Davodka – l’interview

Peu après son concert au Nouveau Casino, par un beau dimanche aprem’, Le Bon Son est allé à la rencontre de Davodka afin de lui poser quelques questions. Retour avec lui sur Un poing c’est tout, ses concerts et sa conception de l’underground dans le rap français.

Salut Davodka, pour ceux qui te connaissent pas, pourrais-tu te présenter ?

Dans mes souvenirs un peu vagues, j’ai commencé le rap au début 2003 avec un de mes potes qui faisait du son, Kema. Il faisait du son en duo avec un autre pote, Salo. Je les ai rejoints, de fil en aiguille on s’est mis à poser et on a formé un groupe qui s’est terminé en 2007 et qui s’appelait Paris Pôle Nord, même s’il a eu d’autres blazes avant d’avoir celui-ci. En 2008, Nous sommes arrivés dans MSD avec qui on partageait les mêmes valeurs du son, le même kif’ pour le rap à l’ancienne. Chacun apportait sa petite touche. On a fait pas mal de mixtapes gratuites sur le net et un album sorti qui s’appelle « Sampleur et cent proches ». L’année dernière j’ai sorti mon premier projet « Un poing c’est tout » avec un petit concentré de ce que je sais faire, surtout en ego trip.

Qu’est-ce qui t’a décidé à faire ce premier album solo ?

Les gens me demandaient un projet solo, mais je n’avais jamais vraiment pensé à cela. J’étais tellement dans le crew que je pensais à l’équipe et au son. Un jour je me suis lancé chez moi et j’ai écrit un premier solo, puis un second, puis un troisième, un quatrième et arrivé au quatrième, je me suis dit pourquoi pas arriver jusqu’au projet en amassant au fil du temps.

Ton premier solo était « Les milles et une cuites » ?

Ouais c’était le premier sorti en 2009 mais c’était un solo qui devait sortir dans une des mixtapes du groupe. J’en avais sorti une première version chez moi qui était vraiment mélancolique et en 2011 est sorti l’autre version plus joyeuse.

« Les milles et une cuites », ça sonne bien pour un premier solo de Davodka. Qu’est-ce qui t’a fait choisir ce nom ?

Ce n’est pas moi qui l’ai choisi, très loin de moi. A l’époque, quand on a commencé à tagger, on cherchait des blazes qui nous correspondraient. On cherchait des lettrages et je m’appelais Vagabond donc rien à voir. Kema s’appelait « Kematef », Salo c’était « El Capueron », ils avaient tous leur blaze et moi je ne savais pas vraiment. Un jour, j’ai Kema qui me regarde et qui me dit : « ouais, tu kiffes la vodka, t’as des origines russes, allez Da-Vodka. » Ça ne me plaisait pas trop au départ et ils m’ont toujours appelé « DVK » donc c’est resté. J’ai gardé ce nom et d’ailleurs je suis aujourd’hui le seul à avoir gardé ce nom qu’on m’a donné il y a dix piges.

On se retrouve quelques temps après le concert que tu as fait avec L’uZine (1er mars au Nouveau Casino), pourquoi avoir fait ce concert avec L’uZine ?

L’uZine est un groupe que je respecte énormément et qui me rappelle mon crew « MSD » en fait. C’est du tout fait maison, c’est du partage, on kiffe le même rap et je kiffe leurs sons. C’est L’uZine qui m’a invité. Il y avait déjà Ritzo et Nodja avec qui j’ai fait connaissance par la même occasion. Ça a abouti sur une super combinaison car ce sont de bons gars. On aurait dit un seul et même crew. Pour le futur, ça fait plaisir de partager avec des gars comme ça.

Tu connaissais déjà L’uZine avant ?

J’avais déjà écouté des sons d’eux mais je ne les connaissais pas en personne. Je les ai connus il n’y a pas si longtemps que ça, par le biais de leur beatmaker, MSB, avec qui j’ai déjà collaboré et qui m’a amené à connaître son crew.

Le rap pour toi, c’est plutôt « studio » ou « scène » ?

(Hésitations) Ce sont deux sensations différentes et il est difficile de choisir. Je n’ai pas abusé de la scène donc c’est pour ça que je savoure  un maximum à chaque fois que je monte  donc je dirais plus concert.  De toute manière, je ne suis pas studio puisque je n’ai jamais posé en studio. J’ai toujours enregistré dans ma chambre ou dans la chambre d’un pote.

Comment tu te débrouilles pour enregistrer alors?

J’enregistre chez moi ou chez les potes qui ont des home-studios. Pour mes solos, je fais le mix moi-même, je préfère être le seul maître de ce que je fais histoire d’être fier de mon projet de A à Z , bien que j’ai très peu de notion au niveau du mix .

As-tu été surpris par l’accueil du public sur ce dernier concert ?

Le public parisien est un public spécial, les ambiances les plus lourdes ne sont pas à Paris mais en province, ou à l’extérieur de la France comme en Suisse ou en Belgique . Pour le coup le public était chaud, il y avait une super ambiance, il était réceptif et ça faisait kiffer. Ça donne envie de récidiver ! Je me suis donné à fond et arrivé à la moitié de mon show j’avais déjà plus de voix. Quand ça arrive, c’est vraiment la preuve qu’on se donne à fond.

Plus spécifiquement, une série de question sur ton album « Un poing c’est tout » que tu as sorti en téléchargement libre. Quelle a été ta démarche sur cet album ?

C’est un premier tampon que je ne me voyais pas mettre à l’achat. J’avais quelques vues sur youtube mais les vues sur youtube, je ne m’y fie pas. Le projet est une carte de visite et j’ai pensé gratuité directement. Pour ma part, sortir un CD d’entrée pour un premier projet, je trouve que c’est du suicide. En fait, il me fallait voir comment les gens allaient le prendre. Le projet a bien tourné (plus de 30000 téléchargements), les gens ont pu se faire une idée et les retours sont plutôt bons dans l’ensemble. Je sais quoi faire dorénavant pour le prochain.

Pourquoi as-tu choisi de presser l’album dernièrement ?

Les retours m’ont encouragé. Mais surtout je voulais m’endormir avec le cd pressé sur l’étagère. C’est quand même le fruit d’un long travail. Je voulais me faire un kif’. J’en ai fait que cinq cent exemplaires, si j’avais voulu le vendre j’en aurais fait plus et j’aurais pris une distrib’. J’ai des soutiens comme Astroshop et la Scred Connexion qui les ont mis en vente sur leurs sites, mais je me voyais plus les vendre à la sortie des concerts. Partager avec celui qui a kiffé. Mais de toute façon celui qui va acheter l’album le fait pour le soutien car les sons sont gratuits. C’est vraiment du soutien à l’état pur.

Concernant quelques extraits de l’album, tu dis dans La der des ders, « L’album s’appelle Un poing c’est tout car il suffit pour fister tout le rap game ». Quel regard portes-tu sur le rap ?

L’underground arrive des sous-sols. Je n’ai pas trop l’oreille vers ce qui se passe sur le net ou vers les radios. J’en écoute forcément quand les potes me font écouter. Après,  il y a des choses qui m’interpellent, comme les clashs organisés.  On se croirait dans une « Secret Story » du rap. Tout ce monde, c’est le monde du rap qui ne m’intéresse pas. Pour faire du rap, on a besoin de personne en vérité. Regarde L’uZine , mon crew et pas mal d’autres groupes inconnus, on a la fierté de tout faire nous-mêmes. On arrive des sous-sols et le but est de surprendre malgré le peu de moyens.

On pourra également noter dans le même morceau, le « je rap pas pour les puristes, il n’y a que les rookies que j’accuse ».

Les rookies, ce sont ceux qui ne s’y connaissent pas trop et qui ont été un peu lobotomisés par les radios et tout ça.  On a poussé à l’époque avec les IAM, Saïan Supa Crew, NTM dans le casque. Je trouve que la radio était moins polluée, même si elle était déjà commerciale. Même « Le micro d’argent » d’IAM avait un côté commercial puisque ça parle de Star Wars, ça s’adressait à un public jeune, mais ce n’était pas un commercial malsain.

« Il ne s’agit jamais de sacrifier le sens du texte pour la technique. »

A propos de ton écriture sur un morceau comme Le mur du son. Quand tu rappes, tu démontres une grande rapidité technique au niveau du flow. Pourtant, tu ne sacrifies pas le sens des textes à la technique pour autant. Comment fais-tu pour trouver l’équilibre entre sens et technique dans ton écriture ?

Il est très difficile de marier les deux. Mais je t’avouerais que lorsque j’écris rapide, j’ai moins de difficultés à poser rapide qu’à poser lent. Poser rapidement me vient plus facilement que de poser normalement, je m’essouffle moins. J’ai moins à gueuler parce que c’est du débit. Par contre je trouve que Le mur du son est un peu plus bateau qu’un son comme La der des ders. Mais je fais ça à l’instinct. Il est difficile de faire rentrer une accélération puisque ça se fait au millimètre niveau rythme. Le mur du son est le son que j’ai écrit le plus rapidement puisque je l’ai écrit d’un trait en une soirée. Je l’ai enregistré directement.

Au niveau du souffle, je gueule moins que dans les autres sons donc je drope moins. C’était vachement surprenant car je n’avais jamais fait ce genre de son auparavant. Mais il ne s’agit jamais de sacrifier le sens des textes pour la technique.

Quelle est ta démarche en tant que rappeur ? Le rap est-il nécessairement militant ?

Non, le rap n’est pas nécessairement militant. Il faut exprimer ses idées mais il faut le prendre aussi comme un kif’. Dès que tu le prends comme un travail, tu gâches et tu commences à faire n’importe quoi. Il y a toute une organisation qui se met derrière toi. Personnellement, je ne fais pas ça pour que ça marche, mais je fais ça à l’instinct et par passion. J’y exprime mes idées et c’est vrai que c’est souvent une plainte : les sons non mélancoliques sont rares.

C’est ce qui fait la beauté du rap…

La beauté, c’est quand les gens te disent qu’ils se retrouvent dans ton rap. Ils me disent merci, mais en vérité, je dois également leur dire merci. On est deux à se retrouver car cela signifie que tous les deux on va se comprendre.

Le kif’ avant tout ?

J’arrêterai le jour où je n’aurai plus le temps ou quand je n’aurai plus de kif’. Je ne fais pas ça pour plaire, je ne vais pas me forcer. Je ferai d’autres choses qui me font kiffer.

« Pour faire du rap, on a besoin de personne en vérité. »

Tu écoutais qui à l’époque ? As-tu des influences particulières ? Tu portais un tee-shirt de la Scred Connexion pendant ton concert, c’était une forme d’hommage ?

Je suis du 18, donc la Scred a forcément eu une grosse influence. Tous leurs albums à l’ancienne étaient monstrueux. Mais les gars de mon crew ou que j’ai connus par le biais du rap m’ont beaucoup influencé chacun à leur manière. Si je devais citer une de mes premières influences, ce serait Sinik. J’écoutais ça à balle. A l’époque il n’était pas super connu. Par contre, je ne me sens pas apte à écouter le Sinik d’aujourd’hui à cause des prods, et puis ça n’a plus le même charme. A chaque fois que j’écoute ces sons à l’ancienne, Artiste triste, Tard le soir,  ça me rappelle des souvenirs. Il est rarement cité mais il faut que je souligne son influence.

T’as sorti un peu après « Un poing c’est tout », la « Compilepsie » qui regroupe un certain nombre de featurings. C’est quoi cette compil’ ?

Ce sont des featurings faits à gauche et à droite avec toutes les personnes qui m’ont apporté quelque chose. C’est tout ce que j’ai fait pendant les dix piges de rap. Il y a Routine by night que j’ai fait avec Kema et qui a dû être enregistré en 2005 ou 2006. Je voulais faire un concentré de tous les MC’s avec qui j’ai collaboré, que je kiffe. Ce sont eux qui forgent le blaze « Davodka » et c’est grâce à eux que je suis là.

Pour choisir les MC’s avec lesquels tu poses, c’est donc une question d’affinité ?

Au feeling ! Rien à voir avec la réputation ou le buzz. Ce sera pour le talent ou pour le feeling. Si je me comprends bien avec la personne avant tout, cela va se faire tout seul.

http://youtu.be/WvoBw5ZbGPA

Tu peux nous dire un mot sur « L’Encéphale », le projet réalisé avec La Bande à part ? Tu es assez proche de certains membres du collectif ? 

Aujourd’hui, La bande à part s’est arrêtée et a laissée place à L’Artmature, le crew s’est agrandi. Je devais en faire partie mais j’ai refusé parce que j’ai mon tampon MSD.  Je n’ai pas envie d’avoir une double casquette.  Je collabore beaucoup avec  Mano, Dais et Taf, ce sont des bons gars et on a les mêmes délires. Je préfère poser avec eux comme si je faisais partie du crew. On est des potes avant d’être des MC’s.

As-tu des projets pour le futur ?

Je ne souhaite pas m’avancer, je ne suis pas très optimiste sur ce que je fais. Comme cela, je ne suis pas déçu. Je préfère me dire que ce ne sera pas pour tout de suite. Je vais juste dire que La der des ders ne marquait pas la fin de mon son mais la fin d’une époque. En vérité, j’ai presque la moitié des sons de prêts pour un nouveau projet mais ce ne sera pas comme Un poing c’est tout, il y aura plus de thèmes.

Tu prévois de le sortir en physique ?

Si j’ai les moyens de le faire, ce sera en physique, peut-être encore sous le manteau. Je ne laisserai rien au hasard. Après « Un poing c’est tout », je sais que j’ai un public et que je peux me faire écouter en faisant de la musique chez moi, dans l’idée d’un partage constant. Cela m’aura piqué les trois quarts de temps et ça m’a permis de rencontrer des gens, de vivre des ambiances que je n’aurais jamais vécues. Même si j’ai sacrifié pas mal de choses, ça m’aura quand même apporté beaucoup.

Un petit mot de la fin ?

(rires) A chaque fois je réponds « Santé » mais pour ne pas faire cliché, je le dirai en russe : « ?? ???????? » (prononcez : za zdarovye)

Pour vous procurer l’album « Un poing c’est tout » gratuitement, c’est par ici que ça se passe. Mais si vous voulez supporter l’artiste en l’achetant, c’est par là.

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3 commentaires

  • Il y a une erreur concernant la définition du drop : cela consiste pour un rappeur à enregistrer son couplet en plusieurs « bouts » distincts notamment en raison de contraintes de respiration ou autres.

  • Je découvre tardivement cette vieille interview de Davodka, super intéressante pour mettre en perspective son évolution plus récente (Il y seulement a une erreur concernant la définition du drop dans une des réponses : cela consiste pour un rappeur à enregistrer son couplet en plusieurs « bouts » distincts notamment en raison de contraintes de respiration ou autres). Bonne continuation.

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