington, Boston, Chicago… Tout l’est. Après ça Tempa, Miami, puis des distributeurs mexicains ont géré la Californie, et de là c’est parti en Colombie, Panama, Venezuela.

Et vous avez donc touché un public plus large.

C’est ça. Et quand on a sorti « Falsedades », ça a été le boom ! Et quand tu regardes La Cliqua on a pas de clips, ce sont seulement des clips de Rocca. L’erreur que je n’ai pas commise quand j’ai commencé à travailler avec Tres Coronas, ça a été de faire des clips direct. Et « Falsedades » on l’a clipé direct. Et tous nos hits sont clipés. Ça c’est sorti en 2001 pour ceux qui ne connaissent pas, en même temps qu’Elevacion. Et pendant l’enregistrement de cet album, je faisais déjà des tournées de dingue en Amérique Latine, des concerts dans le Jimmy Bronx Café, la boîte de Fat Joe, tous les dimanches. Je faisais des soirées à Brooklyn, j’étais déjà en train de me faire connaître dans l’underground aux Etats Unis. En 2002 ça y est je vivais à New York, et en 2003 j’avais tous les papiers, mon visa et tout le bordel. Ce son il est produit par Arturo, un cubain. C’est le premier DJ de Kool G Rap, un vieux du Queens, des Corona Queens. C’est lui qui nous a fait la prod.

8 – Tres Coronas – « Instinto animal » – 2006

Ça c’est une prod à moi. Un style de prod dans lequel je commence à mélanger les saveurs latines et celles de New York. J’adore ce son.

9 – Rocca – « Général » – 2011

Ça c’est arrivé à la période de la réédition d’Entre deux mondes. Je me suis retrouvé à refaire des concerts en France, et je n’avais aucun morceau nouveau. Et j’ai réalisé que ça faisait huit ans que je n’avais pas écrit une rime en français. J’étais à Paris en train d’enregistrer un truc, chez Miko Niko, qui était producteur pour Orishas. Il me fait : « J’ai une prod bien rap, moderne. » C’était avant que la Trap music arrive vraiment en France. Moi j’y étais déjà puisque je revenais des Etats Unis. Je voulais prendre la prod pour Tres Coronas, et je me suis dit : « Tiens, je vais la faire en français. » Ce texte-là m’a fait remanier la langue française que je n’avais pas réutilisée depuis longtemps.

10 – Rocca – « Guerreros » – 2014

Ça c’est une prod de mon frère, Lorenzo, qui a toujours fait de la prod pour moi. C’est lui qui a fait « Life Style », « Jour de paie » avec Lino, « Ahora o nunca », plein de prods pour Tres Coronas, et celle-ci. Il continue à travailler avec moi et arrive avec du très lourd. Ça annonce mon retour, et il ne sera ni sur l’album qui annonce mon retour Bogota – Paris, ni sur l’album El Fenix. Ce morceau je l’ai balancé comme ça, gratuit, donné pour que les gens kiffent. C’est le flow de Rocca de l’époque, avec le flow de la Trap music, avec un beat Trap et latin à la fois. C’est un mélange de tout, uns synthèse pour les préparer à ce que je vais ramener.

C’était le dernier son, est-ce que tu peux nous parler de l’album qui arrive ?

À la base je voulais sortir des maxis, mais on m’a dit que c’était mort, trop old school. Pareil pour un EP. Donc je fais des albums. J’en ai un qui s’appelle « El Fenix » donc, mais il est trop conceptuel, je ne peux pas arriver avec ça direct. Du coup je me suis dit que je pourrais arriver avec un autre album, très fort, en forme de synthèse entre ce que les gens connaissent déjà de moi et le nouveau que je vais apporter, c’est pour ça que je l’ai appelé « Bogota – Paris ».

Tu n’as pas voulu l’appeler « Bogota – New York – Paris » ?

Non parce que ces dernières années je suis entre Bogota et Paris. Il y a plein de styles de sons, très différents, et je pense qu’on le lâchera en octobre. Et six mois après on lâchera l’autre.

Et dernier truc, pour donner envie aux gens de venir te voir sur scène : ça donne quoi Rocca sur scène ?

Si tu veux écouter 35 morceaux en 1h15, sans backeur, avec un vrai DJ (Nelson en l’occurrence), un show avec un ambianceur / maître de cérémonie et un Disc Jockey perfomer, viens nous voir. Je suis le Hip Hop, je fais partie du Hip Hop, je ne suis pas un nouveau qui vient d’arriver. Là il y a 20 ans d’expérience sur scène. Tu vas voir ce que ça veut dire « avoir du coffre », vivre à 2600 mètres d’altitude et arriver ici. On va vous montrer comment jouer aux congas et rapper en même temps. On avait beaucoup de sons à choisir avec Nelson, on les a choisis comme si c’était une mixtape. On a des sons qui vont de 1994 à 2014. Tu as donc 20 ans d’histoire de rap. C’est intime, on joue dans des petites salles, mais les gens qui viennent kiffent, et nous aussi.

Le mot de la fin :

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Olivier LBS

Doyen et autocrate en chef de cette incroyable aventure journalistique. Professeur des écoles dans le civil. Twitter : @OlivierLBS

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