Rencontre avec Rocé

Le 31 janvier dernier, Rocé était de passage à Neuchâtel pour défendre son quatrième album Gunz n’Rocé sorti il y a un près d’un an. L’occasion pour nous de revenir sur une riche carrière vieille de plus de 15 ans, débutée en 1996. De Archie Shepp à JP Manova en passant par Manu Key, l’homme a collaboré avec des artistes de tous horizons. Rencontre avec un passionné.

Le Bon Son : Ce n’est pas le première fois que tu viens en Suisse, est-ce que ça change par rapport à la France ?

Rocé : Ouais quand même, c’est pas le même public, moi je suis originaire de la région parisienne donc forcément j’ai mon public là-bas, donc quand tu pars un peu plus loin t’as pas exactement le même public, t’as un public qui se différencie, qui est aussi un peu plus petit forcément. Et puis la Suisse bah c’est un pays quoi, qui est quand même différent, qui est fait de manière différente socialement parlant. J’ai pas mal joué en Suisse, dans plein de villes différentes et à chaque fois c’était pas les mêmes concerts et c’était pas les mêmes réactions, donc je me doute bien que chaque ville a sa spécificité. Mais voilà à chaque fois un public bien accueillant et qui a l’air de connaître ce que je fais.

Est-ce que tu peux nous parler un peu de ton parcours ?

Donc Rocé, rappeur, j’ai commencé y’a bien longtemps, à la base originaire du 94, j’ai fait mon premier morceau sur l’album de Different Teep mais je suis parti très rapidement sur une carrière solo, avec beaucoup d’affinités mais pas spécialement classable dans un groupe ou une structure. Voilà, j’ai continué toujours de manière assez singulière mon parcours un peu solitaire et c’est quelque chose que je continue à garder comme ça dans la définition de ce que je fais et de ce que je suis, et j’en suis à mon 4ème album qui s’appelle Gunz n’Rocé.

‘Je cherche pas à être assis sur un trône si c’est pour être mal assis’

T’es un des rares à rapper depuis longtemps sans avoir connu de réel succès commercial, qu’est-ce qui te motive encore finalement ?

Bah écoute le rap c’est d’abord une musique. Donc qui dit musique dit art, dit passion donc tu peux le voir un peu comme un sport donc tu le fais dans ton quotidien tu vois. Donc voilà ce qui me motive c’est que j’en suis à mon 4ème album avec un public qui me suit qui est fidèle à ce que je fais, en ayant un succès qui me correspond. Je cherche pas à être assis sur un trône si c’est pour être mal assis tu vois, je préfère rester sur une chaise et être bien assis, ou même rester debout si je trouve pas de chaise qui me va. Le truc c’est qu’il faut voir les choses comme ça. Mine de rien j’ai toujours réussi à me renouveler et à exister dans l’univers de la musique, en passant par des réseaux ou des fois c’est des portes qu’on m’a ouvertes, mais pour la plupart c’est des portes que j’ai du créer tout seul, et pour finir être aujourd’hui un des « derniers des Mohicans » qui reste dans cette jeunesse du renouvellement. Quand d’autres au bout de un ou deux albums et cinq ou six ans sont déjà épuisés et ne savent plus trop comment renouveler, en ayant fait 42 passages télé. Moi sans passage télé je suis encore là et je remplis quand même des bonnes salles.

Mais au-delà de ça j’ai des projets, des constructions dans ma manière de travailler. C’est-à-dire j’ai envie de parler de ça ou ça, c’est des buts à atteindre. Et quand j’ai atteint ces buts c’est déjà une fierté personnelle. Et c’est plutôt ça que je recherche. Si tu veux j’ai appris à apprivoiser la musique, le hip-hop, et à m’en faire une discipline dans laquelle, de manière autodidacte j’arrive à me mettre des barrières, des examens et je me dis faut que je passe ces examens. Je me dis « là j’ai un thème faut que je parle de ce thème ». J’ai envie que tout le monde puisse me comprendre et si j’y arrive j’aurai réussi à passer cette barre-là. Donc voilà c’est ma manière de vivre la musique.

Ton 4ème album est sorti il y a à peu près un an, quel bilan en tires-tu ?

C’est un très bon bilan. Ce disque à été très bien accueilli que ce soit en digital, en vinyle ou en CD, les clips ont été très bien accueillis. Et sur les concerts, la tournée est pas finie la preuve je suis là ce soir. Mais pour moi la cerise sur le gâteau ça a été le Bataclan sold out avec tous les invités que j’avais envie de ramener qui ont un peu accompagné ma carrière, que ce soit Asocial Club, Archie Shepp, Manu Key, JP Manova et j’en passe. Je suis assez content, à chaque fois je monte d’une marche sur le palier et c’est encourageant.

Une phrase a été particulièrement marquante : « Les MC’s appellent punchlines ce que j’appelle écrire », quelle est ta vision du rap actuel ?

Je le vois comme quelque chose d’assez dynamique, d’assez enthousiasmant dans le sens où c’est plus une histoire d’âge, c’est pas une histoire d’origine, c’est plus une histoire de classe sociale. Mais ça reste quand même dans sa définition la musique des gens mis sur le côté. Ce qui est intéressant c’est que c’est devenu tellement large que le challenge est devenu encore plus grand. Du coup il est encore plus excitant. Il y a du rap pour tout le monde, tout le monde trouve son public en fonction de ce qu’il fait et de ses choix. Après voilà ça fait un moment que je trace ma route et que j’ai trouvé midi à ma porte et je regarde ce qui se fait à côté et à chaque fois que je vois la barre s’élever ça me donne envie de la mettre plus haut, donc c’est bien.

De quel oeil vois-tu justement cette marginalisation du rap ?

Je pense qu’il y a des raps. Par exemple si tu regardes le rock, bah ça veut rien dire. Ça peut autant être le premier truc que t’entends dans une publicité que du rock indépendant dans un squat, donc t’as des rocks. Le rap c’est pareil. C’est pas parce que je fais un style de rap qui est dans une posture un peu militante ou même spé si tu veux, que le reste ne doit pas exister. T’as des raps au pluriel et au final c’est rien qu’un format et chacun en fait ce qu’il veut.

On parle souvent du rap comme quoi ce sont les mauvais artistes qui sont mis en avant, mais finalement c’est pas la même chose pour chaque style, quand tu vois en France que le rock est représenté par BB Brunes ou la chanson française par Patrick Bruel ?

Bon après y en a peut-être qui méritent d’être mis en avant et d’autres moins. Le problème pour les cas dont tu parles, c’est que c’est un problème de réseau. Tu vois la musique c’est une industrie et l’industrie est faite de connexions, de réseaux, de gens qui se connaissent et qui veulent mettre tel ou tel artiste en avant mais qui ont les réseaux pour le faire. Pour être aux Victoires de la musique faut s’inscrire. Pour s’inscrire faut savoir quand s’inscrire et faut être en biz avec telle ou telle major pour que les dossiers partent tout seul. Tout ça c’est un réseau. Tu arrives pas comme ça et tout d’un coup t’es connu. C’est arrivé mais c’est très dur. Tu vois les maisons de disques ont un peu cadenassé le truc et elles sont en complicité avec les grosses radios, qui ensemble sont en complicité avec les chaînes de télé, avec les attachés de presse, donc quand tu regardes ça tu comprends mieux pourquoi ça se passe comme ça et pourquoi ceux qui sont connus sont pas forcément choisis par le public et sont plutôt imposés au public. Et c’est pour ça qu’on se retrouve là.

Mais à partir du moment où toi t’es un artiste qui a la tête sur les épaules tu choisis de créer tes propres réseaux. Si t’en as le courage, la force et que t’as trop de dignité pour aller faire la queue avec les autres. Donc c’est pour ça que tu me verras pas aller faire la queue pour passer en radio ou sur certaines télés. Et on se dira que je suis un artiste à part qui cherche pas le succès, mais comme je t’ai dit c’est pas un succès qui m’irait, c’est pas celui-là que je recherche.

T’as fait quatre albums qui ont chacun leur propre univers tant musical que thématique, finalement c’est quoi le fil conducteur de ta carrière ?

Bah le fil conducteur c’est moi. C’est-à-dire quand je parle sur un album sur lequel je raconte certaines choses, et un autre où je suis à des milliers de kilomètres, c’est moi. C’est pour montrer que l’être humain il doit voyager dans sa tête. Chaque état d’esprit est un continent et il est pas permis de se répéter sauf si c’est un effet de style.

Parmi tes quatre albums, il y a pas vraiment de son biographique. Est-ce une volonté de ne pas se mettre en avant ?

Si, mais quand tu le fais c’est avec une certaine pudeur. Après ça dépend des artistes mais c’est bien d’extrapoler. Y a quand même « On s’habitue » qui est un minimum biographique. Après moi j’aime bien dire « on », j’aime bien dire « il(s) », dire « je » ça m’arrive mais c’est surtout quand je pars dans de l’égotrip. Après si c’est pour faire un morceau aux violons mielleux pour raconter une histoire tristounette c’est pas trop mon style.

Si on analyse un peu tes textes on remarque que tu es adepte de la rime de deux syllabes.

Bon ça c’est juste qu’esthétiquement ça sonne mieux que d’en faire rimer qu’une seule. Après c’est aussi le fait que les phrases qui me restent en tête sont souvent écrites comme ça donc tu vois c’est quelque chose que je vois chez beaucoup d’autres.

Comment est-ce que tu procèdes quand tu écris un texte ?

Y’a pas de règles. Tu vois je peux être là avec mon téléphone, je note trois rimes, comme je peux être chez moi, aussi bien en train de lire un livre qu’en train de regarder une série bidon. Y’a vraiment pas de règles, je peux être dans le métro ou en train de marcher dans la rue. Ce que j’essaie surtout de faire c’est d’écrire sur la musique parce que c’est très important. Quand tu le fais pas t’as une écriture très littéraire, et écrire sur la musique ça te force à avoir une écriture musicale. Et faut pas oublier qu’on fait de la musique avant tout. T’as beau vouloir faire passer des messages, ce qui est mon cas, mais si tu le fais pas sur de la musique il peut y avoir un côté un peu lourd.

Tu nous parlais de Different Teep, que t’ont-ils apporté ?

On va dire que c’était ma première expérience tout simplement, le fait qu’ils m’aient invité sur leur premier album [NDR : Le morceau ‘Respect’ sur l’album ‘La rime urbaine’]. Ça m’a ramené une certaine confiance, un buzz pour l’époque, ça m’a ouvert des portes, c’est de là que s’est enclenché le boulot, et les relations pour mon premier album. On va dire que c’est le moment où c’est parti, où a commencé ma carrière concrète.

http://youtu.be/-3kSMcs31tE

Comment as-tu été amené à travailler avec Archie Shepp, légende du free-jazz, sur ton second album ?

Je lisais ses interviews, j’écoutais sa musique et ce qui est frappant dans ses interviews c’est que ce que les rappeurs les plus engagés vont dire aujourd’hui lui il le disait dans les années 70. Et il est resté en cohérence avec ce qu’il disait à l’époque, il a pas changé. Et c’était important pour moi d’inviter quelqu’un comme ça. Pour le kif de la musique, et pour montrer aux gens que la posture que j’ai est la bonne, parce que les gens s’inquiètent de ma posture.

Autre artiste avec lequel tu as beaucoup collaboré, mais qui est malheureusement très rare, JP Manova…

C’est quelqu’un que je connais depuis assez longtemps maintenant, et qui m’a toujours mis sur le cul quand il m’a fait écouter un couplet ou un morceau et qui est assez en avance en terme de prods, de de flow, aussi bien en tant que réal qu’en tant que rappeur. C’est un peu le rappeur top secret, tout le monde a envie d’en savoir plus sur lui, tout le monde a envie d’écouter. Voilà il a des choses qui sont prêtes. Nous on se côtoie pas mal donc c’était un honneur de l’inviter sur mon disque.

Donc il prépare quelque chose…

Oui je te le confirme.

roce

Peux-tu nous parler un peu d’Asocial Club, comment en es-tu venu à travailler avec ces artistes ?

 Alors Asocial Club c’est un collectif, je pense que le mieux c’est d’en parler avec le collectif. Après c’est des artistes que j’ai toujours connus en fait, des gens avec qui je collabore. Mais bon, à part Archie Shepp, tous les gens avec qui je collabore c’est des gens que j’ai toujours plus ou moins connus au final. Avec qui les choses se sont pas faites en réfléchissant parce que ça tombait sous le sens à un moment donné. Parce qu’on s’est toujours connus.

Après le jazz sur Identité en crescendo, comptes-tu explorer un autre style musical dans l’avenir ?

Pour l’instant je crois que je vais un peu rester dans le rap. Ce rap qui au final est un peu la liqueur à l’état pur. Après le fusionner avec autre chose c’est toujours intéressant. Mais c’est à l’état pur que les enjeux se voient, que tout se joue. C’est là que tu vois qui est qui, quand tu te caches pas derrière une barrière. Y’a pas d’artifice quand tu fais du rap. C’est là que tu vois le niveau, et c’est pour ça que ça m’amuse d’y rester des fois.

Est-ce que tu as des influences dans d’autres domaines que la musique ?

Ouais j’ai des inspirations de partout un peu. Je suis un passionné de pas mal de choses, très éparpillées. C’est aussi pour ça qu’il se passe beaucoup de temps entre chaque disque. Je suis aussi bien passionné de musique que de littérature ou même de conneries y’a pas trop de limites, je suis inspiré par tout ce qui m’entoure et si je peux le ramener dans la musique c’est volontiers.

‘Je pense que le rap c’est un peu comme un sport. Ou t’en fais ou tu le regardes, mais au final tu dois être dedans à un moment donné’

Des écrivains en particulier ?

Beaucoup ! Je peux te citer notamment Franz Fanon, Aimé Cézaire, Kateb Yacine, Léon Gontran Damas, Hannah Arendt, Judith Buckler qui sont pas forcément des écrivains mais aussi des spécialistes en quelque chose qui écrivent des livres sur leur spécialité. Voilà c’est un échantillon.

Sur ton troisième album (L’être humain et le réverbère) tu fais une reprises du titre « Les singes » de Jacques Brel. On voit peu de reprises dans le rap. Quel était le but de celle-ci ?

Ce morceau je le trouvais très d’actualité en fait. Et c’est un morceau de Jacques Brel que la grande partie des gens connaissent pas. J’aime bien Brel, mais j’en suis pas le plus grand fan. Maintenant ce morceau m’a parlé. C’est aussi simple que ça.

Qu’est-ce qu’on trouve dans ton mp3 ?

Bah on va voir ! Il prend son téléphone et fouille sa bibliothèque. Alors on trouve du Rocé. Bon après c’est des maquettes, des trucs sur lesquels je travaille, je suis pas narcissique à ce point. On trouve du Notorious BIG, du Nas, du Aretha Franklin, des instrus de DJ Karz qui est mon DJ sur scène, du JP Manova…

A l’heure où beaucoup de rappeur n’en écoutent même plus on trouve pas mal de rap finalement…

Oui c’est vrai. Mais après je pense qu’on a plus à prouver notre ouverture d’esprit. Après je pense que le rap c’est un peu comme un sport. Ou t’en fais ou tu le regardes, mais au final tu dois être dedans à un moment donné. Par exemple moi sur « Identité en crescendo » je m’étais pas mal éloigné du rap, et c’est quelque chose qui peut se ressentir dans l’écriture qui est très littéraire, très linéaire. Et revenir dans ce game c’est l’écouter et pas seulement en faire.

S’il ne devait rester qu’un de tes quatre albums…

Ah j’ai pas de préféré parce que chacun a vraiment son truc. Sur scène je fais un peu de tous les albums. Dans chacun y’a vraiment quelque chose que je dois garder, chacun fait partie de moi.

Merci pour cet entretien, un mot de la fin peut-être ?

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