Seyté, assis sur le toit du monde

Difficile d’y voir clair dans les projets de La Smala depuis un peu plus d’un an. Après de nombreux singles de Senamo rendus polémiques par ses propres auditeurs, finalement ponctués par la sortie d’un projet digital (Poison bleu), et un album du groupe sorti brutalement sans promo ni même sortie en bacs en début d’année, c’est Seyté qui vient d’envoyer un projet (album ?) gratuit, non disponible sur les plateformes de streaming dans un premier temps. Alors, projet bâclé ou pépite cadeau ? Ressentis après écoute attentive.

A en lire ses statuts Facebook, C.I.T ne se retrouve pas dans la scène rap qui envahit nos yeux et oreilles ces derniers temps. On le sent en désaccord, symbolisant cette faille sismique « rap-trap » qui règne au sein même de son groupe, partagé entre les sonorités qui appartiennent à ses goûts et celles qui plaisent au public d’aujourd’hui. Lui, humble contributeur du hip-hop francophone, vaillant défenseur des derniers plumitifs encore actifs. Fonctionnant en marge d’une logique de rentabilité/fréquence de sorties, il s’inscrit naturellement dans l’esprit des auditeurs comme un artiste humble et un homme sincère. Conscient de ce qu’il apporte « J’ai des lyrics qui tabassent« , la contradiction percute lorsqu’il rafraîchit les références-clefs de son crew en se révélant presque gêné de plaire. « J’m’en bats les couilles qu’tu m’aimes bien, enfoiré, moi j’m’aime pas« . Deux ans après le retentissant Trois fois rien en commun avec Senamo et Mani Deiz à la production, et six ans après le Premier jet solo, voici un nouveau long format du trop rare Seyté. 11 pistes qui offrent un tour très appréciable, narrant ses rencontres et ses déambulations, clamant ses doutes et envies, distillant ses humeurs via des punchlines qui traînent et qu’il exploite sans déconfiture.

La symptomatique présence du « comme » pourrait gâcher la fête sur certains titres, mais les mots rebondissent, les images se répondent et l’écriture aussi simple à l’oreille soit-elle, s’embellit d’elle-même. « La vie est belle », et même très belle à l’écoute des boucles simples et incontestablement justes de KilloDream, Char, Hanto et des quelques autres beatmakers présents. Mélodieuses, rondes, douces. Les textes apaisés se posent dessus en toute quiétude, où le seul featuring se nomme Zoé, soeur de Seyté, et pour laquelle on s’interdira toute comparaison au flambant featuring Roméo Elvis / Angèle. Sa modestie s’installe peu à peu. « J’me suis fait seul dans ma chambre comme un Youtubeur » et rend accessible à chacun son univers. Entre en jeu la préoccupation écologiste de Tésey qui donne une dimension aussi actuelle que rare au rap français. Après « Le temps est mauvais, l’Homme n’est pas bon / Il a épilé la forêt et flingué la mer au harpon », il réaffirme sa volonté de préserver la faune et la flore à sa façon : « À l’heure qu’il est, y a une puta qui donne son cul / Un tox’ qui tape son truc / J’te l’accorde les images sont crues / Attends, c’est pas l’pire / Ils sont fous, ils ont rasé les forêts et toi t’écris d’la merde, tu gaspilles ».

 « Je viens du tieks et les crevards, entre eux, ne parlent que de moi »

Drôle et pertinent, il tient son rang de bon rimeur subalterne. Mais s’il se fait discret, il faut redoubler d’attention lorsqu’il décide de délivrer du contenu tant celui-ci s’avère précis dans ses images et recherché dans sa façon de les amener. C’est tellement loin du star system qu’il se construit que l’authenticité de ses écrits est intacte, préservée. Exit les tournures de phrases alambiquées ou les prises de risques dégueulasses. C’est un rap brut, tellement brut qu’il mériterait de ne subir aucune analyse.

Ses aspirations hispaniques se ressentent sur « Milonga » au sample de Manu Chao, mais à la différence de certains collègues, il n’en rajoute pas quand il s’agit d’être sobre. On l’imagine difficilement devenir brusquement l’égérie type du nouveau rappeur francophone inventant un délire sur des origines, et il ne cède pas aux sirènes du business actuel. Il n’a pignon sur rue que chez ceux qui ont encore en mémoire vive le concept de « diggin’ ». Et avec sobriété, il nous donne envie d’aller voir ce qu’il y a sur « le toit du monde ».

Il y a de l’anti-De Pretto chez Seyté, « artiste évènement » dont tout le monde se sent soudainement obligé de parler, que chacun s’empresse d’écouter pour donner un avis à un « phénomène ». Phénomène, qui, façonné de toutes pièces, s’étend du pur placement marketing de son contenant au dénouement insubmersible des vagues déferlant sur les réseaux sociaux à propos de son contenu. Le Belge, lui, pisse allégrement sur « le rap, c’est toujours les mêmes thèmes et les mêmes rimes qui r’viennent, y a d’plus en plus de MC d’partout, d’plus en plus de beatmakers, d’plus en plus de studios accessibles, d’plus en plus de plateformes à la con pour diffuser sa gerbe, enfin bref, y a plus que d’la merde ». Il y a quelque chose d’archaïque dans la démarche d’écouter Seyté, quelque chose qui soulage ; il ne suit pas le mouvement qu’imposent les maisons de disque actuellement, ni artistique, ni commercial, ni logistique.

Pour l’écouter, il faut le chercher ou le suivre sur ses réseaux au bon moment. Il ne faut pas être allergique à la besogne imposée de télécharger légalement ET gratuitement son projet. Il tire son épingle du jeu en se positionnant là où il veut être, et non là où on l’industrie voudrait l’installer. Et pour ceux qui souhaitent le soutenir, en plus des commentaires et messages d’affection, le CD sera bientôt disponible en quantité limitée.

Disponible en MP3 ici

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