Rencontre avec le beatmaker Greenfinch

Depuis quelques années, Greenfinch multiplie les collaborations avec des rappeurs français mais également américains. Vous avez sans doute entendu certaines de ses productions sur des morceaux avec Furax, Dooz Kawa ou encore Scylla. Il y a quelques jours, le Valenciennois sortait son premier album instrumental intitulé From soul to souls. L’occasion pour nous d’en savoir un peu plus sur sa carrière et son univers.

Comment es-tu arrivé dans le monde de la musique ?

J’ai commencé par la musique classique à l’âge de six ans, j’ai fait du piano à l’école de musique. J’ai ensuite goûté au rock puis au métal, j’ai eu plein de groupes différents. Puis, j’en ai eu marre et j’ai décidé de partir en solo en utilisant essentiellement ma guitare et ma voix. J’étais influencé par des artistes qui avaient des chansons à textes comme Léo Ferré, Brassens ou Brel. Enfin, je me suis retrouvé à faire du reggae. C’est difficile de dire comment je me suis retrouvé lié au hip-hop.

Peut-être au moment où tu as commencé à produire sur ordinateur ?

Effectivement j’ai découvert Ableton Live et ça m’a plu immédiatement. Je créais des beats aux sonorités hip-hop sans vraiment savoir que cela en était. De fil en aiguille, à travers des connaissances qui faisaient du rap, je suis devenu beatmaker.

Quels sont les premiers rappeurs que tu as écoutés ?

Entre six et douze ans je n’écoutais que du classique. Mon plaisir était de reproduire les morceaux à l’oreille. Peu à peu j’ai découvert le rap et les premiers artistes qui m’ont séduits sont notamment Freeman avec son album Le palais de justice, Shurik’n avec Où je vis et la compilation Sad Hill. Je suis tombé amoureux de la mélancolie et des émotions qui émanaient de ces opus. À l’heure actuelle je n’écoute pas énormément de rap mais je fais attention  à ce qui sort.

À quel moment est-ce que débutes en tant que Greenfinch ?

C’était il y a six ans environ. J’avais des amis qui rappaient et qui étaient dans le hip-hop. Je pense qu’ils m’ont poussé à persévérer quand ils ont vu que je produisais quelques morceaux sympas. Pour le pseudo Greenfinch, c’est la traduction anglaise de mon nom de famille, je ne me suis pas pris la tête.

Ces fameux amis continuent-ils à être dans le mouvement actuellement ? Vous collaborez toujours ensemble ?

Malheureusement nous n’avons plus trop de lien actuellement. Quand l’argent est entré en compte dans nos projets, c’est parti en couilles. Quand j’ai demandé un petit billet pour les soirées passées à enregistrer et à mixer, ça a causé problème. Je ne demandais pas grand-chose, j’étais au RSA, j’avais fait des études dans la musique alors… Consacrer sa vie à la musique et avoir un petit retour financier, c’est valorisant. Du coup je n’ai pas trop de nouvelles d’eux. Ce sont des mecs de l’ombre très talentueux pour certains.

Tu es actuellement basé à Valenciennes. C’est dans le nord de la France que tu as commencé à collaborer avec le groupe La Jonction ?

En fait c’est moi qui les ai démarchés, ils ne me connaissaient pas je pense. J’ai surtout travaillé avec Ywill car c’était le seul à l’époque qui avait sorti un projet solo et le groupe était un peu en stand by il me semble. Oprim, Prince et Saknes ont tout de même des prods à moi et on espère que certains morceaux sortiront prochainement.

Quelle est la première instru que tu as placée ?

La première grosse prod pour un morceau mixé par un ingénieur du son et qui avait un clip sur Youtube, c’était paradoxalement un son avec un américain de Chicago. Il s’agit du titre « Yeah Right » avec Grant Flows. À l’époque, j’étais très actif sur Soundcloud et c’est outre-Atlantique que j’avais le plus de demandes et que les gens approuvaient mon travail. J’ai arrêté de partager mon travail sur cette plateforme car des internautes pouvaient télécharger des titres que j’avais mis de côté pour d’autres artistes.

Et la première collaboration marquante avec un artiste français?

Je dirais que c’est la prod du morceau « On se laisse aller » sur l’album L’ovni de Paco, mixé par Mani Deïz. Dessus, il est en feat avec Tragik du Gouffre. C’est un projet qui a touché pas mal d’auditeurs de la scène nationale en 2015.

A partir de là, ton nom a commencé à revenir souvent. Tu as collaboré depuis avec de nombreux artistes et notamment avec Furax de la Bastard Prod. Comment avez-vous travaillé tous les deux pour son projet Dernier Manuscrit qu’il a réalisé avec Jeff Le Nerf ?

À 99% à distance, en échangeant des mails et en s’envoyant des messages. On a eu l’occasion de se voir au concert de Scylla au Palais Royal de Bruxelles. Ça nous a fait bien plaisir car lui étant à Toulouse et moi à Valenciennes, c’était compliqué de pouvoir se retrouver comme on l’aurait souhaité. En tout cas pour moi c’est un honneur de bosser avec lui, car c’est un artiste que j’apprécie depuis longtemps, bien avant notre collaboration. Furax c’est un peu le tonton du game pour moi. Il a une plume unique, une personnalité à part. C’est un rappeur qui exprime à merveille la mélancolie, même si comme il aime le rappeler régulièrement au cours d’interviews, ce n’est pas quelqu’un de badant. Mes prods et son univers collaient donc nous nous sommes bien entendus.

Tu as d’ailleurs eu l’honneur  que Kool Shen pose sur le morceau « Océan de couleuvres »…

J’avoue que j’étais euphorique quand Furax m’a appris la nouvelle. Lorsque j’ai envoyé la prod, il m’a d’abord informé qu’il ne l’avait pas retenue. Une semaine plus tard, il avait changé d’avis et avait enregistré sa partie. Je savais que Jeff le connaissait mais ce n’était pas prévu dès le départ qu’il soit sur l’album. Vraiment une grosse surprise pour moi.

C’est à travers Furax que tu as pu connecter Scylla ?

Effectivement, c’est lui qui nous a mis en contact. Depuis, on a travaillé ensemble pour notamment le morceau « Chopin » en featuring avec Furax et B-lel. C’est vraiment un rappeur tout-terrain avec une écriture très fine et une prestance incroyable. Gros respect à lui. Sur son futur album, il y aura normalement deux co-prods d’Ysos et moi, et une prod perso axée plus à l’ancienne. Il est parti sur un opus très rap brut, qui contrastera avec le très bon projet Pleine Lune qu’il a sorti l’an passé avec Sofiane Pamart.

Parle-nous de ce choix de travailler en duo avec Ysos.

Avec Ysos, c’est à travers Scylla que nous nous sommes connectés. Je n’avais jamais vraiment essayé de faire de trap car, même si j’apprécie beaucoup l’univers instrumental de ce style de musique, il est constitué de sonorités assez distinctes du boom-bap. . En discutant avec Scylla, on avait fait le constat que j’arrivais à dénicher de bons samples et à bien les harmoniser mais que j’avais quelques lacunes au niveau de mes drums. Il m’a donc conseillé de contacter Ysos, qui lui maniait bien mieux que moi les drums « plus modernes ». Le jour même on a fait un beat ensemble. Au final, nous avons co-produit 7 ou 8 morceau pour Scylla qui en a retenu trois dont « Grand Casino ».

Utilises-tu souvent tes propres instruments pour réaliser tes compositions ou travailles-tu essentiellement avec des samples ?

C’est assez paradoxal mais je compose très rarement avec mes instruments. J’ai toujours aimé le sample et la portée symbolique que peut avoir un morceau. Utiliser une guitare qui vient de Palestine et y superposer des voix israéliennes, ça reste quelque chose d’extraordinaire. C’est la preuve que tous les peuples peuvent s’entendre et s’harmoniser ensemble. Je travaille principalement avec de la musique de film qui transmet généralement des émotions. Les chansons plus traditionnelles sont plus difficiles à sampler car généralement seules les introductions n’ont pas de voix superposées sur les instruments.

Tu viens tout juste de sortir ton album instrumental intitulé From soul to souls. Après écoute, il donne l’impression que tu as voulu te détacher de l’image du producteur boom-bap aux boucles mélancoliques. C’est un disque éclectique qui démontre que tu sais créer des morceaux très différents.

C’est tout à fait ça. C’est un parti pris. Les gens me cataloguent depuis longtemps comme un beatmaker boom-bap même si je sors régulièrement des petits délires différents. J’ai aussi remarqué que sur ma page, dès que je sors un titre plus alternatif, il a beaucoup moins de succès. J’ai fait abstraction de cette idée et j’ai voulu kiffer. Mon idée initiale était de faire un opus qui permet à l’auditeur de réfléchir, de songer. Écouter une heure de musique tout en étant posé et laisser libre cours à son imagination.

Dans From soul to souls, chaque production se suffit à elle-même. Pourquoi as-tu fait le choix de produire un album instrumental alors que tu aurais pu inviter un ou plusieurs rappeurs sur chaque track?

Je voulais faire un projet personnel et ne pas me limiter à du boom-bap. Les ambiances des premiers morceaux que j’ai composées étaient très différentes les unes des autres et peu adaptées pour des rappeurs. Les instrus ont plu à certains MC’s cependant. Par exemple Dooz Kawa aimerait poser sur la track #5 et Melan voudrait aussi rapper en solo sur le beat de « La mémoire des jours » aux dernières nouvelles.

En parlant justement du titre « La mémoire des jours », comment as-tu fait la sélection des artistes présent dessus ? On imagine que cela a été long et  complexe de réunir les parties de tout le monde ?

En fait j’ai eu l’idée de ce morceau il y a deux ans. J’avais commencé à démarcher pas mal de rappeurs à ce moment là. Peut-être parce que mon travail n’était pas encore assez reconnu, je n’ai quasiment pas eu de nouvelles des chanteurs sollicités. J’ai donc abandonné l’idée. Par la suite, je suis retombé sur cette instru et je me suis dit que c’était tout de même dommage de ne pas l’utiliser. Je m’étais aussi rendu compte que depuis le temps, mon travail commençait à se faire connaitre et que j’avais quelques belles collaborations à mon actif. J’ai donc relancé l’idée en envoyant un message commun à au moins quarante personnes. Certains ne pouvaient pas car ils étaient pris par leurs projets solos comme Furax par exemple. D’autres ont tardé à m’envoyer leur partie et j’ai dû fixer une deadline définitive. Pour l’anecdote, le premier à m’avoir envoyé son acapella deux jours après ma proposition, c’était Davodka. Il était chaud comme la braise. En gros tout s’est fait entre fin octobre et mi-janvier.

Explique-nous pourquoi avoir choisi Ulysse Paya pour la réalisation du clip.

Ulysse s’occupe habituellement du travail audiovisuel de Dooz Kawa. Je suis son travail et j’aime beaucoup ce qu’il fait. L’idée de base c’était de faire une animation avec le visage de chaque rappeur, comme pour le clip « Insolents 2 » de Tekilla. Ulysse a insisté pour que j’essaie de récupérer des images vidéos des artistes en train de poser ce qui lui aurait permis d’élaborer un scénario. Je l’ai prévenu que ça risquait d’être galère car j’avais déjà lutté pour centraliser les voix de chacun. Au final tout le monde à joué le jeu et je suis bien content du rendu du clip.

Le titre a d’ailleurs bien tourné depuis sa publication. 

Je savais que si tous les artistes le publiaient, il aurait de la visibilité. Cependant, je ne m’attendais pas à autant de partages. Je suis en train de me motiver pour préparer une autre chanson axée sur le même concept et j’ai déjà ma petite idée de qui je souhaiterais inviter.

On sent que depuis fin 2018, tu es en train de professionnaliser ton travail en soignant les visuels et la production. Tu as d’ailleurs communiqué il y a peu à tes auditeurs que tu avais des instrus en leasing et à la vente. Comment en es-tu venu à prendre cette décision?

Ce qui m’a donné envie de me professionnaliser, c’est le fait que des MC’s viennent me démarcher. J’ai senti que mon travail était valorisé. Il existe tellement de beatmakers talentueux et de prods disponibles via internet que j’ai trouvé ça significatif. Ça m’a apporté beaucoup de confiance et de motivation pour continuer à bosser et à progresser. Du coup, une amie m’a aidé à créer ma microentreprise et je me suis lancé. D’autre part, je bosse à côté depuis septembre dans le périscolaire ce qui me permet de financer certains aspects de mon travail comme le mix de mon projet.

Sur ton album From soul to souls, Itam est présent sur plusieurs morceaux. Parle-nous cette collaboration.

En fait j’aime tout ce que fait Itam. Je suis son travail depuis longtemps. Il m’a beaucoup aidé pour mon dossier Sacem, pour mes drums également car parfois je galérais à trouver la bonne sonorité. On s’entraide pas mal tous les deux, sans rien attendre en retour, juste pour partager nos connaissances. J’ai beaucoup de respect pour lui.

Tu as produit la totalité de l’EP Émeraude de Fhat-R et en très grande partie Dernier testament de Furax et Jeff le Nerf. Aimerais-tu travailler plus souvent en binôme avec des rappeurs?

Pour son futur album, Dooz Kawa est venu me voir pour travailler conjointement. Il m’a envoyé plein de samples et j’ai bossé sur les sons. Sur la dizaine de morceaux que je lui ai envoyés, malheureusement, il n’en a retenu que trois pour le moment. Ça aurait pu le faire à ce moment-là. En tout cas je serais très ouvert pour un nouveau projet de ce type avec Furax, Scylla, Dooz Kawa et d’autres.

Pour la sortie de ton album, tu as lancé une campagne de crowfunding. Comment as-tu vécu cette expérience ?

Entre le master, le mix, le clip et le graphisme de la pochette, je me suis rendu compte que je n’avais pas le choix. Je ne m’attendais vraiment pas à récolter les 1000 euros. Évidemment quelques proches ont contribué mais beaucoup d’anonymes aussi. Cela a été une très belle surprise. C’était une première pour moi. D’autre part, une chose positive dans le milieu artistique c’est l’entraide. Ça a été bénéfique et valorisant pour le très bon Léo (Pure Sound), l’ingénieur du son de l’album, de mixer des sons sur lesquels apparaissent Davodka ou D-Ace par exemple. On arrive donc à s’entendre sur les tarifs. Même chose pour le visuel, Ulysse m’a fait des fleurs car il appréciait mon travail ainsi que les artistes qui apparaissaient dans le clip. Sans cela, j’avoue que ça aurait été très compliqué de boucler le projet.

Es-tu intéressé par la scène en solo ou en tant que DJ pour d’autres rappeurs?

J’y songe. J’aimerais bien m’acheter une MPC ou une Maschine. J’ai un ami qui travaille sur les visuels scéniques, ce serait cool de travailler ensemble. À l’heure actuelle, je ne sais pas si je peux me contenter uniquement de Greenfinch en tant que beatmaker qui place des prods pour des rappeurs ou si je dois partir sur du live en solo. J’en ai déjà fait beaucoup par le passé en tant que musicien, ça ne me fait pas peur. Il faudrait que je construise un projet spécialement pour le live, peut-être axé sur le trip-hop.

Quels sont tes projets pour les mois à venir?

Tout d’abord prendre du bon temps, me reposer parce que la réalisation de l’album a été éprouvante. Plusieurs personnes m’écrivent en me disant qu’elles attendent du neuf. Il va falloir que je me remette à produire par la suite car je n’ai plus beaucoup d’instrus en stock. Sinon, des collabs avec Davodka, Dooz Kawa, Scylla et des américains aussi vont arriver.

Le mot de la fin?

Je dirai tout simplement longue vie à la musique de l’âme et des émotions, ainsi que longue vie à « l’art du cœur » en général. A l’heure où l’on essaye de nous formater de plus en plus, de nous conformer, normaliser, et de nous empêcher de réfléchir, je crois que l’Art est sans doute l’un des meilleurs boucliers. Il nourrit l’esprit, calme les maux et fait jaillir les passions, il fait trembler les puissants et les perfides décideurs depuis la nuit des temps, et il n’a jamais été aussi précieux qu’en nos temps troublés à mon sens. C’est mon côté libertaire qui parle. Enfin, merci à vous de m’avoir accordé votre plume.

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