Alph Lauren, retour sur une trilogie gagnante

Au mois dernier, le pas si discret membre de l’Entourage Alpha Wann nous prenait par surprise en sortant sans crier « gare » un troisième opus venu grossir la série des Alph Lauren. Annoncé comme un dernier court projet avant le fameux et tant attendu album solo, ce trosième volet est venu gentiment s’ajouter à la liste des petites bombelâchées avec cette régularité remarquable dont le Parisien a le secretTouchant sa cible sans en faire trop, comme à chaque foisAlph Lauren 3 s’inscrit bien en digne successeur des deux premiers EP, et enfonce le clou de la précision habituelle et du flow recherché du jeune MCMais adelà dl’indéniable valeur de ce projet, c’est la progression de Phaal qu’on remarque et qui nous invite à avoir une écoute attentive de ce dernier EP.

« J’étais naze aux R.C., maintenant, j’ai plus d’adversaires » – Paire de Prada, AL3

Prenant son temps, le Don n’en finit pas de proposer une musique de grande qualité, sans compromis sur le style ou sur son identité, ce qui ravit évidemment les auditeurs exigeants que nous sommes. Résistant ainsi à la tyrannie de la profusion qui paraît indispensable pour survivre aujourd’hui dans le game, il est de ces artistes qui nous rappellent que finalement, le talent est peut être encore le meilleur moyen de faire parler de soi… 2014, 2016, 2018 : avec un projet – et court avec ça – sorti en moyenne tous les deux ans, on ne peut pas dire que Double P monopolise la scène médiatique parisienne. Et pourtant, son ombre est là, planant sur autant de freestyles que de featuring, faisant de lui un acteur bien implanté avec lequel on veut compter. Et si ses apparitions sont d’abord réservées à ses – très – proches, le jeune homme sait se retrouver sur des projets qui attirent la lumière par leur haut niveau de qualité. C’est ainsi que, rien que dans les quelques mois écoulés, on le retrouvait avec délectation sur le DBSS3 de SNZ sorti en fin d’année dernière ou sur le Pilote de Doums – nous rappelant par là même l’alchimie grandiose qui existe entre les deux amis – mais aussi sur le faussement doux « Knight Rider », qui figurait sur l’excellent No Name 2.0 que Joe Lucazz a sorti en ce début d’année (on vous en parlait ici).

S’il régale autant aux cotés de ses anciens acolytes ou d’artistes de haut niveau, qu’en solo, c’est sûrement parce que Wann a ce petit truc en plus pour nous en mettre plein la vueCe « truc », c’est une audacieuse fidélité. Fidélité à ce qu’il est et à ce qu’il aime. Dans un monde où les styles se mêlent, s’influencent et se dénaturent parfois, le Don trouve le moyen de faire grandir sa musique et son talent en s’inspirant de ce qui l’entoure sans se travestir ni se perdre. Il capitalise sur ses forces sans trop actualiser son logiciel créatif, de manière à élargir son champ d’action sans tomber dans des phénomènes de mode qui, au fond, ne lui iraient de toute façon pas très bien. Le résultat, c’est que projet après projet, alors que les instrus évoluent, que des effets s’ajoutent ou disparaissent, les textes continuent de s’affiner et ce qui fait l’identité de Wann depuis le début est toujours là.

Catalogué rappeur technique, comme la plupart de ses compères de l’Entourage qui ont remis la rime riche, le multi-syllabisme ou encore les jeux de placement à la mode au début des 2010’s, le Parisien « sait » rapper et maîtrise les codes de sa discipline, au premier rang desquels les schémas de rimes recherchés et pertinents. Et il en joue tranquillement, sans pour autant chercher à s’en affranchir systématiquement. Si on l’a souvent comparé à Dany Dan à ses débuts pour la richesse de ses tournures de phrase, sa diction et certaines de ses intonations, c’est aujourd’hui davantage avec un Ron Brice qu’on pourrait oser la comparaison, mais davantage pour souligner cette aptitude, que les deux MC’s ont en commun, de faire sonner juste un flow aux accent old school sur des prods plus contemporaines, ou de poser des 16 plus novateurs sur des prod aux bons relents de boom bap. Son flow, nonchalant, parfois presque lancinant, suit en effet les instrus avec précision et sait s’adapter à leur contraintes, les devançant parfois pour affirmer ses textes et ses placements comme les fondations de la musicalité des morceaux.

En écoutant à la suite les intros des 3 projets, il est confortable de constater l’évolution positive du style sans subir de révolution dans la musique. Si on a aimé Alpha sur Alph Lauren 1, on devrait se faire plaisir à le retrouver sur les volumes 2 et 3 tout en le découvrant dans des univers qui se sont doucement actualisés. Si « Flingtro » était encore très liée aux influences qui avaient construit le 1995, à ses touches jazzy et à un boom bap à peine retravaillé, sur « Protocole », seule la boucle de cuivre et de basse un peu old school rattachait le MC à ses premières amours. L’instru se faisait beaucoup plus hypnotisante, plus présente. Elle n’était alors plus le papier peint qui permet de poser l’ambiance du son, mais bien une composante forte du morceau, pour mieux coller à un flow qui avait travaillé à se ralentir, et qui s’était assombri. Enfin, carrément marquée par des accents trap plus modernes et oubliant les cuivres, le « Paire de Prada » qui ouvre le volume 3 de 2018 va encore un cran plus loin. Complètement focalisé sur une boucle électro plus erratique et un flow qui dévoile plusieurs de ses facettes à deux vers d’écart, le morceau nous fait aujourd’hui entrer dans une autre pièce de la maison Wann.

Car à chaque fois, les intros que nous lâche Philly Phaal annoncent plutôt bien la couleur générale deEP : très jazzy-funk pour le volume 1, il se fait plus sombre et agressif sur le second, préférant des ambiances électroniquesMais quelque part, chaque volet semble porter en lui les germes du suivant. « Hydroponie » et « Steven Seagal » introduisaient ainsi dès 2014 la dose de boucles électrosuffisante pour nous préparer à ce que seraienles sonorités majoritaires de 2016. Le deuxième opus sonnait lui un peu à cheval entre une attache nostalgique à ces ambiances jazzy et funk de toujours, actualisées par des influences électro fortes, et la tentation trap, finalement embrassée dans le dernier morceau sur la partie de Hologram Lo’. Cette année, « Paire de Prada » nous embarque dans un univers plus effervescent, presque plus fun par moment quand il ne sonne pas simplement désabusé.

En 2018, avec ce dernier opus, Alpha a donc franchi un nouveau cap, et, toujours entouré des fidèles beatmakers avec lesquels il a l’habitude de travailler, il tombe volontiers dans des prods plus désorientées, plus mécaniques, plus tendances. Il semble s’y amuser beaucoupfaisant ainsi complètement écho à ce vers de « Steven Seagal » posé sur le premier opus « Mais j’fais pas du rap, je fais de l’auto-divertissement ».

La majorité des sons de chaque volet semble ainsi répondre à des envies musicales nouvelles, qui apparaissent et s’affirment entre chaque sortie. Pourtant la continuité entre les projets est évidente. Par exemple, le Parisien ne peut s’empêcher de verser avec classe au moins une fois dans un son qui porte cet ADN boom bap qui l’a fait grandir. De « Quand on chausse les crampons » en feat avec Mr Nov à « R5 et Murcielago » en passant par « Vortex » ou « St Domingue », le Don ne méprise ni les intonations R&B, ni les passages chantés et sait utiliser la dextérité de son flow pour polir les instrus des beatmakers invités, qui en le ramenant dans le chemin du classicisme, le sortent de ses petites habitudes de prod. Kyo Itachi, Ill Heaven et Hugz Hefner apportent alors, chacun leur tour, la petite touche old school terriblement jouissive parce qu’elle met encore mieux en valeur les atouts principaux de Phaal : son groove et sa facilité à kicker.

« J’ai pas d’grandes idées, j’chante
J’fais ça pour atteindre le next level, la 36ème Chambre » – Quand on chausse les crampons, AL1

Des boucles funk et jazzy de VM aux mélodies electro travaillées sans être alambiquées de Lo’ et aux accents trap de JayJayDouble P joue avec les rythmes, s’amuse sur les placements et confond les attentes des auditeurs sur des rimes qu’il manie à merveilleMais solidement ancré dans son flowc’est bien ce groove intergalactique qu’on retient, celui-là même qui insuffle de la profondeur au plus sommaire des egotrips et teinte de nostalgie des prod qui se voudraient plus modernes. Et quelle meilleure façon d’exprimer ce talent que de prendre le temps, un morceau par projet, de le placer sur une instru un brin tradi ?

Au fil des trois projets, le Parisien a su, doucement mais sûrement faire évoluer les cadres de sa musique sans en faire exploser la base. Réformateur plus que révolutionnaire, Philly Phaal c’est la rupture dans la continuité. Pas prêt à lâcher les acquis qui font sa force et son identité, il se montre curieux et ouvert aux influences dont il pense qu’elles peuvent faire progresser sa musique, et profite des nouvelles inspirations des artistes qui l’entourent pour avancer avec subtilité et talent dans ce qui devient naturellement de nouvelles zones de confort. En six ans, projets solo, featuring et freestyles de haut vol, auront prouvé son talent d’écriture, entre egotrip et autodérision, amour de la musique et des femmes, name dropping et références calibrées, le tout sans jamais glisser dans la facilité de la punchline à outrance. Il aura aussi su démontrer l’agilité de son flow, ainsi que sa capacité à le faire grandir et à l’enrichir sans complexe. Pour s’en convaincre, au-delà de l’EP sorti en avril, il suffit d’aller écouter les couplets improvisés qu’il pose çà et là depuis des années sur les Planète Rap de ses potes ou très récemment sur un Grünt avec Doums fin mars… Naturel des placements (5’55), passe d’arme (12’26), rimes frappées et jeux avec tout ce qui passe (16’54), il domine le freestyle et s’impose comme LE membre qu’il fallait inviter, comme a chaque fois…

https://www.youtube.com/watch?v=AtwQzlHgk3U

Avec les influences nouvelles et variées qu’il a su attraper au vol, Alpha Wann a modernisécomme professionnalisé, son style. Simplement en laissant mûrir son identité il l’a affirmée sans cesse et sans détour sur la scène parisienne depuis son premier envolAujourd’hui plus fortela patte Alpha Wann est de mieux en mieux identifiée, mise en valeur, et devient ainsi judicieusement perrenne… Reste à voir si l’album annoncé pour la rentrée confirmera nos sentiments. Mais on serait surpris d’être déçus.

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